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Of ILLINOIS
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L161— 0-1096
GUIDE
AU
CAUCASE
DU MÊME AUTEUR
L’Art au Caucase, album in-folio, avec texte explicatif,
orné de 30!) planches, phototypies, photogravures, chromo-
lithographies, gravures sur bois. Odessa , 1885.
L’Art religieux au Caucase, un vol. in-18, elzévir.
Ernest Leroux, édit. Paris , 1887.
Les Arts industriels au Caucase, une brochure in-16.
Tiflis, 1880.
La Mingrélie. un vol. in-16, de 400 pages, avec 100 gravures
et une carte en couleur. Odessa, 1884.
L’Armée géorgienne au moyen âge, une brochure.
Tiflis, 1886.
Chota Rousthavéli, poète géorgien du XIIe siècle, sa vie
et son œuvre, une brochure. Tiflis, 1886.
Contes et Légendes du Caucase, un vol. in-18 raisin.
Maisonneuve, édit. Paris , 1888.
La bibliothèque d’Edchmiadzine et les manuscrits
arméniens, album et notice in-8, avec une photographie
et quatre lithographies. Tiflis, 1886.
Le Musée de Tiflis, une brochure. Tiflis , 1886.
De Vladikawkaz à Tiflis, une brochure. Tiflis , 1886.
Programme du VIe Congrès archéologique russe à
Odessa. 1884.
L’Archéologie au Caucase, un vol. in-18. Paris , 1888.
Batoum et le bassin du Tchorok, un vol. in-18,
Paris, 1887.
Histoire de Géorgie (Histoire ancienne), un vol. in-16.
Tiflis , 1888.
Chalon-sur-Saône, imprimerie L. Marceau.
G U 1 D E
AU
CAUCASE
PAR
J. MOURIER
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALE ET AMÉRICAINE
DE
J. MAISONNEUVE
25, QUAI VOLTAIRE, 25
1894
Droits de traduction réservés
N/, )-A
TABLE METHODIQUE
PREMIÈRE PARTIE
Renseignements généraux
Pages
Calendrier 1
Poids et mesures »
Monnaie 2
Saison et plan de voyage »
Frais de voyage 3
Hygiène »
Bains 4
Equipement »
Passeport. . .
Recommandations,
Hospitalité »
Consulats 8
Police ))
Poste aux lettres. Taxes »
Télégraphe 10
Bateaux à vapeur »
Chemins de ter 11
Voyages en poste ))
Phaétons 12
Guides interprètes 13
Hôtels. Chambres garnies. Restaurants »
Théâtres. Concerts. Divertissements. Clubs 15
Histoire 16
Géographie générale 34
Orographie (glaciers, neiges, pluies, vents, climat) . . 42
, Hydrographie 47
Géologie 48
Minéralogie et mines 54
lo zd r-
VI GUIDE AU CAUCASE
Pages
Eaux minérales 56
Faune 57
Chasse 59
Pêche »
Flore 60
Forêts 64
Anthropologie et Archéologie 67
Ethnographie et Ethnologie (Classification des peu-
ples du Caucase) 75
La Géorgie et les Géorgiens 92
L'Arménie russe et les Arméniens 109
Les montagnards du Caucase (Tcherkesses, Abkhazes,
Kabardes, Osses, Svanes, Ratchiens, Mingréliens,
Lazes, Pchaves, Touches, Khevsours, Lesghiens,
Ttchetchènes, Tartares) 135
Population 163
Agriculture (Bétail. Instruments agricoles. Moulins.
Cultures. Millet. Riz. Vigne. Lin. Chanvre. Mû-
rier. Tabac. Cotonnier. Ramie. Garance). Apicul-
ture. Sériciculture 164
Production et produits (Vins. Laines. Poils de chè-
vres et de chameaux. Réglisse. Saragane et Sou-
mak. Pyrèthre) 179
Industrie (Naphte. Filatures desoie. Alcool de fruits) . 184
Le Crédit industriel au Caucase 199
Etat général et social (Instruction. Religions. Cou-
tumes. Jurisprudence. Cadastre) 200
Administration et divisions administratives. Cir-
conscriptions militaires. Flotte 206
Voies de communications (Routes. Chemins de fer). 210
Commerce extérieur. Mouvement maritime 214
Bibliographie 216
TABLE MÉTHODIQUE vu
SECONDE PARTIE
Itinéraires
Pages
A De Constantinople à Batoum, par la mer Noire. 1
B D’Odessa à Kertch, No vo- Rossi isk, Poti et Ba-
toum, par la mer Noire 7
C D’Astrakhan à Bakou par la mer Caspienne ... 18
D De Bakou à Tiflis, par Evlak, Noukha, Za
katal, Signak 21
E De Rostofî cà Vladikawkaz 27
F De Vladikawkaz à la mer Caspienne 40
G De Vladikawkaz à 'Tiflis (Route militaire de
Géorgie) 45
H De Poti à Samtrédi 58
I De Batoum à Samtrédi 68
J De Samtrédi à Tiflis 80
K Tiflis et les environs 110
L De Tiflis à Erivan et à l’Ararat 138
M Erivan et la vallée de l’Araxe 150
N De Tiflis à Alexandropol et Kars 160
O De Tiflis à Bakou, par Akstafa, Elisabethpol. .. 174
P De Bakou à Vladikawkaz 195
Plans et cartes
Itinéraire A 1
Erekli 2
Sinope 3
Samsoun 4
Trébizondp 6
Itinéraire B 8
Pitzounda 10
Poti 12
Batoum 15
Itinéraire C 19
Bakou 21
Itinéraire D 22
Itinéraire E 27
Stavropol 30
Piatigorsk 34
VIII GUIDE AU CAUCASE
Pages
Vallées du Baksan, de l’Ourban et du Tchéghem. . . 37
Mont Elbrouz 38
Itinéraire F 41
Kouba 45
Itinéraire G 46
Mont Kazbek 51
Vallées du Térek et de l’Aragva 54
Itinéraire H 59
Itinéraire I 69
Itinéraire J 80
Plan des ruines d’Oukhimerion et d’une partie du
Koutaïs moderne 81
Plan de la cathédrale de Koutaïs 82
Vallées de la Tskénis-Tskhali et de l’Ingour 86
Haute vallée de l’ingour 87
De Koutaïs à Vladikawkaz (Col de Mamisson) 94
Le Col de Souram et l’ancien tracé du chemin de fer. 96
Akhaltzik 99
Tiflis 115
Thélaff 136
Itinéraire L 138
Le Gok-tchaï 139
MontAlagôz 140
Erivan 144
D’Erivan à l’Ara rat 145
Mont Ararat 148
Itinéraire M 151
D’Erivan à Koulpa 153
D’Erivan à Novo-Baïazid 156
Itinéraire N 161
Alexandropol 162
Akhalkalaki 170
Itinéraire O 175
Elisabethpol 176
De Choucha et Girousi à Ordoubad 181
D’Adji-Kaboub à Salyan 184
Lenkoran 185
Presqu’île d’Apchéron 189
Bakou et ses environs.... 193
Itinéraire P 195
Derbent 196
De Témir-Khan-Choura à Gounib 199
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS MENTIONNÉS DANS LA SECONDE PARTIE
A
Ababek, 104.
Abacha, 58.
Abacha (rivière), 65, 67, 77.
A'bastouman, 93, 99.
Abdoulah, 180.
Abinskaïa, 29.
Abkhazie, 9, 62, 63, 66.
Aboul (moût), 170.
Achot , 74, 76, 105, 124, 163.
Adaï-Kokk (mont), 40, 88.
A damas, 7.6, 117.
Adich, 86.
Adighiouui, 101.
Adjameth, 93, 94.
Adjarie, 70, 71, 72, 77.
Adjaris-Tskhali (r.), 73, 104.
Adji, 78.
Adji-Kaboul, 21, 174, 184, 186.
Adjikent, 177.
Adjikour, 45.
Adjizour, 180, 181.
Adler, 9.
Adyr-Sou (col d’), 38.
Æa, 66.
Agamzali, 157.
Agdache, 182.
Agh-Uzum, 165.
Aghvi, 88.
Agouri, 132, 133.
Aiger-Gôl (lac), 141.
Aïroum, 123.
Akachène, 101.
Akarlou-tchaï (r.), 180.
Ak-Dagk (mont), 140.
Ak-Dask (r.), 202.
Akedermanski, 180.
Akhalkalaki, 104, 169, 170, 171.
Akhalsopéli, 133.
Akhalzik, 67, 725 73, 74, 77, 98,
99, 100, 101, 104, 171, 172.
Akharchène, 71.
Akkatani, 127.
Akkboulak, 160, 161.
Akh-Dagh (mont), 156.
Akkgsou, 182.
Akhméti, 129.
Akhpat (monast.), 124, 163.
Akhrdachès, 72.
Akhtala (monast.], 123, 124,125.
Akkti, 23, 45, 197.
Akméti, 54, 129, 137.
Akoulgo, 200.
Akoulis, 158, 159.
Aksaï. 43.
Aksou (r.), 180, 182, 202.
Akstafa, 138, 157, 160, 174, 175.
Aladja (r.), 163.
Alaghir, 40, 94.
Alagôz (mont), 140.
Alaverdi (église d’), 136.
Alazan (r.), 24, 26, 129, 132.
Albani, 86.
Aldara, 181.
Alexandersdorf, 113.
Alexandre, 93.
Alexandrefeldt, 123.
Alexandrehütte, 125.
Alexandrofï, 58.
B
X
GUIDE AU CAUCASE
Alexandropol. 104,159, 160, 162,
163, 169, 172.
Alexandrovskaïa, 36.
Algheth (r. ), 121, 122. 123, 125.
- 126.
Aliate, 186.
Alindja-tchaï (r.), 158.
Alismereth, 93.
Alis-Skhari (r.), 78.
Alitzori, 181.
Alkhan-Yourt, 43, 202.
Allah-Verdi, 123, 124.
Alpani, 89, 90.
Alti-Boïoum, 43, 44, 197, 198.
Amamli, 160, 161.
Amasra, 2.
Ambrolaour, 90.
Améglibis-Khili (r.), 77.
Anaklia, 11, 64.
Ananour, 46, 53, 54, 129.
Anapa, 8.
Anaria, 61.
Anatolie, 1, 3.
Andrée vskaïa, 29, 184.
Androni.koff (princes), 132.
Ani. 163, 164, 165, 166. 167,168,
169.
Antcbi, 76.
Antchiskhati (église d’), 117.
Antioche, 57.
Apcbéron (pénins. d’), 187. 195.
Aragva (r.), 48, 53, 54, 55, 56.
Arakli, 122, 124.
Aralikh, 145.
Ararat (monts), 138, 145, 146, 147,
148, 149, 150.
Aratchadem (église d’), 124.
Araxe (r.), 150, 154, 158, 181.
Archéopolis, 66.
Ardachar, 155.
Ardaghan, 71, 72, 104.
Ardanoutch, 71, 74, 76.
Ardanoutch-Tskhali (r.),75, 76.
Ardone (vallée de 1’), 40, 94.
Arecht, 182.
Argino, 169.
Argoun (r.), 202.
Argouri, 145.
Argoutinsky (général), 198.
Argnino, 172.
Arkonskaïa, 40, 94.
Arkvéti, 94.
Armavir. 29, 30, 152.
Aroudi, 181.
Arpa-ghôl (lac), 169.
Arpatchaï (r.). 154, 163, 165,
168, 169.
Arsenen, 174.
Arsiani (mont), 72, 74, 75.
Artaxates, 155.
Artvine, 70, 76.
Asambouri, 128, 129.
Asie-Mineure, 1.
Askouri, 137.
Aspindza, 101, 104, 172.
Assanaouri, 73.
Astara, 186.
Astatzour, 181.
Astrakhan, 18.
Atabeg, 125.
Atajoutan, 37.
Atchalouk, 43.
Aténi (vallée d’), 105.
Atbaga-Bathana, 42.
Atina, 7.
Atskour, 98, 172.
Avlabar, 112, 114.
Avtchal, 58, 110.
Azambouri, 129.
Aznaours, 68.
B
Bachil-Sou (r.), 39.
Bagdad, 93, 100.
Baqrcct, 62, 66, 68, 74. 82, 83,
84, 85, 88, 104, 105, 106, 109.
Bagratcdes , 105, 124, 164.
Baïandour, 165.
Baïdara (r.), 52.
Baïko, 136.
Baïl-Bourni (cap), 188.
Baïléti, 79.
Bakanskaïa, 29.
Baknouraskine, 157.
Bako, 73, 74.
Bakou, 21, 44, 45, 174, 186, 195.
Bakourtziche, 26, 132.
Baksan (vallée du), 37.
Bakwi, 78.
Bakwis-Tskhali (r.), 78.
Baladiari, 186.
Bala-Hissar, 187, 191, 192.
TABLE ALPHABETIQUE
Balkar (vallée du), 39.
Bal ta, 46, 49.
Bank, 185.
Barbalo, 122, 126.
Barda, 175.
Bariatinsky (prince), 48, 53, 112,
200.
Bartan, 2.
Bartzkanatabia, 68.
Bataïskaïa, 27.
Batalpacbinsk, 31.
Batoum, 1, 7, 13, 68,69,70,104.
Batssa, 76.
Bazardiouzi, 197.
Bazartckaï (r.). 181.
Bazéri-Tskhali (r.), 78.
Bechtaou (mont), 31.
Bédia, 62.
Bégli-Akkmeth, 174.
Bégrakatonne, 72, 104.
Bêjan, 66.
Béjani-Chwili, 69.
Béjétoubani, 95.
Bélagori, 92, 95.
Bélakani, 25.
Béléklutch, 126.
Bénara, 101.
Bénari, 73, 104.
Béréjoouli, 77.
Bérézovskaïa, 42.
Bermamout (mont), 33.
Beslane, 40.
Béthanie (église de), 109,120.
Betcho (col de), 38, 86, 87, 89, 90.
Betléem (église de), 57.
Bézinghi, 38.
Bibi-eï-Bat, 191.
Birioutchia-Kossa, 21.
Biz, 40, 94.
Blagodarnoï, 36.
Bogdanofka, 104, 169.
Bogkaz-Kessan, 159.
Bogoslovskaïa, 30.
Bojie-Promicel, 185.
Bokona (r.), 91.
Bombouaskhédi, 88.
Bonispir, 136.
Bordchka, 70.
Borjom, 97, 98, 172.
Borokovo, 39.
Boslévi, 94, 95.
Bosphore, 1.
Botlik, 43.
Bouglein, 199.
Bozorkina^ 43, 202.
Brianskaïa, 42.
Broudja (r.), 78, 79.
Buk-Duzi, 157.
G
Caben (église de), 119.
Caravanséraï, 1380 139.
Catamitre, 164.
Catherine , 66.
Céia (glacier de), 40.
Cernévodi, 93.
Chadivane, 71.
Chak-Dagh (mont), 197.
Chakvindji, 64.
Chamkhor, 175.
Chamkhor (r.), 177.
Chandroukovskaïa, 42.
Chaptchak, 43.
Chauve (mont), 180.
Chavcheti, 74.
Chavcheti-Tskhali (r.), 75.
Chelkozavodskaïa, 42.
Chémakha, 182.
Chémokmédi (monast.), 79
Chibilar, 122.
Chikhaouz, 181.
Chikoff (cap), 187.
Chikovo, 191.
Childi, 137.
Chiora, 91.
Chirvan, 183, 191, 192.
Chiroanides, 187.
Chkara (mont), 39, 87.
Chkmeri, 91.
Choda (mont), 88.
Chorapan, 94.
Chouamtha (église de), 135.
Choucha, 159, 178, 179, 180.
Chouchanik , 114.
Chouchemine, 22.
Choukrouti, 94.
Choulavère, 101, 124, 125.
Choura-Ogen (r.), 198, 201.
Chvakéli, 73.
Cici-Cala, 163.
Cicimadan, 163.
Ciorklis, 99.
XII
GUIDE AU CAUCASE
Codjor, 119, 120, 121.
Comnène, 85.
Constantin , 121.
Constantiniskoï, 142.
Constantinople, 1.
Constantinovskaïa, 32.
Coumourdo (église de), 103.
D
Daba (église de), 98.
Dachgessan, 177.
Dachlagar, 44.
Dadian , 60, 62, 63, 66, 87.
Dadichkiliani , 86, 89.
Dagamik, 62, 63.
Dale-Mamethi, 178.
Danakhwis (mont), 105.
Danispariouïi, 73, 104.
Daratchi-Tchak, 142.
Dargh-Koh, 40.
Darial, 49, 50, 52.
Darbéri, 90.
Davalou. 157.
David, 50, 61, 66, 75, 83, 85. 106,
109, 135, 165.
Débèda-tchaï (r.), 123, 124, 163.
Dekhwir, 89.
Delijane, 138, 139, 157, 160.
Delikaouri, 92.
Delovani, 101.
Derbent, 21, 44, 195, 196, 197.
Devdoraky (r.), 49.
Devdoraky (mont), 50.
Dgr utchi, 95.
Diable (vallée du), 52.
Digh, 180.
Digomi, 58.
Digour, 104.
Divitchi, 45.
Djafarabath, 22.
Djaïri, 182.
Djanaan, 136.
Djaneth, 72.
Djanga (mont), 39, 87.
Djanik, 4.
Djanoura (r.), 88, 89.
Djaour, 26.
Djébiri (défilé de), 105.
Djébraïl, 180.
Djel-ap-Ketchout, 169.
Djélab-Kisoul, 104.
Djélaouss, 104.
Djemikent, 44.
Djengoutaï, 198, 199.
Djerakovsky. 49.
Djighil-Sou, 39.
Djikaïchi, 68.
Djokoveti, 92.
Djolo, 65.
Djouari-Sakdari, 55.
Djouart-Nakhé, 52.
Djoubja, 9.
Djoudch, 91.
Djoulad, 41.
Djoulfa, 158.
Djoumati (église de), 78, 79.
Djoomi (r.), 61, 64.
Djourdchoula (r.), 91.
Djwari, 64.
Doketti, 93.
Doliskhana, 71.
Dologami, 73.
Don (r.), 27, 31.
Dondolo, 73, 104.
Doubovskaïa, 42.
Douchet, 46, 55.
Doukhabores , 169.
Drandi. 62, 64.
Dykh-Taou (mont), 39.
Dzaghkotsatzor, 163.
Dzanazgra (r.), 65.
Dzégame, 175, 177.
Dzérouli, 95.
Dzévroula, 90.
Dziroula (r.), 94.
E
Edchmiadzine, 150, 151, 152.
153, 159.
Efrénofka, 104.
Egorlik (r.), 28.
Eïlar, 139.
Ekathérinenfeld, 122, 125.
Ekathérinodar, 9, 28, 29.
Ekathérinograd, 37, 40, 41.
Elbrouz (mont). 11, 31, 37.
Elenovka, 139, 142, 157.
Elisabethal, 126.
Elisabethpol, 174, 175, 176, 177,
178.
TABLE ALPHABETIQUE
XIII
Elkotovo, 40.
Ellisoune, 23.
Emanouïlovskaïa, 29.
Emir, 123.
Epekli, 22.
Erekli, 1.
Eresnoï. 43.
Erivan, 138, 139, 143, 145, 150,
153, 155, 157, 159.
Erivan (place ci’) , 113.
Eristhatis , 135.
Ermoloff: \ 48.
Erocan , 151, 154.
Erovantachad, 154.
Erovantagherd, 154.
Ertha-Tsminda (église d’), 109.
Erthi-Tskhali (r.) , 62.
Ertsso (vallée d’), 127, 134.
Erzeroum, 6.
Eskheti, 62.
Eupatoria, 7.
Ecclémon , 85
Evlak, 21, 45, 159, 178, 182.
F
Ferousk, 72.
Freshfielcl , 51.
G
Gadji-Moukhan, 142.
Galugaëvskaïa, 41, 42.
Gambor, 26, 128, 133, 134.
Gambzatchinan, 160, 161.
Gandja, 85, 175.
Ganza, 169.
Gazo (mont), 75,
Gelesnaïa (mont), 31.
Geleznovodsk, 32, 34.
Gemoukh, 90.
Gennuk, 23.
Georges , 66, 85, 122, 131, 133.
Géorgie, 95, 130.
Gerzel-Aoul, 43,202.
Geurktchaï, 182.
Ghaghik , 164.
Gbaniri, 67.
Ghébi, 88, 91.
Gbegh-tapa, 184.
Ghélath (monast. de), 83, 84, 88,
93, 103.
Ghélembor, 67.
Ghendara, 170.
Ghéorgbievsk, 35, 36.
Ghermazial (col de), 181.
Ghézathi, 68.
Gbeztola (mont), 39, 87.
Ghimran, 181.
Ghimri, 44.
Ghiorghi, 85, 105, 165.
Ghirdman (r. ), 182.
Ghondili, 89.
Ghrel (r.), 100.
Girousi, 159, 180.
Girousi-tchaï (r.), 180.
Glola, 40. 90, 94.
Goders, 73, 104.
Gok-Tcbaï (lac), 139, 140, 156.
Gôl-Kend, 155,156.
Golouine , 56.
Golovinsky, 112.
Gomi, 104.
Gordi, 88.
Gorelaïa, 169.
Gorgogothane, 71.
Gori, 104, 105, 106, 108, 109.
Goriatchevodski, 32.
Goribolo, 88.
Goualda, 39.
Goubazaouli (r.), 77.
Goubdenskaïa, 44.
Goud (mont), 48.
Goudaour, 46, 53.
Goudaout, 10.
Gouleskaïa, 68.
Gouloukou (mont), 39.
Goumali, 42, 43, 201.
Gounib, 21, 44. 198, 199,200.
Gourckavi, 40, 94.
Gourdjani, 132.
Gourgaslan , 112, 114, 117, 134.
Gourghen, 75.
Gourianta, 78, 79.
Gourie, 67, 72, 77, 80.
Gouriel, 72, 79.
Grakali, 109.
Grémi, 135.
Grégoire V I lluminateur , 124,
152, 156, 164.
Griboïedoff, 113.
Grigor , 135.
XIV
GUIDE AU CAUCASE
Grousie, 104.
Groznaïa, 43, 195, 202*
Guèbres, 194, 195.
Guérane, 178.
Gulaverdi, 72.
Gulluk, 24.
Gvédi, 88.
Gvimevi, 94.
H
Hélène , 85, 88, 106.
Hélénendorf, 176, 177.
Héraclé , 112, 129, 136, 143.
I
Ialama, 44.
Ialanouscham, 71, 74, 75, 76.
Iaroslavskaïa, 30.
lcortha, 109.
Ie'ia (r.). 28.
Igdir, 145, 153.
Ikobi, 78.
Uori, 62. 63.
Imérêthie, 67, 68, 77,88, 93, 95.
Imerkhévi (r.), 74, 75, 76.
lnchékia, 67.
Indjeh-Bouroun (cap), 2.
Ineboli, 2.
Ingouches, 202.
Ingour (r.), 38, 62, 64, 77, 85, 86.
Ioané , 104.
Iora (r.), 128, 129, 133, 134.
Ipar, 90.
Issoudéri, 88.
Istcherskaïa, 41, 42.
Istisou, 43.
Itkvissi, 94.
Ivérie, 95.
J
Jason (cap), 4.
Jessé, 103.
Justinien , 65.
K
Kabadinskaïa, 178.
Kabardie, 37, 41.
Kachréti, 26.
Kadjal-Makhi, 198, 199.
Kagalniskaïa, 27.
Kaghisman, 173, 174.
Kaïakent, 44.
Kaïchaour, 48, 52.
Kaïpert, 70.
Kak, 23.
Kakati, 64.
Kakhabéri, 70, 72, 73.
Kakhéthie, 54, 105, 128, 129, 130.
132, 133.
Kakobéti, 26, 128.
Kala, 86. 87, 112.
Kalabi, 165.
Kalaghir, 122.
Kaïakent, 177.
Kalaous (r.), 28.
Kalemberg, 198.
Kalery-sar (mont), 124.
Kaldane, 22.
Kalinovskaïa, 41, 42.
Kalinskaïa, 44.
Kalokhuri, 62, 64.
Ka marlou, 145, 157.
Kambilefka, 202.
Kamenka (r.), 163.
Kanir-Kourmouk, 198.
Kanoum-Khévi, 72
Kantichevskaïa, 43.
Karabagh, 158.
Karaboudakk-Kant, 44.
Karaboulak, 23, 180.
Kara-bouroun (mont), 159.
Karachène, 180.
Karadagh, 44,201.
Karagamza. 174.
Karagan (glacier de), 40.
Karaïas, 174, 175.
Kara-Kala, 154.
Kara-Kilissa, 181.
Karaklis, 160, 161, 163.
Kara-Koïssou (r.), 199, 200.
Karakoubanskaïa, 29.
Karaleti, 108.
Karamanli, 178.
Karamourzina, 31.
Kara-Ogen, 198.
Karaoul, 39.
Karasou (r.), 140, 184.
Karatchaï (r.), 31, 72, 165.
Karatchalinskaïa, 184.
TABLE ALPHABETIQUE
xv
Karchinari. 181.
Kardak (col de), 180.
Kardanak, 132.
Kardjéti-Tsikhé, 69.
Karéli, 104.
Kariou-Khokh (mont), 40.
Karkiadan, 104.
Karnaveli, 104.
Kami, 155.
Karni-tchai (r.), 155.
Karras, 32.
Kars, 104, 160, 172, 173, 174.
Kars-tchaï (r.), 172.
Kartalinie, 95, 103.
Kartapa, 174.
Karthli, 91, 171.
Kartsakh (lac de), 103.
Kasanga (r.), 165.
Kasi-Koumouk (r.), 199.
Kasi-Moullah , 44.
Kaspi, 109.
Katar, 181.
Katchine (r.), 179.
Katchréti, 128.
Katek, 24.
Katsky, 92, 94.
Katukh (mont), 179.
Kavar, 181.
Kavkazkaïa, 29.
Kavthis-Khévi (église de), 109
Kavthoura (r.), 109.
Kazbek, 46, 51.
Kazbek (mont), 50. 52, 119.
Kéda, 73, 104.
Kédabek, 177, 178.
Kégart, 155, 156.
Keïamouri, 95.
Kémerli, 174.
Kémistort, 72.
Kérasonde, 4.
Kerchbéti, 100.
Kerket, 43.
Kertch, 7, 8.
Ketcharousse, 142.
Kbakhoul, 84.
Khané. 93.
Kbani-Tskhali (r.), 93.
Khankhendi, 179.
Kbaor (r.), 90.
Kharis-Tchwali (lac), 90.
Kharkhar (r.), 178.
Khartis-Khari, 55.
Khassav-Yourt, 42, 43, 202.
Khatistétéli (église de), 122.
Khazhak, 72.
Ivhazri, 45.
Khéba, 71.
Khéda, 70.
Khégam, 155.
Khélédoula (r.), 89.
Khertvis, 101, 170, 171.
Khêta, 60.
Khétéoane , 137.
Khévis-Tskhali (r.), 77.
Khecsours , 129.
Khevsour-sopéli, 126, 127.
Kkidis-Thavi, 105.
Khidour, 91.
Khik-Tapa, 104.
Khindirzind, 45.
Khirî (r.), 62.
Khodachène (r.), 136.
Kbodjali, 178.
Khodor (vallée du), 31.
Khodor (r.), 11, 64.
Khoforné, 124.
Khogoto, 136.
Khomli (monts), 83.
Khoni, 67, 68, 88.
Khopi (r. ), 64.
Khopi, 60.
Kb organe, 145.
Khosrooarynouik , 124.
Kbotévi (r.), 88, 90, 91.
Khouda't, 44.
Khoundzakh, 43, 44.
Kkoutchali (lac), 170.
Khoutzouri, 105.
Kkram (r.), 122.123, 124, 125,
126.
Kidani, 126.
Kidisthavi, 90.
Kiliazinskaia, 45.
Kinzotamar, 71.
Kiourdamir, 21, 174, 182, 184.
Kip-Gôl (lac), 145.
Kirakli. 43.
Kiril-Agatka, 184.
Kirkhalis-Tsikhé, 74.
Kirk-Ivilissa, 104.
Kisîiar, 41, 42.
Kislovodsk, 32, 35.
Kissisghévi, 133.
Kistaouri, 137.
XVI
GUIDE AU CAUCASE
Kivrag, 157.
Kizilbouroum, 45.
Kiziliar, 198, 199.
Kizil-Irmak (r.), 4.
Kizil-Tapa. 172.
Klitch (vallée du), 31.
Kloukkorski (col de), 11, 31.
Kobi, 46, 48. 52.
Kobouleti, 69.
Kochtan-Taou (mont), 39.
Koda, 122.
Kodi, 122, 123, 124, 125, 126.
Kodiani (mont), 170.
Kodori, 62.
Koïlassar, 145.
Koïsou d’Andi (r.), 44.
Koïsou des Avares (r.), 44.
Kolorto, 70.
Koltiarevskaïa, 37, 39.
Konokorskaïa, 30.
Kopanskaïa, 29.
Kopilskaïa, 29.
Koriss, 180.
Kor-Oglou, 119.
Korotchoï, 43.
Kortskéri, 61.
Kortzkoul, 70.
Kouba, 44, 45, 195.
Kouban (r. ), 8, 31.
Koubaskaïa, 44.
Koujorskaïa, 30.
Koula, 72, 73, 104.
Koulachi, 67.
Koulpa, 145, 153, 154.
Koulpi, 199.
Kouma (r. ), 32.
Koumbakinskaïa, 184.
Koumissi, 122.
Koura (r.), 55, 56, 57, 71, 72,
105, 112, 133, 170, 174.
Kourek (r.), 89.
Kourtzémi, 65.
Koussari, 45.
Koustchevka, 28.
Koutaïs, 40, 68, 80. 82, 83, 85, 86,
88, 89. 90, 93, 94, 100.
Koutatissium, 82.
Koutcbali (lac). 169.
Krasnaïa-Ritchka (r.), 83.
Krébek (mont), 201.
Krestovaïa (mont), 48, 52.
Krilovskaïa, 28.
Krimskaïa, 29.
Kroujok (club), 113.
Ksanka, 109, 110.
Kvabis-Djwari, 72.
Kvablian-Tchaï. 72.
Kvaréli, 26, 137.
Kvénan-Nitha-Kini, 52.
Kviche (vallée de), 53.
Kvitéri, 137.
Kwachkéheth, 91.
Kwech, 122.
Kwechète, 48.
Kwirila (r.), 92, 93.
Kwirila, 74, 91, 94, 95.
Kzourté, 40, 94.
L
Labinskaïa, 30.
Lacbkéti, 86, 89, 91.
Lachras, 86.
Lagret. 161.
Laguodekh, 25, 26.
Laïlachi, 89.
Lakbi, 129.
Lalvare (mont), 123, 125.
Landjanouri (défilé de), 89.
Lantchkouti, 70.
Lapna (r.), 77.
Lars, 46, 49.
Laskadoula (r.), 89.
Latal, 86, 90.
Latpari (col de), 86, 87.
Lazes, 66.
Lazgwéria, 88.
Lazil (col de). 86.
Lazistan, 72.
Lenkoran, 184, 185.
Lenthéki, 86, 87, 89, 91.
Léon , 63, 66, 82, 104, 135.
LermontoJf\ 50, 53.
Lesghiens , 129.
Letchkhoum, 64, 88, 89.
Lèvachi, 198, 199.
Lccan Dadlan , 68.
Lhiki (col de), 95.
Lia, 64.
Liaki, 182.
Liakvi (r.), 105, 108.
Liaslase, 52.
Likane, 98.
TABLE ALPHABÉTIQUE
XVII
Likaouri, 78.
Likh (mont), 171.
Lilo, 127. 133.
Limasse (lac), 54.
Lisine, 181.
Liskouri, 90.
Lissagorsk, 180.
Loudji, 89, 90.
M
Machouk (mont), 31.
Madrassa, 183.
Magmeti, 42.
Maïkop, 9, 29, 30.
Maka (r . ), 89.
Makhoundjéti, 73, 104.
Makindjaouri, 69.
Maïak iou, 83.
Maldak (col de), 181.
Malakanes , 161.
Malka (r. ), 40.
Mamisson (col de), 40, 86, 88,
94, 109.
Mamkodi, 126.
Mamokhovani, 89.
Mamoutli, 125.
Manglis, 121.
Manitch (r.), 27.
Marabda, 122.
Maradidi, 70.
Marave (mont), 179.
Marelisé, 95.
Mariatn, 104.
Marie y 57.
Marienfeld, 26, 129.
Mariensky (canal). 174.
Markara, 153.
Martkhopi (église de), 127.
Martvili, (église de), 65, 66,67.
Masandzara, 135.
Mastara, 159, 160.
Matchakéli, 70.
Matchkbani, 128.
Matzek, 24.
Mavriatcbaï (r.), 165.
Maxonana, 157.
Medjouda (r.), 105.
Medy-Anapat (église de), 181.
Mèlik-Koï, 104, 172.
Méri, 137.
Merkwéna, 89.
Meskendji, 45.
Mesti, 90.
Metekb (église de), 112, 114.
Meztia, 38, 87.
Mghvimeri, 91.
Mirbastorskaïa, 28.
Mijirgbi-Taon (mont), 39.
Mikaël-Gabriel, 78.
Mikailoff, 95, 97, 104, 172.
Mikaïlovsky (parc), 188.
Migri, 158, 181.
Mikéléti, 74.
Minéralnia-Vodi, 31.
Mingrélie, 58, 62, 65, 68, 77, 87.
Miousiouli, 182.
Mirian, 50. 56, 121, 131.
Mlet, 46, 53.
Mogbari, 128.
Mokwi, 63.
Montganloup, 24.
Moracbine, 185.
Mordzoneti, 95.
Mosquée de Fatbma, 192.
Motzametb, 83.
Moucbtaïd, 58, 113.
Mouganlo, 129.
Moujal, 86, 87.
Moukbrane, 110.
Moukbaravani, 128, 134.
Moukouzani, 26, 132.
Mouri, 86, 88, 89, 90.
Mousselein, 199.
Mozdok, 37, 41, 42.
Mtatsminda (mont), 113.
Mtiouletb. 52.
Mtzkbet, 46, 55, 56, 57, 109, 110,
170.
Mtzkbéta, 89.
Mtzkbetskymost, 127.
N
Nabi-Ogli, 104.
Naflouk, 27, 133.
Nagomari, 78.
Nakalakévi, 64, 65, 102.
Nakérala, 90.
Nakbar (col de), 11, 31.
Nakitchevan, 157, 158.
Nakouralécbi, 89.
XV11I
GUIDE AU CAUCASE
Nakra (col de), 38.
Nakzagar (col de), 88.
Naltchik, 37.
Naourskaïa, 41, 42.
Nari-Kala, 114, 118.
Nasakérali, 78.
Naspir, 89.
Natanébi, 70, 78, 79.
Natis-Séméli, 77.
Natzkher, 55.
Navagui, 186.
Nazrane, 43, 202.
Nékrésie (église de), 137.
Nevinomiskaïa, 30, 31.
Nezlobnaïa, 35, 37.
Nicolaïefka, 134.
Nicolaïevskaïa, 30, 32, 41, 42.
Nicosie, 64, 108.
Nigoïti, 70, 78.
Nigui-Akhti, 139, 142.
Nikhortsminda, 88, 90, 93.
Nikitina. 161.
Nino (Sainte) y 56, 57, 131.
Nochlca, 88.
Noire (mer), 1, 78.
Notre-Dame (église de), 101 .
Noukha, 21, 22, 45, 129, 197.
Noukrian, 129.
Novi-Afon, 10.
Novo-Baïazid, 142, 155, 156, 157.
Novo-Grigorievskaïa, 30, 35.
Novo-Kalévi (r.), 65, 66.
Novo-Rossiisk, 8, 28, 29.
Novo-Sénaki, 64, 65.
O
Odessa, 7, 8.
Odiguéni. 101.
Œniak, 174.
Of, 7.
Okhone, 106.
Okoum, 62.
Okouréchi, 88.
Olchek, 72, 104.
Oldam (r.), 100.
Olti, 72, 174.
Oni, 40, 89, 90, 91, 94, 95.
Opichkti, 89.
Opiza, 75.
Orali, 101.
Orbéli, 90
Ordoubad, 158, 159, 180, 182
Orkhévi, 26, 129, 133.
Orlovka, 169.
Orpola, 172.
Orpiri, 76.
Ossêtiens , 52.
Otchemchiri, 11, 62, 63.
Otchkomouri, 64.
Otia, 57.
Otkaznoï, 35.
Otzartzé, 62.
Oubé, 92.
Ouchba, 87, 88.
Ouchkoul, 86, 88.
Oudé, 101.
Oudiéri, 89.
Oudjari, 21, 174, 182.
Oudjarna, 133, 134.
Oukha-Dagh, 52.
Oukhimérion, 82.
Oukhite, 52.
Oulévi, 94.
Oumakhan-Yourt, 43, 202.
Ounieh, 4'.
Ouplis-Tsikhé, 106.
Ourban (vallée de T), 37, 38
Ourbnissi, 106.
Ourlou, 4.
Ourma, 198, 199.
Ouroukh (r.), 39.
Ouroupa (défilé d’), 3fr.
Ouroupskaïa, 29.
Ourousbié, 37.
O u route, 180.
Ourtha (mont), 77.
Oustargardoï, 43.
Outchkoulan, 31.
Outséra, 90.
Ouzoular, 163.
Ouzountala, 138.
Ozourghet, 70, 76, 78, 79.
P
Paldo (vallée de), 134.
Paléostom (lac), 12.
Pambak (r.), 163.
Panasker, 72.
Pandoughéti, 70.
Panok, 72.
TABLE ALPHABETIQUE
XIX
Paraoul, 44.
Parghet, 169, 172.
Pari, 86.
Parsis , 195.
Partar, 175.
Paskéoitch (général), 170.
Passanaour, 46, 48, 53.
Pavlodolskaïa, 41.
Pazi-Mta (mont), 39, 86.
Pénésaour-tchai (r.), 125.
Pérésipnaïa, 29.
Pérévissi, 95.
Persati, 93.
Petit-Caucase (monts), 123. _
Petit- Mouganlo, 133.
Pétrovsk, 21, 43, 44.
Phanagoria, 29.
Pharnadjam,ÿ§ .
Pharnavaz, 135.
Piatigorsk, 31, 32.
Pirdaguassé, 45.
Pirsagat, 183.
Pithoreth (église de), 109, 122.
Pitzounda, 9. 60, 64, 84.
Platana, 5.
Pleïa-réka (r.), 202.
Plièva, 202.
Podkoumok (r.), 32.
Pogalisthavi (mont), 133.
Poïli, 175.
Poka, 169.
Pont du Diable, 181.
Porta, 75.
Porte aux Loups, 192.
Poste militaire, 174.
Poste Vedenski. 126.
Postkhovi-Tchaï (r.), 74.
Poti, 11, 13, 58, 70.
Pouchkine, 49.
Pouta, 186.
Prakokoumskoï, 35.
Praskovaïa, 35.
Priout, 121.
Privolnoï, 35.
Prokladnaïa, 37, 40.
Protchnikop, 29.
Psézouapé, 9.
Q
Quaréli, 133.
Quitiri, 68.
R
Rasdène, 105.
Ratcha, 78, 87, 89, 90.
Redout-Kalek, 11, 60.
Résurrection (église de la), 124.
Rion, 80, 94, 100.
Rion (r.), 12, 39, 58, 67, 70, 77,
86, 87, 88, 90, 91, 94.
Rizeh, 7.
Rodionovka, 169.
Rosse (mont), 52.
Rostofï-sur-Don, 27.
Rouissi, 106.
Roukhi, 62, 64.
Roussiantsikhé, 135.
Roussoudane , 85, 112.
Rousthavi, 104, 172.
Rousthavéli , 121 .
Route militaire de Géorgie, 48,
110, 127.
S
Sctba, 74, 75.
Sabadouri, 126, 127.
iSaba-Tsmida, 108.
Saberio, 62.
Sabountchi, 190.
Sadaklo, 123,125.
Sadarak, 157.
Sadjavak'o, 70, 77.
Sagama, 169.
Saganlouk, 122, 123, 124, 125.
Sagoré (mont), 90.
Sagouramo, 127.
Saguire, 184.
Saïmtvério (mont), 133.
Saint-David (église de), 113.
Sainte-Gaïane (église de), 151.
Saint-Georges (église de), 101,
105, 124.
Saint-Jacob (source de), 145.
Saint-Jacques (église de), 150.
Sainte-Mariné (église de), 101.
Saint-Minas (église de), 124.
Sainte-Nino, 131, 170.
Sainte-Ripsime (église de), 105.
Saint-Saba (église de), 101.
Saint-Siméon ( église de ), 92,
101.
XX
GUIDE AU CAUCASE
Sainte-Sophie (église de), 6.
Saint-Thomas (église de), 159.
Saïrmo, 89.
Sakaraoulo, 126, 127.
Salaval (col de), 197.
Salnidja, 174.
Salomon , 62, 68.
Saltinka, 44, 198, 199.
Saltinsky-most, 199.
Salyan, 184.
Samachkinskaïa, 43, 202.
Saméba, 17.
Samourzakhan, 62.
Samschwildé, 126.
Samsoun, 3.
Samthavis. 109.
Samtrédi, 13. 58, 67, 68, 70, 76,
80, 87.
Sanahine, 124, 163.
Sangatchali, 186.
Saoutch-Boulak (r.), 142.
Saphar, 100, 101.
Sapor , 154, 155.
Saragachène, 126.
Saraïnskaïa, 45.
Sarakamisch, 174.
Sardar-Boulakh, 145.
Sari, 69.
Sari an, 183.
Sartatchal, 26, 128.
Sar varie, 123.
Sassanides, 196.
Satchkéri, 91, 94, 95.
Satghéri (église de), 98.
SatléJi, 74, 75, 76.
Satlèli-Tskhali (r.), 75
Savansliskhévi, 97.
Schah-Abbas, 187.
Schah-Boulak, 178.
Schamyl 44, 133, 199, 200, 201.
Scharaail, 182.
Schkméri, 95.
Sébastopol, 8.
Sembat , 163, 180.
Sénaki, 65.
Sennaïa, 29.
Sévang (lac), 141.
Sévang (monastère), 141.
Sidone, 40.
Signak, 21, 26, 45, 128, 129, 130,
131, 132, 133.
Siméonovka, 139.
Simonetti, 73.
Sineika (mont), 31.
Singoti, 70.
Sinope, 2.
Sinori, 26.
Sion, 52.
Sion (église de), 105, 112, 117.
Siounik, 156, 180.
Skalta, 73, 74.
Skaltis-Tskhali (r.), 73.
Skarjinka, 35.
Skoutchaï (r.), 78.
Slepzovskaïa, 43.
Sobranié (club), 113.
Soglouti, 174.
Sogoute-Boulak, 175.
Soldatskaïa, 35.
Sololaki, 112, 119.
Souanétie, 38, 64, 67, 68,-77,85,
86, 89.
Soukhoum-Kaleh, 10, 31, 62, 64.
Souflis, 104.
Soulak (r.), 201.
Soulda, 104.
Souloukgel (lac de), 103.
Soundja (r.), 202.
Soupça, 13, 70.
Soupça (r.), 77, 78.
Souram, 67, 95, 97.
Sourakhaneh, 189, 190, 193.
Sourb-Arakial (église de), 168.
Sourb-Grigor (église de), 166.
Sourb-Kévork (église de), 180.
Sourb-Pherkitcb (église de), 168.
Source impériale, 62, 63.
Sourmalon, 154.
Spaskaïa, 169.
Stare- Delijane, 160.
Stchédrinskaïa, 42.
Stcherbakovskaïa, 42.
Stépan-Zminda, 50.
Stéphanos, 56.
Strachnokopski, 98.
Sucha-Fontanka, 139.
Surméné, 7.
T
Tabakhana (r.), 119.
Tabakméla, 122, 126.
Tabasséran (mont), 196.
TABLE ALPHABETIQUE
XXI
Tabitskour (lac), 98, 171.
Tacha-Boularki, 22.
Tachkitchou-Aoul, 42.
Tajat-Keï, 104,
Takhaltou (mont), 153, 154.
Takladi, 44.
Takmazb, 103.
Tala-Ark, 157.
Taleri (r.), 65.
Talicli, 169.
Taline, 159.
Talla, 24.
Taman, 29.
Tamarachène, 108.
Ta merlan , 103.
Tana (r.), 105.
Tando, 43.
Tantzi, 122.
Taouze, 175.
Tarakenskaïa, 184.
Tarsatchaï, 138, 139.
Tatartoup, 4L
Tathève, 180, 181.
Tavkhan-Kiliniak, 165.
Tbéti, 74.
Tchakwi, 69.
Tchaladidi, 58.
Tchalaoubani, 133.
Tchaldir-Geul, 72.
Tchamakli, 22.
Tchamliskaïa, 30.
Tchamlouk, 123.
Tchanakchi, 181.
Tchaptchak, 42, 202.
Tchaucbia (r.), 61, 64.
Tchaotchaeadzé (prince), 126,
133, 135.
Tckégkem (vallée du), 37, 39.
Tchérek (r.), 39, 86.
Tchermiali, 174.
Tchertchaly, 53.
Tchervlennaïa, 42.
Tchétchénie, 201.
Tchiatoura (r.), 92.
Tchiatouri, 94, 95.
Tchilda. 133.
Tchinakchi, 180.
Tchir-Yourt, 42, 201.
Tchkéréméla (r.), 92.
Tchockane, 125.
Tchognary, 94.
Tchokotaouri, 77, 78.
Tchokraskaïa, 30.
Tcholouri. 86, 87, 89, 91.
Tchorné-Gorod, 189.
Tchorok (vallée du), 7, 18.
Tchorok (r.), 70, 71.
Téberda (vallée delà), 11, 31.
Tékhour (r.), 59, 64, 65, 67.
Téklati, 58.
Témir-Khan-Choura, 21, 42, 43,
44, 195, 197, 198, 201.
Temple du feu éternel, 192,
193, 194.
Temrouk, 8, 29.
Térek (r.), 39, 42, 46, 48, 49, 52.
Ternavaz (mont), 179.
Ter-Ohannès , 181.
Terter, 178.
Terter (r.), 175.
Tésami (r.), 109.
Tetnould (mont), 87.
Tétri-Tsklébi, 135.
Thaltitéli (r.), 83.
Thamar , 50, 60, 73, 98, 101,
102, 118, 119, 120, 132.
Thargama, 71.
Thacad, 96.
Thélaff, 54, 129, 132. 133, 135,
136, 137.
Théodore , 105.
Théodosie, 7.
Thinatine , 135.
Thir (église de), 108.
Tholgomi, 71.
Tichikli, 42', 43.
Tiflis, 13, 26, 27, 45, 46. 57, 58,
68, 80, 110, 111, 112, 119, 122,
123, 124, 125, 126, 127, 128,
133, 138. 160, 174.
Tigrane, 151, 158.
Tigranocertes, 154.
Tikhorets-Kaïa, 9, 28.
Timothé-Soubane, 98.
Tioneti, 54, 126, 127, 129, 134,
137.
Tioumouk, 103.
Tireboli, 5.
Tkir-Yourt, 43.
Tirznissi, 108.
Tkniavi, 108.
Tkwibouly, 88, 90, 93.
Tlilimène- (mont), 199, 201.
Tlokh, 43.
XXII
GUIDE AU CAUCASE
Toporovan (lac), 169. 171.
Toporovane-Tchaï (r.), 169, 170.
Touapsé, 9.
Toubénel, 38.
Touches , 129.
Toukharissi, 75.
Touman-Ghôl (lac), 169.
Tour de la jeune fille, 187, 191.
Tourdo (r.), 135, 136.
Toursou (r.), 180.
Transcaucasie, 105.
Trébizonde, 5.
Trialeth (monts), 171.
T ridât, 137, 154, 155.
Troïtskaïa, 169.
Trousso, 52.
Tsagbéri, 89.
Tsakvis-Tskhali (r.), 68.
Tsalendjikha, 61.
Tsalmiani (vallée de), 134.
Tsanner (mont), 39.
T sarsky-Kolodsy , 24, 128.
Tsilddziri, 69, 75.
Tsilkani, 46, 55.
Tsinandal, 133.
Tsinkvali, 108.
TsitsianoJ)' (général), 117, 192.
Tsiva (r.), 58, 64.
Tsivi (mont), 135.
Tskali-Tsithéla (r.), 83.
Tskhénis-Tskhali (r.), 39, 58,
67, 68, 77, 85, 86, 87, 88, 89,
91.
Tskwari-Tchamia, 126.
Tsminda-Ghéorghi, 52.
Tsminda-Saméba, 51.
Tsounda, 103.
Tucker, 51.
Tvichi, 90.
Tzaïchi, 60.
Tzémess (baie de), 9.
Tzoukoul, 45.
Tzourmakh, 104.
U
Uriaboubani, 133.
V
Vagarchabad, 105, 151.
Vakhoucht , 96, 170.
Valé, 101, 104.
Vamek , 60, 62.
Van, 6.
Vaneslob. 53.
Vanis-Kwabi, 103.
Vank, 180.
Vank (église de), 117, 118.
Vardis-Oubani, 135, 136.
Vardzia, 101, 102, 103, 107.
Varkméla, 92.
Varsikhé, 93.
Varvara, 105.
Varvarino, 95.
Vartemar-Tchaï (r.), 153.
Vasbouragan, 157.
Vasiani, 26, 128, 129, 133.
Vaeila , 76.
Veden, 43.
Velis-Tsikhé, 132.
Velvelinskaïa, 45.
Velthéthri, 91.
Véra, 58, 112.
Vérana (mont), 133, 135.
Vierge (église de la), 152.
Ville-Noire, 187, 189.
Vladikawkaz, 21, 27, 39, 40, 42,
43, 45, 46, 94, 109, 110, 195,
201, 202.
Vladimirovka, 35.
Volga (fleuve), 18.
Vorontzoff (prince), 48, 112, 113.
W
Wonaliman, 4.
Y
Yalta 7.
Yaman-Sou (r.), 202
Yarak-Sou (r.). 202.
Yeïsk, 28.
Yessentouki, 32, 35.
Z
Zadone (r.), 40.
Zaïa-Dalti (r.), 201.
Zaïm, 172.
TABLE ALPHABETIQUE
XXIII
Zakatal, 21, 23, 24, 45, 129.
Zakhèri, 86.
Zalanantchéra (mont), 39.
Zaloniuan-Tchiran (col de), 39.
Zamok-Thamari, 18.
Zanga (r.), 144, 151.
Zanguézour, 180.
Zarasli (vallée de), 180.
Zarouchad, 169.
Zarzma, 73, 101, 104.
Zéda-Rgami, 94.
Zégouri, 93.
Zékari (col de), 100.
Zélentchouk (défilé de), 30.
Zelnaouri, 137.
Ziloné (monastère), 98, 126.
Zokastan, 159.
Zoubovskaïa, 184.
Zougdidi, 58, 60, 61, 62, 64, 65,
87.
Zourab, 96.
Zourzouna, 72, 104.
Zovonk, 180.
Ztouléveesk (col de), 39.
GUIDE AU CAUCASE
PREMIÈRE PARTIE
RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX 1
Calendrier. — Les Russes ont conservé jusqu’à
présent le calendrier julien, établi par Jules César,
quarante-six ans avant J.-C. et adopté par le premier
concile de Nicée, en 325, comme base de l’ère chré-
tienne. Ce calendrier retarde de douze jours sur le
calendrier grégorien ou calendrier réformé en 1582,
par le pape Grégoire XIII, et adopté par les Occiden-
taux. Le 1er janvier de l’année russe est donc le 13 de
la nôtre.
Poids. — Ponde (40 livres, 16 kilogr. 38). — Livre
founte{ 32 ioth , 96 zolotnik , 409 grammes). — Loth
(3 zolotnik , 12 gr. 80). — Zolotnik (4 gr. 2656).
Mesures. — De longueur: Verste (500 sajènes, 1067
mètres). — Sajène (3 ar chines, 48 verchok , 2m134. —
Archine (16 verchok , 0. m. 711. — Verchok (0. m.
04445).
De superficie : Verste carrée (1138 hect.). — Des -
siatine (2400 sajènes carrées, ou 1 hectare 0925) ; en
agriculture, 3200 saj. c.f ou 1 hect. 4567).
1. D’après Bædeke r.
1
2
GUIDE AU CAUCASE
De capacité : Sajène cube (343 pieds cv, 9 mètres
c. 260. — Botchka (tonneau), 40 védros, 492 litres. —
Védro (seau), 12 litres 298. — Tchetvert (8 tchetoérik y
64 garnets, 209 1. 90). — Tchetoérik (mesure pour les
grains), 8 garnets , 26 lit. 237.
Monnaie. — L’unité monétaire est le rouble, qui se
divise en 100 kopeks. Il existe en or : des pièces de
10 r. 30 k. ou (( impérials» et de 5 r. 15 k. ou « demi-
impérials »; en argent : des pièces de 1, 50, 25, 20, 15,
10 (grivnik) et 5 k. ; en bronze : des pièces de 5, 3, 2
et 1 k. Mais à part les pièces en argent et en bronze
à partir de* 20 k. , il n’y a en Russie que des billets de
banque de 100, 25, 10, 5, 3 et 1 r. La valeur du rouble
argent est de 4 francs, et le papier ne vaut actuellement
(1893), qu’environ 2 fr. 50. Le cours étant sujet à varier
beaucoup, on s’en informera toujours avant de changer
de l’argent. Dans les pays frontières, il circule des
monnaies anglaises, turques, grecques, italiennes, alle-
mandes, autrichiennes, persanes, qui ont également des
valeurs variables. Les pièces d’or françaises ou du
même système ont cours légal en Russie.
Saison. — La saison la plus convenable pour un
voyage au Caucase, dans les hautes montagnes, est
l’été, mais les mois de septembre et d’octobre y sont
encore favorables, si ce n’est que les jours sont courts.
Les vallées basses se visitent mieux en automne et
au printemps, quand la végétation est dans -toute sa
magnificence ; elles sont brûlantes et malsaines en été.
Plan de voyage. — Il dépend du but spécial qu’on
se propose, du temps et de l’argent que l’on a à dépen-
ser, de l’époque de l’année où on l’entreprend, et de la
voie par laquelle on arrive. En venant de l’Ouest, on
passe par Constantinople ou Odessa ou Novo-Rossiisk
ou Batoum (3 à 5 jours) ; de l’intérieur de la Russie,
on prend par Rostoff-sur-Don et Vladikawkaz (1 jour) ;
du Volga, le mieux est de se diriger sur Bakou (3 jours).
11 faudrait en outre compter pour un voyage rapide, un
jour de trajet en chemin de fer de Batoum ou de Bakou
à Tiflis; 1 jour à 1 jour 1/2 pour voir Tiflis, et 2 jours
à 2 jours 1/2 pour parcourir la route militaire de Géor-
GUIDE AU CAUCASE
3
gie, soit en tout 5 à 6 jours. La visite de Koutaïs et de
ses magnifiques environs, une excursion en Souanétie
par le col de Latpari,puis la nouvelle route de Mamis-
son, prend 8 à 9 jours; de Tiflis, pour un voyage à
Erivan, Edchmiadzine et l’Ararat (sans ascension), il
faut compter, aller et retour, 6 jours; à Borjom, Abas-
touman, 4 à 5 jours ; en Kakhétie, 6 jours ; au Daghes-
tan, 10 à 15 jours; en Mingrélie. 4 à 6 jours; en
Abkhazie,, 6 jours; en Gourie, 8 jours; en Adjarie,
8 jours ; au Lenkoran, 7 jours ; en Khewsourie, 5 jours ;
en Ossétie, 6 jours. A cheval et en voiture, on peut
faire, dans les conditions ordinaires, 50 à 60 v. par
jour. Dans les montagnes, on fera bien de compter un
tiers ou un quart en plus qu'il n’est dit pour les dis-
tances et le temps à employer.
Frais de voyage. — Dans les villes, les hôtels
coûtent, y compris le dîner, de 4 à 6 et 10 r. par jour.
En montagne, au contraire, il arrivera souvent qu’on
n aura aucune occasion de dépenser de l’argent. Un long
voyage est là, comme ailleurs, moins coûteux, en pro-
portion, qu’un petit. Au cours du rouble papier, c’est-
à-dire 2 fr. 50, il faut compter, en moyenne, 15 r. par
jour par personne (frais d’hôtel, voitures, divertisse-
ments, interprètes, pourboires, etc.). Comme il est
souvent impossible dans les gares, petites villes, sta-
tions de poste et villages isolés de changer de l’argent,
il faut une provision de petits billets de 1, 3, 5 roubles,
et surtout de petite monnaie. En faisant des achats, il
est bon de se tenir sur ses gardes, et l’on ne doit pas
craindre, dans les maisons de second ordre etaux bazars,
d’offrir 15 à 25 °/o de moins que le prix demandé.
Hygiène. — Quoique le Caucase jouisse d’un climat
en général assez sain, on fera bien de se tenir sur ses
gardes et de prendre des précautions. Malgré les grandes
chaleurs, on ne devra pas, en arrivant ou en partant,
quitter trop vite ses vêtements chauds, les soirées et les
matinées étant très fraîches et les variations de la tem-
pérature brusques et sensibles. Les fièvres, la diarrhée
atteignent souvent les voyageurs imprudents, s’ils
boivent froid et abusent des melons et des fruits. Il ne
4
GUIDE AU CAUCASE
faut boire que de l’eau bouillie ou gazeuse, du café,
thé, rhum vodki (eau-de-vie) et du vin; ne pas man-
ger de viandes trop saignantes, de charcuterie, de
salade ou d'herbes mal lavées et surtout ne jamais
avaler d’eau pure de rivière, on attraperait le ténia,
comme l’ont presque tous les indigènes. Du reste, les
médecins sont bons et pas chers. Leurs visites se payent
de 3 à 5 r.
Bains. — C’est une des curiosités de Tiflis. Les
sources sulfureuses y sont merveilleuses, quoique exces-
sivement chaudes. Dans les meilleurs établissements,
le bain, en cabine particulière, se paye de 1 à 3 r.
Équipement. — Ce qu’il faut surtout pour voyager
en Russie, et l’hiver au Caucase, c’est une provision
de vêtements fourrés, des galoches (socques en cuir ou
en caoutchouc), un bachlik (capuchon en drap), une
bourka (chaud manteau de laine sans manches et im-
perméable). Il est bon d’avoir, pour le chemin de fer,
un coussin creux ou en crin, et, pour les petites villes,
les excursions, un lit de voyage complet, quelques
boîtes de conserves, thé, samovar *, poudre insecticide,
revolver, appareil photographique et pharmacie porta-
tive. En été, les vêtements de laine, de flanelle sont
préférables à la soie et à la toile; comme coiffure, un
chapeau mou ou en paille, ou un casque en liège; se
munir d’ombrelle et de lunettes de couleur pour le
soleil.
Si, après les chemins de fer, on se contente de par-
courir en poste les grandes routes et les chaussées, on
n’a pas besoin de plus de préparatifs et de connais-
sances linguistiques que dans le reste de la Russie.
Mais si l’on veut remonter les vallées et parcourir les
montagnes, il serait utile de louer en Russie, à Odessa
par exemple, un domestique parlant les langues indi-
gènes et sachant aussi un peu la cuisine. On ne sau-
rait entreprendre des ascensions et des courses dans les
1. Ce mot vient probablement du tatar satiabar. En russe,
il semble vouloir dire : qui bout par soi-même. On sait que
le samovar est une grande bouillotte où la braise brûle dans
un tuyau intérieur au lieu de chauffer le liquide par-dessous.
GUIDE AU CAUCASE
5
hautes montagnes, sans amener un bon guide des Alpes.
Pour les excursions un peu longues, même avec un
bagage restreint, il faut des porteurs ou une escorte de
chapars (miliciens indigènes), ou de cosaques. On
voyage bien, surtout à cheval.
Il est presque partout aisé de louer des chevaux ou
des mulets, mais il vaut mieux pour un grand voyage,
vu leurs prix peu élevés, en acheter un ou deux, pour
100 à 150 r., et les revendre après. La plupart des
chemins de montagne et des cols sont praticables aux
bêtes de somme. Les chevaux du Caucase, surtout ceux
de Kabarda, sont excellents, sobres, durs à la fatigue
et dociles. La selle du pays est incommode, quand on
n’en a pas l’habitude. 11 faut en avoir une avec crou-
pière et poitrail, et la sangle doit être faite en vue du
corps très mince du cheval caucasien. On monte en
bridon ou filet.
Passeport. — Il faut pour entrer, voyager en Russie
ou au Caucase un passeport visé par une ambassade ou
un consulat russe. (Prix du visa : 2 fr.). On pourrait
même se trouver fort embarrassé sans cette pièce, car
on peut avoir à la montrer dans l’intérieur de l’Empire
dans chaque ville. Quand on voyage par mer, le passe-
port vous est pris par l’Agence qui délivre le billet et
remis à l’arrivée. Si l’on passe la frontière en chemin
de fer, le passeport est demandé à la première station
russe. Dans les deux cas il est rendu avant ou après la
visite de la douane. En arrivant à l’hôtel ou dans une
ville de Russie et du Caucase il faut remettre immé-
diatement son passeport à l’hôtelier ou à votre hôte qui
l’envoie enregistrer à la police et qui vous le rend dans
les vingt-quatre heures. Il est valable pour six mois;
si le séjour doit durer plus longtemps, le passeport est
déposé au bureau des passeports, et l’on obtient un
permis valable pour un an, dans tout l’Empire, et qui
coûte 2 r. Passeport et permis de séjour doivent être
renouvelés à temps, s’il y a lieu. En quittant la Russie,
il faut faire à la police une déclaration à laquelle on
joint le permis de séjour et un certificat du bureau de
police du quartier qu’on habite,, attestant que rien ne
s’oppose au départ. La formalité prenant quelques
6
GUIDE AU CAUCASE
heures, on fera bien de demander le certificat au dernier
endroit où l’on s’arrêtera. Le passeport vous est rendu
avec une autorisation valable pour huit jours pour
retraverser la frontière. Les hôteliers se chargent de
cette formalité et la portent en compte pour 30 à 90 k.
Douane. — En passant la frontière de l’Empire, en
débarquant dans un port russe ou du Caucase, on doit
se soumettre à la visite de la douane, qui est souvent
superficielle, mais aussi quelquefois très sévère. Les
voyageurs doivent y assister ; mais on peut obtenir
qu’elle n’ait lieu qu’à un bureau de l’intérieur. Dans ce
cas, les effets sont plombés à la frontière et remis, après
la visite, à l’endroit déterminé, soit au voyageur, soit à
son fondé de pouvoir, sur la présentation du reçu du
chemin de fer ou d une. copie du connaissement du
bateau, mais les formalités sont alors très longues.
On peut entrer en franchise tous les objets ayant
servi et dont on a besoin en voyage, de même que les
instruments et ustensiles pour exercer un art ou une
profession, mais en petites quantités, par exemple : sa
garde-robe personnelle, l’indispensable en literie, un
seul article de chaque espèce comme fourrure, au plus
trois livres d’objets en or et en argent, un seul nécessaire
de voyage par personne, une douzaine de gants, un cent
de cigares, un paquet entamé de tabac à fumer et de
tabac à priser, une petite quantité de provisions de
bouche. Pour des armes à feu, il faut une autorisation
spéciale. Les droits, pour les objets qui y sont soumis,
se payent conformément à un tarif et généralement au
poids ; ils sont, par exemple de 2 r. 20 k. par livre pour
les cigares. La contrebande est confisquée, et si les
objets sont soumis aux droits, on est obligé de payer
cinq fois le tarif. On paye dans ce cas le double de leur
valeur pour les objets dont l’importation est interdite,
tels que poudre, jeux, lits, eau-de-vie, etc. 11 y a une
police sévère pour les livres traitant de questions poli-
tiques, sociales, historiques. Les ouvrages presque
anodins sont cependant souvent retenus, envoyés à la
censure qui vous les rend ou les confisque.
On ne paye rien quand la somme des droits est infé-
rieure à 3roubles. 11 y a avantage à montrer aux em-
GUIDE AU CAUCASE
7
ployés les objets soumis aux droits. On se gardera bien
de vouloir acheter leur complaisance par un pourboire.
On donne 20 à 25 k. aux employés subalternes qui
vous aident. Pour que les bagages ne soient pas boule-
versés inutilement, il faut aussi éviter d’emballer avec
du papier imprimé. Les droits sont payables en or et si
Ton n’a que du papier, il faut supporter la différence
entre les deux valeurs, soit 40 %.
Recommandations. — De bonnes recommandations
près des autorités russes, des consuls étrangers accrédités
au Caucase ou même des particuliers sont une chose
presque aussi importante que le passeport, surtout si
Ton s’écarte des grandes lignes ferrées. Ces recomman-
dations vous ouvrent les chemins, et facilitent le
voyage. Toutefois le temps ayant encore moins de
valeur pour le Caucasien que pour le Russe, la patience
est ici de première nécessité.
Hospitalité. — Nulle part comme au Caucase on
n'exerce plus largement l’hospitalité. Non seulement le
Russe, le Géorgien, l’Arménien ou l’indigène met toute
sa maison et se met lui-même tout entier à la disposition
de l’hôte qui lui est recommandé, mais il organise
encore des parties, des promenades, des banquets en son
honneur; et l’hospitalité qu’on reçoit ainsi a d’autant
plus de valeur qu’elle est gratuite, au moins dans les
classes élevées.
Consulats. — Ils sont utiles pour les étrangers qui
feront bien de s’adresser à celui de leur pays pour tout
conseil, difficulté et surtout démarche à faire près des
autorités russes. En cas de séjour dans une ville, il est
d’usage de se présenter au Consulat aussitôt après son
arrivée.
Corps consulaire h Allemagne : TifLis (c.) Batoum,
Poti, Novo-Rossiisk (a. c. à Kédabek). Angleterre :
Batoum (v.-c.), Poti (v. c.), Novo-Rossiisk (v.-c.).
Autriche : Batoum (v.-c.). Belgique : Tiflis (v.-c. ),
Batoum (v.-c.). États-Unis : Batoum (v.-c.). France :
1. (c. g.) Consul général, (c.) Consul, (v.-c.) Vice-Consul,
(a. c.) Agent consulaire.
8
GUIDE AU CAUCASE
Tiflis (c.), Batoum (v.-c.), Bakou (v.-c ), Novo-Rossiisk
(a.c.). Grèce: Novo-Rossiisk (a.c.). Italie : Tiflis (a. c.),
Bakou (a. c.), Batoum (a. c.). Pays-Bas: Batoum (v.-c.)*
Perse: Tiflis (c. g). Suisse : Tiflis(v.-c.). Turquie: Tiflis
(c. g.), Batoum (c. g. et v.-c.), Novo-Rossiisk (v.-c.).
Police. — Elle laisse peu à désirer, mais il n’est
cependant pas inutile de porter un revolver. Les pris-
toffs (officiers de paix), gordovoi (sergents de ville)
sont polis et complaisants. Ne pas hésiter à les
appeler, même si l’on ne parle pas russe, en cas de
discussions avec un cocher. Pour un incident grave,
urgent, s’adresser directement au maître de police,
gouverneur, vice-gouverneur ou aux ouïezné ndtchal-
niks (chefs de districts).
Poste aux lettres. — Le service est compliqué,
mais assez bien organisé dans la plupart des chefs-
lieux de gouvernement, pitoyable au contraire dans les
petites villes et les autres lieux. Les lettres qui attirent
de quelque façon l’attention sont ouvertes à la poste*
Il n’est pas rare que celles qui dépassent le poids
ordinaire et dans lesquelles on suppose de l’argent ou
des objets de valeur disparaissent. Les lettres recom-
mandées causent de l’embarras lorsqu’on est à la cam-
pagne. Si, par exemple, on est dans une localité des
environs de Batoum, Koutaïs, Tiflis, Vladikawkaz,
Bakou, etc., on reçoit à l’arrivée d’une lettre de ce
genre un pavesk , c’est-à-dire un avis du bureau de la
ville vous annonçant que le pli est à votre disposition.
Il faut alors s’adresser à la police de l’endroit pour
avoir un certificat d’identité et se rendre à la ville avec
ce certificat pour retirer la lettre. Les bureaux sont
généralement ouverts de huit heures du matin à quatre
heures du soir, excepté les jours de fêtes, et on sait
qu’elles sont nombreuses en Russie et au Caucase. On
reçoit les paquets environ vingt-quatre heures après
leur arrivée.
Taxes. — Lettres (lettre fermée) : pour la Russie,
7 k. par loth (12 gr. 80) ; pour les pays de l’Union
postale, 10 k par 15 gr.; pour les autres pays, 13 à
36 k. Cartes postales, lettre ouverte, 3 k. indistincte-
GUIDE AU CAUCASE
9
ment. Lettres recommandées, zakaznoï , le port ordi-
naire, plus 7 k. , 27 à 56 k. pour les pays en dehors de
rUnion. En cas de perte, on a droit à une indemnité
de 10 r. ou de 12 r. 50. Envois sous bande « banderole »,
excepté les manuscrits, 2 k. par 4 ioth ou 50 gr.;
4 à 5 k. en dehors de l’Union. Paquets ordinaires ou
recommandés jusqu’à une valeur de 5,000 r., en
Russie, 10 k. par livre et par 1,000 verstes. Envois
d’argent et de valeurs 7 k. par once (2 lot h), plus
7k.de recommandation et 1/2% de la valeur. On
peut les présenter ouverts ou fermés. Ceux qui sont
présentés ouverts peuvent peser jusqu’à 20 livres et
atteindre une valeur de 15,000 roubles. Ils doivent être
alors fermés à la poste, de 4 cachets, par l’expéditeur
et un par l’employé qui les reçoit. Les envois présentés
fermés, ne peuvent peser plus de 10 livres ni valoir
plus de 500 roubles.
La poste n’est pas responsable des erreurs commises
dans les envois quand l’adresse n’est pas écrite en
russe. On doit mettre sur une lettre recommandée :
(zakaznoï); sur un paquet contenant de l’argent, dans le
haut, à dr. ( dènèjmj ) ; sur un paquet recommandé
(tsienny) ; sur un envoi contenant des valeurs, dans le
haut, à g. ( tsiennaïa ) ; sur un paquet de livres (ss kni-
gami ). Les paquets recommandés pour l’étranger ou
pour des endroits de la Russie non desservis par un
chemin de fer, de même que ceux qui pèsent plus de
5 livres, doivent être enveloppés dans de la toile, sur
laquelle il faut écrire l’adresseet le nom de l’expéditeur.
L’administration les fait elle -même ficeler et sceller.
Ceux qui sont à destination de l’étranger doivent de
plus être accompagnés d’une déclaration. Quand une
lettre recommandée ne doit être remise qu’à la poste,
on ajoute à l’adresse : ( po pouiestkié , sur demande), et si
elle doit être gardée (4 mois) : do vostrébocaniia,
(jusqu’à ce qu’on la demande). Toutes ces mentions
doivent être écrites en russe, au moins en caractères
latins. — Timbres-poste (postovoi marque) : il y en a
de 1, 2, 3, 5, 7, 10 et 20 k. — Cartes postales: timbrées,
au prix du timbre, 3 k. ; sans timbre, 1 k. par 4 cartes.
Enveloppes affranchies, 1/2 k. de plus.
10
GUIDE AU CAUCASE
Après l’arrivée cl’un envoi recommandé ou chargé,
le destinataire reçoit un avis ( povictskâ ), et s’il n’est pas
connu à la poste, il faut que son identité soit attestée
sur l’avis par la police. L’argent mis dans un paquet
qui n’est pas présenté ouvert à la poste est confisqué
lorsqu’on ïy trouve. Il est aussi interdit de mettre une
lettre cachetée dans un paquet. L^amende est de 1 r.
par once.
Télégraphe. — Une dépêche peut être rédigée en
n’importe quelle langue, mais si elle n’est pas en russe,
elle doit être écrite en lettres latines. On peut télé-
graphier à domicile ou bureau restant. Les mots de
plus de quinze syllabes comptent double. Les dépêches
peuvent être envoyées aux endroits où il n’y a pas de
bureau : 1° Par la poste, au tarif ordinaire; 2° par
estafette; 3° par exprès; 4° par les télégraphes des
chemins de fer. — Tarif. — Pour la Russie : dépêche
locale, 1 k. par mot; pour la Russie d’Europe, 5 k. ;
pour la Russie d’Asie, 10 k., plus 15 k. de taxe initiale.
Dépêche (( urgente », passant avant toute autre, triple
taxe. Pour l’étranger : Allemagne et Autriche, 13 k.
par mot; Belgique, Hollande, Suède et Suisse, 18 k.;
France, Danemark, Norwège, 19 k.; Italie, 21 k. ;
Espagne, Portugal, 24 k. ; Angleterre, 26 k.
Bateaux à vapeur. — U y a des services réguliers
de bateaux à vapeur sur la mer d’Azofï, la mer Noire,
la Méditerranée et la mer Caspienne, qui desservent
le Caucase. Les bateaux de la « Compagnie Russe »,
et des « Messageries Maritimes Françaises » sont les
meilleurs de la mer Noire et les plus confortables. Les
(( Messageries » et la « Compagnie Paquet » délivrent
des billets directs de Batoum à Marseille et Paris, avec
escale à Constantinople. Le « Lloyd » austro-hongrois
et diverses autres Compagnies ont des services plus ou
moins réguliers sur la mer Noire et la Méditerranée.
Les paquebots de la « Compagnie Caucase et Mercure »
sont les seuls allant d’Astrakhan et de Bakou en
Transcaspienneet aux ports de la Perse. Sur le Volga
les paquebots des Compagnies de navigation Volga ,
Lebède , sont bien aménagés.
GUIDE AU CAUCASE
11
Chemins de fer. — Les trains marchent assez
lentement au Caucase, où ils ne font que 20 à 30 v. à
l’heure ; les retards y sont perpétuels. L’uniforme du
personnel se compose pour les chefs de gare: Casquette
rouge galonnée, redingote à boutons d’argent; chefs
de train : « surtout » en drap foncé, plissé et serré à
la taille; comme épaulettes : des tresses en argent
mélangées de violet. La police des gares est faite par
la gendarmerie qui reçoit les plaintes et les déclarations
de vols, de pertes de bagages, etc. Les vols étant fré-
quents dans les wagons, il faut quand on est à une
gare ou qu’on descend à une station, prendre ses pré-
cautions et mettre un commissionnaire numéroté comme
gardien de ses bagages. Les gares sont bien organisées ;
les buffets assez bons. Tous les employés sont d’une
politesse exquise. Les wagons sont comme en Russie.
Ils ont un passage au milieu ou sur le côté, ainsi
qu’un cabinet de toilette et un water-closet, Les voi-
tures de première classe n’ont que des coupés, avec
des banquettes sans accoudoirs qui servent de lit la
nuit. Le jour il y a souvent foule et Ton est mal. La
nuit, en donnant un pourboire à un conducteur, on peut
rester presque seul. En seconde classe on n’est pas
beaucoup plus mal qu’en première, et il y a plus d’air.
On ne saurait conseiller la troisième classe. On fume
dans presque tous les compartiments, quoiqu’il y en
ait de spéciaux pour les dames et les fumeurs. En
hiver les trains sont chauffés et suffisamment éclairés.
Les tarifs pour le transport des voyageurs et des
marchandises sont peu élevés, comparés à ceux des
autres pays. Il n’y a pas de train-poste au Transcaucase.
En Ciscaucasie, dans les trains de Vladikawkaz à
Rostoff, il y en a, et l’augmentation du prix des billets
est de 15 à 20 °/o. On paye ordinairement par verste ;
en premières : 3 k.; en deuxièmes : 2 k. 1/4; en
troisièmes: 1 k. 1/4. Il y a sur tous les billets un
impôt de 25 %. Pour les bagages la franchise est de
16 kilog., de 25 dans les relations internationales, et
l’excédent se paye selon la distance.
Voyages en poste. — Il y a un service régulier
de diligences entre Minéralnaïa Vodi et Piatigorsk,
12
GUIDE AU CAUCASE
Kislavodsk, Yossentouki, Kislavodsk; Jeliesnovodsk,
entre Vladikawkaz et Tiflis; Tiflis, Codjor etManglis;
Tiflis Signak et Thélaff; Gori et Tsinkval; Ozourghet
et Samtrédi; Samtrédi et Oni, Oni et Koutaïs ; Mi-
chaïlofï, Borjom et Abastouman, Poti et Natanébi.
La poste fournit des chevaux aux voyageurs qui ont
leur propre équipage; sur les grandes routes postales
ou chaussées elle donne : équipages et chevaux (calèche,
phaéton, omnibus), et partout : des véhicules non
suspendus [perikladnoï, fourgon, troïka , rarement la
tarentass dont les tiges de bois montées sur les essieux
font ressorts). Si les voitures laissent un peu à désirer,
les chevaux sont excellents malgré leur petite taille; les
cochers très complaisants mènent vite ou doucement
selon les pourboires; les maîtres de poste généralement
polis ont peu d’empressement à vous servir. On a
souvent besoin de prendre avec eux un ton catégorique
pour exiger des chevaux, surtout en été ; on peut le faire
si l’on a des recommandations ou un titre officiel. Il y a,
du reste, à chaque relais, un registre destiné à recevoir
les plaintes des voyageurs, et des tableaux indiquant
les distances, les taxes, les péages. Sur les grandes
routes, à une distance de 15 à 20 v. l’un de l’autre, les
relais sont des maisons bien construites ayant des
^chambres et un buffet. Ailleurs, ce ne sont que de
misérables cabanes où l’on ne trouve que de l’eau, un
samovar , des œufs.
Phaètons. — C’est le nom des voitures découvertes,
à deux places, attelées de deux ou quatre chevaux
qu’on trouve à louer presque partout au Caucase. Elles
sont propres et les chevaux courent vite. Les taxes
varient selon les localités et les distances ; là où il y a
tarif, pas d’embarras ni de discussion; ailleurs, il faut
marchander longtemps et faire prix d’avance. En
général, la course en ville coûte 30 k.; l’heure 60;
la journée 3 à 4 r., selon les distances où l'on veut
aller. A Tiflis on peut louer des voitures fermées, cou-
pés, landaus, chez Kotrini, à la Michaïlovsky. Il y a
des phaètons assez bons dans presque tous les chefs-
lieux et les petites villes, aux stations de chemins de fer ;
on peut les louer à la journée pour de longs parcours
GUIDE AU CAUCASE
13
Guides-Interprètes. — On en trouve quatre seu-
lement à Tiflis ; ils sont attachés à l’hôtel de « Londres
et du Caucase ». Ils parlent les langues européennes
et indigènes, connaissent assez bien les villes, les
grandes routes ferrées et postales; ils ne font pas les
ascensions. Ils coûtent 4 à 5 r. par jour, sont un peu
capricieux, mais sûrs et honnêtes. Rostom, Jérôme
Realini, Bagramiantz ont l’habitude des voyages en
Perse, en Transcaspienne et en Asie centrale.
Hôtels. — Ceux de Batoum, Koutaïs, Tiflis, Bakou,
Vladikawkaz sont bons; ceux des petites villes sont
moins confortables et les auberges de celles qui ne sont
pas desservies par un chemin de fer ou une ligne pos-
tale sont plus que médiocres.
Chambres garnies. — Elles ne sont que pour les
voyageurs qui ont l’intention de rester longtemps dans
une ville et qui trouvent les hôtels trop chers. Le prix
d’une- chambre varie de 30 à 40 r. par mois (linge
2 à 3 r.) et pourboire non compris Un avantage appré-
ciable, c’est qu’on y est plus tranquille, peut-être un
peu plus soigné qu’à l’hôtel, qu’on a (( samovar »,
assiettes, verres, couteaux, cuillers, etc., etc., que l’on
peut s’y faire apporter du dehors du vin, de la bière.
Restaurants. — Tous les hôtels ont une salle de
restaurant Dans les meilleurs de Batoum^ Koutaïs,
Tiflis, Bakou, Vladikawkaz , cuisine , service, orga-
nisation sont presque à la française. On y mange à la
carte, en général. Les vins étrangers sont chers, ceux
du Caucase buvables et bon marché; la bière locale
médiocre II y a un vestiaire dans chaque restaurant, et
on a l’habitude de donner au suisse ou au tcholaoek
(garçon) 10, 20 kopeks pour ôter, garder et vous
remettre votre chapeau, paletot ou pelisse. Comme en
Russie, on doit se découvrir dans tous les restaurants,
les administrations, théâtres, endroits publics, ma-
gasins. L’habitude de fumer est générale au Caucase
et commune aux deux sexes. On fume même à table,
entre les divers mets, des cigarettes (papyross) de
tabac turc; les cigares sont mauvais et chers.
Dans la charmante préface de son Grand Diction -
14
GUIDE AU CAUCASE
naire de cuisine , Alexandre Dumas dit que non seu-
lement on mange mal au Caucase, mais qu’on n’y
mange meme pas! Il y aurait cependant injustice à ne
pas dire un mot de la cuisine caucasienne, fort pri-
mitive sans doute, mais qui n’en a pas moins quelque
mérite. D’ailleurs, depuis Dumas, les temps ont bien
changé, et l’on dîne aujourd’hui à Tiflis aussi bien
qu’ailleurs. Comme mets caractéristiques (en dehors
des plats russes connus : borstcht, stchi , botvinia y
okrochka , oulkaf sterlet , blénis, etc.) il faut citer : le
chichhk , petits morceaux de mouton enfilés sur une
broche et rôtis, c’est le plat national par excellence, la
tchikinma (soupe de poulet), le kliarcho (soupe de
bœuf), Yartala (id.), le tevzi mok-harché (poisson cuit
à l’eau), le tabaka (poulet grillé), le bedchi (épaule de
bœuf bouilli), le moutslis katliami (poulet aux raisins
secs), le faisan à la géorgienne, le porossonok (cochon
de lait rôti), le gomi (millet d’Italie), le kache (gruau),
les akhali lobio (haricots verts cuits avec des œufs et
du poulet), le mountadjizploff (riz auxfruits), le matzoni
(fromage blanc), etc., etc. La plupart de ces plats,
qu’on peut goûter dans les tavernes géorgiennes et
persanes, sont assaisonnés avec de la crème aigre et
une foule d’ingrédients : huile de noix, muscades,
safran, oignons, laurier, fenouil, kindzi, estragon,
coriandre verte, concombres, prunelles aigres, etc. Les
restaurants caucasiens et même les particuliers ont
adopté l’usage russe des zakouski ou hors-d’œuvre,
c’est-à-dire un buffet, une table à part sur laquelle on
trouve caviar'' f poissons, viandes froides, radis, herbes
variées, beurre, fromages, spiritueux, votki (eau-de-
vie), etc., qu’on prend comme apéritifs avant les repas
ou comme second déjeuner. Aimant les fruits verts,
les Caucasiens n’ont que l’embarras du choix entre les
pêches, abricots, prunes, pommes, kiziles, grenades,
poires, cerises, fraises, groseilles, raisins, melons,
concombres, noix, châtaignes, etc., etc. Ils récoltent
aussi trop de vin pour ne pas l’aimer beaucoup. Les
Géorgiens surtout sont de grands et solides buveurs.
1. Ce mot n’est pas russe; il vient de l’italien caciale par
l’intermédiaire du turc chouia/\ Le mot russe est ikra.
GUIDE AU CAUCASE
15
Théâtres. — Ceux deTiflis sont assez bons et assez
élégants. On y donne des opéras, opéras-comiques,
opérettes, féeries, drames, comédies, vaudevilles en
russe, français, italien, allemand, géorgien, arménien.
Les prix des places varient beaucoup; les plus élevés
sont ceux de l’opéra et des soirées à bénéfice; ils
varient entre 2, 5 et 6 r.
Concerts. — Des concerts ont lieu souvent aux
théâtres et dans les clubs ; on peut y entendre quelque-
fois les chants et la musique russes et indigènes, les
chansons bohémiennes et assister aux danses russes
et nationales. Dans les jardins publics, des concerts
militaires ont lieu en été régulièrement.
Divertissements. — Les Caucasiens adorent la
musique. Il n’y a pas de fête chez eux sans des chants,
des toasts ou mravaljamières , accompagnés de la
zourna , du tambour de basque, et auxquels succèdent
la lesghinka, danse nationale du Caucase, et le « pas
des poignards. )) On aime aussi lamazourka, introduite
par les Russes. Comme divertissements particuliers:
les tamaca , fêtes ou féeries, les réjouissances de la
maslianaïa (semaine du beurre), les jours gras de la
Russie, les courses de chevaux, les combats de béliers,
les pugilats d’athlètes, les fêtes persanes, les allé g ri ,
les goulianié, promenades en voiture à Mouchtaïd, et
enfin l’équitation et la chasse.
Clubs. — Il y en a dans toutes les villes et stations
thermales du Caucase. Les étrangers sont reçus sur
présentation et moyennant 50 k. à 1 r. Les dames sont
admises dans tous. On y joue le whist, (( la préférence »,
« le vinte », et un peu au billard. Les soupers y sont
bons et pas chers.
16
GUIDE AU CAUCASE
HISTOIRE 1
Temps anciens. — Quoique les plus vieux souvenirs
consignés dans les livres de Moïse nous portent vers
le Caucase, et que les premiers poètes de la Grèce aient
recueilli, sur la même région, d’antiques traditions
enveloppées dans les fables populaires ; quoique les
Géorgiens, dans leurs chroniques, fassent remonter
leurs origines aux plus anciens âges, et que les Milé-
siens eussent déjà des établissements sur les côtes
orientales de la mer Noire, sept ou huit cents ans avant
notre ère, l’histoire des pays caucasiens ne commence
réellement pour nous qu’au temps des Romains. C’est
seulement par les expéditions de ces derniers, pendant
leurs guerres contre Mithridate, que la Caucasie, où
mirent successivement le pied Lucullus, Glabrion et
Pompée, fut plus généralement connue.
Sous Trajan, l’an 114 deJ.-C., l’Arménie septen-
trionale devint province romaine. A cette époque, la
Caucasie orientale ou Albanie reconnaissait déjà la
suprématie de Rome, et Trajan l’étendit ensuite à la
Caucasie occidentale ou Ibérie. Dans l’une et dans
l’autre, il maintint les princes indigènes, ainsi que leurs
petits royaumes, et l’autorité des Romains se» montra
d’autant plus douce qu’ils avaient des concurrents dan-
gereux pour cette possession. Les Parthes surtout la
leur disputèrent; l’Arménie fut longtemps une pomme
de discorde entre les deux voisins et momentanément
l’Euphrate supérieur devint, de ce côté, l’extrême limite
de l’Empire. Lorsque la dynastie des Arsacides eut fait
place à la race plus glorieuse des Sassanides (226-636),
ce fut sous l’autorité des rois de la Nouvelle-Perse que
la plupart des pays situés sur la frontière des deux
puissances eurent à se ranger. Les rois .sassanides
1. D’après Vivien de Saint-Martin.
GUIDE AU CAUCASE
1?
remirent en honneur le culte du feu et les anciennes
traditions relatives à Zoroastre. Ce culte Jes attachait
au Chirvan, où Chemakha était alors pour les Musul-
mans un emporium florissant, et encore plus au nord,
à Derbent, où s’élevaient de grandes fortifications. En
l’an 232, l’Arménie devint la conquête des Perses;
cependant, elle ne fut définitivement incorporée à leur
Empire qu’en 428. On sait de quelle gloire s’était entouré
le long règne (309-380) de Sapor ou Cha-pour, dit le
Grand. Un de ses successeurs, Chosroës ou Khosrou
(591-628), porta à son comble la puissance des Sassa-
nides et des Perses.
Néanmoins, les Romains d’Orient ou de Byzance se
maintinrent dans la Caucasie et, sous l’empereur Jus-
tinien, ils firent la guerre aux Lazes de la Colchide (de
549 à 556). C’est à la même époque que le christia-
nisme, apporté en Arménie par les apôtres saint Bar-
thélemy et saint Thaddée à la fin du III® siècle, et en
Géorgie par sainte Nino, au commencement du
IVe siècle, se répandit de plus en plus dans la Caucasie.
C’est aussi sous l’empereur Justinien que l’Evangile fut
prêché aux Abazes, nom sous lequel les Romains
s’habituèrent à désigner les Caucasiens de l’ïbérie cau-
casienne. Dès les premiers siècles de notre ère, la
Géorgie était définitivement constituée en royaume
indépendant. TifLis, qui n’en était pas encore la capi-
tale, était fondée depuis l'an 469. Cependant, ce n’est
guère qu’au Xe siècle que l’isthme caucasien commença
à entrer dans le domaine de la science avec les des-
criptions de l’empereur Constantin Porphyrogénète et
celles du géographe arabe Maçoudi.
Moyen âge. — Avant cette époque, au temps de la
grande migration et même aux époques antéhistoriques,
les peuples qui venaient d’Asie touchèrent au Caucase
les uns par le Nord, d’autres par le Sud, soit au mo-
ment de leur déplacement, soit à leur retour. Beaucoup
y laissèrent des débris, car ces montagnes paraissent
être devenues le refuge final de ceux qui avaient échoué
dans leur incursion en Occident ou qui ne s’étaient
pas confondus avec les autres envahisseurs. Ces débris,
de toute origine et de toutes langues, s’imposèrent et
2
18
GUIDE AU CAUCASE
se superposèrent aux aborigènes oufaux premiers occu-
pants établis dans l’isthme de toute antiquité. Des peu-
plades plus ou moins nombreuses restèrent dissémi-
nées sur les hauteurs et dans les vallées ainsi que sur
la côte des deux mers par lesquelles l’isthme est bai-
gné, peuplades fort différentes d’aspect et professant
différents cultes, entre autres le judaïsme et le christia-
nisme. Elles durent reconnaître pour la plupart la
suzeraineté des grandes monarchies voisines. La Perse
et Byzance se disputaient encore la suprématie, quand
les Arabes vinrent y prétendre à leur tour, au VIIIe siè-
cle de notre ère, et bientôt maîtres de tout le pays, y
faire une propagande fanatique. Les Abazes et les
Tcherkess, sous le nom de Zikhes, étaient encore sou-
mis nominalement aux Romains d'Orient. L’empereur
Constantin Porphyrogénète les mentionne dans son
tableau de 1’ « Administration de l’Empire », écrit pour
son fils, et derrière eux il place la Papaghia, la Kasa-
khia et l'Alania. Dans le XIIIe siècle, les souverains
de Géorgie, devenue l’Etat prépondérant de l’isthme,
s’allièrent au peuple des Khazars, leurs voisins au
nord (entre le Don et le Volga), pour se maintenir
contre les nouveaux conquérants mongols venus de la
Haute-Asie vers 1250, et qui, après avoir fondé l’em-
pire du Kiptchak et détruit le royaume des Khazars,
étendirent leur joug au sud des montagnes, jusqu’en
Géorgie, en même temps que sous le nom de Nogaïs
ils fondaient dans les plaines voisines de la mer Noire
l’État musulman qu’on a nommé depuis Khanat de
Crimée ou Petite-Tartarie.
Nous passons les Génois qui, de 1266 à 1475, exer-
cèrent depuis Kaffa leur influence sur toute la partie
nord-ouest de l’isthme; mais de nouveaux conqué-
rants encore vinrent de l’Asie fondre sur les pays cau-
casiens; en 1386, Timour ou Tamerlan ; puis les Sofis
maîtres de la Perse, et enfin les Ottomans avec lesquels
les Persans ne tardèrent pas à partager jusqu’à la fin
du XVIIIe siècle la domination plus ou moins effective
de ce pays si fréquemment ravagé.
Temps modernes. — Cependant la région du Nord
voyait grandir un Etat qui aspirait aussi à ce partage.
GUIDE AU CAUCASE
19
et qui devait un jour étendre sa main puissante sur le
Caucase tout entier; ce sont les Russes.
. Mstislaff, 1 un des douze fils de Vladimir le Grand,
ayant, depuis l’an 988, aidé l’empereur romain d’Orient,
Basile II, à détruire la puissance des Khazars en Cri-
mée, érigea dans la presqu’île de Taman une princi-
pauté que les Russes appelèrent Tmoutarakhan, mais
dont il n’est question dans leur histoire que jusque
vers la fin du XIe siècle. Mstislaff vainquit aussi les
Kassoghes, peuple montagnard de la famille des
Tcherkess. Parmi ses sujets figurent en outre des
Ossètes. Dans les siècles suivants, les Russes étaient
séparés des peuples caucasiens par les Komans ou
Poloftzes et par les Ptchénèghes, qui se perdirent
ensuite dans l’Empire du Kiptchak.
Ce fut seulement au XVIe siècle, quand les Sofis
eurent mis fin, en Perse, à l’Empire des Turcomans,
que les Géorgiens, habitués à changer souvent de
maîtres, songèrent à leurs coreligionnaires du Nord. Ils
n’étaient pas trop opprimés par les Persans, ni même
par les Turcs, qui partageaient avec ces derniers la
domination de l’isthme; tous deux y laissèrent gouver-
ner les princes indigènes, s’efforçant seulement d’y
répandre la loi musulmane, les Persans sous la forme
du rite chiite, les Ottomans sous celle du rite sunnite;
mais ces maîtres étaient constamment en lutte entre
eux, et les indigènes eurent beaucoup à souffrir de ces
hostilités.
La Moscovie, sous Ivan III (1462-1505), et Ivan IV
(1534-1584), avait enfin secoué le joug de ses vain-
queurs asiatiques. L’Empire du Kiptchak était démem-
bré. Sur les ruines de celui de la Horde-d’Or (1480)
s’étaient formés plusieurs Etats tatars; mais le princi-
pal de ces Etats, Kazan, fut repris en 1552, et Astra-
khan en 1554, par Ivan IV. Peu d’années après, les
Russes, grâce aux Cosaques du Don, firent aussi la
conquête de la Sibérie, en même temps que du côté du
Caucase, ils s’avançaient jusqu’au Térek.
Cette nouvelle puissance eut naturellement un grand
retentissement dans le Caucase. Souvent en révolte
contre le khan de Crimée, auquel les Kabardins s’é-
20
GUIDE AU CAUCASE
taient volontairement soumis, d’autres tribus de Tcher-
kess, notamment celle du Bèch-taou, se déclarèrent,
dès 1555, vassaux des Moscovites, mais se firent battre
peu d’années après (1570) par les Tatars, auxquels elles
durent encore, à différentes reprises, se résigner à
payer tribut, habituellement en esclaves des deux
sexes. La soumission aux Russes, soit des Tcherkess
de la plaine, soit de ceux des montagnes, ne devint
jamais sérieuse ni durable. Les Géorgiens étaient de
tous les Caucasiens les plus portés à se rapprocher des
Moscovites professant comme eux le culte orthodoxe.
Un traité paraît avoir été conclu entre Alexandre III,
roi de Kakhétie, et Fédor Ivanovitch (1584-1598), tsar1
de Russie. Seulement ces tentatives n’eurent pas de
résultat efficace. Ces actes de soumission envers les
chrétiens du Nord n’eurent guère d’autre effet que de
provoquer des invasions des Persans et des Turcs, ou
des guerres civiles dans les contrées géorgiennes.
Cet état de choses changea complètement sous le
règne de Pierre leGrand (1689-1725). Déjà en 1696, les
Russes momentanément maîtres d’Azoff, qu’ils eurent
ensuite encore longtemps à disputer aux Turcs, étaient
voisins de la Caucasie, du côté des bouches du Kouban,
comme ils l’étaient depuis plus d’un siècle du côté de
l’embouchure du Térek. Dès lors il entra dans les
grands desseins du régénérateur de la Moscovie d’assurer
à celle-ci le commerce de la mer Caspienne et de la
Perse. Les circonstances semblèrent favorables à ces
1. Le mot tsar fut primitivement employé par les anciens
traducteurs slavons de la Bible, pour désigner les rois dont il
est question dans les livres sacrés des Hébreux. C’est le mot
césar qui, dans le latin germanique du moyen âge, se pro-
nonçait tsesar. Par élision de l’e, tsesar est devenu le mot
russe tsar , qu’il ne faut pas écrire czar. Cette orthographe
appartient à la langue polonaise du XVIIIe siècle. Lorsque les
Russes veulent parler officiellement de leur souverain, ils ne
l’appellent pas tsar , mais imperator. Cette désignation latine
a été introduite par Pierre le Grand, et, dans les protocoles,
l’empereur ne prend celle de tsar que lorsqu’il parle comme
souverain de la Pologne ou des anciens tsarats de Kazan,
Astrakhan, etc. L’impératrice porte le titre de tsaritsa , que
nous traduisons par tsarine . Le prince héritier est appelé non
pas tsarévitch, mais césaréoitch.
GUIDE AU CAUCASE
21
visées hardies, car la Perse était en pleine décadence.
L’avant-dernier Sofi, Schah-Houssein, qui depuis
1709 se débattait péniblement contre les Afghans,
appela à son secours, en 1712, le tsar de Russie. Pierre
hésita d’abord ; mais quand il vit les Ottomans se
disposer à intervenir dans la crise, il prit un parti
énergique, embarqua quelques milliers d’hommes sur le
Volga, descendit jusqiPà lamer Caspienne, et débarqua,
le 4 août 1722,, sur la côte du Daghestan où Derbent ne
tarda pas à lui ouvrir ses portes. Le tsar fit occuper
Bakou et avancer ses troupes jusqu’au Ghilan et
Mazendéran et les environs de Recht. Un instant il fut
question entre la Russie et la Porte de se partager les
provinces caucasiennes du Schahy compris la Géorgie,
et un traité fut conclu en ce sens entre les deux
puissances (1724) ; mais la mort du grand monarque
russe arrêta le développement de ces plans. Sous
l’impératrice Anne Ivanovna (1730-1740), la puissance
de l’Empire fit de ce côté des pas rétrogrades ; l’occu-
pation des provinces persanes étant très onéreuse, et les
troupes étant décimées par les maladies, cette prin-
cesse renonça aux acquisitions de Pierre le Grand au
sud de la mer Caspienne et signa à cet effet le traité
de Recht du 3 février 1732. La puissance russe, depuis
1735, eut de nouveau pour borne le Térek inférieur.
Depuis la destruction de l’Empire du Kiptchak, elle
avait là sa principale base de défense contre la turbu-
lence des montagnards et contre toute incursion venant
du Caucase. C’est à l’utile milice des Cosaques qu’elle
s’en remit de sa sécurité sur ce point. En 1568, les
Russes avaient élevé sur l’un des bras du fleuve, non
loin de la mer, la forteresse de Tarki que l’on peut
regarder comme point de départ dune ligne frontière
formée de stanitzas ou villages fortifiés, où plusieurs
sotnias ou compagnies de Cosaques du Don durent
s’installer avec leurs familles près des Tatars de Tiou-
men. Quelques années après, à la demande des Turcs
alors prépondérants dans le Caucase, cette forteresse de
Tarki fut démolie ; mais l’alliance des Russes avec le
tsar de Géorgie et avec son protecteur Abbas le Grand,
schah de Perse, leur permit de la relever vers 1594, et
22
GUIDE AU CAUCASE
les Tcherkess, qui défendaient alors leur indépendance
contre les Ottomans, comme ils Pont défendue plus tard
contre les Russes, ne leur furent pas sans utilité à cette
occasion. Cependant, redoutant l'oppression tantôt des
uns tantôt des autres, les Tcherkess se joignirent bientôt
après à une armée auxiliaire que le sultan Ahmed Ier
envoya, en 1604, aux Mahométans du Daghestan, et
l’influence russe resta depuis considérablement amoin-
drie dans le Caucase jusqu’aux temps de Pierre le Grand.
C’est ce dernier qui reprit le plan d’élever une ligne
continue de petits forts défendus par des Cosaques
colonisés, et il employa pour cela le régiment qui
occupait Tarki et que l’on désignait sous le nom de
Cosaques de Greben, probablement à cause des hauteurs
voisines de leurs demeures, sur les bords de laSoundja.
Les cinq stanitzas qui furent bâties le long du Térek
(rive gauche), vers 1712, étaient celles de la Vieille et
delaNouvelle-Gladka, celles de Kourdioukova, Chtcha-
drine et Tchervlennoï. Après la prise de possession du
Daghestan que lui abandonnait, en 1772, le schah de
Perse expulsé, Pierre fit aussi construire sur le Soulak
la forteresse de Sainte-Croix (Sviatoï-Krest), et ses
troupes s’y maintinrent malgré les attaques vigoureuses
que dirigea contre elles, en 1725, le chamkhalou vcili
de Tarki. Cependant ses successeurs renoncèrent ensuite
à cette place, et même celle de Tarki fut démolie de
nouveau en 1728. L’impératrice Anne retira tout à fait
ses forces jusque vers le Térek, devant l’apparition de
Nadir-Schah dans ces contrées. Elle ordonna même la
démolition de la forteresse de Sviatoï-Krest; mais après
le traité de Belgrade, en 1739, elle en fit construire une
autre, Kizliar, à sa place, et y mit une garnison de
Cosaques. Les deux Kabardas furent alors déclarées
indépendantes. Peu de temps après, de nouvelles
stanitzas furent établies ; et pour les peupler, chacune
de celles des Cosaques du Don envoya une famille. En
1763, fut encore fondée la ville de Mozdok, afin de
compléter la défense de ce côté. Ces mesures irritèrent
vivement les Tcherkess, voisins de cette ligne, qui
jusqu’alors avaient vécu en assez bonne intelligence
avec les Russes et les avaient souvent appelés à leur
GUIDE AU CAUCASE
23
secours contre les Turcs, de plus en plus prépondérants
dans le Caucase. Ceux-ci disputaient les royaumes de
langue géorgienne aux Persans, quelquefois en prenant
pour auxiliaires les Lesghiens ou d’autres montagnards,
parmi lesquels s’était répandu le mahométisme.
Depuis 1762, l’habile et énergique Catherine II tenait
le sceptre de l’Empire moscovite. Jalouse de mènera
fin les entreprises que Pierre le Grand avait laissées
inachevées, ou qu’il avait seulement méditées, elle
tourna presque aussitôt ses regards vers la contrée par
laquelle il avait voulu s’ouvrir le chemin de l’Asie
centrale. Dans leur position abaissée et précaire, tantôt
fidèles au christianisme, tantôt l’abjurant au gré de
leurs maîtres, traités en simples valis ou gouverneurs
de provinces, voyant au moindre mécontentement
arriver à Tiflis, tantôt une armée persane, tantôt une
arméeturque,les tsars de Géorgie et d’Iméréthie crurent
alors trouver en cette puissance de coreligionnaires un
point d’appui, grâce auquel seul ils pourraient prolonger
leur existence indépendante. Héraclé II, qui, après
avoir été le compagnon d’armes de Nadir-Schah, réu-
nissait sous sonsceptre,de 1760 à 1798, toute la Géorgie
persane, se vit, sous les successeurs de ce puissant
protecteur, de nouveau inquiété et son royaume livré à
une agitation continuelle. Parce motif, il offrit secrète-
ment aux Russes une alliance intime avec eux, au
moment où Solomon I d’Iméréthie, qui régna jus-
qu’en 1784, était en guerre avec les Turcs, qui le trai-
taient en rebelle, parce qu’il refusait de leur payer un
tribut humiliant. En 1768, la guerre avait aussi re-
commencé entre l’Empire ottoman et la Russie ; le
général de Medem avait conduit une armée vers le
Kouban et au pied du Caucase, et Catherine II envoya
en outre(1769)au delà de cettechaîne un corps d’armée
sous le commandement du général Totleben. Alors
Héraclé n’hésita pas à se réunir à lui avec ses forces.
Cependant ce secours ne produisit aucun avantage
aux deux princes géorgiens : Totleben réussit bien
à se rendre maître de Koutaïs, mais, ayant ensuite
essuyé un échec devant Poti, il ramena aussitôt ses
troupes en Russie (1772).
24
GUIDE AU CAUCASE
Deux ans après, fut conclu entre la Russie et la
Porte ottomane le traité de Koudjouk-Kaïnardji ; ce
traité eut une influence décisive sur le sort futur de
toute la Caucasie. Non seulement il confirma à la
première de ces puissances la possession si longtemps
contestée d’Azofï, il lui abandonna en outre la Grande
et la Petite-Kabarda, à la possession desquelles elle
élevait depuis longtemps des prétentions, ainsi que les
forteresses voisines de Kertcht: Iénikaléet Kinbourn ;
il proclama formellement la complète indépendance de
la Petite-Tartarie. Toute la région du Kouban devait en
jouir comme elle, et d’un autre côté la Géorgie et
lTméréthie devaient cesser d’être tributaires des Otto-
mans.
Cependant ce traité de 1774 marque seulement une
première balte dans le développement des grands
projets de Catherine II, à qui le prince Potemkin avait
promis, comme on sait, le rétablissement, en faveur de
l’un de ses petits-fils, de l’Empire de Byzance, et par là
la domination en Orient. Dès 1783, Catherine II avait
déclaré la Crimée, ainsi que toute la Petite-Tartarie
avec le Kouban, réunie à ses Etats, et la Porte la laissa
faire, se contentant d’élever, en 1783, la forteresse
d’Anapa, sur la côte de l’ancienne Sindique, au sud
des bouches du Kouban, et d’y établir un pacha chargé
de surveiller toute la côte et de défendre l’indépendance
des populations environnantes. Dans la même année
1783, la Porte avait dû se résigner à subir de la part
de la Russie encore un autre outrage, Catherine II
avait accepté le traité par lequel Héraclé, rompant à la
fois avec la Perse et la Turquie, se reconnaissait atout
jamais vassal de la. Russie, laquelle ne tarda pas à
faire occuper Tiflis. C’est en 1787 seulement que le
sultan se décida à recourir de nouveau à la guerre,
laquelle, après avoir duré quatre ans, se termina
momentanément par le traité de Jassy (1791), en vertu
duquel les Russes se virent enfin possesseurs légitimes
de tout l’ancien khanat de Crimée et héritiers de toutes
les prétentions de ses maîtres tatars sur les steppes
occupées par les Nogaïs et autres tribus en deçà de la
grande chaîne du Caucase. Cette guerre permit aux
GUIDE AU CAUCASE
25
Russes, sous Goudovitch, de se rendre maîtres (1791)
d’Anapa et de Soudjouk-Kalé, ainsi que de la personne
de Bej-Mansour, le premier des prophètes que le fana-
tisme musulman et l’amour de l’indépendance de leur
pays devaient successivement susciter parmi les monta-
gnards.
Du côté de la Perse, la paix n’avait pas été gravement
troublée depuis Nadir-Schah ; mais sa mort avait été
suivie de nouveaux désordres et d’usurpations de la
couronne, ce qui laissa le champ libre à Héraclé. On a
vu comment il en profita. Sa détermination en faveur
des Russes sembla d’abord passer inaperçue chez les
Persans ; mais dans la dernière année du règne de
Catherine II (1796) ils songèrent à tirer vengeance de
ce qu’ils devaient regarder comme une trahison. Un
des usurpateurs qui s’étaient succédé depuis Nadir-
Schah, le kadjar Aga- Mohamed- Khan se jeta subite-
ment sur la Géorgie, la ravagea cruellement, expulsa
Héraclé et fit reconnaître son autorité dans tous les
pays qui s’étaient mis sous le protectorat russe. L’impé-
ratrice se hâta d’envoyer une armée dont elle donna le
commandement au comte Valérien Zoubofï et qui
ramena en très peu de temps ces pays à la soumission ;
mais elle mourut sur ces entrefaites, presque en même
temps qu’Aga-Mohamed-Khan qui fut assassiné.
L empereur Paul (1796-1801), fils et successeur de
Catherine II, rappela cette armée; mais les pays de
langue géorgienne n’en furent pas moins perdus pour
la Perse. Incapable de se soutenir à la fois contre elle,,
les Turcs et les Lesghiens, en même temps que contre
les révoltes de ses propres frères, le fils aîné d’Héraclé,
Georges XIII, déjà avancé en âge, transmit avant de
mourir, par traité du 5 décembre 1799, ses Etats à
l’empereur Paul en pleine propriété, et celui-ci, au
commencement de 1801, déclara par manifeste impérial
la Géorgie à jamais réunie à l’Empire.
Période contemporaine. — La Géorgiefut presque
aussitôt, par ordre d’Alexandre Ier (1801-1825), orga-
nisée en province russe. La frontière de l’Empire de
Russie du côté de la Perse ne dépassait guère encore
la rivière Koura, mais la soumission de lTméréthie, de
.26
GUIDE AU CAUCASE
laMingrélie et du Gouria, de même que celle des princes
mahométans qui régnaient encore, sous la protection
des Persans, dans la partie orientale de la Caucasie, à
savoir celle du chamkhal de Tarkou celle des khans
de Derbent, Bakou, Chirvan, Chéki, Gandja, Karabagh,
était dès lors regardée comme étant la conséquence
nécessaire et fatale de l’acquisition de la Géorgie. Elle
s’accomplit, en effet, grâce à l’énergie et aux talents du
second gouverneur général (1802-1806), le prince Tsit-
sianof, lui-même Géorgien et allié de la famille royale
de Géorgie, et par les efforts du comte Goudovitch, son
successeur. Des traités furent successivement conclus
à cet effet : en 1803, 1804 avec le dadian (prince
régnant) de Mingrélie et le tsar d’Iméréthie ; en 1809
avec le Gouriel ou prince du Gouria ; puis à la suite de
deux guerres avec la Perse, le traité de Goulistan en
1813, et celui de Tourkmantchaï en 1828 ; enfin, après
deux guerres avec les Turcs, celui d’Akherman en 1826,
et celui d’Andrinople en 1829. Les forteresses des côtes
de la mer Noire, notamment Anapa, que les Russes,
après l’avoir occupée en 1791 et de nouveau de 1807 à
1812, avaient dû restituer aux Ottomans à ]a paix de
Bucharest (qui est de cette dernière année), furent
reprises en 1828 et gardées depuis. Au sud de l’isthme
caucasien, l’Araxe, puissant affluent de la Koura,
devint alors la limite du côté de la Perse, et elle se
continua vis-à-vis des pachaliks ottomans par une ligne
droite qui coupait en deux celui d’Akhaltzikhé, un peu
au sud de la forteresse de ce nom. et qui aboutissait à
la mer Noire en englobant la moitié septentrionale du
Gouria. Du même coup, une forte portion de l’Arménie
avec Erivan et Edchmiadzine, siège du patriarche
arménien, fut ajoutée aux possessions russes qui
désormais comprenaient, du moins nominalement,
l’isthme tout entier, sans aucune discontinuité par
rapport au principal corps de l’Empire.
En prévoyante souveraine, Catherine II n’avait pas
manqué de prolonger vers l’Ouest le cordon de Cosa-
ques depuis Mozdok, du Térek à la Malka. Cinq sta-
nitzas furent établies en 1770, et dix autres dans les
années suivantes jusqu’en 1778; parmi ces dernières
GUIDE AU CAUCASE
27
étaient comprises les forteresses d’Ekathérinograd,
Ghéorghievsky, Alexandroff et Stavropol. Une partie
des Cosaques du Volga furent transférés là pour les
peupler. De la Malka, la ligne passa ensuite au Kou-
ban, car le khan de la Petite- Tartarie fut forcé de con-
sentir à ce que le fleuve devînt la limite russe^ qui
engloba ainsi les deux Kabardas, définitivement sou-
mises. Le long du Kouban, la ligne, toujours défendue
par des constructions nouvelles de stanitzas, arriva
enfin jusqu’à la mer Noire, et dans la suite on en confia
la défense sur ce point à quatre régiments de Cosaques
du Dniéper ( Zoporoiskaïa Sietch ). On donna à ces
Cosaques le nom de Tchernomoriens ou guerriers de
la merNoire (de tchernoï noire et more mer), et à leur
province celui de Tchernomorskii ; ils dépendent
aujourd’hui de la province du Kouban et ont leur
ataman particulier. L’empereur Nicolas les trouva, en
1837, organisés en neuf régiments de cavalerie, avec
trois compagnies d’artillerie. Encore sous Catherine II,
on avait fondé d’abord la forteresse de Constantinogorsk
pour protéger les bans caucasiens en avant de la chaîne,
et ensuite, en 1784, celle plus importante deVladikaw-
kaz,et on avait commencé dans le pays des Ingouches,
qui gardaient une prudente neutralité, la construction
de la route militaire qui, après avoir traversé la Petite-
Kabarda, devait passer sous les canons de la forteresse
et sur la rive droite du Térek pour aboutir à Tiflis.
Après la paix d’Andrinople, la Russie se flattait de
posséder légitimement tout l’isthme quelle tenait, soit
du droit de conquête, soit par suite de transactions
volontaires avec ses divers maîtres. Le gouvernement
russe considérait comme un titre à cette précieuse
possession non seulement le traité de Kondjouk-Kaï-
nardji (1774), mais encore celui d’Andrinople (1829).
Par l’article 4 de ce dernier, il avait été stipulé que tous
les pays au nord de la nouvelle ligne frontière, vers la
Géorgie, l'Iméréthie et le Gouria, y compris tout le
littoral de la mer Noire depuis l’embouchure du Kouban
jusqu’au port de Saint-Nicolas inclusivement, restaient
sous la domination des Russes. Mais le pays des mon-
tagnards de la grande chaîne du Caucase et du steppe
28
GUIDE AU CAUC4SE
qui s’étend à ses pieds vers le Nord, était-il compris
dans cette cession et pouvait-il l’être? A entendre les
Tcherkess et en prenant les mots à la lettre, on n’aurait
pas eu le droit de l’y comprendre, car les peuples
caucasiens n’avaient jamais formellement reconnu la
suzeraineté de la Porte ottomane, laquelle, par consé-
quent, n’aurait point eu le droit de disposer d’eux.
Dans le fait cependant, l’abandon par elle de ces pays,
la disparition de la Petite-Tartarie, dont les Tcherkess
avaient été jadis les vassaux, entraînait forcément la
soumission de tous ces peuples, alternativement au
moins sous le protectorat de l’une ou de l’autre des
puissances voisines, peuples contre les brigandages
desquels il était d’ailleurs indispensable de se prémunir.
La question de droit, discutable sans doute, peut
paraître ici secondaire : les circonstances décidaient du
sort des montagnards, et il faut se borner au récit des
événements. Après le traité d’Andrinople, la résistance
de ces peuples, fiers et braves, contre les Russes,
devint d’année en année plus résolue. Cependant,
longtemps auparavant, il avait déjà fallu leur faire la
guerre, afin de briser cette résistance. A l’occasion de
la première prise d’Anapa (1791) il a été parlé de
Cheik-Mansour, espèce de prophète qui tomba alors
aux mains des Russes et alla terminer ses jours
derrière les murs de Schlusselbourg, après avoir, à
Tinstigation des Turcs sans doute, essayé d’opérer un
soulèvement général parmi les Tcherkess au nom de la
religion. Mahométans d’assez fraîche date et plutôt
indifférents que fanatiques, ils ne s’étaient guère laissés
remuer par ses prédications : d’autres considérations,
l’horreur du joug, le maintien du petit commerce qui
les faisait vivre et notamment de celui des esclaves
avec Constantinople, la haine que leur inspiraient ces
voisins qui venaient de réunir à leurs vastes territoires
les deux Kabardas, avaient plus d’action sur eux et le
pouvoir de leur mettre de temps en temps les armes à
la main. Ainsi dès 1824, les Russes durent faire, sur
la ligne du Kouban, plusieurs expéditions contre eux.
Du côté oriental de l’isthme, la religion joua un rôle
plus marqué dans la lutte de ces peuples, également
GUIDE AU CAUCASE
29
jaloux pourtant de conserver leur indépendance. Là,
les Tchétchènes et les Lesghiens des diverses branches
étaient des musulmans beaucoup plus fervents, beau-
coup plus avides de s’assurer, en prenant part à la
guerre sainte, l’entrée du paradis promis par le Coran.
Là, les patriotes qui se vantaient d’une inspiration
divine trouvaient un terrain facile à exploiter, et des
illuminés de ce genre, appelés murchides nom qu’il
ne faut pas confondre avec celui de murides (compa-
gnons disciples), y parurent à diverses reprises. La
doctrine de deux de leurs chefs principaux: Kadi ou
Kasi-Moullah etSchamyl, fut appelée le muridisme ou
religion des murides , c’est-à-dire des aspirants. Elle ne
tarda pas à exciter un grand enthousiasme parmi les
montagnards de l’Est. C’estce qui expliqueleurpremier
soulèvement, avant le traité d’Andrinople, au temps où
les fonctions de gouverneur général de la Caucasie
étaient exercées après Knorring, par le général en chef
Yermoloff (1817-1826). En 1825, il s’était formé une
alliance entre les peuples Tchétchènes et Lesghiens; le
khan des Kasi-Koumouks, celui des Avars, les com-
munautés libres de Djar et de Belokan surtout, etc., y
étaient entrés ; et Yermoloff, habilement secondé par
Kaïefski, eut beaucoup de peine à rétablir la paix et à
forcer à la soumission ces insurgés. A cette époque,,
éclata la guerre avec la Perse, et les peuples caucasiens
conçurent de grandes espérances lorsqu’ils apprirent
qu’Abbas-Mirza, fils aîné du schah, qui de son côté
comptait sur eux et sur l’agitation qui régna un moment
dans toute la Russie à la suite de la mort de l’empereur
Alexandre I, avait franchi la frontière de l’Empire à
la tête d’une armée nombreuse. Ces espérances, comme
on sait, furent déçues. Paskévitch, le successeur d’Yer-
moloff et qui bientôt mérita le titre de comte d’Erivan,
remporta sur le prince persan des victoires signalées et
le força de signer la paix de Tourkmantchaï au moment
où le Sultan allait ouvrir de son côté les hostilités contre
les Russes, il est vrai sans plus de succès, car la guerre
n’aboutit pour lui qu’au malheureux traité d’Andrinople
par lequel tous les petits peuples du Caucase furent
sacrifiés.
30
GUIDE AU CAUCASE
Paskévitch eut pour successeur le général Grégoire
de Rosen, sous lequel les Russes continuèrent à
guerroyer, toujours sans beaucoup de succès. C’est
alors (1830) qu’éclata dans le nord du Daghestan la
première guerre de religion proprement dite, celle de
Kasi-Moullah. Ce premier des grands murides du
Caucase, né dans le canton de Koïsoubou dont il devint
kadi , avait déjà paru sur la scène de ces luttes ardentes
après 1820 et s’était annoncé comme un envoyé du ciel,
mais n’avait pas pu vaincre l’opposition d’Arslan-Khan.
Cette fois Kasi-Moullah fut mieux accueilli, et il put
se soutenir assez longtemps contre les Russes, grâce
surtout au concours que lui prêtait Hamsad-Beg, un
autre prophète de ces montagnes, né dans le khanat
d’Avarie, et qui devint le principal lieutenant de
l’autre.
Le vaillant ouléma , dont le fanatisme exaltait la
merveilleuse activité, fit, à la tête des Tchétchènes, des
efforts inouïs pour insurger tout le bassin du Koï-Sou,
ainsi que celui de la Soundja. Trouvant de la résis-
tance, il commit d’affreux ravages et ne recula pas
devant les actes de cruauté les plus odieux, mais ne
réussit pourtant ni à triompher de la fidélité à l’égard
des Russes du chamkhal de Tarkou, dont il se vengea
par une horrible dévastation de sa capitale, ni à forcer
l’entrée de Derbent, ou celle de Kizliar du côté opposé,
ni enfin à obtenir de certaines peuplades lesghiennes,
qu’elles se déclarassent pour lui. Les Russes, au con-
traire, quittant à plusieurs reprises leur fort de Gros-
naïa pour le pourchasser, lui firent éprouver des pertes
considérables, tandis que sur un autre point ils préser-
vèrent d’une surprise Vladikawkaz, dont Kasi espérait
pouvoir se rendre maître. Il répandit le sang à flots,
mais échoua dans la plupart de ses entreprises ; sa
tyrannie fit trembler même ses partisans les plus
dévoués et, à la fin, s’étant renfermé dans Himri, il y
fut assiégé par les Russes du brave général Velliaminoff,
un des lieutenants du baron de Rosen, et tué dans un
défilé qui aboutit à ce fort avec un grand nombre des
siens, à la fin d’octobre 1832. Hamsad-Beg périt peu
de temps après (1834), assassiné par un Avar au milieu
GUIDE AU CAUCASE
31
de ses Lesghiens dans une mosquée. Un des lieutenants
de Kasi-Moullah à Himri, le jeune Schamyl, eut la
chance d’échapper au fer des Russes ; une grande des-
tinée l’attendait encore.
A la suite de cette guerre, plus particulièrement
religieuse dans le Nord-Est de l’isthme caucasien, vin-
rent les guerres de l’indépendance du côté du Kouban
et jusqu’à l’Elbrouz, auxquelles prirent part surtout les
Tcherkess, les Chapsouks, les Oubikhs et d’autres
peuples de la partie occidentale de la grande chaîne.
La première expédition eut lieu en septembre 1834,
sous le commandement du général Velliaminofï. Le
plan consistait à prendre pied petit à petit sur le terri-
toire des Tcherkess, à les isoler par des lignes militaires
qui traversaient leur pays, et à leur couper toutes les
ressources du côté de la Turquie et des autres puissances
qui voudraient bien s’intéresser à eux. De là par consé-
quent, un système de blocus qui amena bientôt la
capture d’un assez grand nombre de bâtiments turcs
employés à faire le commerce entre Anapa et Ghélen-
djik, et plus tard aussi (1836) la capture du Viæen ,
navire de commerce britannique, laquelle eut un grand
retentissement dans le parlement d’Angleterre et appela
aussitôt, et pour des années, l’attention de toute l’Eu-
rope sur les « Circassiens » jusqu’alors à peu près
inconnus, même après la publication assez récente
des (( Voyages en Circassie )) de Taitbout de Marigny
(Paris, 1819).
Les Russes ne s’étaient sans doute pas attendus à la
soumission immédiate des Tcherkess ; mais ils rencon-
trèrent de leur part une résistance qu’ils n’avaient pas
prévue. Ils eurent beau, par une proclamation impé-
riale, rappeler l’article 4 du traité d’Andrinople et
renouveler leur expédition en 1835 et 1836, ils perdirent
beaucoup d’hommes, et n’eurent que très peu de succès,
malgré la bravoure de leurs généraux, parmi lesquels
le Courlandaisde Sass se fit surtout remarquer par des
actes héroïques et chevaleresques. Ils poussèrent néan-
moins leurs reconnaissances jusqu’à Soudjouk-Kalé et
Pchad.
Cette guerre pleine de périls tira en longueur et
32
GUIDE AU CAUCASE
occupa tous les moments du chef du corps détaché du
Caucase, qui se succédèrent sans rien terminer, sans
avancer même notablement l’œuvre de la pacification.
Ce furent après Rosen, les généraux Golovine, Neid-
hart, prince Michel Vorontzofï, prince Alexandre
Bariatinsky et le grand-duc Michel, frère de l’empe-
reur Alexandre II. Le système de la défensive fut
substitué sous Neidhart à celui de l’offensive sans
produire des résultats plus satisfaisants, malgré la
sagesse et les talents administratifs de ce gouverneur
général. Cependant l’armée fut alors portée de 60,000
hommes jusqu’à 120,000. Là aussi des murides fana-
tisaient le peuple surtout depuis 1832 où Kasi-Moullah
fit sa première campagne sur le Kouban. Les plus
redoutables des insurgés étaient les Chapsoukhs. Ils
avaient pour alliés les Oubikhs, et ils finirent par s'en-
tendre avec Schamyl, le jeune compagnon de Kasi-
Moullah, qui était devenu dans l’intervalle l’âme du
mouvement dans l’Avarie, le Kasi- Koumouk, la
Tchétchénie, et bientôt aussi dans une grande partie du
Lesghistan y compris le sultanat d’Elissou, où Daniel-
Beg était pour le muride un utile auxiliaire depuis
qu’en 1844 les Lesghiens étaient sortis de l'indifférence
qu’ils avaient d’abord opposée à ces prophètes.
C’était, dans cette contrée surtout, sur le plateau de
l’Avarie, aux environs des forts de Khoundzakh, de
Dargo, de Himri fortifié de nouveau, et plus au nord,
que se concentrait la guerre sainte dont le commande-
ment avait été déféré, en 1836, à Schamyl, de préférence
à Hadji-Tachaf et à d’autres prétendants. Schamyl avait
alors près de quarante ans ; son évasion de Himri au
temps de la mort de Kasi-Moullah, l’avait entouré d’un
grand prestige. D’abord à la tête de 20,000 hommes
seulement, il étendit de plus en plus son influence et,
au bout de quelques années, arrivé à l’apogée de sa
puissance, il pénétra jusque chez les Kabarcliens, qui
résistèrent pourtant à la prédication de la guerre sainte.
Peu de temps auparavant (1843), ii avait pu un instant
faire assiéger Mozdok. Toutes les expéditions des
Russes, entreprises depuis Tiflis d’année en année,
restaient sans effet considérable, et les négociations du
GUIDE AU CAUCASE
33
prince Vorontzofï (depuis 1845) ne produisaient pas de
meilleurs résultats.
Il est impossible de rappeler ici, même très succinc-
tement, les divers incidents de cette guerre de religion
qui dura jusqu’à la fin de 1859, où elle se termina par
la reddition forcée de Gounib, quand Schamyl poursuivi
jusque dans ses derniers retranchements, dut à la fin
rendre les armes au prince Bariatinsky et échanger
contre une longue, mais honorable et douce captivité
en Russie, les périls journaliers d’une lutte opiniâtre et
héroïque. Il suffit de rappeler quelques traits de la
curieuse carrière de Schamyl, de donner entre autres un
souvenir de la fameuse prise d’Akhoulgo le 23 juillet
1839, et delà défense désespérée que les Tchétchènes,
soutenus avec intrépidité par leurs femmes, opposèrent
au brave, mais malheureux général Grabbe. Après avoir
battu Schamyl deux mois auparavant à Arguani, dans
un combat corps à corps qui dura deux jours, Grabbe
avait enfermé le nouveau muride dans le fort d’A-
khoulgo situé sur un rocher à pic non loin du rapide
Koïsou, et il se croyait sûr, après un blocus de quelques
semaines, de se rendre enfin maître de sa personne.
Mais au milieu d’un combat sanglant, le muride trouva
moyen de s’échapper de la mêlée et dut son salut à la
fuite. Ses guerriers crièrent au miracle comme après
l’évasion de Himri. Schamyl se cacha dans les épaisses
forêts de lTtchkérie, passa ensuite de la Soundja au
Koïsou et se prépara à une nouvelle défense dans
Yaoul fortifié de Dargo. Peu de temps après, il se
trouva, comme nous l’avons dit, à l’apogée de sa
puissance. Mais elle déclina tout aussi rapidement, et
la guerre dite d’Orient de 1855 ne put rien faire pour la
relever. L ’aoul fortifié de V eden que les Russes enlevè-
rent le 12 avril 1859, en devint pour ainsi dire le
tombeau , Daniel-Beg abandonna alors l’intrépide
muride , dont Gounib fut, quelques mois après, le
dernier refuge. Les Russes l’y assiégèrent encore, et
comme Schamyl n’avait pas assez de monde pour bien
défendre cette position où des rochers extrêmement
escarpés étaient encore surmontés par TaoaZ, il se laissa
surprendre par trois colonnes ennemies, qui avaient pro-
3
34
GUIDE AU CAUCASE
fité d’un épais brouillard pour escalader le côté où le
guerrier se croyait le moins en danger. Il avait d’abord
répondu au prince Bariatinsky qui le sommait de se
rendre : « Le Gounib-dagh est haut, mais Allah est
encore plus haut, et toi, tu es en bas ! » Maintenant rien
ne pouvait plus le sauver. Il se décida à se rendre. Le
général russe ainsi que son maître, s’honorèrent en
n’abusant pas de ce coup du sort : l’empereur Alexandre
ordonna à Bariatinsky de traiter son prisonnier avec
distinction et clémence. Schamyl fut transféré en
Russie ; lé côté oriental du Caucase fut alors pacifié.
Malgré les concessions qui furent faites aux Circas-
siens en 1860 et 1861, des tribus entières, voyant leurs
brigandages définitivement arrêtés, émigrèrent par
permission de leurs vainqueurs sur le territoire turc;
mais l’émigration volontaire se changea bientôt en
déportation, et en 1864 plus de 400,000 Tcherkess
furent bannis. Ce dernier acte a clos la conquête russe
du Caucase.
La guerre de Crimée et la guerre russo-turque sont
trop récentes et trop connues pour qu’il soit nécessaire
de retracer ici la part qu’y prit le Caucase. Il faut
attendre que le temps ait calmé toutes les susceptibilités,,
ait éclairé les faits, et que l'histoire impartiale ait dit
son dernier mot et rendu justice à chacun.
GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE 1
Aucune région du globe n’ofïre des limites natu-
relles plus tranchées à l’E. etàl’O., et un caractère
général mieux défini que le Caucase : un isthme mon-
tagneux entre deux mers. La mer Noire et la mer
d’Azofï en baignent le côté occidental depuis les environs
de Batoum jusqu’à l’embouchure du Don, dans un
développement à vol d’oiseau de 1065 kilomètres ; le
côté oriental est baigné par la mer Caspienne depuis
1, D’après Vivien de Saint-Martin, Elisée Reclus, Dubois
de Montpéreux, les cartes de l’Etat-Major russe et les notes
de M. Zagoursky.
GUIDE AU CAUCASE
35
les bouches du Volga jusqu’à l’Astara au S. du Len-
koran, sur un parcours de 978 kil. La largeur de
l’isthme, d’une mer à l’autre est, en ligne droite, de
535 kil. dans la partie la plus étroite sous le 42e
parallèle; au N. et au S. de ce parallèle, elle s’aug-
mente d’une manière notable. L’aréa de cette région
ainsi délimitée et répondant à peu près au gouverne-
ment russe du Caucase, est évalué à 388,700 verstes
carrées, environ 457,000 kil. carrés \ c’est-à-dire aux
quatre cinquièmes de la superficie de la France. Mais
il s’en faut de beaucoup que cette grande étendue de
pays soit propre, comme la France, à nourrir une
population compacte. Au N. elle se compose, en
grande partie de vastes steppes, plaines nues, basses et
sablonneuses ; au S. elle offre une suite ininterrompue
d’âpres montagnes et de vallées rapides dont quelques
portions seulement sont propres à la culture. Ce n’est
qu’en descendant jusqu’au bord des rivières principales
où viennent aboutir les torrents des hautes vallées, à
l’O., le Kouban, l’Ingour, le Kodor, le Rion, le
Tchorok ; à UE., le Térek, le Soulak, le Semour, la
Kouma, l’Alazan, l’Iora, la Koura et l’Araxe, que le
climat moins rude et le sol plus fertile ont permis à
l’industrie humaine de se développer librement et que
de riches campagnes peuvent rivaliser avec les plus
belles contrées du monde.
Hérissée d’éternels glaciers, couronnée de pics nei-
geux aux sommets d’accès difficile, revêtue sur ses
flancs d’un sombre manteau de forêts séculaires et
coupée d’un très petit nombre de passages praticables,
la chaîne du Caucase se dresse sur la limite commune
des steppes du N. et les hautes vallées du S. et
semble fermer l’isthme entre les deux mers. Ou plutôt,
cette chaîne même n’est, à vrai dire, que l’escarpement
septentrional d’un haut plateau de 100 lieues de largeur
du N. au S., qui sépare le fond de la mer Noire du
bassin de la Caspienne et qui forme le prolongement
oriental du grand plateau de l’Asie-Mineure. C’est, en
effet, du côté de la steppe, c’est-à-dire par sa face sep-
1. 465,778 kil., d’après Élisée Reclus.
36
GUIDE AU CAUCASE
tentrionale, que la chaîne continue des Alpes cauca-
siennes, dominant les basses plaines d’une hauteur de
4 à 5,000 m. et s’abaissant en un talus rapide, éveille
dans l’esprit l’idée d’une muraille gigantesque élevée
par la nature pour marquer la séparation de deux
mondes. Du côté du S., le plateau qui s’appuie à la
chaîne, se soutenant lui-même à une hauteur de près
de 2,000 m., les crêtes y paraissent beaucoup moins
élevées et leur descente est moins abrupte.
Les deux grandes régions de l’isthme, que divise la
chaîne du Caucase, ne diffèrent pas moins par leurs
populations que par leur aspect et leur caractère phy-
sique. Les steppes du N. ont été de tout temps aban-
données aux Ilots mobiles de tribus nomades, diverses
d’origine, semblables de mœurs et d’habitudes, qui y
sont venues planter leurs tentes et conduire leurs
troupeaux; les grandes vallées du S. au contraire,
sont occupées depuis l’origine des temps historiques
par deux nations sédentaires, les Géorgiens et les
Arméniens, et elles ont été très anciennement le siège
d’empires florissants.
Le Caucase ne forme pas une chaîne unique. La plus
grande et centrale qui, courant du N. -O. au S.-E.
depuis Anapa, sur la mer Noire, non loin du détroit de
Kertch, jusqu’à la presqu’île d’Apchéron sur la Cas-
pienne, porte en russe le nom de Glavnè Kavkazki
Krèbet , ou chaîne principale du Caucase. Presque au
milieu s’élève l’Adaï-Khokh d’où se détache la chaîne
latérale du Caucase ( Vokovoï Kavkazki Krébet ). Elle
va, à peu près parallèlement au N. de la chaîne prin-
cipale jusqu’à la Caspienne. Elle présente plusieurs
sommets, entre autres le Kazbek, d’une hauteur consi-
dérable. Elle est coupée par des vallées transversales
où coulent vers le N. et le N.-E. le Térek, la Soundja,
etc. En outre d’autres chaînes secondaires vont ou
parallèlement entre elles ou se rencontrent pour se
séparer de nouveau en formant de place en place des
nœuds montagneux. Entre ces nœuds, les chaînes cir-
conscrivent des espèces de bassins profondément en-
caissés, dont l’une des faces présente toujours une
brèche, une crevasse, par laquelle s’échappe une rivière
GUIDE AU CAUCASE
37
formée de la réunion des petits torrents qui descendent
le long des flancs. Ces bassins intérieurs sont un trait
caractéristique de l’orographie du Caucase. Le point
culminant de la chaîne est l’Elbrouz (5,646 m.).
La chaîne du Caucase, plus étroite que celle des
Alpes, la dépasse beaucoup en hauteur. On admire de
loin ses cimes neigeuses. Les formes hardies et décou-
pées de l’Elbrouz, du Kazbek et delà haute crête
dentelée qui sépare ces deux colosses, frappent l'ima-
gination. Quand on a pénétré dans l’intérieur des
montagnes, cette impression grandiose s’efface parfois.
Le voyageur jouit rarement d’une vue d’ensemble ; de
grands escarpements bornent son horizon, et il faut
s’élever à des hauteurs beaucoup plus grandes que dans
les Alpes pour pouvoir contempler de vastes panoramas
semblables à ceux qui font la beauté de ces montagnes.
Les vallées très encaissées sont difficilement accessibles
dans leurs parties supérieures ; les glaciers, retirés
dans les montagnes, ne viennent point s’étaler à tous
les regards et offrir au savant ou au touriste l’attrait
qu’ils présentent dans les Alpes. Il en est peu qui
descendent au-dessous de 2,000 à 2,400 m., hau-
teur où l’explorateur va rarement les chercher. Dans
les Alpes, au contraire, la limite inférieure de plu-
sieurs des glaciers principaux se trouve entre 1,000 et
1,300 m. D’où vient cette différence? Elle tient en
grande partie aux climats. Mais elle provient aussi de
la configuration même du pays. Malgré la hauteur de
ses cimes, on ne trouve pas au milieu d’elles ces vastes
réservoirs et ces grands plateaux qui favorisent dans
les Alpes l’accumulation des neiges ; les crêtes plus
escarpées offrent une moins grande surface au déve-
loppement des névés, et cette cause, unie à la tempé-
rature plus élevée, explique pourquoi le Caucase ne
donne pas naissance à des glaciers comparables aux
grands glaciers alpins.
La chaîne du Caucase présente dans sa longueur
trois sections bien caractérisées : la première de la
mer Noire aux sources du Kouban, sur une longueur
de 450 kil. ; la deuxième des sources du Kouban au
mont Barbalo, 300 kil. ; c’est le Caucase central ; la
38
GUIDE AU CAUCASE
troisième du montBarbalo à la mer Caspienne, 450 kil.
Cette dernière partie, avec ses rameaux, forme la
contrée connue sous le nom de Daghestan.
Division occidentale. — Cette section s’étend
parallèlement à la côte N.-E. de la mer Noire dont elle
n’est séparée que par une distance de 10 à 40 kil. Le
premier sommet remarquable qu’on y rencontre,, l’Ido-
kopaz, ne s’élève pas à plus de 735 m. ; il est situé
par 36° de longitude E. à l’E.-N.-E. du cap du même
nom et au N.-E. de la baie de Ghélendjik. A partir de
là, la chaîne se dirigeant au S.-E. se relève progressi-
vement jusqu’à 3,500 m. (col de Maroukh) ; vers les
sources du Pchekh, affluent de la-Bielaïa, ellq dépasse
2,000 m.; elle en a 2,852 au mont Ochten. En face
de ce pic, vers le N., commence la première chaîne
secondaire, appelée Kara-Iaïla ou montagnes Noires,
qui va rejoindre le massif de l’Elbrouz en courant
parallèlement à la chaîne principale. Cette chaîne dont
la crête est peu élevée s’abaisse doucement vers le N.
et presque verticalement au S., comprenant entre elle
et le Caucase proprement dit le premier des bassins
dont nous avons parlé. A une hauteur insignifiante, la
crête des montagnes Noires est déchirée par des cre-
vasses à travers lesquelles plusieurs rivières s’écoulent
vers le N.: la Grande et la Petite-Laba, l’Ouroup, le
Grand et le Petit-Zélentchouk et le Kouban. Les contre-
forts du Caucase occidental s’en détachent généralement
à angle droit ; du côté S. -O. ils tombent brusquement
sur lamer Noire, en séparant les uns des autres les cours
d’eau du littoral; le dernier : le Djouman-taou, forme
la limite entre l’Abkhazie et la Souanétie. Ceux du
versant N.-E. s’avancent plus loin dans le bassin du
Kouban, séparant les longues vallées transversales des
affluents de cette rivière. A partir du Djouman-taou, la
chaîne principale tourne au N.-E. dans le prolonge-
ment de ce rameau pour s’avancer vers le massif de
l’Elbrouz; quelques défilés établissent, à travers cette
partie de la chaîne, des communications entre la steppe
et le rivage de la mer.
Division centrale. — Le Caucase central prend
d’abord sa direction de l’O. à l’E. jusqu’à l’Adaï-
GUIDE AU CAUCASE
39
khokh ( kliokh , en langue russe, signifie « montagne ».
C’est probablement de ce radical que vient le nom de
la chaîne). L’axe s’incline alors brusquement au S.-E.
jusqu’au mont Zikari (3,129 m.) pour reprendre
ensuite sa marche directement versl’E. jusqu’au mont
Barbaio (3,287 m.). Cette inflexion le divise natu-
rellement en deux parties à peu près d’égale lon-
gueur qui présentent chacune trois chaînes secondaires
indépendamment de la chaîne principale. Le Caucase
central forme ainsi trois longues vallées parallèles,
coupées de place en place par des rameaux transversaux
qui les partagent définitivement en quinze bassins. La
partie occidentale, celle qui s’étend entre l’Elbrouz
(5,646 m.) et l’Adaï-khokh (4,646 m.) est la plus
élevée de tout le système (3,800 m.). Elle ren-
ferme, outre l’Elbrouz, plusieurs pics toujours couverts
de neige. On peut citer l’Ouloukhoul, le Dongourozoun,
le Koch-taou (5,211 m.), le Dikh-taou (5,158 m.),
l’Aghik-taou et le Passis-mta. Du mont Zikari au
mont Barbaio, le Caucase présente cette particularité
que les plus hauts sommets se trouvent non plus dans
la chaîne principale, mais dans la première secondaire
vers le N. Celle-ci, dont le point culminant est le mont
Kazbek (5,045 m.), part de l’Adaï-khokh et est
coupée par plusieurs cours d’eau, tels que l’Ardone et
le Térek. Le Caucase central est traversé par plusieurs
passages, mais le principal est celui du Darial que
suit la route militaire de Vladikawkaz à Tiflis : il a
2,263 m. d’altitude au col de la Croix (Krestovaïa-
gora).
Plusieurs embranchements importants détachés du
Caucase central se portent au S. Le premier part du
mont Zikari, il se dirige au S. -S. -O. en formant la
limite des gouvernements de Tiflis et de Koutaïs, et il
sépare les eaux du Rion de celles de la Koura. C’est ce
rameau, nommé monts de Souram, qui relie le Caucase
aux montagnes de la Transcaucasie ou Petit-Caucase.
Son point culminant est le Lakhou (1,926 nu). Un
second embranchement se dirige vers le S. entre le
Xan et l’Aragva ; un troisième court entre UAragva et
l’Iora; un quatrième partant du mont Barbaio sépare
40
GUIDE AU CAUCASE
Tlora de l’Alazan, tous affluents de gauche delaKoura.
Ce dernier porte la dénomination de mont de Kakhétie
et traverse la contrée du même nom.
Division orientale. — Du mont Barbalo (3,296 m.)
la chaîne principale se dirige vers l’E.-S.-E. jus-
qu’au Sari-dagh, en séparant le pays des Lesghiens
de la Géorgie Quoiqu’elle présente encore des sommets
couverts de neiges persistantes, cette partie est géné-
ralement moins élevée que la précédente. Du Barbalo
se détache une série de montagnes qui, s’avançant à
travers le pays des Tchétchènes en se dirigeant d’abord
au N.-E. jusqu’aux sources de l’Axaï, puis à TE. vers
le Soulak, portent le nom de montagnes d’Andi, et la
cime culminante en est le Téboulos-mta (4,500 m.).
Du Sari-dagh part un autre embranchement appelé
montagne d’Anouk ou Karadagh, qui se dirige à
TE. jusqu’au Djouloudagh, puis, tourne brusquement
au N. -N.-E. et va finir sur l’autre rive du Soulak,
près de Tarki, au mont Douz-dagh qui n’est éloigné
que de 5 kil. du Sala-taou. La chaîne principale avec
ses deux embranchements d’Andi et d’Anouk embrasse
un vaste bassin de 170 kil. de longueur, entrecoupé de
rameaux boisés qui forment de nombreuses vallées,
arrosées par des ruisseaux tributaires du Soulak. Cette
région habitée par les Tchétchènes et parles Lesghiens
porte chez les géographes russes le nom de Haut-
Daghestan. A partir du Sari-dagh (3,662 m.) la
chaîne se dirige droit au S. pendant environ 50 kil.
pour reprendre ensuite sa direction au S.-E. jusqu’à
la mer. Du Sari-dagh part un second émissaire qui
court vers l’E. jusqu’auprès de Derbent, entre le
Kourak-Tchaem et le Samour, et qui ferme au N. la.
vallée de ce fleuve. Celle-ci est limitée au S. -O. et au
S. par la grande chaîne et au S.-E. par un nouveau
rameau qui ne laisse entre lui et le précédent qu’un
étroit passage au N.-E. par lequel le Samour se préci-
pite vers la mer. A partir de ce point, la chaîne s’a-
baisse sensiblement et va finir dans la presqu’île d’Ap-
chéron par des collines d’une faible élévation ; mais
auparavant, elle envoie un nouvel émissaire qui se
termine par le Beck-Barmak, en formant sur la mer
GUIDE AU CAUCASE
41
une sorte de promontoire. Le rameau qui s’étend du
Sari-dagh à Derbent sépare le Daghestan septentrional
du Daghestan méridional. Là, près de Derbent, se
trouvent les « Portes Albaniennes » des anciens. Ce
défilé, entre la montagne et la mer, se nomme chez les
Arabes Bab-el-Abouab (porte des portes).
Petit-Caucase. — Sous les noms de Petit-Caucaser
Caucase inférieur, monts Transcaucasiens, on comprend
tout un système de montagnes qui parcourent la Trans-
caucasie russe, en limitant le bassin de la Koura et de
l’Araxe,et qui se rattachent au Caucase central par les
monts de Souram. On donne plus particulièrement le
nom de Caucase inférieur (monts d’Adjarie, d’Arsiani*
etc.) à une chaîne qui part des côtes de la mer Noire
entre Poti et le fort Saint-Nicolas, court de l’O. à l’E.
parallèlement à la grande chaîne, en séparant Tlrnéré-
thie de l’Arménie, tourne brusquement au S. sous le
nom d’Elladara ou « montagne du Vent » et va finir
au mont volcanique d’Alagôz (4,000 m.) près du
célèbre monastère d’Edchmiadzine. Elle se relie par
plusieurs gradins étagés entre le Tchorok et le haut
Araxe au système du Taurus. Il s’en détache vers
l’E. une chaîne qui sépare le district d’Elisabethpol de
celui d'Erivan, et la Koura de T Araxe. On l’appelle
montagne de Bambak, et elle atteint sa plus grande
hauteur au N.-E. du lac Sévang ou Goktchaï. Là. elle
se divise en plusieurs rameaux, dont le principal porte
le nom déchaîné de Karabagh, d’une ancienne province
persane dont le capitale était Choucha (gouvernement
d’Elisabethpol). Un autre rameau se dirige droit au
S. et sous le nom de Migri, traverse tout le district de
Nakitchévan (gouvernement d’Erivan).
42
GUIDE AU CAUCASE
OROGRAPHIE 1
Glaciers. — Quoique Dubois de Montpéreux ait fait
allusion aux traces cUune période glaciaire qu’il avait
constatées au Caucase, l’existence de cette période
n’est reconnue que depuis peu de temps. Grâce aux
études d’Abich, de Kolénati et Palgrave, on admet que
les glaciers ont occupé autrefois une place plus étendue
qu’aujourd’hui, mais la question de savoir jusqu’où se
prolongeait la couche de glace au S. de la chaîne reste
encore non résolue. Il est certain que les fleuves
congelés descendaient beaucoup plus avant, principale-
ment sur le versant N. ; près de l’issue des vallées de la
Malka, du Baksan, du Térek on voit des blocs erra-
tiques arretés à une faible hauteur sur les pentes des
promontoires qui dominent les plaines. La pierre de
Yermoloff (défilé du Darial) a 29 mètres de longueur,
son volume est de 5,655 mètres cubes. En Souanétie,
les hauts villages, situés maintenant à 2 kilomètres de
l’extrémité des glaciers, sont construits avec les débris
de moraines délaissées par les glaciers d’autrefois. Dans
la période contemporaine, le recul est certain ; de 1849
à 1873, le Baksan a remonté de la cote 2,240 à la cote
2,325 ; de 1861 à 1873, le Bissinghi s’est relevé de
1,006 à 2,130 mètres.
Tandis que tous les glaciers du Caucase ont reculé
comme ceux des Alpes, le Devdoraki, au contraire, un
des huit qui descendent du Kazbek, après avoir,
depuis 1776, fait écrouler plusieurs fois ses glaces,
eaux, pierres, et barré en 1832 le cours du Térek, a,
depuis 1863 à 1876, progressé de 230 mètres vers la
vallée. L’attraction des montagnes s’exerce avec beau-
coup de force dans cette partie du Caucase: entre
Vladikawkaz et Douchet, la déviation du fil à plomb
vers les roches intermédiaires est de 38 secondes.
1. D’après Élisée Reclus et Vivien cle Saint-Martin.
GUIDE AU CAUCASE
43
La limite des neiges au Caucase est en moyenne à
4,000 m. ; mais vers l’E. et dans le Petit-Caucase,
elle s’élève davantage ; sur l’Ararat, un peu plus au
S., elle atteint 4,270 m. En revanche, les glaciers
empiètent souvent sur la zone des prairies, et dans les
parties où le sol est granitique, comme dans le Caucase
central, ils descendent quelquefois à 2,700 m. Les
glaciers les plus remarquables sont ceux de l’Elbrouz,
du Dikh-taou, du Passis-mta, de l’Adaï-khokh et du
Kazbek ; celui qui donne naissance au Rion descend
plus bas. Vers les extrémités de la chaîne et particu-
lièrement au S. -E., bien quon rencontre encore des pics
très élevés, il n’y a presque plus de glaciers. On ne
peut citer dans le Caucase oriental que celui du Djoulti-
dagh (Daghestan ) et celui du Chakh-dagh, qui donne
naissance au Samour.
Limite inférieure des principaux glaciers du
Caucase d'après Abich .
Ouloukham (O. de l’Elbrouz) 2,659 mètres.
Kitchinakol 2,384 —
Baksan (E. de l’Elbrouz) 2,325 —
Terskol 2,625 —
Irik 2,552 —
Ourouk-Don (E. de l’Elbrouz) 2,610 —
N. du Passis-mta 2,565 —
S. du Passis-mta 2,243 —
Psekansou 2,210 —
Adoul 2,225 —
Tcherek 2,059 —
Bissinghi 2,130 —
Tzea-don 2,004 —
Kaltchi-don 1,739 —
Tetnould (sources de l’Ingour) 1,954 —
Stépan-Tzminda (E. du Kazbek) 2,898 —
Devdoraki (N. du Kazbek) .... 2,239 2,311 —
Bogos 2,659 —
Bilinghi 2,428 —
Chakh-dagh 3,163 —
44
GUIDE AU CAUCASE
Neiges, pluies, vents, climat. — Les stations
météorologiques établies sur divers points ont permis
de mesurer approximativement la diminution d’humi-
dité qui force la limite des neiges à se relever graduelle-
ment de l’O. à l’E. de la chaîne, à mesure que les vents
pluvieux s’éloignent de la mer Noire et se rapprochent
du Caucase oriental, où dominent les vents continen-
taux. Dans le Caucase tourné vers le Pont-Euxin, il
tombe, sous forme de pluie et de neige, une quantité
d’eau près de trois fois plus considérable que dans la
partie centrale de la contrée, et six, huit, même dix
fois supérieure à celle que Ton observe dans le bassin
de la Koura et dans la péninsule d’Apchéron. L’in-
fluence des vents pluvieux de la mer Noire ne s’étend
pas au delà des monts Souram. Quant à la Caspienne,
elle ne fournit qu’une très faible quantité de pluie et de
neige aux monts orientaux de la chaîne. Il est vrai que
le vent continental du N.-E. emprunte une certaine
quantité de vapeur d’eau à la Caspienne, mais il la
dépose presque en entier sur les premiers contreforts
du Caucase, au pied des massifs élevés du Daghestan.
Quoique la grande chaleur de l’été contribue, avec
les vents secs, à relever la limite moyenne des neiges
persistantes, dans le Caucase, bien au-dessus de celle
des Pyrénées, il ne faut pas en conclure que la tempé-
rature moyenne de ces montagnes dépasse celle des
Pyrénées ou même des Alpes. Malgré sa latitude méri-
dionale, les vents froids du N.-E. non tempérés par
l’action des vents chauds du S. -O. qu’arrêtent les
plateaux de l’Asie-Mineure, abaissent la température
normale du Caucase. Le climat oscille autour d’une
même moyenne en Caucasie et en Suisse ; mais les
extrêmes s’écartent beaucoup plus dans la région ponto-
oaspienne que dans celles de l’Europe centrale.
GUIDE AU CAUCASE
45
Températures et hauteurs d'eau pluviale en Caucasie,
d'après Voyeïkov , Stebnitzky , Statkovsky.
Altitude
Température
Température
ramenée airniveau
de la mer
Eaux pluviales
Période
d'observations
(T) C3
Koufcaïs
Sotchi
147-
22 5
14°85
14 33
»
»
2m398
2 098
Années
5
3
ci 3
O <D
2 S
Poti
6
14 69
»
1 760
4
cz t
O c
c
Redout-Kaleh.
6
14 44
»
1 608
22
Ttf \
S-, l
J
Novo-Rossiisk
r Vladikawkaz.
4
678
13 44
9 03
»
14°17
0 762
0 920
2
5
Is
O c
02 !
C3
| Alaghir
701
8 05
1416
0 972
22
O \
CD '£ /
O ,
P \
, Piatigorsk. . . .
516
9 37
13 73
0 548
5
3 °
0^1
P Qj ]
C3
ZJ 1
O
02 j
O |
1 Stavropol. . . .
589 5
8 62
13 30
0 677
9
^ Derbent
»
1416
»
0 370
2
Souram
734
9 61
14 61
0 558
25
^<D
Tiflis
109
12 67
14 73
0 471
25
Bakou
18
15 30
»
0 238
10
O
2
C3 1
j Elisabethpol. . . .
458
12 89
1518
0 209
25
O 1
m
fl
Aralikh (p. l’Ararat)
833
1140
15 52
0 152
22
c3
Sh
■Lh
Chémakha
679
11 13
15 20
0 380
25
Choucha
1122
8 01
15 58
0 528
22
, Alexandropol . . .
1469
5 35
15 13
0 316
25
Au Caucase, où les journées les plus courtes sont de
9 h. 14 m., les plus longues de 15 h. 10 m. entre le
lever et le coucher du soleil, et où les aurores et les
crépuscules sont de très courte durée, la zone la
plus salubre pour l’homme est comprise entre 750 et
2,000 m. d’altitude. La hauteur d’environ 1,200 m.
ost la plus recherchée.
46
GUIDE AU CAUCASE
Le littoral de la mer Noire, sur une longueur d’en-
viron 400 kil., à la base du Caucase occidental, devien-
dra une autre Crimée, quand l’insalubrité du sol aura
disparu. Toutefois l’Abkhazie a le désavantage d’être
peu abritée, si ce n’est sur le versant méridional des
chaînons latéraux. La masse considérable d’eaux
marines, à une température moyenne élevée, qui rem-
plit les abîmes de la mer Noire au bord de la côte,
contribue puissamment à réchauffer Tatmosphère ;
jusqu’à la fin de novembre, elle maintient une tempé-
rature de 14 ou 15°, et la moyenne des mois d’hiver à
Soukhoum-Kaleli varie de 7°3 à 8°5. Les vents du
S.- O. y soufflent avec violence en automne et au prin-
temps, et portent quelquefois en Colchide la froidure
hivernale des plateaux âè l’Anatolie ; quand ils régnent,
la navigation devient très périlleuse dans ces parages,
qui manquent de bons ports de refuge. La côte d’Ab-
khazie est protégée contre les vents du N.-E., froids
courants polaires qui viennent de parcourir les steppes
de la Caspienne et de la Kouma ; mais à son extrémité
du Nord, le Caucase occidental n’est plus assez élevé
pour empêcher le passage de ce vent glacial. Le bora ,
car les marins italiens et grecs qui fréquentent la mer
Noire ont donné à ce vent le même nom qu’au fléau du
golfe dè Trieste, descend en rafales des collines qui sépa-
rent les steppes et Novo-Rossiisket bouleverse la mer.
Toute la région côtière de la mer Noire est très
humide et en même temps certaines parties du pays
souffrent souvent d’un excès de sécheresse. La tempé-
rature moyenne de Koutaïs (14°85) est d’environ un
degré et demi plus élevée qu’elle ne semblerait devoir
l’être, à en juger par le climat des villes du littoral.
Cette anomalie est causée par le vent d’E. sec, brûlant
et d’une grande impétuosité, qui souffle fréquemment
sur la vallée du Rion, flétrissant les plantes, énervant
les hommes et les animaux. De l’E. à LO. le vent
s’affaiblit peu à peu ; à Poti il n’est plus désagréable et
ne se fait plus sentir à Redout-Kaleh. Le moindre
courant d’air venu de T O. qui succède au vent d’E.
dans la vallée du Rion, annonce les nuages pluvieux
de la mer Noire.
GUIDE AU CAUCASE
47
Le bassin de TAraxe est une des contrées de la
Transcaucasie ou l’on a le plus à souffrir des extrêmes
de température. Le climat d’Erivan est encore plus
excessif que celui de Tiflis. Tandis qu’en hiver la
température peut descendre à — 30°, et même — 33°,
et qu’elle est en moyenne de — 15° pour tout le mois de
janvier, ce qui s’explique en partie par la hauteur de la
plaine, située à un millier de mètres au-dessus du
niveau de la mer, les chaleurs de l’été dépassent 40,
atteignent même 44 et 45°. Aussi les fièvres malignes
et autres maladies y sont-elles fréquentes. Heureuse-
ment que pendant les chaleurs la plaine d’Erivan est
balayée tous les soirs par un vent du N. ou du N.-N.-
0., sorte de mistral qui descend avec une extrême
véhémence des montagnes d’Alagôz.
L’ensemble des massifs volcaniques des monts
Trialeth et des terrasses montueuses qui s*élèvent à
l’G. de Tiflis, forme, en avant de l’Asie-Mineure, une
sorte de promontoire qui est pour la Kartalinie le grand
laboratoire des orages. Une autre zone d’orages et de
tempêtes de grêle s’étend à la base des montagnes
d’Elisabethpol.
HYDROGRAPHIE 1
Le régime des eaux du Caucase se rattache d’une
manière directe à celui des glaciers. Ces derniers sont
en effet, les sources premières des principales rivières,
le Kouban, le Térek et le Rion. Seule, la Koura prend
naissance dans une vallée marécageuse du district
d’Ardaglian. Toutefois, un grand nombre de ses
affluents, la Liakhva, la Ksanka, l’Aragva, la Yora et
l’Alazan descendent des glaciers.
Si les cours d’eau sont très nombreux sur les deux
versants, les lacs sont relativement très rares, surtout
dans le Caucase septentrional. Le Grand-Caucase
n’en compte que deux, le Kéli à 3,200 m. (au
S.-E. du Kazbek et à l’O. de la station deGoudaour),
1. D’après Lemosofï (Grande Encyclopédie).
48
GUIDE AU CAUCASE
qui donne naissance à la rivière Ksanka, et le lac
Forelnoé, dans le groupe de l’Andi. En Transcaucasie,
les lacs sont plus nombreux. Le plus important, le
Goktchaï (Sévanga des Arméniens), à une altitude
de 2,000 m., occupe une surface de 1,370 kil.
carrés. Les autres, à des altitudes très élevées, ceux de
Tébitskouri près Borjom, de Limasse près Donchet
(gouvernement de Tiflis) ne changent point l’état
physique du pays. La plupart nourrissent une grande
quantité de poissons ; quelques-uns comme le Topo-
rovan (gouvernement de Tiflis) et le Tchaldir (ou
Galdir), près de Kars, ont une certaine importance par
la régularité qu'ils impriment, en quelque sorte, à la
Kouraet à l’Araxe, en alimentant un certain nombre de
leurs affluents. A citer encore le Paléostom, au fond
vaseux, avec une profondeur d’environ 4 mètres, situé
près de Poti et qu’il était question d’utiliser comme
port. Un autre, l’Akh-Zibir, sur le bord de la Caspienne,
a 16 kil. de long et 2,200 m. de largeur. Quant aux
rivières du Caucase, dont plusieurs se perdent dans les
sables de la steppe avant d’atteindre la mer, un système
intelligent de canalisation ne tardera probablement pas
à les utiliser. Le Kouban et le Rion peuvent être rendus
navigables. La Koura, le Térek et l’Araxe semblent
destinés par la nature spécialement à l’irrigation. La
disposition de presque tous les autres cours d’eau permet
d’en tirer avantageusement parti comme force hydrau-
lique.
GÉOLOGIE 1
A la fin des dépôts jurassiques, de formidables
éruptions ont soulevé le Caucase et la chaîneTaurique
qui, pendant l’époque de la craie, ont formé deux
longues îles étroites. La fin de l’époque crayeuse vit
soulever les monts d’Akhaltzik avec une partie des
flancs du Caucase. Pendant l’époque tertiaire, la mer
Noire et la mer Caspienne communiquaient par un
1. D’après Dubois de Montpéreux, Élisée Reclus, Vivien de
Saint-Martin et P. Lemosofï.
GUIDE AU CAUCASE
49
long et large bras de mer resserré par l’île caucasienne
au S. et par le plateau crayeux du Don au N. Au delà
du Caucase, il ne paraît pas que la communication
existât ; seulement deux grands golfes, de Colchide et
de Géorgie, venaient se toucher par leurs extrémités,
séparés seulement par l’isthme étroit et porphyrique
qui servait de pont entre la chaîne du Caucase et celle
d’Akhaltzik. La plupart des rivières existaient déjà
dans la partie supérieure de leur cours ; l’Aragva, le
Térek, le Kouban, le Phase-Rion. Le soulèvement qui
eut lieu à la fin de l’époque quaternaire donna en gros
aux pays du Caucase la forme qu’ils ont à présent.
Dans son ensemble, la chaîne suit la même direction
que les monts de la Perse, la plupart des crêtes de
l’Asie-Mineure et tant d’autres systèmes montagneux
du continent. L’origine du Caucase se rattache donc
aux lois qui ont plissé une grande partie de la surface
de l’ancien monde. Avec une régularité dont aucune
autre chaîne n’offre d’exemple, il se prolonge au delà
de ses roches saillantes par des buttes d'argile que
vomissent des lacs souterrains cle boue toujours en
ébullition volcanique. Des deux côtés, une péninsule
basse, frémissant sous la pression des matières enfer-
mées, se continue dans la mer : à l’O. c’est la péninsule
de Taman ; à l’E. celle d’Apchéron. La première est à
peine séparée d’une autre presqu’île, celle de Kertch,
projetée par les monts de la Crimée, tandis que la
seconde se poursuit dans la Caspienne par des îlots
volcaniques, puis par un seuil immergé qui sépare
nettement les deux grandes cavités marines du N.
et du S. De part et d’autre la sonde descend à 400 m.
plus bas que sur la ligne de prolongement du Cau-
case. Sur la rive orientale de la mer, le cap auquel se
rattache le seuil sous-caspien, au N. de la péninsule
de Krasnovodsk, est le point de départ d’une chaîne de
hauteurs, montagnes, collines, simples rochers ou
rebords escarpés du plateau, qui continuent exactement
la ligne du Caucase jusqu’à la vallée de Mourghale
entre Merv et Hérat. C’est par ces hauteurs et celles
du N. de l’Afghanistan que le système du Caucase est
relié à celui de l’Hindou-Kouch.
4
50
GUIDE AU CAUCASE
Les vomitoires de boue de la péninsule de Taman
étaient jadis beaucoup plus actifs qu’aujourd’hui. Ils
sont alignés sur Taxe ou le prolongement des faîtes
parallèles delà presqu'île, et c'est sur la continuation
d'un de ces faîtes, dans le voisinage de la ville de
Temrouk, qu’un îlot volcanique jaillit en 1799; cet îlot,
qui avait environ 400 m. de circonférence et dont
la boue noirâtre s’élevait à 4m. au-dessus de la mer
d'Azoff, disparut bientôt, mais pour être remplacé en
1814 par un deuxième cône de débris qui se montra
pendant quelque temps au-dessus des flots. Les mon-
ticules boueux de la péninsule de Taman sont parmi
les plus remarquables de la terre, car ils présentent
toute la série des phénomènes entre le simple suinte-
ment des boues et les explosions volcaniques ; les
Cosaques petits-russiens ont donné à plusieurs d'entre
eux le nom de Peklo ou « enfer ». L’îlot de Temrouk,
en 1799, lança des flammes et de la fumée. A 12 kilo-
mètres au N. -O de Taman, le Koukou-Oba ou la
(( colline bleue » ouvrit son cratère pendant l’hiver de
1794 avec accompagnement de flammes et lança des
fragments de terre gelée à plus d’un kilomètre de
distance. D'autres buttes rejettent des pierres en même
temps que des boues argileuses. Les vases contiennent
aussi des algues, des racines de joncs et de plantes
aquatiques di verses; la source du volcan est évidemment
en communication avec le fond des (( limons » et le lit
de la mer ; on dit que lors des tempêtes on entend un
mugissement continu dans le puits des montagnes de
boue. Jadis des fragments de poteries grecques et
scythiques se trouvaient en très grande quantité dans
les argiles rejetées par les cratères et dans le voisinage
immédiat des monticules. Pallas se demande, pour
expliquer la présence de ces débris, si les anciens
n’avaient pas l'habitude- de jeter des vases et autres
objets en offrande aux volcans.
Les sources qui distillent le naphtedans la péninsule
et sur le versant septentrional du Caucase de l’O. sont
alignées aussi dans le même sens que les buttes d’argile
boueuse. La région de formation tertiaire, contenant
l’huile de naphte, s’étend sur un espace émergé d’au
GUIDE AU CAUCASE
51
moins 1,550 kilomètres et se continue aussi sous les
limons. Les eaux du lac de Temrouk contiennent une
légère proportion de naphte, ce qui n’empêche pas les
brochets, les perches et d’autres poissons d’y prospérer.
La presqu’île d’Apchéron,qui forme le prolongement
oriental de la chaîne du Caucase, et le littoral qui se
développe au S. jusqu’aux bouches de la Koura, sont
le théâtre d’une incessante activité volcanique ; des
jets de gaz, des eaux chaudes, des sources d’huile
minérale, des volcans de boue et même de lave, témoi-
gnent de la fermentation intérieure du sol dans toute la
région qui s’arrondit en demi-cratère autour du golfe
de Bakou. On dirait que les forces qui soulèvent le
Caucase font effort en cet endroit pour en continuer le
rempart à travers la Caspienne, et cependant il y a eu
affaissement pendant la période récente, ainsi que le
prouve l’édifice englouti dans le port de Bakou et ainsi
que le raconte la tradition d’après laquelle l’île de
Nargin aurait fait autrefois partie du continent. Depuis
le xe siècle jusqu’à nos jours, la côte de la Caspienne,
à l’extrémité orientale du Caucase, a été soumise à des
alternatives d’oscillation ; après avoir été de 18 m.
plus haute qu’aujourd’hui, elle descendit à 5 m.plus
bas, pour se relever de nouveau, puis s’abaisser encore.
La péninsule d’Apchéron tout entière et les diverses îles
qui la continuent à l’Orient sont évidemment dressées
hors des flots par la poussée intérieure, mais d’une
manière inégale, car le relief du sol porte les traces de
nombreux plissements, semblables à ceux d’une étoffe,
et provenant sans doute de pressions latérales. Des
marécages emplissent toutes les cavités du terrain-.
Quant à la pointe de la presqu’île, elle a été pour ainsi
dire taillée en faucille comme les terres sablonneuses
du delta de la Koura. L’île Sainte « Svatoï ost.rov »
appelé aussi Paralagaï, au N. de la pointe d’Apchéron,
a pris une forme analogue. Cette île et toutes celles des
environs sont de formation volcanique ; l’une d’elles,
Koumani, s’éleva du fond de l’eau en 1864; une autre,
Lozi, fit trois fois éruption en 1876 et rejeta des pierres
jusque sur le cap Alat dans le continent.
Des tremblements de terre se produisent à des inter-
52
GUIDE AU CAUCASE
valles rapprochés dans les vallées de l’Araxe et de la
Koura. En outre, des soulèvements réguliers du sol
ont eu lieu aux deux extrémités de la chaîne cauca-
sienne. Les falaises escarpées qui dominent le petit
port de Pét.rovsk, dans le Daghestan, sont marquées
de lignes horizontales qui furent taillées jadis par le
heurt continu des vagues. Sur les côtes de l'Abkhazie
les traces des mouvements de la rive sont aussi de
toute évidence ; jusqu’à la hauteur de 150 m. se
voient d’anciennes terrasses marines, plages aban-
données, semblables à celles que vient laver actuelle-
ment le flot de la mer. Les sources marécageuses, qui
suintent du sol à cette hauteur, renferment des crus-
tacés des mêmes espèces, Mysis et Gammarus , que
celles qu’on retrouve dans la mer Noir.e. Le petit lac
Abraou, près de Novo-Rossiisk contient aussi une
faune demi-marine qui s’est adaptée peu à peu à l'eau
douce. Peut-être les oscillations du sol qui ont soulevé
ces lacs ont-elles eu lieu pendant la période quater-
naire, mais des mouvements récents se sont certaine-
ment produits. Les débris de constructions que l’on
voit dans les alluvions près de Soukhoum-Kaleh, au-
dessus et au-dessous du niveau de la mer, prouvent
que, depuis l’époque historique, le sol s’est d’abord
abaissé sous le flot marin, puis qu’il émergea et qu’il
s’affaisse de nouveau. Des ruines sont aujourd’hui
couvertes de 5 à 6 m. d’eau. La mer a rejeté après
les tempêtes quelques monnaies, des anneaux et
d’autres objets antiques. Comme à Bakou, il y a donc
eu en cet endroit soit un affaissement graduel, soit un
effondrement local.
Non seulement le Caucase n’a pas de lacs semblables
à ceux des Alpes, mais il n’a même pas de ces vasques
lacustres comme on en rencontre tant dans les mon-
tagnes de la Suisse et du Tyrol. Quant aux lacs d’eau
douce qui s’étendaient au pied des monts, dans les
plaines des deux versants, ils se sont vidés depuis la
période glaciaire. Un de ces anciens lacs, contemporain
des éruptions volcaniques de la contrée, est celui que
remplacent maintenant les campagnes de Vladikaw-
kaz et d’Alaghir, dans la vallée du Térek. Un autre
GUIDE AU CAUCASE
53
lac, non moins vaste, emplissait au S. le bassin de la
Kartalinie, entre Souram et Mtzkhet, et disparut lors
de la rupture des barrages qui arrêtaient les eaux de la
Koura. Toute la vallée de l’Alazan et celle de son
tributaire, FAïritchaï, étaient également remplies d’eau,
et le lac ne put trouver une issue que par une cluse
s’ouvrant à angle droit dans les contreforts avancés du
Caucase. Toutes les vallées fluviales qui descendent
du Caucase, celles du Kouban et de ses affluents, de
même que celle de la Koura, notamment au bassin
d’Akhaltzik, servirent de réservoirs à des eaux lacus-
tres ; on peut dire pour ce pays que toutes ses rivières
sont des lacs étranglés, des fjords rétrécis. Le Petit ou
Anti-Caucase, vaste plateau montueuxou ensemble de
massifs irréguliers et dirigeant leurs axes vers des
angles divers, offre par cela même beaucoup plus de
dépressions sans issue et contraste par ses lacs avec la
chaîne ponto-caspienne.
Les cimes les plus élevées du Caucase sont grani-
tiques. Sur les deux flancs se présentent d’abord des
porphyres, puis des schistes cristallins, et enfin des
terrains sédimentaires qui en recouvrent la base et
s’allongent dans la plaine. Les granits appartiennent
aux plus anciennes formations géologiques et dominent
dans le Caucase central, surtout entre l’Elbrouz et le
Kazbek ; on les rencontre aussi à l’origine des monts
Andi, dans la partie N.-E. des monts Souram et dans
ceux de Karabagh. Les roches porphyriques sont
composées de porphyre rouge, d’amphibole et de
pyroxène noire (augite). Elles contiennent généralement
des diorites, des diallages et des serpentines ; elles sont
souvent mêlées à des roches plus modernes d’origine
volcanique. Celles-ci sont des trachytes et des dolérites
qui, dans le Petit-Caucase, affectent fréquemment la
forme d’anciennes coulées de lave, accompagnées d’ob-
sidienne et de pierre ponce. Ces roches ne forment
nulle part de grandes masses ; on les rencontre surtout
dans la petite chaîne volcanique d’Alaghôz, sur la rive
occidentale du lac Goktchaï, dans les monts Ararat et
dans la petite chaîne qui les prolonge vers l’O. Toutes
ces régions renferment en quantité des sources ther-
54
GUIDE AU CAUCASE
males. Les formations sédimentaires se composent de
grès, de schistes, de craies, de marnes, etc., appartenant
à plusieurs époques géologiques. Ainsi dans le Petit-
Caucase et surtout en Arménie, au S. de l’Araxe, on
trouve des terrains carbonifères. Les terrains crétacés
ont une grande importance dans le Caucase proprement
dit, où ils forment les deux extrémités de la grande
chaîne, la presque totalité des chaînes secondaires, et
où ils s’étendent au N. jusque dans le plateau de
Stavropol.
MINÉRALOGIE ET MINES 1
Les richesses métalliques du Caucase sont fort
variées et les gisements fort importants. En Ciscau-
casie, on trouve de la houille, du plomb argentifère; au
Daghestan, du soufre ; en Transcaucasie, du fer, du
cuivre, du manganèse, du plomb, de l’argent, du zinc,
du cobalt, de l’alun, du sel gemme, du sel Glauber, de
la houille, sans parler du naphte que l’on exploite sur
les deux côtés de l’isthme, à l’O. au Kouban et à TE.
dans la péninsule d’Apchéron.
Les exploitations minières au Caucase semblent
assurées du plus bel avenir. Jusqu’ici, les recherches
ont été très nombreuses, mais peu pratiques. Voici,
avec les moyennes approximatives de production ou de
rendement annuel, les noms des principales usines,
mines, salines, houillères, etc., qui donnent des résul-
tats: T Cuivre. Gouvernement de Tiflis : Alaverdy.
Akhtal (Société française), moyenne annuelle: 3,000
pouds cuivre ; Chamlouk, 540 p. c. Gouvernement
d’Erivan : Cicimadan. Gouvernement d’Elisabethpol:
KédabeketKalakent, 38,000,000 p. c. ; Delijane, 2,700p.
minerai , Ouzourtchaï, 3,700 p. c.; Katar, 2,000 p. c.
Galizour, 500 p. ; Lazarevsky, 800 p. c. D’autres gise -
ments de cuivre se trouvent dans le bassin du Tchorok
et en Kakhétie. — 2° Plomb argentifère. Province
1. D’après les données fournies par l’Administration des
Mines au Caucase, et les notes de M. Thiébaut.
GUIDE AU CAUCASE
55
du Térek, vallée cl’Alaghir : Sadone (mine et fonderie
appartenant à l’Etat), teneur de la galène pure: 75 %
de plomb et 2 kilos d’argent à la tonne ; Holst (à 15 kil.
de Sadone), 776 p. de minerai, 3 zolotnik d’argent et
23 livres de plomb. District de Batoum: Vaïo, près
Artvine, 100 p. minerai. — 3° Fer. Gouvernement
de Tiflis : Tchasakh a donné autrefois 900 tonnes de
fonte, avec 1,600 tonnes de minerai. L’usine n’a pas
prospéré, les propriétaires n’ayant voulu faire que la
fusion du minerai au lieu de fer dont le Caucase a
besoin. — 4° Zinc. District de Batoum : Hot, 1,000p.
minerai. — 5° Cobalt. Daghestan, et gouvernement
d’Élisabethpol : 116 p. de cobalt ; 111p. fer magné-
tique. — 6U Manganèse. Gouvernement de Koutaïs :
Tchiatoury, 4,300,000 p. minerai. — 7° Soufre.
Daghestan : Tchirkat ou Khiout, 80,000 p. minerai ;
72.000 p. soufre. — 8° Sel de Glauber. Gouver-
nement de Tiflis : 72,000 p. — 9° Houillères. Pro-
vince du Kouban : 1.300,000 p. charbon. Gouver-
nement de Koutaïs : Tkwibouly, 10,000 tonnes.
— 10° Salines. Gouvernement cl’Erivan : Koulpa.
625.000 p. sel; Nakitchévan, 300,000 p. s.; Soustine,
141.000 p. s. Province de Kars : Kaghisman, 710,000
p. s. Gouvernement de Bakou : Lacs salés, 335,000 p. s.
Daghestan : Lacs salés, 120,000 p. s. — 11° Naphte :
Province du Térek
— Daghestan . . .
— Kouban
Gouvernement de Tiflis
— d’Elisabethpol
— de Bakou ....
— id. et
90.000 p. Naphte brut,
3,900 p. — —
1,000,000 p. — —
40.000 p. — —
80/)00 p. — —
124,000,000 p. — —
40,000 p. de kir.
En dehors des grandes exploitations de Bakou, de
Kédabek et de Sadone, l’industrie minière est encore
dans l’enfance au Caucase. Les gisements, filons, nids,
couches et minéraux de toutes sortes y sont cependant
très abondants. La Direction des Mines du Caucase
reçoit annuellement près de 100 déclarations nouvelles.
Parmi les dernières on peut mentionner du graphite,
du mercure, des sables aurifères et de l’argent.
56
GUIDE AU CAUCASE
EAUX MINÉRALES 1
On désigne sous le nom générique à! eaux minérales
du Caucase l’ensemble des émanations hydro- miné-
rales qui existent en Ciscaucasie, autour du Bechtaou
(1,398m.) à Piatigorsk,Yessentouki, Kislavodsk, Jeliez-
novodsk, quoique d’autres sources importantes se ren-
contrent également dans le Caucase et la Transcaucasie ;
mais cette désignation un peu exclusive" leur a été
donnée parce qu’elles furent les premières exploitées*
puis à cause de leur nombre et de leur étonnante variété.
Ces sources ne paraissent avoir été découvertes par les
Russes que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,
mais on suppose qu’elles étaient déjà connues en 1717,
lors de la mission du médecin Schobert que le tsar
Pierre le Grand envoya à Pétrovsk et dans le Térek.
Les récits de divers savants voyageurs comme Pallas
(1793), Klaproth (1807), Dubois de Montpéreux (1834)
éveillèrent l’attention du Gouvernement russe qui créa
dans cette contrée un centre de colonisation, fit élever
la ville de Piatigorsk, devenue depuis 1830 chef-lieu,
du district, et encouragea l’exploitation de ces eaux.
Les généraux Obreskoff, Ermolofï, les princes Vo-
rontzofï et Bariatinsky contribuèrent à la formation
des établissements thermaux et au développement des
stations. M. Jules François (1874) et M. Léon Dru
(1882), chargés de missions officielles par les Gouver-
nements français et russe, ont largement ajouté à la
connaissance de ces régions.
Les sources qui composent les groupes du Nord-
Caucase sont sulfureuses sodiques, hydro-suif urées,
acidulés alcalines, bicarbonatées ferrugineuses acidulés*
chlorosulfatées sodiques et magnésiennes acidulés, avec
ou sans brome d’iode. Leur température varie de 10
à 62° c. — Le versant S. possède aussi de nombreuses
sources sulfureuses, alcalines, carbonatées, calcaires.
1. D’après Lemosofï ( Grande Encyclopédie).
GUIDE AU CAUCASE
57
ferrugineuses acidulés et des chlorosulfatées sodiques
et magnésiennes : Kobi, Tiflis, Nakalakévi, Borjom,
Abastouman, etc., etc. Dans la partie centrale delà
chaîne et au Daghestan il y a peu de vallées qui ne
renferment pas des eaux minérales. La nomenclature
dressée par le général Chodzko avec les additions
récentes, dépasse le chiffre de 600 sources diverses
présentant des analogies remarquables avec les sources
les plus célèbres de l’Europe occidentale (Vichy,
Vais, Luchon, Spa, Schwalbach, Aix-la-Chapelle,
Kissingen, Marienbad).
FAUNE 1
L’ours à collier blanc, le loup, le chacal, le lynx, le
renard, le blaireau, la martre, la fouine, l’écureuil et
le chat sauvage peuplent les forêts et les montagnes.
Quelques bisons ( dombays ) se rencontrent près de
l'Elbrouz ; leur crinière est moins fournie que celle des
bisons lithuaniens. Les sangliers se cantonnent dans
les fourrés et les roseaux au bord des rivières que
fréquentent les loutres. Les cerfs, chevreuils, lièvres se
cachent dans les halliers ; à 2,500 pieds habite le
chamois, et à 6,000 pieds, sur les pics de la Souanétie,
du Letchkoum et du Kazbek régnent le bouquetin et
le touri dont les cornes polies et montées en argent
servent de vases à boire. Les gazelles, hyènes, petites
panthères ne sont pas rares dans les plaines de la basse
Koura ; le tigre, venu des plateaux de la Perse, ne se
hasarde pas en Transcaucasie au delà du Lenkoran.
L’aigle plane sur les cimes ; le milan, la buse, l’é-
pervier, le faucop, le tiercelet, le hibou, le chat-huant
décrivent leurs courbes monotones et font la guerre
aux mulots et aux taupes. Les faisans et francolins sont
assez rares aujourd’hui. Les perdrix géantes et les
tétras nichent dans les rochers ; les coqs de bruyère se
tiennent à la limite des bois et de la région du rhodo-
1. D’après Élisée Reclus.
58
GUIDE AU CAUCASE
dendrum ; les cailles passent au mois d’août. Les
bécasses, bécassines, doubles, petites et grandes ou-
tardes, sarcelles, canards, vanneaux, oies, hérons,
cormorans s’ébattentà côté des tortues dans les marais
où grouillent les sangsues. Les mouettes et goélands
viennent annoncer souvent les tempêtes de la mer
Noire. Les sansonnets roses exterminent les sauterelles ;
les jolies corneilles bleues, rossignols, chardonnerets,
merles, rouges-gorges, tourterelles, ramiers, grives
répandent dans l’air leur douce musique.
Les sterlets, esturgeons, saumons remontent de la
Caspienne les eaux de la Koura ; les truites, carpes et
une loule de poissons ((blancs» nagent dans les rivières,
les torrents et les lacs.
La classe des reptiles est représentée par le scorpion,
les phalanges et quelques serpents plus ou moins
venimeux. Mentionnons les moustiques du Gouverne-
ment d’Erivan, gros cousins, et les puces blanches
dont les piqûres sont malfaisantes et provoquent des
accès de fièvre douloureux.
Parmi les animaux domestiques, les chevaux du
Caucase et surtout du Karabagh, ont une réputation
qu’ils méritent. Quoique en général de petite taille,
ils sont excellents, sobres, intelligents, infatigables et
d’une agilité extrême. Ils valent mieux comme bêtes de
selle que d’attelage. Dans les steppes et sur les pâturages
les moins élevés on entretient de nombreux troupeaux
de moutons à grosse queue. Les paysans les plus
pauvres ont au moins une vache ou une chèvre pour
fournir à leurs besoins. La race de bœufs del’Oukraine
a été introduite par les Tartares de la Ciscaucasie. Les
buffles et les chameaux ont le triste sort de ne servir
qu’aux plus pénibles travaux. Les ânes blancs de
Bakou et les mulets de Souanétie se vendent trois fois
plus cher que ceux de la plaine. Les chairs fumées des
porcs du Ratcha sont fort appréciées des gastronomes,
et les chapons mingréliens sont presque aussi succu-
lents que ceux de la Bresse et du Mans.
GUIDE AU CAUCASE
5£
CHASSE
Il n’y a pas de contrée offrant plus que le Caucase
un terrain propice et une telle variété de gibier à plume
et à poil. Le chasseur y trouve : ours, sanglier, loup,
hyène, chacal, renard, blaireau, lynx, chat sauvage,
martre, fouine, loutre, cerf, chevreuil, gazelle, bouquetin
( touri ), lièvre, tétras caucasica, faisan, perdrix, fran-
colin, caille, bécasse, double-bécassine, canard et tous
les gibiers d’eau.
Les plus belles enceintes de tir pour la grosse bête
sont à Karaïas (chasse de S. A. I. le grand-duc
Michel) ; Borjom (id.) ; au Kouban (chasse de S. A. I. le
grand-duc Georges Michaïlovitch) ; Zougdidi, etc., etc.
Pour le faisan et le francolin : à Chamkor, Moukhrane.
Pour le bouquetin : Tsékour (Mingrélie), la Svanétie,
Borjom, les environs du Kazbek. Pour les gazelles et
lièvres, les environs d’Elisabethpol. Pour les cailles,
presque toutes les plaines au moment du passage. Les
loups, renards, chacals se rencontrent un peu partout.
Pour le gibier d’eau, le Lenkoran, Zougdidi, le lac
Paléostome, Tsékour, etc. La Société des chasseurs
du Caucase possède des chasses gardées. On peut
facilement obtenir d’un des membres une permission
temporaire ou une invitation à une battue. Les seules
meutes sont celles de S. A. I. le grand-duc Georges
Michaïlovitch, de S. A. le prince d’Oldenbourg, de
S. A. le prince Achille Murat. Les chiens d’arrêt sont
en général des séters; les chiens courants des braques
ou des lévriers. On ne chasse presque plus au faucon
ou à l’épervier.
PÊCHE
La Koura n’a guère, dans tout son cours inférieur,
d’utilité industrielle que pour la capture du poisson
qui se multiplie prodigieusement dans ses eaux. Les
diverses pêcheries de Bank, où se ramifient les bran-
ches du delta, sont probablement les lieux de la terre
60
GUIDE AU CAUCASE
où le plus grand nombre de poissons sont capturés en
une fois : c’est par dizaines de milliers que les pêcheurs
de la Société concessionnaire tuent les poissons blancs
et les esturgeons, par centaines de milliers qu’ils exter-
minent chaque année les poissons de moindre valeur.
L’État ne retire pas moins de 410,000 roubles de la
location des pêcheries. D’après les descriptions de
Pallas, il semble que la multitude des poissons était
encore beaucoup plus considérable, il y a un siècle,
dans les eaux de la Koura : on y prenait alors 15,000 es-
turgeons en un seul jour. Quand par hasard la pêche
se trouvait interrompue pendant vingt-quatre heures,
les poissons emplissaient la rivière en une masse mou-
vante, et pourtant la Koura n’a pas, en cet endroit,
moins de 144 mètres de largeur sur 22 de profondeur.
Tout le littoral de la mer Noire est très poissonneux;
èntre Soukoum-Kaleh et Batoum, on pêche des dau-
phins, des esturgeons, des saumons, des soudaks, des
harengs, des céphales; les carpes et brochets du lac
Paléostome ont un goût vaseux désagréable. Les truites
saumonées des lacs Goktchaï, Tébitskour sont renom-
mées; les esturgeons du Rion sont énormes. Dans
presque tous les torrents on attrape de petites truites
et dans quelques ruisseaux des écrevisses et une espèce
de crabes assez délicats.
FLORE1
C’est surtout au point de vue de la flore que la chaîne
du Caucase forme une véritable muraille entre deux
mondes : au nord, la steppe plate, aride; au midi, sur
le versant le plus rapproché de la mer Noire, la végé-
tation la plus riche et la plus variée. Sous le rapport
de la végétation le versant méridional se divise en cinq
zones. La première s’étend de la plaine jusqu’à la
hauteur où l’on cesse de cultiver la vigne, c’est-à-dire
une altitude moyenne de 1,000 m. (Dans quelques
1. D’après Élisée Reclus, Vivien de Saint-Martin, Lemosoff
(Grande Encyclopédie ) et les notes du prince André Eristofï.
GUIDE AU CAUCASE
61
régions favorisées de la partie orientale et du Petit-
Caucase, la vigne qui, dit-on, est originaire de cette
contrée, réussit jusqu’à 1,100 ni.) Cette zone jouit
d’une température élevée. On y cultive tabac, coton,
riz, mûrier et les plantes tinctoriales. La seconde zone
(entre 1,000 et 1,500 m.}, caractérisée par un climat
modéré, est favorable à la culture des jardins. On y
sème froment, millet, graines oléagineuses; les noyers,
amandiers, pêchers, abricotiers y donnent des fruits
en abondance. Au-dessus de 1,500 m. s’étendent les
grandes forêts ; le climat devient frais et l’on n’y cultive
plus que l’orge, le seigle, l’avoine, le blé de mars.
Dans les forêts dominent les arbres à feuilles acicu-
laires, entremêlés de buis, érables, frênes, aulnes,
noyers et arbres fruitiers à l’état sauvage. Les grandes
forêts ne dépassent guère 2,000 m., mais on trouve
encore des arbres, surtout des pins et des bouleaux,
jusqu’à 2,700 m. Passé cette altitude, on ne rencontre
plus que bouleaux nains, saules rampants ou arbustes
particuliers à ces régions (Rhododendron Caucasicum,
Azalea Pontica ), et enfin des gazons.
En Transcaucasie, les glaciers sont entrecoupés de
petits jardins qui forment des oasis au milieu des
neiges. Dans la chaîne centrale également, l’abondance
des verdures sur de hautes altitudes frappe vivement
les touristes. Freshfield cueillit des fleurs sur l’Oukou,
glacier au N. -O. du Kochtan-taou, à 4,200 m. Radde
trouva des fleurs sur fi Elbrouz à plus de 4,000 m. Les
moraines elles-mêmes se couvrent vite de fleurs, ce
qui permet d’étudier, en même temps que la flore du
Caucase, les lois du mouvement des glaciers dans cette
région, car chaque recul ou avance d'un glacier cor-
respond à la formation ou à la disposition dun tapis
de gazon .
En Transcaucasie, les plantes s’entremêlent avec
une prodigieuse variété et se présentent sous leurs
formes les plus belles. Grâce à l’abondance des pluies
et à la protection que la haute arête du Caucase offre
aux arbres contre les vents desséchants du N.-E.,
les diverses essences forestières et cultivées montent
beaucoup plus haut sur les pentes méridionales des
62
GUIDE AU CAUCASE
montagnes qu’on ne pourrait s’y attendre, en les com-
parant à d’autres contrées ayant la même température
moyenne. En aucun pays du monde on ne trouve une
aussi grande quantité d’arbres portant des fruits à
pépins et à noyaux ; dans les forêts de la Kartalinie au
S.-O. du Kazbek se voient plusieurs espèces d’arbres
inconnues ailleurs, qui n’ont pas encore été améliorées
par la culture et dont les baies aigrelettes sont excel-
lentes.
Autant les forêts de la Mingrélie et de l'Abkhasie
sont opulentes de feuillage, autant leurs jardins, comme
ceux du Lazistan, sont riches en fleurs et en fruits
auxquels les horticulteurs de l’Occident donneraient
facilement du parfum et une saveur exquise.
Comme clôtures, de jeunes peupliers plantés très
serrés alternent avec les acacias, noisetiers, mimosas et
mûriers ; des allées de rosiers géants et de chèvrefeuilles
embaument les chemins; aux troncs mousseux des
ormeaux la vigne vagabonde s’appuie et s’enroule en
liberté, couvrant de ses verts arceaux les moissons
dorées de maïs ; sur des pelouses de gazon les arbres
fruitiers s’épanouissent et se couvrent de leurs plus
brillantes parures, offrant complaisamment leur abri
et suspendant généreusement en été, devant les fenêtres
et les balcons des habitations, leurs fruits et leurs
grappes vermeilles.
De tous les bassins des rivières du Caucase, c’est
celui du Rion qui offre le plus d’intérêt. Il est fermé
au N. par les rameaux de la grande chaîne, à l’E. et
au S. par les montagnes du Petit-Caucase et celles
d’Adjarie. Cette situation exceptionnelle, en lui assu-
rant le concours de deux principaux agents naturels,
la chaleur et l’humidité, crée des conditions très
favorables au développement de la végétation. Cette
région est naturellement d’une admirable richesse, et,
quoique le terrain ne soit pas excellent, diverses espèces
de plantes et certaines essences se développent avec
une rapidité et une fraîcheur étonnantes : Dès la pre-
mière année, les semis sont déjà des taillis, et, en cinq
ans, ce sont des forêts. Splendides! s’écrie le voyageur
en les traversant et en admirant ces arbres gigantesques
GUIDE AU CAUCASE
63
dont les cimes sont enlacées par des plantes grimpantes
et couronnées de vignes; chaque éclaircie offre un
tableau nouveau : ici un groupe de rhododendrons, de
grenadiers aux fleurs éclatantes ou un bouquet d’azalées,
hune des gloires de la flore terrestre, et un rideau de
buis, dont l’odeur pénétrante emplit l’atmosphère; là,
des noyers et des châtaigniers étalant largement leur
frondaison vernissée ; sur les collines le laurier, le
sapin, le chêne et quelques oliviers entremêlant et
étendant leurs rameaux ; plus loin un fouillis de
charmes, d’épicéas, de hêtres, d’ormes, de tilleuls,
d’érables et de frênes ; ailleurs enfin, sous la feuillée,
de petits étangs au bord desquels les aulnes, les joncs
et les roseaux encadrent les lis. Malheureusement
cette végétation luxuriante qui produit comme mau-
vaises herbes des plantes de serre chaude, trésors de
nos jardiniers d’Europe, est un grand obstacle à la
culture; mais ce n’est pas le seul ennemi que les
indigènes aient à combattre; il en est un autre plus
terrible et plus invincible : c’est l’eau. Le sol, la
plupart du temps argileux, retient l’élément humide,
et les plaines se couvrent d’immenses marais et de
bourbeux marécages. Des futaies entières restent
immergées pendant des années à la suite des grandes
pluies, des inondations et des débordements des rivières,
et sont ainsi irrévocablement perdues, leurs proprié-
taires n’ayant pas les ressources nécessaires pour faire
des drainages coûteux et le gouvernement ne pouvant
les aider. A l’intérieur comme au bord des forêts et des
bois, les arbres tombent les uns sur les autres ; quand
l’un d’eux s’est couché, entraînant avec lui quelques-uns
de ses voisins, il pourrit à moitié dans beau, et sur
son cadavre la végétation naît, grandit, se multiplie,
s’étend de tous côtés avec une incroyable puissance.
Beaucoup de grands arbres inclinés ne tiennent plus
qu’à demi au sol par leurs racines, et d’autres tiges
repoussent sur leurs troncs. On ne saurait faire cin-
quante pas sans se servir de la hache. A vrai dire, on
ne voit pas la terre; on trébuche sur des débris d’arbres
ou dans l’eau, à travers des barrières infranchissables
de lianes et de convolvulacées gigantesques.
64
GUIDE AU CAUCASE
Sous ce rapport, la différence est frappante entre le
bassin du Rion et celui de la Koura qui n’est pas
accessible aux vents chauds et humides de la mer à
cause des monts Souram qui le bornent à FO. Tandis
que le bassin du Rion est durant tout l’été un vaste
jardin riche en paysages verdoyants et boisés que
vient cependant quelquefois balayer un horrible vent
d’E. sec et suffocant, en Géorgie les magnolias blancs
supportent mal l’hiver; en Kakhétie les ceps de vigne
périssent souvent par la gelée, et les rayons ardents
du soleil y brûlent la verdure.
Par l’ensemble de sa végétation, la Transcaucasie
occidentale a plus d’analogies avec la France atlantique
•et l’Europe centrale qu’avec les régions du littoral
méditerranéen, mais, par plusieurs traits, la flore
mingrélienne semble appartenir aux deux zones à la
fois. L’indigotier croît sur les bords du Rion, à côté
du cotonnier. En Lazie se voient quelques rares
et chétifs arbustes à thé; le ramie, l’araucaria sont
aussi acclimatés dans le pays. L 'Eucalyptus ne réussit
pas en Transcaucasie. L’olivier n’a pu être introduit
définitivement sur le littoral de la Mingrélie. En 1850
les citronniers prospéraient à Poti, dans le delta du
Rion ; un hiver rigoureux les a fait presque tous périr.
Des peupliers, de forme pyramidale, et plantés de
main d’homme, dominent dans les vallées de l’Araxe ;
mais en beaucoup d’endroits de l’Arménie russe un
autre arbre étale ses branches au-dessus des cultures,
le nôlbônd, espèce d’ormeau greffé, dont le feuillage
forme une énorme sphère de verdure, absolument
imperméable aux rayons du soleil.
FORÊTS
Le Caucase possède 6,913,000 hectares de forêts,
soit 16,2 p. °/o de sa superficie totale. Le gouver-
nement de Koutaïs est le plus boisé : 46,5 p. °/° de
sa superficie ou 1 hectare 65 centiares par habitant. On
trouve dans les forêts du Caucase toutes les essences
de la zone tempérée et un grand nombre d’espèces par-
ticulières aux zones tropicales.
GUIDE AU CAUCASE
65
Mainte foret du Caucase a disparu pour faire place
aux cultures ; mais il en est plus encore que l’on a
détruites, sans les remplacer par des céréales, des
vignes ou des arbres fruitiers. Dans les districts les
plus riches en forêts, le travail de déboisement s’est
fait de la façon la plus barbare. Four ne pas se donner
la peine d’abattre les arbres à coups de hache, et peut-
être aussi, comme le veut la tradition, pour assainir le
climat local, on attaque le bois par le feu ; quand les
bestiaux manquent de foin, on détruit les arbres pour
nourrir les animaux avec les feuilles et les bourgeons
du branchage. Telle région, récemment couverte d’im-
pénétrables fourrés n’ofïre plus que la terre laide et
nue. Même sur les pentes des montagnes les forêts
diminuent rapidement. De fréquents incendies allumés
par l'imprudence des bergers ou des bûcherons con-
tribuent, avec le déboisement irrationnel, à modifier
singulièrement l’action des eaux, des pluies, des vents
et le climat général.
Dans les forêts riveraines de la mer Noire, la rou-
lure, la gerçure , la pourriture au cœur sont fréquentes
et quelquefois tellement prononcées et multipliées dans
un même arbre qu’il est impossible d’en tirer parti. En
outre, le châtaignier, le noyer et le chêne ont un en-
nemi terrible, le limexylon , coléoptère de couleur brune
ayant 2 à 3 millimètres de long et une grosse tête
armée de deux mandibules. Son apparition a lieu entre
avril et juillet. C’est par millions que l’insecte se pré-
cipite le soir sur les bois tendres abattus qui lui servent
de nourriture et de nid. Il dépose ses larves dans l’é-
corce et l’aubier ; puis le ver éclos pénètre dans le bois
et le coeur. L’animal est tellement répandu au Caucase
qu’il est rare qu’un bois en grume soit exempt de ses
attaques. Des chênes sans écorce, transportés en France
pendant l’hiver emportent donc fatalement avec eux
les larves qui se développent à la saison chaude. Du
reste, il est reconnu que les bois venant du Caucase
sont peu (( marchands ». Le chêne a la fibre grosse,
ordinairement gorgée d’eau, ce qui permet un fendage
facile, mais il travaille trop et il est vite atteint par la
pourriture sèche et humide. Quand on équarrit des
5
66
GUIDE AU CAUCASE
pièces de chêne on observe souvent la cadranure, la
gélivure, le cœur rouge et échauffé , vices très graves
que n’admet pas l’exportation. On utilise le chêne pour
parquets, portes, etc. Le frêne est admirablement
veiné, il ne s’emploie que pour la construction. Le
hêtre sert comme bois de chauffage et accidentellement
pour bâtisses. Le châtaignier est de bonne qualité ; le
tilleul, le poirier et le pommier sauvages s’emploient
pour meubles, l’orme seulement comme bois de cons-
truction ; l’aulne est véreux; le sapin est de bonne
venue et donne des poutres et des planches assez
belles, mais il joue énormément. Le charme ne fournit
que du bois de chauffage. Le buis est d’assez bonne
qualité et s’expédie en Angleterre pour faire des navettes
et des poulies. L’if est bien veiné, mais assez rare et
peu employé, les indigènes ne connaissent pas sa va-
leur pour la carrosserie ; on l’exporte fort peu. Les
loupes de noyer sont devenues presque introuvables au
Caucase. Quoique l’Etat perçoive comme droit de sor-
tie 10k. en or par poud, soit 17 k. papier, l’exportation
du bois de noyer est lucrative ; on en a expédié
250,000 pouds en 1888 provenant de la Kakhétie et du
gouvernement de Koutaïs.
Les seules forêts exploitées et donnant des résultats
sérieux sont celles de la vallée d’Aténi près Gori,
d’Adjameth près Rion, de Borjom près Michaïloff.
Toutes les autres exploitations dans l’intérieur du pays
ou riveraines de la mer Noire ont été désastreuses ou
décevantes ; la plupart des exploitants ne connaissant
pas les mœurs, les lois, se heurtant constamment à
l’absence du cadastre, de titres en règle de propriété, ont
été assaillis de procès, décimés par les fièvres, arrêtés
par les difficultés de transport et désillusionnés fina-
lement sur la valeur réelle des bois qu’ils abattaient1.
1. Forêts du Caucase appartenant à l’État — C’est en 1841,
que le gouvernement russe a créé pour le Caucase entier une
administration forestière spéciale. L’arpentage a eu lieu en 1849;
en 1857, on constata d’abord que les forêts appartenant à l’Etat
occupaient 2,182,514 déciatines (une déciatine =2,400 sagônes
carrées; 109,250 ares, 1,092 hectares); ce chiffre doit être
aujourd’hui environ 4,800,000 (en Ciscaucasie : 1,600,000; en
Transcaucasie : 2,600,000), représentant à peu près 600,000 r.
de revenu, et 250,000 de dépenses.
GUIDE AU CAUCASE
67
ANTHROPOLOGIE ET ARCHÉOLOGIE
Dans leur ensemble les Caucasiens sont brachycé-
phales ; leur indice céphalique moyen s’élève à 85,85.
Les extrêmes sont : 91 chez les Lazes, 83 chez les Gou-
riens. En ce qui concerne la couleur des yeux et des
cheveux, on y constate pour ceux-ci une proportion
d’environ 50 p. °/o châtains ; 33 p. % noirs ; 11 p. %
blonds. Les yeux sont généralement noirs ou d’un brun
foncé; on en trouve pourtant un certain nombre de
bleus et de gris bleuâtre.
L’impossibilité de faire concorder les connaissances
actuelles avec les diverses notions historiques, géogra-
phiques fournies sur le Caucase et ses habitants par
les anciens écrivains, le doute qui plane encore sur
toutes les populations plus ou moins aborigènes de
cette contrée, le dédale des langues et des dialectes, et
surtout l’absence de nombreuses et sérieuses obser-
vations anthropologiques rendent fort difficiles et ha-
sardeuses toute chronologie, attribution, classification
dans les découvertes archéologiques du Caucase.
Indispensable pour retrouver les types primitifs des
habitants d’une contrée, suivre leur filiation et constater
leurs mélanges, l’anthropologie n’est pas, croyons-nous,
absolument nécessaire pour apprécier les progrès et les
décadences d’une civilisation, lorsque les découvertes
sont, par elles-mêmes, assez éloquentes pour attester
le degré de culture d’un peuple, quel que soit son nom,
plus ou moins discutable d’ailleurs, et qu’il soit bra-
chycéphale, dolichocéphale, macrocéphale ou non.
Nous sommes loin de vouloir résoudre ici la question
si grave de l’origine de l’art de la métallurgie au Cau-
case; mais le problème semblerait déjà avoir fait un
grand pas, si l’on pouvait tomber d’accord sur la simi-
litude de culture et de main-d’œuvre qu’on observe
dans tous les objets provenant de toutes les régions de
l’isthme caucasien. C’est le point sur lequel nous
insisterons et qu’il nous paraît difficile de ne pas ad-
mettre. En effet, quelques différences signalées dans
les détails ne s’écartent pas sensiblement d’une forme
68
GUIDE AU CAUCASE
primitive générale et d’un petit nombre de modèles
plus ou moins semblables, généraux ou caractéris-
tiques, dont on a attribué la paternité particulièrement
à certains cimetières ou nécropoles du Caucase; pater-
nité que nous n’avons pu reconnaître, et que les civili-
sations des plateaux de l’Iran, celles de l’Egypte, de
l’Assyrie et de la Grèce pourraient, peut-être, avec
quelque raison réclamer.
La division systématique de la vie primitive de
l’homme aux différentes époques, en général admise à
l’égard du N. et de l’O. de l’Europe, ne peut-être en-
tièrement appliquée au Caucase. L’étude des antiquités
de l’isthme caucasien ne date que d’hier, mais les ré-
sultats déjà acquis prouvent suffisamment que le
développement de la culture s’est opéré dans des con-
ditions tout autres qu’en France et en Allemagne par
exemple ; et par conséquent pour en mesurer les pro-
grès successifs, il faut supposer différentes étapes, qu’en
l’ absence de documents suffisants on ne peut cependant
pas adopter encore avec certitude.
Ni dans les recherches géologo-paléontologiques, ni
dans les travaux archéologiques du Caucase, on ne
trouve tous les matériaux nécessaires pour la classifi-
cation des époques de l’âge de pierre et des cultures
postérieures, comme elles se sont succédé en Europe.
Mais tout ce qui a été réuni jusqu’à ce jour par l’an-
thropologie, la linguistique et l’ethnologie a assez
ébranlé la réputation séculaire du Caucase d’avoir été
le berceau ou la patrie commune primitive de l’huma-
nité.
L’existence d’une période glaciaire n’est admise
que depuis peu de temps, mais on n’a pu encore déter-
miner les limites jusque auxquelles avait pu s’étendre
la couche de glace. Les quelques rares trouvailles
faites dans la haute vallée de l’Euphrate font croire
que l’homme quaternaire habitait les abords O. du
plateau arménien, seul endroit du pays libre de glace
à cette époque. La période de la pierre polie semble
n’avoir duré que peu de temps dans' la contrée ; elle fut
bientôt remplacée par celle du bronze et du fer.
Dans le Caucase septentrional on a constaté la pré-
GUIDE AU CAUCASE
69
sence d’une grande quantité de débris de mammouths;
en Transcaucasie, on a trouvé dans le gouvernement
d’Elisabethpol, à Kazak et au confluent du Kram et
de la Koura des restes d ’elephas antiquus et d ’hippo-
potamus major; mais nulle part un vestige de l’homme
contemporain du mammouth ni une trace de vie
humaine. Ces débris proviennent d’endroits près des-
quels il n’y a ni grottes ni cavernes, et on n’en
connaît au Caucase aucune dont l’étude ait pu éclairer
la vie primitive et préhistorique.
Quoi qu’il en soit, les résultats des recherches ne sont
pas encore suffisants pour qu’on puisse absolument
nier l’existence au Caucase de toute trace de l’homme
à l’époque paléolithique. Presque tous les objets en
pierre trouvés en Ciscaucasie sont attribués à l’époque
néolithique. Ce sont des marteaux taillés, percés quel-
quefois d’un trou, et qu’on rencontre dans les tombeaux
mêlés à des objets de bronze et de fer. On ne cite
qu’une seule découverte d’une hache en pierre, dans
un tombeau de pierre brute, avec quelques instruments
en os, sans bronzes, mais avec des vases d argile, qui
sont d’un travail trop fini pour qu’ils soient très anciens
et qui laissent même croire qu’ils ont pu être façonnés
avec des outils métalliques. Les objets en pierre trou-
vés en Transcaucasie sont en général peu travaillés :
ce sont surtout des couteaux, racloirs, pointes de flèches
en obsidienne qui accompagnent le plus souvent le
fer et le bronze.
Un intérêt spécial s’attache aux marteaux de pierre
de très grandes dimensions, en porphyre vert ou pyroxé-
nique, labradorite, serpentine ou en roche dioritique,
ayant un collier d’attache et recueillis dans les mines
de sel de Koulpa et de Nakitchévan ; leur antiquité
est des plus contestées. Car s’il est vrai que les salines
ont dû attirer l’attention de l’homme primitif, on de-
vrait admettre la même hypothèse à propros des mines
de métaux- dont le Caucase est si riche. Or, la question
de savoir si oui ou non l’homme, au Caucase, a, dès
les temps reculés, inventé ou connu la métallurgie,
trouve des partisans et des adversaires parmi les savants,
qui s’appuient les uns et les autres sur les résultats des-
70
GUIDE AU CAUCASE
fouilles des tombeaux dont nous allons essayer de
résumer l’ensemble.
Pendant ces dernières années, des recherches plus
ou moins régulières ont été faites au N. du Caucase
dans le territoire de la Kabarda ; en Ossétie, dans les
vallées centrales de la chaîne du Caucase, celles du
Darial et d’ Alaghir ; au Daghestan près de Derbent ; en
Transcaucasie à l’O. des monts Souram ; en Géorgie,
et enfin dans la partie adjacente de l’ancienne Arménie
dans les vallées d’Akstafa, de la Débéda et récemment
à Akthala.
En Kabardie, les tombeaux ne datent que de l’époque
du paganisme et du commencement de Père chrétienne ;
ceux des environs de Vladikawkaz du XIVe siècle.
Dans la vallée du Darial, près de Tchmy, des cata-
combes ont mis au jour des objets en or, argent, fer,
bronze, des pierres dures gravées et des poteries en
argile noire. A Stépan-Zminda (Kazbek) on a fait de
riches collections de figurines en bronze, d’armes,
pointes de flèches en fer, pendeloques, représentations
d’animaux, fibules, bracelets, grains de colliers, bijoux
en or, etc. En Digorie, à Koban se rencontrent des
fibules, des bracelets en spirale, de grandes plaques
de ceintures de bronze émaillé, des poignards, des
épingles à cheveux et surtout des haches courbées, gra-
vées, d’un joli travail et présentant un type caractéristi-
que, mêléà à des pointes de fer. Au Daghestan, les tombes
sont assez curieuses comme construction, mais ne ren-
fermaient presque que des ossements. On en a rapporté
cependant quelques bronzes fort intéressants. En Gou-
rie, au Transcaucase, on a trouvé des haches pareilles
à celles de Koban (Ossétie); à Samthravo (Mtzkhet)
plusieurs étages superposés appartiennent à des épo-
ques différentes (âge de bronze, de fer et tombes plus ré-
centes). Dans la vallée de la Débéda et à Akthala les
bronzes se distinguent par leurs formes et leurs ressem-
blances avec ceux de l'Assyrie. Enfin à Redkine
(vallée de l’Akstafa) on amis au jour des nécropoles
certainement fort anciennes, contenant un mobilier
funéraire très varié et peu de fer.
Dans aucun cimetière du Caucase, on n’a pu recon-
GUIDE AU CAUCASE
71
naître les preuves caractéristiques de l’âge de bronze,
c’est-à-dire la présence de ce métal mêlé à la pierre
polie et à l’os. On admet généralement que les nécro-
poles les plus anciennes sont celles de Koban, Sam-
thavro (étage inférieur), Redkine, Stépan-Zminda,
Akthala (Ve ou VL siècle av. J.-C.)1.
La culture métallique du Caucase est-elle née dans
le pays ou bien y a-t-elle été introduite, et, dans ce
dernier cas, d’où est-elle venue et d’où s’est-elle pro-
pagée? Cette question est des plus discutées : les opi-
nions sont complètement différentes et nous ne pouvons
les exposer toutes ici. Nous renvoyons le lecteur aux
ouvrages deM. le comte Ouvaroff, de Virkhow, Smir-
noff, Bayera, de Morgan, Dolbescheff.
Sans doute le travail des métaux remonte à des
époques bien reculées, mais faut-il attribuer au Cau-
case l’honneur de la découverte du bronze lorsqu’on
n’y commit pas même une seule mine d’étain? Est-ce
en Egypte, en Assyrie, dans l’Inde ou dans l’ Asie-
Centrale qu’il faut chercher l’origine du précieux
alliage? Nous inclinons à le croire. L’analyse des
bronzes caucasiens accuse 10 à 12 p. % d’étain avec
quelquefois des traces de plomb. Il est probable que le
bronze était importé au Caucase en lingots ou en ou-
vrages fabriqués. On peut difficilement admettre que,
dans des temps si lointains.il pût y avoir un commerce
de métaux purs. A Koban, Samthavro, Redkine,
Akthala y a-t-il un seul objet de cuivre pur, dont il
existe cependant des mines dans les montagnes voisines ?
Y a-t-il des séries de moules variés qui auraient servi
à couler les différents bronzes et qui auraient pu ou dû
être enfouis comme l’ont été les pierres à aiguiser ? Si
la culture s’est propagée du Caucase et n’y a pas été
introduite, comment, en dehors d’un seul type plus ou
moins original de hache, n’y voit-on pas les instru-
1. Parmi les collections d’antiquités caucasiennes les plus
riches, nous citerons celles du musée de TifLis, du comte
Ouvaroff, du général Komaroff, du comte Bobrinsky, du
musée de Lyon, du musée d’ethnographie du Trocadéro, du
musée de Saint-Germain, de S. A. I. le grand-duc Georges
Michaïlovitch.
72
GUIDE AU CAUCASE
ments en bronze caractéristiques de l’Europe occi-
dentale et de la Sibérie orientale? Serait-ce le Caucase
qui aurait inventé les grandes fibules arquées artis-
tement travaillées et non l’Asie-Mineure? De ce que
l’abondance des parures en spirale fait rapprocher la
culture du Caucase de celle correspondante d’Europe,
s’ensuit-il que cet ornement ait une origine cauca-
sienne? Si on l’admet, pourquoi trouve-t-on au N.
ces parures sans les fibules et à l’O. sans la hache
caucasienne? Est-ce que des ornements et des parures
de bronze en spirale ne se trouvent pas aussi à Hissarlik
et à Mycènes qui sont, dit-on, d’époque antérieure à
Koban ?
Autant les bronzes caucasiens ont leurs traits com-
muns avec ceux de l’Asie-Mineure et de la Grèce, autant
les poteries sont différentes : à Chypre, à Rhodes, à
Mycènes on voit les premiers germes des formes clas-
siques et des peintures qui décoreront plus tard les
vases ; au Caucase, au contraire, rien de pareil ; et c’est
cette infériorité dans l’ornementation de la céramique
qui empêche de croire que Koban, par exemple, soit
contemporain de Mycènes. La culture qui a pénétré au
Caucase fut et resta rude, et Mycènes a subi la salutaire
influence de l’Egypte.
Les représentations d’oiseaux et d’animaux semblent
particulières au Caucase. Nulle part en Europe occi-
dentale il n’y a des types pareils en si grand nombre.
Ils sont évidemment locaux. Parmi eux, il y en a un
fantastique : on l’admet pour un léopard, quoique les
pieds ressemblent un peu à ceux du cheval. Il est gravé
sur les haches, les plaques de ceintures, mais ne se
rencontre jamais sous forme de statuette. Il avait peut-
être une signification symbolique. On a cru reconnaître
sur ces objets une influence assyrienne; mais alors on
devrait retrouver les sujets familiers aux Assyriens : le
lion et le sphinx ailé, au lieu de moutons et d’oiseaux
qui sont fort rares sur leurs monuments. Le seul point
de ressemblance, c’est une tendance commune à em-
ployer la faune comme ornementation, tendance signa-
lée aussi au N. dans les découvertes de Perm. Sous
ce rapport la Sibérie, le Caucase et l’Assyrie se pré-
GUIDE AU CAUCASE
73
sentent en parallèle clans une meme culture qui s’est
ramifiée.
On pourrait admettre, croyons-nous, F Asie-Centrale
comme point de départ ou foyer principal d’un grand
mouvement de culture dans différentes directions, et la
formation de divers foyers secondaires devenus à leur
tour de nouveaux centres rayonnants. Il a dû y avoir
deux courants civilisateurs : l’un venant de FAltaï et
ougro-finnois, a pénétré en Russie, mais n’a pas atteint
la Scandinavie et n’a pas touché le Caucase, où cepen-
dant on pourrait constater quelques analogies avec les
produits de cette industrie métallurgique et de cet art
dont il ne profita pas; l’autre, passant au S. de la mer
Caspienne, a mis en mouvement les peuples sémitiques
et aryens de l’Asie -Mineure, et par divers chemins est
parvenu à la Méditerranée et par suite à l’Europe.
Quoique les squelettes trouvés à Koban soient en
grande partie dans un état de destruction presque
complète et que les crânes intacts soient en fort petit
nombre, on peut croire que le type prédominant était
dolichocéphale, de même qu’aux nécropoles de Sam-
thavro et Redkine. Ce type se distingue essentiellement
du type brachycéphale de la population actuelle. Ce-
pendant, il est possible que le mélange d’éléments
brachycéphales ait commencé déjà à des époques recu-
lées, comme l’atteste la découverte d un assez grand
nombre de crânes brachycéphales à Koban et à Sam-
thavro ; mais ces éléments ne prouvent pas le mélange
avec les Touraniens, car, malgré leur bracliycéphalie,
ils n’ont pas les autres caractères de la race touranienne.
Les crânes de Koban, Samthavro et Redkine sont de
type aryen.
C’est donc au courant aryen qu’il faudrait attribuer
la culture antéhistorique du Caucase, mais il est diffi-
cile de doter le Caucase d’un titre quelconque parmi
les rôles de civilisateurs que d’autres pays peuvent
réclamer justement. La culture y fut monotone, pres-
que uniforme, sédentaire, locale, et ne participa pas au
grand courant qui, en s’écoulant lui avait jeté quelques
épaves. Depuis les temps historiques, accepter toujours,
imiter, s’assimiler en déguisant les emprunts, faire.
74
GUJDE AU CAUCASE
concorder avec le climat ses mœurs, ses habitudes, ses
goûts et tout ce qui répondait à des besoins momen-
tanés, subir toutes les influences étrangères, faire pis
et rarement mieux, telle a été la fortune du Caucase
au point de vue de l’art; et il serait vraiment étrange
qu’à des époques préhistoriques il se soit produit un
miracle au profit de cette contrée, miracle dont l’anti -
quité, le moyen âge et les temps modernes eussent
retrouvé quelque preuve certaine, ou gardé du moins
souvenance. Ce qu’a pu faire et ce qu’a fait le Caucase,
le voici : Au point de vue physique, la nature n’y pré-
sentait pas en général les commodités nécessaires pour
que l’homme primitif s’y soit fixé, et pour que les ca-
vernes et les grottes qui n’ont pu encore attester sa
présence, lui aient offert un refuge suffisant. Mais, au
moment où un flot humain inondait les plaines ouvertes
au N. et au S. de la chaîne, et à travers lesquelles l’in-
vasion des peuples de l’Asie passait, des fuyards, qui
ont fait souche depuis et formé des nationalités, mais
qui alors n’avaient même pas de nom, ont été refoulés
dans les montagnes, s’y sont réfugiés et s’y sont fixés.
Dans cette déroute qui eut lieu peut-être vers l’époque
de l’âge de fer de l’Europe occidentale, quelques
modèles de bronze furent sauvés et copiés par les
plus habiles, et ceux-ci essayèrent de retrouver dans de
nouveaux foyers les minerais et les alliages nécessaires
à la résurrection d’un art, qui avait été, et peut-être par
eux-mêmes, pratiqué ailleurs. Les mines du Caucase
furent mises à contribution : on n’y trouva pas l’étain ;
on le fit venir, et on alla chercher probablement au loin
le bronze en lingots pour simplifier la fabrication ; le
fer ne fut que peu employé.
Par le S., par la mer Noire, par la Scythie, les in-
vasions se multiplièrent. Que de cultes s’inaugurèrent!
Que de langues et de cultures s’introduisirent, se heur-
tèrent, se succédèrent, se fondirent peu à peu sans se
perfectionner ! Les siècles s’écoulèrent, amenant quel-
ques progrès ou des décadences, et ce furent les colonies
grecques, en s’établissant le long du Pont-Euxin, qui
sauvèrent le Caucase de sa barbarie, et lui apportèrent
généreusement, avec leur civilisation et leurs produits,
GUIDE AU CAUCASE 7 5
les idées d’art, de religion, d’industrie et de commerce,
auxquelles, en dépit de toutes les vicissitudes, il est
resté depuis presque toujours fidèle.
ETHNOGRAPHIE ET ETHNOLOGIE
On a longtemps considéré le Caucase comme le
berceau de la race européenne. Cette théorie parait
abandonnée depuis que les sciences anthropologique et
ethnologique ont prouvé l’origine commune, mais étran-
gère, des populations actuelles du Caucase. Klaproth
fut un des premiers qui s’éleva contre la désignation
qu’on attribuait aux peuples caucasiens en leur appli-
quant le terme de race caucasienne . D’après le baron
Ùslar, (( le Caucase n’a jamais été le lieu de passage
d’un peuple en migration, mais le refuge de popula-
tions opprimées dans les plaines voisines. Ces peuples
paraissent en effet être les débris de peuples préhisto-
riques ayant appartenu à une même race, et qui sem-
bleraient avoir disparu partout ailleurs qu’au Caucase.
Quant à la diversité si grande qu’on observe chez les
peuples caucasiens, elle doit être attribuée aux croise-
ments qui ont dû s’opérer à diverses époques entre les
premiers occupants et-des émigrés nouveaux venus,
appartenant aux trois grands groupes humains, sé-
mite, indo-européen et mongol, qui ont encore des
représentants sur divers points de la chaîne. »
M. Maxime Petit, dans un article de la Grande
Encyclopédie (Arménie) dit : (( Lorsque les premières
tribus aryennes venues du plateau de Pamir se furent
établies soit dans la vallée du Sind, soit sur le plaieau
de l’Iran, les émigrants qui vinrent ensuite ne trou-
vèrent plus d’autre route ouverte que celle de l’O. ; ils
se heurtèrent contre la chaîne du Caucase, et quelques-
uns d’entre eux, tige des Arméniens, occupèrent les
plaines ou les vallées que laissent entre eux les ra-
meaux et les contreforts du Caucase et du Taurus. Du
côté du Tigre et de l’Euphrate, il y avait déjà des
peuples sémitiques venus par la Mésopotamie armé-
nienne ; du côté du lac de Van ou dans les plaines de
76
GUIDE AU CAUCASE
l'Ararat se trouvaient des hommes dont les Géorgiens
sont les représentants actuels. Les premiers établisse-
ments arméno-aryens se firent sans doute vers le cours
moyen du Tigre et de l’Euphrate, parmi les peuplades
sémites naturellement moins belliqueuses que celles
qui se trouvaient dans la vallée de l’Araxe. Plus tard,
les Arméniens s’établirent dans la plaine de l’Ararat,
comme le souvenir s’en est conservé dans la légende
nationale, mais pendant longtemps ils ne purent faire
de ce côté aucun progrès ; ce n’est qu’à la suite des
grandes invasions du moyen âge que les Géorgiens se
retirèrent derrière l’Araxe, et que les gens de l’Oudi
disparurent comme les Albanais ou Aglovans. ))
Les trouvailles archéologiques faites en Transcauca-
sie par M. de Morgan dans les nécropoles de Cheithan-
thag, d’Akhtala, de Moucy-iéri, et aux environs de
Van et de Diarkébir ont une analogie frappante avec
les objets retrouvés en Ossétie, en Géorgie et un peu
avec ceux de l’Assyrie. Ce fait indiquerait que les
populations géorgiennes et sémitiques étaient peut-être
les premiers occupants post-quaternaires du sol armé-
nien.
Malgré les divergences considérables qu’on observe
chez les peuples caucasiens, divergences qui se mani-
festent surtout dans leurs langues et dans certaines
pratiques extérieures, ces populations conservent divers
traits caractéristiques communs, qui les placent en
quelque sorte au-dessus des autres peuples du conti-
nent asiatique. Tous les voyageurs sont presque una-
nimes à louer la beauté physique, l’énergie, les habi-
tudes chevaleresques et l’élégance de ces braves
peuplades. Les Russes eux-mêmes conservent pour
ces populations soumises certains égards, tant pour la
vaillance qu’ils ont montrée en se défendant que pour
la beauté des régions au milieu desquelles ils eurent à
lutter. Certains épisodes de guerre ressuscités par les
écrivains et poètes russes 1 sont loin d’être au désa-
1. Pouchkine a chanté les paysages des montagnes circas-
siennes ; Lermontoff a raconté surtout les traditions et les mœurs
des habitants, et a placé dans le Caucase la scène de son
roman : Le Héros de notre temps .
GUIDE AU CAUCASE
77
vantage des peuples vaincus. Néanmoins, la diversité
des races qui peuplent actuellement le Caucase et la
variété des éléments ne permettent pas de traiter de
l’ethnographie de ce pays sous un point de vue
unique; on est obligé d’établir un certain groupement
entre les diverses classes d’individus dont se compose
à présent la population de ce beau pays.
Géographiquement, le S. est habité par les des-
cendants des anciens Ivères : ce sont les Géorgiens
ou Grousiens dans la vallée de la Koura; les Min-
grèliens dans celle du Rion et del’Ingour; les Imè-
rèthiens sur le cours moyen du Rion ; les Gouriens,
au S. du Rion; les Radchviliens , les Svanes dans les
hautes vallées de la Tskénis-tskali et du Rion ; les
Khevsours , Pchaves, Touches , près des sources de
l’Iora et de l’Alazan; les Adjures , les Lazes dans les
vallées du Tchorok et de l’Adjarie. La partie N. -O.
au bord de la mer Noire était habitée par les Tcherkess
ou Circassiens . Depuis 1864, date de leur émigration,
il n’y a que la principale tribu, les Kabardiens, qui
soit restée sur le versant N. de la montagne jusqu’à la
Kouban et au Térek.
La partie moyenne de la chaîne, de chaque côté de
la route militaire de Géorgie, est occupée par les
Ossètes, peuplade à part, d’origine aryenne. La rami-
fication orientale est peuplée par deux groupes prin-
cipaux, les Tchétchènes et les Daghestanais . Les
premiers se donnent le nom de Naktchaï et sont sur
le versant N. jusqu’au Térek, mais en deux parties
séparées par une forte colonie russe; ils sont divisés
en plusieurs tribus. Les Daghestanais ont aussi été
divisés en une foule de tribus localisées dans les vallées
ou les villages, et dont les langues sont inintelligibles
pour les tribus voisines. Les plus importantes sont :
les Avares, entre Batlich et Témir-Khan-Choura; ceux
du Sud sont encore désignés, comme dans l’antiquité,
sous le nom de Lesghiens . Les Russes, les Arméniens,
les Tartares, les Persans, ont immigré partout au
Caucase et au Transcaucase.
Ethnologiquement, nous adopterons la classification
donnée par MM. Zazoursky et Seidlitz, et nous consa-
78
GUIDE AU CAUCASE
crerons aux Géorgiens, aux Arméniens et aux mon-
tagnards du Caucase des articles spéciaux.
CLASSIFICATION ETHNOLOGIQUE DES PEUPLES
DU CAUCASE1
En général, la partie centrale du Caucase et la partie
occidentale du Transcaucase sont occupées par des
groupes de nationalités dont la parenté avec d’autres
peuples du monde n’a pas encore été trouvée. Ces
groupes sont : celui des Kartvels ou Ivères, celui des
montagnards occidentaux, et celui des montagnards
orientaux. On peut les appeler « essentiellement cau-
casiens », parce qu’on les rencontre uniquement au
Caucase2. Ils appartiennent à la race blanche; mais
comme leurs langues ne présentent aucune parenté
avec celles des autres peuples de la même race, le savant
Frédéric Miller les appelle « peuples isolés. » Les
groupes « essentiellement caucasiens » sont entourés au
N., à TE. et au S. par des peuples de la race blanche
et de la race mongole. Plus tard sont arrivés les Russes;
avec eux et après eux est venue une partie insignifiante
des peuples qui habitent aujourd’hui PEurope. Vo ci
comment peuvent être classés les peuples habitant] le
Caucase :
1. La classification des peuples du Caucase proposée dans
ce chapitre est basée principalement sur les langues qui indi-
quent les origines ethniques des peuples en question. Mais
comme toutes les langues caucasiennes n’ont pas encore été
suffisamment étudiées, une classification exacte de ces peuples
est impossible. Les données statistiques qu’on trouvera ici ont
été puisées dans les ouvrages de M. N. C. Seidlitz, Tableau
des populations du Caucase d'après les races, t. YII du
Recueil de renseignements sur le Caucase. Toutefois, après
la publication de ces nomenclatures, quelques change-
ments ont eu lieu dans la classification de ces populations;
les travaux récents ont fourni des chiffres plus ou moins diffé-
rents de ceux qui avaient été donnés précédemment, et les
statistiques complètes ne sont pas encore terminées. Par
conséquent les chiffres que nous donnons ici ne doivent être
considérés que comme approximatifs.
2. Une partie très peu importante des représentas de ces
peuples se trouve dans la Turquie d’Asie .
GUIDE AU CAUCASE
79
A. — RACE BLANCHE
I. Famille indo-européenne (aryenne)
1) RACE SLAVE
a) Les Russes , formant la plus grande majorité des
populations du Caucase septentrional, occupent prin-
cipalement la province du Kouban (1,087,000), le
gouvernement cle Stavropol (500,000), et représentent
presque un tiers des habitants de la province du
Térek (222,000) Au Transcaucase , dans les villes,
villages où la population russe domine, dans les can-
tonnements militaires, les colonies, elle atteint le chiffre
de 115,000. Le nombre total des Russes, dans tout le
pays, peut être évalué à 1,925,000 âmes.
b) Quelques milliers de Polonais sont dispersés et
ne forment nulle part des colonies séparées.
c) Les Tchèques , peu nombreux, ont commencé à
se fixer au Caucase depuis peu de temps. Ils ont
quelques villages dans l’arrondissement de la mer
Noire.
Le nombre des représentants des autres nationalités
de race slave est si minime qu’il est inutile d’en parler.
2) RACE LITHUANIENNE
Elle est représentée par les Lithuaniens peu nom-
breux.
3) RACE GERMANIQUE
A cette race appartiennent presque uniquement des
Allemands (21.000) dont les colonies sont répandues
dans le Caucase septentrional et le Transcaucase.
4) RACE ROMANE
Moldaves (Roumains),, Français et Italiens. Dans
l’arrondissement de la mer Noire, un millier d’émigrés
moldaves.
5) RACE PÉLASGIQUE
Les Grecs (47,000) forment des colonies dans le
gouvernement de Tiflis et l’arrondissement de la mer
Noire. Ils habitent aussi le Caucase septentrional
80
GUIDE AU CAUCASE
(province du Kouban, gouvernement de Stavropol).
Le plus grand nombre d’entre eux se trouvent dans la
province de Kars (23,000).
6) RACE IRANIENNE
a) Les Ossètes, serrés entre les trois groupes des
(( peuples caucasiens proprement dits » (montagnards
de PE., de PO. et Kartvéliens), habitent, au nombre
de 75.000, principalement le Caucase septentrional,
dans la province du Térek, la partie centrale du Cau-
case, dans les vallées du Térek moyen et de ses affluents
de gauche. Une partie de ce peuple, traversant la
haute chaîne du Caucase, est allée se fixerau S., dans
la région occupée par les Géorgiens, vers les sources
du Liakvi, du Ksanki, du Rion. Dans le gouvernement
de Tiflis il y en a 50,000, parmi lesquels il faut
compter 35,000 (district de Gori), 13,000 (district de
Douchet), et 3,000 (gouvernement de Koutaïs, district
du Radcha). Le nombre total des Ossètes peut être
évalué à 130,000. La langue ossétienne, qui porte les
traces d’une origine iranienne antique, se compose de
deux dialectes : le tagaourien ou iranien proprement
dit et le digorien . Les branches des Ossètes sont :
a) La branche orientale, tagaourienne ou ironienne
proprement dite (Rives du Térek moyen et de ses
affluents : Fiagdone, Giseldone et Ardone).
b) La branche occidentale, digorienne, le long de la
rivière Ouroukh et de ses affluents Leskène et Tché -
ghème.
c) La branche méridionale, toualienne (sur le versant
méridional du Caucase). Le dialecte toualien n’est
qu’une modification du dialecte ironien .
b) Les Perses , qui ont joué autrefois un grand rôle au
Transcaucase, surtout dans la partie orientale, ne for-
ment qu’une population peu nombreuse ( 12,000.) %
1. ïl est hors de doute que les armées persanes, qui ont fait
autrefois irruption dans le Transcaucase, se composaient essen-
tiellement de Tatars de l’Aderbeïdjan ; il est fort probable
aussi que les Perses qui se sont transplantés au Transcaucase
se sont tartarisés, et pourtant il est étrange que dans les statis-
tiques on ne trouve pas un seul Perse dans le gouvernement
d’Erivan ni dans celui d’Elisabethpol.
GUIDE AU CAUCASE
81
parmi lesquels, dans le gouvernement de Bakou ,
6.000, et dans celui de Tiflis, principalement à Tiflis,
2.000. Il y en a presque autant dans les villes de la
province du Térek (Kisliar, Vladikawkaz, Mozdok,
etc.). Dans la province ci-devant de Bakou il y en a
plus de 1,500.
c ) Les Taies , parlant un dialecte qui se rapproche
beaucoup de la langue persane moderne, habitent prin-
ci pal ement le gouvernement de Bakou , districts de Bakou
(35,000), de Kouba (44,000), et le Daghestan méri-
dional (arrondissement de Kaïtago-Tabassaran (3,000) ;
en tout 82,000.
d) Les Taliches , parlant un dialecte qui a une cer-
taine parenté avec El langue persane moderne, mais
qui a conservé du zend plus de débris que les peuples
iraniens du littoral de la mer Caspienne, sont au
nombre de 43,000 dans le district de Lenkoran.
e ) Les Kurdes , parlant une langue qui, quoique se
rapprochant beaucoup de la langue persane moderne ,
peut être considérée comme originale, habitent le Trans-
caucase méridional, principalement dans le gouver-
nement d’Erivan (28,000), dans celui de Kars (27,000),
et dans quelques districts du gouvernement d’Elisa-
bethpol. Ils mènent une vie nomade dans la province
de Batoum et dans le gouvernement de Tiflis. Leur
nombre s’élève à 72,000. Ils ont deux dialectes : celui
de Kourmandji et celui de Zaza; les Kurdes de la
frontière russe parlent le premier.
7) ARMÉNIENS
Considérés jusqu’à présent comme appartenant au
groupe iranien, les Arméniens, d’après les investiga-
tions récentes, forment un peuple séparé, quoique se
rapprochant beaucoup par leur langue, des peuples du
susdit groupe1. Le plus grand nombre d’entre eux se
trouvent dans le gouvernement d’Erivan (290,000),
1. Le professeur Patkanofï dit: « La langue arménienne,
occupant le milieu entre les groupes iranien et slavo-latin,
représente un groupe indépendant, mais disparu (peut-être
celui de FAsie-Mineure ) des langues indo-européennes. »
6
82
GUIDE AU CAUCASE
dans celui d’Elisabethpol (200,000), et dans celui de
Tiflis (160,000). Dans le gouvernement de Bakou on
en compte 25,000. Ils habitent aussi la province de Kars
(37,000) ; mais dans la partie occidentale du Transcau-
case il y en a peu (12,000) ; au Caucase septentrional
on en compte 27,000 ; là on les rencontre principale-
ment à Kisliar, Mozdok, dans la ville de Sainte-Croix,
à Vladikawkaz et à Edessia. Le nombre total de la po-
pulation arménienne dans le pays, y compris les Ar-
méniens catholiques1 2, s’élève à 750,000 âmes.
8) RACE INDOUE
Tsiganes . Il y en a parmi eux qui mènent depuis
longtemps une vie nomade dans le Caucase ; d’autres
sont venus de Russie. Dans ces derniers temps, les
Tsiganes de Bessarabie ont commencé à peupler le
pays. Leur nombre total n’a pas encore été fixé ; en
tout cas, il y en a fort peu.
II. Famille sémitique.
a) Juifs . Un grand nombre de Juifs habitent le Cau-
case depuis une époque reculée : ce sont d’abord les
soi-disant Juifs montagnards qui parlent le dialecte des
Tates et qui habitent principalement dans la province
du Térek et du Daghestan. Parmi ceux qui sont établis
depuis longtemps il faut citer aussi les Juifs géorgiens
parlant géorgien. Après la pacification du Caucase,
des Juifs de Russie sont également venus. On peut
évaluer leur nombre total à 38,000.
b et c) Il y a des Syriens et des Chaldéens dans
quelques villages du gouvernement d’Erivan, dans la
steppe de Karaïas et à Tiflis. Dans cette ville vivent
aussi des Chaldéens qui viennent y chercher du travail.
Le nombre des Syriens et des Chaldéens est de 3,000\
1. Aux Arméniens appartiennent aussi les « Arméniens ca-
tholiques ». Parmi ces derniers, il y en a qui habitent depuis
une époque reculée en Géorgie, en ïméréthie, et qui ont perdu
la langue de leurs ancêtres et parlent géorgien. Ils s’appellent
en général « catholiques » tout court; il y en a qui se nomment
« géorgiens». On dit aussi que parmi ceux nommés catholiques,
il y en a beaucoup d’origine géorgienne.
2. Dans les Matériaux pour étudier la vie économique des
GUIDE AU CAUCASE
83
III. Groupe des peuples proprement dits
Caucasiens.
1) groupe kartvélien (ivérique).
a) Géorgiens . Leurs subdivisions1 .
a) Géorgiens proprement dits, habitant le gouver-
nement de Tiflis, la Kartalinie et la Kakhétie (bassins
du cours moyen et du cours supérieur de la Koura). En
ajoutant à leur nombre les soi-disant Inghiloziens de
l’arrondissement de Zakatal, et qui ont été autrefois
convertis à l’islamisme, on arrivera au chiffre de
310,000.
b) Géorgiens montagnards : Khevsours, Pchaves et
une grande partie des habitants de la Touchétie2, peu-
plant aussi le gouvernement de Tiflis; on en compte en
tout 20,000.
c) Iméréthiens et Gouriens (gouvernement de Kou-
taïs), 380,000.
d) Adjares, Koboulétiens et en général les Géorgiens
qui habitent la ci-devant province de Batoum (arron-
dissement de Batoum, défilés sauvages et inaccessibles
de l’arrondissement d’Artvine, ceux de Mourgoul et de
Khatil, etc.), 46,000*.
paysans de la Couronne au T r anse auras e on trouve des Arçtbes
mentionnés (gouvernement de Bakou) parmi les peuples sé-
mitiques du pays. Mais les arguments relatifs à l’existence
actuelle d 'Arabes au Caucase ne sont pas fort persuasifs.
1. Les conditions locales, orographiques et autres, ainsi que
les circonstances historiques, ont contribué à la formation des
subdivisions des Géorgiens. Ces subdivisions ne présentent que
quelques particularités de caractère et de mœurs ; par consé-
quent il ne serait pas juste de les considérer comme des races
ou des peuplesà part
2. La dénomination de « Touchétie » n’est pas à vrai dire
ethnique ; dans cette contrée il y a 4 communautés dont trois
d’origine géorgienne, et une, celle des Tsoves, se rattache aux
soi-disant Kistines, qui ont une parenté, vu leur origine et leur
langue, avec les Tchétchènes. Les Tsoves, qui se sont établis
depuis des temps reculés dans la Touchétie, sont entrés en
rapports intimes avec ses autres communautés et ont aussi
vaillament que ces derniers défendu le pays contre l’invasion
des Lesghiens et des Kistines.
3. Ce sont des Géorgiens mahométanisés qui rappellent par
le type, le langage et le caractère, leurs voisins les Gouriens.
A ce propos ajoutons que les Turcs ont mahométanisé autre-
84
GUIDE AU CAUCASE
Le nombre total des Géorgiens est de 755,000 âmes.
b) Ming réliens' (200,000), gouvernement de Koutaïs.
c) Les Lazes (2,000), arrondissement de Batoum,
occupent une partie du littoral de la mer Noire2.
d) Svanes (12,000), gouvernement de Koutaïs.
2) GROUPE DES MONTAGNARDS OCCIDENTAUX
a) Les vrais Abkhazes ( Azègas), arrondissement de
Soukhoum (32,000). Les Abazes 10,000 (partie du S.-
E. de La province de Kouban, et surtout district de
Batalpachinsky. On compte en tout 42,000 Azégas.
b) Tcherkess ( Adighés ). Le plus grand nombre
d’entre eux, sous le nom de Kabardes (72,000), habitent
la province du Térek (Grande et Petite-Kabarda, plaines
du bassin de la Malka et rive droite du Térek jusqu’à
la rivière Kourpa). Le Térek sépare la Grande et la
Petite-Kabarda. En outre, les Adighés sont, sous dif-
férentes dénominations, dispersés dans la partie S. de
la province du Kouban au N. des Abazes. On dis-
tingue les Abadzeks (16,000), les Bjedouks (12,000),
les Kabardes (12,000), les Beslémiens (6,000), les Chap-
soughs (2,500). En tout 57,000 Adighés dans la pro-
vince de Kouban. En ajoutant à ce nombre le reste des
Adighés de l’arrondissement de la mer Noire (1,200),
on arrivera au chiffre total de plus de 130,000 3 .
fois aussi les habitants de la Kartalinie supérieure (nommée
Saatabago) qui fait partie actuellement du district d’Akhaltzik
et des contrées voisines. Cette population ressemble par la
langue et son caractère aux Kartaliniens .
1. Les Mingréliens parlent une langue répandue dans toute
la Mingrélie et qui offre beaucoup de rapport avec le géorgien.
2. Le plus grand nombre des Lazes sont restés sous la domi-
nation turque. Les formes étymologiques des langues mingré-
lienne et laze, ainsi que leurs lexiques, ont une telle ressem-
blance que plusieurs savants les considèrent comme idiomes
de la même langue. Cette opinion a besoin d’être scientifique-
ment contrôlée. En ce qui concerne les formes étymologiques
et le lexique de la langue svanétienne, cette dernière s’éloigne
beaucoup des autres langues du groupe kartvélien.
o. Nous n’appelons pas les branches de la famille tcherkess
races ni peuples, parce que ces branches, autant qu’on le sait
jusqu’à présent, parlent une même langue se divisant en deux
dialectes, le haut circassien (kabardien) et le bas circassten.
Il y a d’autres dialectes circassiens qui n’ont pas encore été étudiés.
GUIDE AU CAUCASE
85
GROUPE DES MONTAGNARDS ORIENTAUX
a) Tchétchènes et leurs parents, d’après l’origine et
la langue, les soi-disant Kistines1. Les Tchétchènes
habitent dans la province du Térek, à l’E. des Ossètes,
entre cette rivière et la frontière S. de la province du
même nom, depuis le défilé du Darial jusqu’à la source
de la rivière Aktacha. Cet espace toutefois n’est pas
entièrement occupé par eux; leurs terres sont entre-
coupées par les champs des Cosaques et les tentes
des Koumiks. On distingue : les purs Tchétchènes
(arrondissement de Grosnaïa), les Tchétchènes mon-
tagnards (arrondissement d’Argoun), les Aoukovs
(arrondissement de Khasav-Yourt), les Itckères (arron-
dissement de Véden). Tous les Tchétchènes de la
province du Térek sont au nombre de 195,000. Ils
ont une parenté avec les Ingouches. Ils sont originaires
de la Kistétie, pays montagneux qui s’étend au N.
de la Touchétie et de la Kevsourie et, vers l’O., jus-
qu’aux rivières Makaldona, affluent du Térek, et
Aragva. Les Ingouches (28,000), vivent dans l’arron-
dissement de Vladikawkaz (province du Térek), et les
Kistines (3,000), au N. des districts de Tioneth et de
Douchet (gouvernement de Tiflis)2.
b) Lesghiens. Ils habitent principalement le Da-
ghestan. Parmi les langues lesghiennes il y en a qui
sont surtout répandues, par exemple : l’avare, la dargho
et la kurine parlées jadis par les peuples qui ont do-
miné au Daghestan ; parmi les moins répandues il faut
citer celle des Kazikoumouks et des Tabassarans.
1. La langue tchétchène ayant une parenté avec la les-
ghienne, nous classons les Tchétchènes dans le groupe des
montagnards orientaux.
2. A une époque reculée, la communauté nommée Tsove a
émigré de Kistétie en Touchétie. La langue de cette commu-
nauté, étudiée par l’académicien Schifner, atteste une certaine
parenté avec celle des Tchétchènes, mais présente aussi des
particularités qui permettent de la classer comme langue in-
dépendante. Le dialecte des Ingouches n’a pas encore été
étudié. A propos de la langue tchétchène, M. Uslar a publié
un travail remarquable à la suite duquel Schifner a fait des
comparaisons entre les langues tchétchène et tsove que l’aca-
démicien a nommée par erreur langue des Touches.
86
GUIDE AU CAUCASE
Viennent ensuite celles que parlent quelques milliers
d’individus appartenant à d’autres peuplades. Après les
recherches et les études approfondies d’Uslar et de
Schifner, on peut rejeter comme erronée l’ancienne
opinion qui faisait admettre les peuples du Daghestan
comme extraordinairement polyglottes. Quelques-unes
de ces langues manifestent une grande parenté entre
elles, et on peut les considérer comme groupes particu-
liers. Les autres, paraît-il, sont tout à fait indépen-
dantes, quoiqu’elles aient une parenté avec toutes les
langues lesghiennes. Il était à souhaiter que les études
de linguistique eussent été continuées, mais depuis la
mort d’Uslar elles ont été complètement négligées.
Quoi qu’il en soit, on peut, en se basantsur les données
acquises, affirmer que les Lesghiens et Tchétchènes
forment une famille à part, n’ayant aucune parenté
avec les peuples qu’on a étudiés sous le rapport de la
linguistique.
a) Groupe avaro-anclien. Le premier rang parmi les
peuples de ce groupe appartient aux Avares dont la
langue, grâce à leur ancienne prédomination dans le
pays, s’est répandue du N. au S. des deux côtés des
chaînes du Daghestan, et est d’un usage général pour
les rapports mutuels entre les montagnards de cette
contrée. Le plus grand nombre des Avares se trouvent
dans l’arrondissement de Gounib (Daghestan central),
et dans celui d’Avarie (Daghestan occidental). Dans le
Daghestan ils sont au moins 100,000. En outre, ils ont
pénétré autrefois dans l’arrondissement actuel de Za-
katal où ils forment à présent presque la moitié de la
population (30,000). Le nombre total des Avares (Sa-
lataves) dans la province du Térek est de 12,500 ; en
tout, leur nombre s’élève à 142,000. Dans l’arrondis-
sement d’Andi (Daghestan occidental), qui est le plus
polyglotte de tout le Daghestan, il y a huit clans parlant
des dialectes différents, mais ayantune certaine parenté.
La plus nombreuse de ces familles est celle des Andis
(7,000), puis viennent lesKaratas, les Tchamalales, les
Andalales, les Bawalales, les Akhvakhs, les Botlikhs
et les Godobéris qui avec les Andis forment une
population de 24,000 âmes. D’après M. Zagoursky ,
GUIDE AU CAUCASE
87
leurs dialectes ont quelque parenté avec la langue
avarienne.
Dans l’arrondissement d’Andi habitent aussi les
Didos et les Kvarchis (6,000 environ), mais on n’a pu
jusqu’à présent établir définitivement leur parenté avec
les races précitées
b) Groupe dargho. Les peuples de ce groupe qui
occupent surtout la partie orientale du Daghestan, ont
des dialectes tellement apparentés, qu’on peut les con-
sidérer comme parlant une seule langue. Ces peuples
ne portent cependant pas le nom de Dargho (cette dé-
nomination ayant été jadis plutôt politique qu’eth-
nique)1. Les dialectes dargho se divisent en : Aboucha
qui est le plus répandu dans l’arrondissement de Dar-
gho (Daghestan septentrional) ; Khaïdak arrondisse-
ment de Kaïtago-Tabassaran (Daghestan méridional),
et Voukourne (Daghestan central). A ce dernier il faut
rattacher, paraît-il, la langue des Koubatchis qu’on
prenait jadis pour des « Francs », et dont le dialecte,
d’après M. Zagoursky, aune grande ressemblance avec
la langue dargho. Le nombre des peuples parlant les
dialectes dargho dépasse le chiffre de 90,000.
c) Groupe kura. Les Kuras (87,000) occupent une
contrée large et allongée sur les deux rives du Samour
(Daghestan méridional); ils habitent aussi dans le
district de Ivouba (gouvernement de Bakou), et en
petit nombre dans le district de Noukha (gouver-
nement d’Elisabethpol). On en compte en tout plus de
131.000.
Il existe une certaine parenté entre les langues des
Routouls (11,500) et des Sakours (15,000)2 qui habitent
dans le haut bassin du Samour.
1. Le nom de Dargho dérive du mot darghouci qui signifie
« fédération » (formée de communautés libres, pour se dé-
fendre contre les attaques des peuples voisins). La plus consi-
dérable de ces fédérations était celle d’Akoucha (Daghestan
septentrional). Les Koumiks, qui habitent dans le voisinage de
cette fédération, en ont nommé les habitants « Darghilars »,
d’où dérive le mot russe « Darghinci » ; et cette dénomination
s’est étendue ensuite à toutes les « fédérations » montagnardes
qui sont apparentées par leur langue avec les Akoucha-
Darghoua.
2. 10,000 habitent l’arrondissement de Zakatal.
88
GUIDE AU CAUCASE
d ) Peuplades dont la proche parenté avec les autres
peuplades lesghiennes n'a pas été constatée :
Les Lakis (Kazikoumouks), au Daghestan central
(35,000).
Les Tabassarans, au Daghestan méridional (17,000).
Les Artchis habitant le petit « aoul » (village) d’Art-
chi, à 30 v. de Koumoukh.
Les Kapoutchas , au Daghestan central. A cette caté-
gorie appartiennent aussi les Agouls (5,500), voisins
des Tabassarans (selon les uns, leur langue est appa-
rentée à celle des Tabassarans, selon les autres à celle
des Kuras); les Kriscis, les Djekhis, les Boudoughs et
les Khinaloughos ainsi appelés d’après les noms de
leurs « aouls » (gouvernement de Bakou, district de
Kouba). Les Djekhis, Kriscis et Boudoughs, d’après
les indigènes, parlent des dialectes de langue kura,
tandis que les Khinaloughs, au dire des Kuras, parlent
un dialecte particulier, incompréhensible. Les plus
nombreuses de ces tribus sont celle des Djekhis (6,000)
et celle des Kriscis (5,000).
e) Oudiens, peuple lesghien qui s’est fixé depuis des
temps très reculés au Transcaucase. Ce sont proba-
blement les descendants des Agvans (Albanais) dont
parlent les chroniqueurs arméniens1. Les Arméniens
avaient réussi à baptiser une grande partie de ce peuple ;
mais le christianisme n’a pas pris racine chez les Ou-
diens, et ils sont devenus musulmans après l'invasion
des Tartares. Aujourd’hui la langue oudienne est parlée
dans deux villages du district de Noukha : Vartachène
et Nige ; là le nombre des Oudiens s’élève à 10,000.
On cite encore quelques villages musulmans qui ont,
dit-on, gardé quelques débris de la langue oudienne.
Tout en ayant conservé les bases des langues lesghien-
nes, la langue des Oudiens a subi l’influence tartare et
elle a emprunté une foule de mots à l’arménien.
1. Cette assertion est confirmée par les études de linguistique
de M. Zagoursky.
GUIDE AU CAUCASE
89
B. — RACE MONGOLE
I. Famille turque.
Les peuples de cette famille sont venus au Caucase
par le S. et le N. Ceux établis au Transcaucase sont
arrivés de Turquie et de Perse; ces derniers sont les
plus nombreux.
1) PEUPLES TURCS HABITANT LE CAUCASE
a) Tatars d’ Aderbeïdjan. Comme l’indique leur
dénomination, ils sont venus d’Aderbeïdjan, province
de la Perse. Leur dialecte, qui a subi l’influence de la
langue persane, est extrêmement simple et facile à
apprendre. Profitant de la protection des schahs, ils
ont réussi à se fixer dans la partie S.-E. du Trans-
caucase. Les Oudiens, subjugués par eux et convertis
à l’islamisme, ont appris leur langue et se sont faits
Tatars. D’autres peuples tatars, dont le type est fort
différent du leur, par exemple les Mongols qui habitent
actuellement dans l’arrondissement de Zakatal, au
nombre de 21,000, se sont aussi approprié leur langue.
Les Tatars de l’Aderbeïdjan ont pénétré dans la zone
maritime du Daghestan jusqu’à Derbent et au delà, où
ils se sont rencontrés avec les Koumiks, peuple turc
arrivé par le N. Le plus grand nombre de ces Tatars
habitent trois gouvernements orientaux du Trans-
caucase : celui d'Elisabethpol (360,000), celui de
Bakou (305,000) et celui d'Erivan (212,000). On peut
évaluer le nombre des Tatars parlant le dialecte
d’Aderbeïdjan à 940,000 \ C’est une population mixte
1. M. Seidlitz, dans son ouvrage. Tableau des populations
du Caucase, inséré dans le t. Vil du Recueil de renseigne-
ments sur le Caucase . a exagéré, il semble, le nombre des
Tatars d’Aderbeïdjan qu’il évalue à 975,758. (L’ouvrage en
question a été publié en 1880. les statistiques ont été recueillies
en 1870.) Dans ce chiffre figurent les Tatars des districts
d’Akhaltzik, d’Akhalkalaki, annexés à la Russie en vertu du
traité d’Andrinople, et qui parlent turc. Mais on peut se
demander si toute cette population est vraiment turque. Les
autorités locales russes ont donné indistinctement le nom de
« Tatars » à tous les musulmans; or, l’histoire prouve que la
90
GUIDEAU CAUCASE
dont le type, en grande partie, ressemble à celui de la
race blanche.
b) Les Turcs habitent principalement dans les
régions récemment annexées à la Russie : province de
Kars (42,500) et dans celle de Batoum (34,000); là
ils occupent une grande partie de l’arrondissement
d’Artvine (Chavchète), tout le district d’Ardanoutch
et la partie méridionale du district d’Artvine.
On en trouve, à Batoum (3,000) et dans quel-
ques localités de ce district. Il y faut aussi compter
comme Turcs les soi-disant « Tatars » des districts
d’Akhaltzik et d’Akhalkalaki. Enfin, on rencontre
des Turcs dans deux villages du district d’Ozourghet
(Gourie) et dans quelques endroits du littoral de la
mer Noire. Leur nombre total, y compris les Tatars
dont il est parlé dans la note n° 1, p. 89, peut être
estimé à 100,000.
c) Les Turcmènes (Tarakamans), peuple dont la
langue diffère de celle des Turcs, ont émigré de Turquie.
Ils sont dans la province de Kars plus de 9,000. Un
petit nombre d’entre eux s’est fixé dans le district
d’Akhaltzik où on les nomme Tarakamans.
d) Les Karapapaks . On ne peut rien dire de précis
relativement à leur origine et à leur langue. On en
compte 23,000 dans la province de Kars.
2) PEUPLES TURCS HABITANT LE CAUCASE SEPTENTRIONAL
a) No g aïs. L’invasion principale des peuples turcs
aux frontières du Caucase date du XIIe s., au temps de
Tchighis-Khan. Parmi les différentes hordes qui ont
attaqué à cette époque la région du N.-E., les Nogaïs
tenaient le premier rang. Us se sont établis d’abord
avec d’autres dans les steppes méridionales de la
Russie actuelle, entre la Caspienne et la mer Noire.
Mais au XIVe s. commencèrent les mouvements des
Adighés : les Kabardiens enlevèrent aux Nogaïs la
plupart des habitants actuels des districts d’Akhaltzik et
d’Akhalkalaki ont été convertis à l’islamisme, et leur origine
géorgienne est attestée par le type, l’accent et la langue géor-
gienne elle-même, que beaucoup d’entre eux parlent encore.
GUIDE AU CAUCASE
91
contrée connue actuellement sous le nom de Grande-
Kabarda et isolèrent ainsi les Tatars qui restèrent sur
les terres d’amont des rivières arrosant la Grande-
Kabarda. Plus loin les Nogaïs ont été aussi refoulés
vers les sources du Kouban et les régions voisines où
ils sont encore près de 5,000; d’autres ont occupé les
champs de la partie orientale du gouvernement de
Stavropol où, au nombre de 44,000 \ ils mènent une
vie nomade; une partie d’entre eux parcourent les
steppes qui s’étendent jusqu’à la province du Térek.
Enfin, plus de 3,500 Nogaïs sont fixés dans l’arron-
dissement de Khasav-Yourt.
b) Les Koumiks , venus aussi au Caucase au XIIe s.,
sont, d’après leur langue, apparentés aux Nogaïs et
appartiennent à la même branche (nogaïque). Ils sont
campés plus au S. ; ils occupent la région au N. de
Derbent, le long du littoral de la Caspienne, et au
N. -O. jusqu’aux montagnes de Katchkalik (province
du Térek). C’est un peuple civilisé qui a une certaine
influence sur les peuplades voisines dont le .déve-
loppement intellectuel est inférieur. Ils habitent au
Daghestan et dans la province du Térek (arrondissement
de Khasav-Yourt et une partie de celui de Kisliar).
On évalue leur nombre à 77,000, dont 40,000 sont
fixés au Daghestan.
c) Kabardiens montagnards. (Communautés mon-
tagnardes de l’arrondissement de Naltchik.) Ceux-ci
n’ont pas une dénomination générale et portent, pour
la plupart, le nom des localités qu’ils occupent. Ils
habitent vers les sources des rivières qui coulent à
travers la Grande-Kabarda. Leurs communautés sont :
les Balkars ou Malkars, les Bisingues, les Koulous
aux sources du Térek, les Tchéguèmes (vallée de la
rivière Tchéguème), et les Ouroussbis (vallée de la
rivière Baksane). Leur nombre total, y compris les
5,000 Balkars, dépasse 13,000. On prétend que ces
communautés sont apparentées aux Koumiks et aux
Nogaïs, mais cette assertion demande à être vérifiée.
1. Les Nogaïs y sont connus sous les noms de Kara-Nogaïs,
Atchikoulouk-Djembelouks, Edissans et Edicbkoul-Nogaïs.
92
GUIDE AU CAUCASE
d) A la branche des Nogaïs appartiennent aussi les
Karatchaves , qui habitent au nombre de 19,000 vers
les sources du Kouban et de ses affluents supérieurs.
e) Dans le gouvernement de Stavropol, vers l’em-
bouchure du Kalaous et de la Kouma, on rencontre les
Trukmènes (18,000), nomades originaires probablement
des steppes transcaspiennes où errent aussi les Truk-
mènes appartenant à la branche ouïgoure du groupe
turc.
II. Race purement mongole.
Kalmouks . La langue kalmouke se rattache au
groupe mongol des langues ouralo-altaïques. D’abord
rejetés par les Kirghiz sur la rive droite de l’embou-
chure du Volga, les Kalmouks ont changé ensuite de
campement et ont pénétré dans les steppes du gouver-
nement de Stavropol au S. du Manitch où se trouve
actuellement « l’oulous du Grand-Derbet. » Beaucoup
d’entre eux vont, de temps à autre, dresser leurs tentes
sur la rive droite du Térek (arrondissement de Groz-
naïa). Leur nombre total est de 10,000.
III. Race finnoise.
Les Estes, seuls représentants de cette race au
Caucase, ont commencé à s’y fixer dans ces derniers
temps. La plupart d’entre eux (950) se sont établis
dans le district d’Alexandrovsky (gouvernement de
Stavropol) et 300 dans l’arrondissement de la mer
Noire. En tout, on en compte 1,400.
LA GÉORGIE ET LES GÉORGIENS1
Aperçu historique. — La Géorgie, placée entre
l’Europe et l’Asie, a été sans cesse exposée aux vicis-
situdes de la politique de l’Orient. Chrétienne dès le
IVe s. , persécutée par les pyrolâtres sous les Sassanides
du IIIe et IVe s., elle fut perpétuellement en lutte avec
1. D’après Vakoucht, Brosset, Dubois de Montpéreux, Vivien
de Saint-Martin, Elisée Reclus et les notes de Bakradzé.
GUIDE AU CAUCASE
93
l’islamisme depuis la moitié du VI Ie s. Elle est soumise
aux Califes, puis aux Seldjoucides de Perse jusqu’à la
fin du XIIe s. Alors paraissent les Mongols qui y font
leur première invasion en 1222. Tamerlan y vient plu
sieurs fois depuis 1384 et la ravage de fond en comble.
Elle continue à être soumise à ses successeurs, puis,
jusqu’à la fin du XVe s., aux dynasties tartares. Vient
ensuite la dynastie des Sopliis de Perse. La Géorgie est
persécutée et décimée par Schah-Abbas qui emmène en
captivité 40,000 familles de la Kakhéthie qui vont périr
dans le Mazandéran. Un moment soumise aux Turcs
sous Amurath III (1578), elle est partagée entre les
Persans et les Turcs ; ceux-ci gardent la partie occi-
dentale, c’est-à-dire l’Akhalzikhé, la Mingréïie et le
Gouria, mais la domination persane ne cesse pas jusque
vers la fin du XVIIIe s. Malgré les persécutions et les
calamités de tout genre qui marquent cette longue suite
de siècles, la Géorgie parvint à se maintenir sous tant
de dominateurs. Son histoire jette de l’éclat aux XIe et
XIIe s., et dans les cinquante premières années du
XIIIe s. surtout. C’est le temps glorieux des Bagrat, de
David le Réparateur et de la reine Thamar sous le règne
de laquelle (1184-1212) la Géorgie dévient même indé-
pendante. On ne peut assez admirer la persistance de
cette nationalité au milieu de tant de vicissitudes. C’est
la foi vive de son peuple, un des premiers en date parmi
les peuples de la chrétienté, qui la soutint, puis son
courage naturel qui trouvait d’ailleurs des éléments de
défense dans une contrée généralement montagneuse.
En 1586, la Géorgie avait déjà des rapports réguliers
avec la Russie qui lui envoya toute espèce de secours
en hommes et en argent. En 1783, le roi Héraclé s’en
déclare vassal et repousse les propositions du schah
de Perse Mahomed-Khan (1784) ; celui-ci ajournant sa
vengeance jusqu’en 1795, fond sur la Géorgie et dévaste
Tiflis. C’est la fin. La Russie intervient et établit, avec
sa domination, la sécurité à jamais.
Géographie. — La Géorgie comprenait : le haut
bassin de la Koura, les bassins du Rion et de l’Ingour,
les mont d^Adjarie et le littoral de la mer Noire jusqu’à
Trébizonde. Une grande partie de cette région était
94
GUIDE AU CAUCASE
connue dans l’antiquité sous le nom d’Ibérie ; quant au
nom même de Géorgie, il est d'origine persane. Gour-
djistan était pour les Persans, et, d’après eux, pour les
* Arabes, le pays du Kour ; les Turcs disent Qurdji ; la
forme russe est Grousia ; celle de Géorgie a été natu-
ralisée en Europe par les moines voyageurs du XIIIe s.
Les Géorgiens eux-mêmes n’emploient guère que les
noms particuliers de leurs différentes provinces. Cepen-
dant il en est un d’une acception générale et qui
s’applique souvent au pays tout entier, c’est celui de
Sakartvélo (Géorgie) et de Kartvéli (Géorgien). Kar-
thlos, dans les vieilles légendes nationales, est le
patriarche de la race.
Situation et limites. — La Géorgie confine au
N.-E, au Daghestan dont elle est séparée par la partie
orientale du Caucase; au N. à l’Ossétie et aux monts
du Caucase occidental ; à TO. aux districts turcs de
l’Asie-Mineure ; au S. -O. et au S. à l’Arménie; au
S.-E. au Chivan. De l’E. à PO. la plus grande dimen-
sion du pays est d’environ 600 kilom. avec une lar-
geur moyenne de 220 kilom. environ.
Limites ethnographiques. — Bien que le bassin
de la Koura soit le foyer principal de la nationalité
géorgienne, les limites naturelles du bassin n’ont pas
toujours contenu la race qui, sur plusieurs points, s’est
épanchée au dehors, et elles ne l’ont pas toujours dé-
fendue contre les empiètements des populations limi-
trophes. C’est ainsi que les Arméniens s’étaient ap-
proprié non seulement les pays qui bordent la droite
de la Koura, depuis la Débéda j usque vers le confluent de
l’Araxe, longtemps avant que les immigrations turko-
manes du moyen âge n’en fissent des districts presque
exclusivement tartares, mais aussi la presque totalité
de la partie même du Kartli située au S. de la Koura,
et jusqu’à la région des sources de cette rivière, contrée
dont le nom de Samstkhé , la Meskhie de la géographie
gréco-latine, se rattache aux plus anciennes traditions-
indigènes de la race géorgienne. Bien que ces deux der-
niers territoires, le Karthli méridional et le Samstkhé
soient restés des terres essentiellement géorgiennes
par la nomenclature géographique non moins que par
GUIDE AU CAUCASE
95
toutes les traditions de l’histoire indigène, c’est actuel-
lement la langue arménienne qui y domine là où la
population n’a pas fait place aux Turkomans. On parle
géorgien dans les districts de Tiflis, de Douchet, de
Gori, de Koutaïs, de Thélaff, de Signak ; on parle
arménien dans ceux d’Elisabethpol, de Kasakhi, etc.
Il résulte de cette division qu’à l’exception d’une zone
de quelques lieues de large, que le géorgien conserve à
la droite de la Koura, dans le Karthli, c’est cette rivière
qui forme la limite générale du géorgien et de l’armé-
nien .
D’un autre côté, les Lesghiens sont descendus sur la
pente occidentale du Caucase et ont formé la population
dominante du côté gauche de la vallée de l’Alazan,
pendant qu’au N. les Ossètes se répandaient sur le
versant géorgien du grand massif central et occupaient
une portion des vallées de l’Aragva, du Ksan et du
Liakvi. Nous avons déjà parlé de l’intrusion postérieure
des tribus turkomanes qui dominent aujourd’hui dans
plusieurs cantons de la Géorgie méridionale, notam-
ment dans le district de Kasakhi auquel des tribus
turques ont donné son nom. Mais la race géorgienne,
à son tour, a dépassé de bonne heure, du côté de l’O.,
la limite naturelle du bassin de la Koura.
Dès les temps les plus anciens, des populations de
cette race avaient franchi la chaîne de montagnes qui
sépare le bassin de la Koura de celui du Rion, l’ancien
Phase, et s’étaient répandues dans les plaines boisées
de la Colchide jusqu’aux bords du Pont-Euxin. Au
N., ces colonies géorgiennes s’avancèrent jusqu’au
Kodoretau Caucase; au S., elles descendirent jus-
qu’aux approches de Trébizonde et occupèrent en
grande partie le bassin du Tchorok. L’Iméréthie, la
Mingrélie, la Souanétie, la Gourie et le Lazistan ont
été habités de tout temps par des populations de sang
géorgien. Ces dernières provinces constituent, en dehors
de la Géorgie orientale ou Grousie, un groupe géogra-
phique et ethnographique désigné sous le nom de
(( pays géorgiens ». Elles sont aujourd’hui sous la do-
mination russe ainsi que la Géorgie proprement dite.
Une partie du Lazistan appartient au gouvernement
96
GUIDE AU CAUCASE
turc. Quant à la Grousie ou Géorgie orientale, la
géographie indigène connaît quatre divisions princi-
pales : au N. de la Koura, la Khakhèthie et le Kartlili ;
au S. de la Koura, le S omkhéthi ou Kartlili méridional ;
dans le haut bassin de la Koura, depuis le défilé de
Borjom jusqu’aux sources, le Samstkhé appelé aussi
Sémo-Karthli ou Kartlili supérieur. Le Rani dont on
a formé aujourd'hui le district de Noukha, peut être
regardé aussi géographiquement comme une dépen-
dance de la Géorgie, bien qu’il ne soit pas compris
dans les divisions indigènes.
Les Kartvels ou Kartaliens proprement dits sont les
Géorgiens qui habitent, à TE. des montagnes du Sou-
ram, la plaine d’origine lacustre dont la ville de Gori
occupe le centre et qui se termine à Mtzkhet, l’ancienne
capitale de la Kartalinie . Ils se confondent à l’E. avec
les Grousiens de Tiflis. Les Kakhéthiens, les plus
orientaux de tous les Grousiens, vivent dans les vallées
de l’Iora et del’Alazan. A l’O. des montagnes de Sou-
ram, les Imérèset les Mingréliens peuplent les vallées
du Rion, de la Tskhénis-Tskhali, du Bas-Ingour; les
Gouriens habitent le versant septentrional des monts
d’Adjarie, tandis que par delà cette barrière, les Lazes
occupent une partie du bassin du Tchorok. Enfin les
Souanes et quelques autres peuplades se sont réfugiés,
comme en des forteresses, dans les hautes vallées du
Caucase.
Outre les purs Géorgiens, la Géorgie compte encore,
dans une proportion assez forte, d’autres éléments de
population, pour la plupart fixés dans le pays depuis
de longs siècles et qui ne s’y regardent nullement comme
étrangers. Indépendamment des Russes, ce sont des
Arméniens, des Turkomans et des Juifs. Les Armé-
niens, que les Géorgiens nomment Somékliis , forment en
partie la population presque exclusive d’une grandepar-
tiedu Somkhéthi. Les Turkomans, appelés par un usage
abusif Tatars, sont répandus dans le Somkhéthi oriental,
dans la Kakhéthie méridionale, dans les districts les-
ghiens de la vallée de l’Alazan et dans le Rani. Les
Juifs de la Géorgie, nommés Ourias par les Géorgiens,
demeurent dans des villages particuliers, disséminés
GUIDE AU CAUCASE
97
parmi les villages arméniens, géorgiens et turkomans.
Ils sont assez nombreux. Par leurs habitudes exté-
rieures et même par la langue, ils se rapprochent en
général de ceux au milieu desquels ils vivent. En Géor-
gie, on les confond souvent avec les Géorgiens.
Ethnographie. — Les Géorgiens ont été cités de tout
temps parmi les plus belles races de l’Asie. Ils sont de
taille mince, élancés, bien proportionnés, d’une haute
stature et robustes. Les traits sont ordinairement beaux et
très prononcés ; les cheveux noirs, jamais crépus ; les
yeux sont noirs également et bien fendus. Le nez est long
et souvent aquilin. Au total, la face, dans sa coupe géné-
rale, est plutôt arrondie que longue, bien que les
pommettes ne soient jamais saillantes, et l’ensemble
des traits a quelque chose d’un peu ramassé. Il y a dans
la démarche et dans toute l’attitude, surtout chez les
classes élevées, un naturel de noblesse et de fierté qui
révèle les habitudes d’une population belliqueuse. Sans
cesse exposés aux attaques des Turcs ou des Persans,
et plus encore aux incursions des montagnards du
Daghestan, les Géorgiens étaient devenus en effet, par
position, sinon par inclination, un peuple guerrier.
Les circonstances sont changées à cet égard depuis
l’annexion à l’Empire russe ; mais la disposition morale
qu’un long état social a créée ne se modifie pas en un
jour. Les soldats géorgiens étaient autrefois réputés
pour leur bravoure et l’excellence de leur cavalerie.
Sobres, amis du vin quoique rarement ivres, ayant la
passion des chevaux,, les Géorgiens ont tout à la fois
les vices et les vertus du soldat. D’un caractère paci-
fique quoique armés jusqu’aux dents, ils n’emploient
leurs armes que pour se défendre. D’une politesse
exquise poussée même jusqu’à l'exagération, car ils
aiment mieux mentir que de vous désobliger, ils ont
le culte de l’hospitalité. Sans instruction acquise, mais
doués d’un certain bon sens naturel, ils savent causer,
improviser, pérorer, et ont de temps en temps dans la
conversation ou dans leurs speechs des mots heureux
et toujours imagés. Assez fins, expansifs, d’une gaieté de
bon aloi, serviables à l’occasion, peu soucieux de
l’avenir, d’une mollesse invincible qui tient peut-être
7
93
GUIDE AU CAUCASE
au climat, ils sont incapables d’un effort soutenu. Ils
sont faibles dans le malheur, amis de l’ostentation et
de la nouveauté; défiants, curieux et clairvoyants
dans les desseins des autres, très avisés à conduire les
leurs, affectant en public la franchise et la candeur,
ils cachent leurs sentiments sous une avalanche de
salutations réitérées, de protestations perpétuelles, de
serments et de signes de croix multipliés ; mêlant
enfin à des superstitions une piété toute formaliste;
vindicatifs, ils interprètent le point d’honneur à leur
façon, et ont avec la loi et le droit de se rendre justice
à soi-même, des accommodements et des procédés expé-
ditifs qui les font souvent condamner à la Sibérie. En
général pauvres ou ruinés, mais fort entichés de leurs,
alliances, ils se disent presque tous princes ou gentils-
hommes, et, à voir leur grande tournure, nul ne serait
tenté de leur contester leurs titres de noblesse.
Le costume y est pour beaucoup : une tcherkesska,
longue capote noire ou de couleur, fermée d’un rang
d’agrafes et laissant voir Yarkhaloukhi, sorte de tunique
de laine ou de soie à collet haut et droit, tombe jusqu’à
mi-jambes. De chaque côté de la poitrine sont adaptés
des morceaux d’étoffe tantôt de la nuance de la tcher-
kesska, tantôt d’une couleur plus vive, avec des sépa-
rations destinées à des cylindres, qui, selon la fortune,
plus ou moins ornés, sont en ivoire, acier, fer poli,
argent oxydé ou doré, et qu’on remplace à l’occasion
par de véritables cartouches. Une ceinture de cuir à
ornements d’argent, à laquelle est suspendu le kindjal ,
poignard à double tranchant, serre la taille. La plupart
des hommes portent la barbe et ont les cheveux longs
rejetés en arrière en « coup de vent ». La coiffure se
compose d’un papak, bonnet très bas, en astrakan, ou
d’un bachlik gracieusement jeté sur l’épaule, et qui, en
cas de pluie, sert de capuchon ou plutôt de turban.
C’est tout un art que de savoir draper cette coiffure à
la fois pratique et seyante, et que chacun a une manière
plus ou moins heureuse de porter. Les pieds sont
chaussés de tsoukhas, babouches souples en chevreau,
à semelles molles et à bouts terminés en pointes re-
levées. Des jambières en drap ou en cuir montent
GUIDE AU CAUCASE
99
jusqu’au-dessus du genou. Enfin l'indispensable bour-
ka, manteau imperméable en laine longue, complète le
costume.
Brunes ou blondes, les femmes purement grou-
siennes % c’est-à-dire les Géorgiennes de Kakhéthie,
du Karthli, de Somkhéthie , du Samstkhé, ne mé-
ritent pas la réputation de beauté dont elles jouis-
sent en Occident. Les Géorgiennes d’Iméréthie, de
Mingrélie et du Gouriel au contraire sont presque
toutes assez jolies. Des cheveux abondants, séparés en
bandeaux, encadrent d’abord par deux grosses boucles
l’ovale de la figure et tombent sur les épaules en tresses
un peu filandreuses ; des yeux largement ouverts, avec
des cils assez longs et épais pour projeter une ombre
sur les joues, brillent sous un sourcil peu arqué ; le
nez aquilin, l’oreille bien attachée. En général le teint
est fiévreux. La bouche laisse voir les dents les plus
régulières, les plus blanches du monde, et se termine
aux deux coins par un léger pli qui donne au visage
une certaine expression de dédain ; le sourire est
charmant. Grandes, la poitrine haute rarement em-
prisonnée dans un corset, les hanches développées et
prononcées, ce qui indique une prédisposition naturelle
pour la maternité, elles portent le buste très droit. Le
bras est joli, la main fine, et elles en prennent grand
soin, les gestes et la mimique étant l’accompagnement
de chaque parole ; la voix est douce et s’élève rarement,
le bon ton consistant à parler bas; cachant toujours
leurs pieds qu’elles ont petits, nonchalantes, dès
qu’elles se lèvent « elles ont la souplesse des espèces
félines comme elles en ont la grâce ondoyante ». Elles
excellent dans l’art de faire des révérences, s’embrassent
sur l’épaule et sur le côté en se serrant la main. Même
les paysannes, qui marchent sans chaussures, ont grand
air, une prestance naturelle qui n’a rien d’affecté, une
tenue un peu cérémonieuse, mais un tact parfait, etsont
pleines d’attentions et de prévenances pour leurs hôtes
et leurs amis. Presque toutes de tempérament froid et
1. Gouvernement de Tiflis (arrondissements de Signak,
Thélafï,Tionet, Douchet, Tiflis, Gori, Akhaltzik, Akkaltkhalaki).
100
GUIDE AU CAUCASE
lymphatique, leur cœur endormi est rarement de moi-
tié dans leurs abandons. Coquettes, le fard joue un
rôle indispensable dans leur toilette, elles se maquillent
et se parfument. Du reste, si Ton grisonne en Géorgie,
on peut se teindre facilement les cheveux ou la barbe
avec des poudres végétales persanes1.
L’ancien et élégant costume des femmes disparaît
malheureusement peu à peu, séduites qu’elles sont par
les nouveautés étrangères. Le démon des modes pari-
siennes se faufile partout et fait perdre le cachet na-
tional et original. Comme vêtements, d’abord pas de
chemise ; une camisole de percale ouverte sur le devant ;
un long pantalon de toile ( kliondjani ) fermé, serré à
la taille par une coulisse et attaché à la cheville ; quel-
quefois un jupon à volants ; une robe à longue traîne
qu’on ne relève jamais, quelque temps qu’il fasse; sur
la tête ou un simple grand voile blanc ou un tavsa-
kravi, sorte de tortil de baron formé d’un bandeau de
velours brodé d’où s’échappe un carré de mousseline
qui, passant derrière l’oreille, entoure le bas du visage
et se rejette derrière l’épaule. Les robes de couleurs
éclatantes, aux manches ouvertes, laissant apercevoir
la kaba, vêtement de dessous en soie, sont serrées à la
taille par un large ruban brodé qui retombe devant en
longs bouts flottants, ou par une ceinture en argent
niellé. En hiver, une sorte de surtout de velours à
manches pendantes, garni de velours et de fourrures,
orné sur la poitrine de trois gros brandebourgs.
1. En mélangeant, dans certaines proportions, de Yinna et
du basma, on peut graduer la nuance que Ton désire, depuis le
blond ardent jusqu’au beau noir le plus foncé. L’opération tou-
tefois est assez longue et ennuyeuse. On délaye de la poudre
dans de l’eau très chaude, et on en fait une sorte de cataplasme
assez épais qu’on étend peu à peu et d’une manière égale avec
une petite palette de bois, en protégeant la peau du visage, du
cou et des oreilles par des bandelettes de papier. Lorsque la
tête est couverte de l’enduit, on applique de grandes feuilles de
papier de soie et par-dessus une couche de ouate qu’on re-
couvre encore d’un linge serré. On doit conserver cette coiffure
pendant deux heures, puis avec de l’eau très chaude et du sa-
von, on termine l’opération en arrosant la tête avec un verre
de vinaigre rouge. Cette teinture très solide, qu’on n’a besoin
de répéter que tous les mois, donne aux cheveux qu’elle for-
tifie les reflets les plus brillants.
GUIDE AU CAUCASE
101
Une Géorgienne sort peu avec son mari, et celui-ci
ne lui donne pas le bras dehors. Une femme qui serait
marchande et qui se tiendrait derrière un comptoir
serait huée et conspuée. Aux réceptions, aux fêtes, les
femmes font bande à part et se mêlent peu aux
hommes.
Avec la façon dont se font les mariages, c’est plutôt
intérêt d’argent qu’affaire d’inclination ou de sympathie
qui rapproche les deux époux. Dans le choix de son
fiancé, la fille n’ayant pas voix au chapitre et n’étant
pas consultée, doit se soumettre docilement à la volonté
paternelle. Ce n’est pas une compagne surtout que
l’homme recherche, mais un appoint utile pour aug-
menter sa fortune personnelle ou faire une spéculation
lucrative. Ce n’est pas un mari, un soutien, un con-
fident de ses chagrins et de ses joies que la jeune fille
va trouver dans son époux, mais seulement un inconnu
plus ou moins séduisant, destiné à resserrer une alliance
de famille, ou le libérateur indifférent qui l’arrachera à
la vie triste de la maison. Quand l’heure de la désillu-
sion arrive avec tout le cortège des incompatibilités de
caractères et de goûts, les tiraillements quotidiens
aigrissent les rapports, les fautes se commettent sous
le toit conjugal, sans entraîner de séparations bruyantes
ou de scènes violentes, et les enfants subissent le
contre- coup des infidélités réciproques qui sont le
dénouement fréquent de ces unions malheureuses.
Ces usages et ces mœurs subsistent encore à peu près
inaltérés dans les classes inférieures ou moyennes et
dans les districts intérieurs. La triste condition des
femmes indigènes contribue pour beaucoup à l’absence
de toute vie de société. N’ayant à leur disposition que
peu de moyens de développer leurs facultés naturelles,
elles restent au-dessous des hommes comme des êtres
inférieurs. Il se peut que, par exception, quelques-unes
d’entre elles, intelligentes et énergiques, prennent en
main, au grand avantage de leur mari, la direction de
leur ménage, de manière à être en fait les chefs véri-
tables de la famille, mais c’est là une sorte d’usurpation
toute morale. Le seul droit reconnu d’une Géorgienne
est de travailler. Qu’elle soit d’un caractère doux et
102
GUIDE AU CAUCASE
modeste ou qu’elle soit bavarde et médisante^ qu’elle
soit honnête ou légère et d’une conscience peu délicate,
son sort est le même ; c’est à elle à se garantir du
péril de mourir de faim : son plus grand mérite, en
même temps que son principal devoir, est de donner
des enfants à son mari. Depuis que la Géorgie est une
province russe, 1 éducation européenne qui se propage
peu à peu commence cependant à exercer une heureuse
influence, et déjà plus d’une Géorgienne peut rivaliser
dans les salons de Tiflis avec les dames de l’aristocratie
russe. Cette influence de la civilisation slave, dont
l’action a ici un côté politique, se fait sentir de plus en
plus, surtout dans les hautes classes de la population
et au voisinage des principaux centres administratifs.
Bien des habitudes européennes introduites dans la
vie domestiqué modifient sensiblement les mœurs
natales et les usages anciens.
Le prince Vakhoucht, au début de sa Description de
la Géorgie, écrite avant le milieu du dernier siècle, en
trace un tableau précieux. La nation était anciennement
partagée en six classes, indépendamment de la race
royale , dans laquelle la couronne se transmettait direc-
tement de mâle en mâle par ordre de primogéniture, et
des prêtres. La première de ces six classes était celle
des thavadis ou princes. Tous ceux qui jouissaient de
ce titre étaient regardés comme des descendants directs
de Karthlos, et ils possédaient en propre des villes, des
châteaux et des vallées, ce qui était une condition
essentielle de leur dignité. Venaient ensuite : les
aznaourïs ou nobles, également possesseurs d’un
château et de villages, et qui devaient le service mili-
taire ; les éristhavis ou nobles, littéralement « têtes
du peuple », gouverneurs des provinces, établis par
les rois, mais dont les gouvernements se transmettaient
de père en fils ; les marchands, les msakhouris ou
serviteurs des nobles ; enfin, les paysans des cam-
pagnes et les artisans des villes ( glékhis ). Ces classes
existent encore aujourdhui, sauf les érithavis ou gou-
verneurs des provinces.
Plusieurs des coutumes anciennes furent changées
ou modifiées, et de nouveaux usages furent introduits
GUIDE AU CAUCASE
103
à diverses époques, soit par les Tatars, soit par les
Turcs-Ottomans et les Persans, lors de la prédominance
de ces peuples sur la Géorgie entière ou sur quelques-
unes de ses provinces. L’influence persane surtout,
plus ancienne qu’aucune des autres, fut aussi la plus
prolongée et la plus générale. La plupart des habitudes
de la vie domestique semblent modelées sur les formes
de la société persane. Le costume même est presque
persan.
Langue et Dialectes. — On a beaucoup discuté
sur la place qu’il faut assigner au géorgien dans la
classification des langues. Il y a trois opinions relatives
au caractère fondamental de la langue géorgienne.
MM. Brosset et Bopp ont cherché à établir l’origine
purement aryenne du géorgien. M. Max Muller a cru,
de son côté, pouvoir le ranger parmi les langues tou-
raniennes. M. Tstagaréli avec Klaproth, Moller et
Spiegel, considèrent que les langues caucasiennes, y
compris le géorgien, n’auraient aucun lien génétique
ni avec les langues aryennes ni avec les touraniennes.
Semblables en cela au basque, elles seraient proba-
blement les restes d’un grand groupe de langues
répandues dans l’isthme caucasien bien avant la venue
des Aryens Sémites et Touraniens dans cette région.
D’après Rosen, les langues du Caucase occidental
auraient un système phonétique commun, qui permet-
trait de les exprimer toutes par les signes de l’alphabet
géorgien, usités au moins depuis le Xe s. et qui sont,
de même que les lettres arméniennes, dérivés de l’al-
phabet araméen par l’intermédiaire du pehlvi et du
zend. En définitive, la majorité des linguistes excluent
les Géorgiens du groupe aryen. L’alphabet géorgien
se divise aujourd’hui en klioutzouri (géorgièn ecclé-
siastique) et mkédrouli (géorgien vulgaire et mondain).
Ce dernier qui dérive du khoutzouri , s’emploie en
littérature contemporaine et même dans quelques livres
modernes ecclésiastiques. Le géorgien se compose d’un
certain nombre de dialectes très distincts de province
à province, et ceux qui les parlent, à l’exception du
dialecte mingrélien, se comprennent entre eux. Ces
dialectes sont au nombre de quatre principaux : le
104
GUIDE AU CAUCASE
karthouli qui a lui-même diverses ramifications, le
mingrèlien , le souané et le laze . C’est dans le Karthli
que se parle le géorgien le plus pur. Le dialecte souané
et celui des Mingréliens s’éloignent le plus de l’idiome
karthouli .
On ne sait pas exactement à quel siècle ap. J.-C.
appartiennent les premiers monuments delà littérature
géorgienne. Les plus anciens documents ecclésiastiques
ne remontent qu’au IXe s. quoique M. Tsagaréli en ait
trouvé quelques-uns non datés qu’il attribue au VIIe
ou au VIIIe s. ap. J.-C. Les premières oeuvres de la
littérature mondaine, la plupart traductions et imi-
tations du persan, se rapportent au XIIe s. (règne de
Thamar) : ce sont les poésies de Chota Rousthavéli,
les romans de Ivan Chawtéli, Mossé Khonéli, Parguis
Tmogvéli. A cette même époque sont traduits les
ouvrages de Platon, d’Aristote et de quelques philo-
sophes byzantins. Pendant la longue période qui
s’écoule jusqu’au commencement de la domination
russe, la littérature géorgienne n’a rien produit de
remarquable; on ne trouve que des imitations de
Rousthavéli. Au XIXe s. apparaissent cependant trois
savants écrivains : le poète David Gouramichwili, le tsar
Vakhtang VI et son fils naturel le prince Vakhoucht
qui se sont efforcés d’éclairer l’histoire et la géographie
géorgiennes d’après les documents anciens. Vers la
première moitié du XIXe s., se présente un groupe de
poètes dont le talent se développe sous l’influence de la
civilisation russe. Ce sont les princes Tchatchavadzé,
Grégoire Orbéliani, Nicolas Baratachvili et Georges
Eristoff. Enfin, parmi les écrivains de la seconde partie
de notre siècle, il faut citer le prince Akaki Tsérételli
et Raphaël Eristoff. Après avoir débuté par de modestes
traductions de la Bible et d’ouvrages religieux, la
littérature géorgienne s’est enrichie peu à peu de récits
poétiques, de chansons, de comédies, de drames,
d’ouvrages étrangers. Il y a au Caucase onze impri-
meries géorgiennes. Des journaux géorgiens se publient
à Tiffis et à Kwirila. « Une Société géorgienne pour
la propagation de l’instruction » fonctionne depuis
onze ans.
GUIDE AU CAUCASE
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Religion. — A l’exception des Lazes convertis à
l’islamisme,, les Karthaliens sont chrétiens du rite grec,
et même c’est à un patron chrétien, saint Georges le
chevalier, que l’on pourrait peut-être attribuer avec
raison l’origine du nom de Géorgie et l’appellation russe
de Grousie qui en est dérivée, conformément à la pronon-
ciation locale. Au N. du Rion et de la Koura , Georges
est le saint vénéré par excellence, tandis qu’au S. de
ces rivières et dans tout le pays arménien le culte de
Marie a succédé partout à la déesse Ma ou Maya, qui
représentait la terre féconde et présidait aux récoltes.
L’église orthodoxe est placée sous l’autorité du saint
synode russe, qui a un consistoire particulier à Tiflis,
le consistoire grousino-iméréthien, lequel est présidé
par l’exarque de Géorgie.
Les Géorgiens tiennent fort à leur religion et, quoique
assez mous de caractère, ils ont cependant résisté
toujours avec une grande énergie aux persécutions
religieuses que leur ont fait subir les Turcs et les
Persans au temps des invasions L’architecture byzan-
tine des églises géorgiennes prit, au moyen âge, un
caractère original, notamment du Xe au XIIe s., au
temps de la puissance nationale. On voit encore de
cette époque de belles nefs, des clochers et des absides
de la plus gracieuse ordonnance. Même dans les vallées
les plus reculées des montagnes, on rencontre avec
étonnement des églises d’une remarquable beauté de
style, d’autant plus belles qu’elles se dressent, pour la
plupart, sur des collines entre des bouquets d’arbres
touffus. Presque toutes ces églises étaient construites
de manière à pouvoir servir de forteresses. Il en est
aussi de souterraines et qui pouvaient donner asile aux
populations en temps de guerre. En Kakhéthie, dans
les rochers de la steppe de Karaïas qui dominent la
vallée de la Koura, en Karthli, à Ouplis-Tsikhé près
Gori, à Vardzia, non loin d’Akhaltzik, et dans toutes
les régions montueuses, on connaît des labyrinthes de
cavernes où vivaient des populations de troglodytes.
On rencontre aussi une foule de tours qui rappellent
les nuraghi de la Sardaigne, et dont chacune a sa
légende.
106
GUIDE AU CAUCASE
Habitations. — L’ancien mode de construction
des habitations géorgiennes s’est maintenu depuis deux
mille ans. Des villages entiers ne se composent quel-
quefois que de trous percés dans la terre et ne sont
révélés au dehors que par des amas de branchages ou
par des toits d’argile sur lesquels s’asseyent les femmes
à la fraîcheur du soir. Dans la plupart des villes
géorgiennes un grand nombre de maisons sont encore,
suivant la coutume, non couvertes d’un toit, mais d’une
couche d’argile battue, d’environ soixante centimètres
d’épaisseur et fort légèrement inclinée, juste ce qu’il
faut pour que l’eau puisse s’écouler par les ouvertures
ménagées dans le petit mur entourant la terrasse. Sur
cette couche de terre, sorte de jardin aérien, croît une
épaisse végétation herbacée où domine le Lepidium
vesicarium qui se flétrit en été. Au point de vue hygié-
nique, les terrasses d’argile battue sont de beaucoup
préférables aux toits à l’européenne; elles maintiennent
dans les appartements une température plus douce en
hiver et plus fraîche en été; c’est par un sot esprit
d’imitation que les propriétaires de TifLis font bâtir
leurs maisons dans le style de l’Occident.
Mœurs et Coutumes. — Un des traits les plus
remarquables de la race géorgienne est son amour pour
le chant et la danse. Les Grousiens n’ont pas un grand
talent musical, et leur langue, pleine de gutturales et
de sifflantes, ne se prête guère à la mélodie; mais ils
n’en donnent pas moins de la voix tout le jour, en
s’accompagnant de la daïra ou tambourin et du
tchongouri , espèce de guitare à trois cordes. En
sarclant leurs champs de maïs ou en s’occupant de toute
autre besogne de la culture, les hommes, disposés par
groupes réguliers, chantent à plusieurs parties des
paroles rimées : à mesure qu’ils avancent, ils préci-
pitent leur chant; les mouvements deviennent de plus
en plus rapides. Arrivés au bout du sillon, les tra-
vailleurs s’arrêtent brusquement pour reprendre, en
revenant sur leurs pas, le refrain de leur chant et la
cadence de leur travail.
La coutume a donné aussi force de loi à la célé-
bration de nombreuses fêtes analogues aux « féeries »
GUIDE AU CAUCASE
107
et aux (( ducasses » de France. A pied, à cheval, dans
les arbas aux roues criardes, toute la population se
transporte au lieu de la fête signalé au loin par une
église vénérée ou par un bosquet de hêtues, car le
Géorgien aime beaucoup la nature et les beaux
horizons. Les chansons et la danse, lesghinka ou
lékouri , les festins, le commerce, les cérémonies reli-
gieuses, tout vient à son heure ; mais le culte lui-même
se célèbre avec assez peu de recueillement. Les pèlerins
arrivent gaiement, font bénir leur offrande et sacrifient
à la porte de l’église le bélier ou le taureau qui doit
servir au banquet. Les chants, les libations succèdent
aux’ prières et prennent parfois l’aspect de combats.
Autrefois les luttes simulées qui se livraient dans les
rues de TifLis, en souvenir de l’expulsion des Persans,
dégénéraient en batailles rangées, et des cadavres
marquaient toujours le lieu de la fête.
Climat, Végétation, Culture. — La Géorgie jouit
en général d*un climat doux, propice à la culture de
la soie, du coton ; malheureusement le littoral de la
mer Noire est malsain et contraste vivement avec l’air
vivifiant des montagnes de l’intérieur. Dans ce beau
pays, la nature se plaît dans les extrêmes. Cependant,
quelque inégal que soit le climat, il ne mettrait aucun
obstacle au développement des richesses naturelles si
l’agriculture était plus dans les goûts des populations.
Par le fait, rien ne leur manque. D’immenses forêts,
réunissant toutes les essences, alternent avec des
étendues non moins considérables livrées à la charrue.
De toutes les céréales, c’est le froment (mais presque
exclusivement le froment d’hiver) qui entre le plus
dans la consommation ; pourtant dans les cantons de
l’Ü. le maïs et le millet (gomi), employés à la confection
du pain, y prennent la plus grande place. Les autres
produits importants sont : le bois, la soie et le vin. Ce
dernier serait meilleur si on savait mieux le traiter et
surtout de manière à en assurer la conservation ; les
vins de Kakhéthie commencent à être déjà sensiblement
améliorés, grâce à l’emploi des barriques et des bou-
teilles qui permettent le transport du liquide mieux
que ne le font les outres ou bourdouks dans lesquels
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GUIDE AU CAUCASE
le vin prend une odeur désagréable. Puis viennent le
coton, le tabac, les plantes fourragères, et en outre,
une foule de fruits, notamment les mûriers.
Divisions administratives. — Les pays qui com-
posaient l’ancien royaume de Géorgie forment trois
gouvernements dont voici les subdivisions avec la
correspondance des divisions anciennes de la géographie
indigène :
1° GOUVERNEMENT DE TIFL1S
( Grousie ), 8 districts :
1. Signak
2. Thélaff
3. Tionet
4. Douchet
5. Tiflis
6. Gori
7. Akhaltzik
8. Akhalkhalaki .
DIVISIONS INDIGÈNES
Kakhéthie.
Karthli avec la Somkhêthie.
Samstkhè ou Sèmo-Karthli ( Kar-
thli supérieur).
2° GOUVERNEMENT DE KOUTAÏS
( pays dits géorgiens ), 7 districts :
j Imèrêthic.
Mingrèlie , Gourie , Souanètie.
3° PROVINCE DE BATOUM
3 districts :
16. Batoum )
17. Artvine > Lazie.
18. Adjarie ;
Statistique. — En 1836, les documents russes
portaient à 385,000 âmes environ la population totale
de la Géorgie avec les populations montagnardes de
sang géorgien, les Touches, les Pchaves et les Kevsours
9. Charopan
10. Ratcha
11. Koutaïs.
12. Sénak
13. Zougdidi
14. Ozourghet
15. Letchkhoum. .
GUIDE AU CAUCASE
109
qui habitent au-dessous de la Kakhèthie ; dans ce chiffre
n’étaient compris ni les districts lesghi-géorgiens de la
vallée orientale de l’Alazan qui renferment 38,000 habi-
tants, ni la province de Rani où l’on en compte plus
de 110,000. Le chiffre est porté bien plus haut dans le
tableau statistique des provinces russes du Caucase
dressé en 1865 par Stebnitzki, d’après les données
officielles. Dans ce dernier document la population des
pays géorgiens se montait en 1862 à 835,830 individus.
En 1874, le recensement par nationalités donna pour
tout le Caucase 910,080 Géorgiens. En tenant compte
de ceux qui vivent dans les territoires annexés et dans
le Lazistan , le nombre des Géorgiens peut aujourd’hui
être évalué à 1,600,000 habitants.
L’ARMÉNIE RUSSE ET LES ARMÉNIENS1
Géographie. L’Arménie est une des contrées de
notre continent qui ont joué le plus grand rôle dans
l’histoire. Elle fut le berceau des plus vieilles tradi-
tions de notre race, et, durant la grande époque de la
puissance romaine, elle figura souvent d’une manière
éminente dans les événements qui agitèrent le monde.
Aujourd’hui l’Arménie n’a plus d’existence politique.
Elle n’est plus un Etat ayant sa vie propre parmi les
nationalités de l’Asie. Puissante et redoutée au temps
de sa première monarchie, longtemps avant l’existence
politique de la Grèce et de Rome, l’Arménie s’affaiblit
par les vices de sa constitution féodale et par ses
propres dissensions qui la livrèrent à la merci des am-
bitions étrangères. Les grands États dont elle était en-
tourée l’asservirent ou la démembrèrent. Depuis qua-
torze siècles, l’Arménie a été tour à tour persane et
grecque, arabe et tatare; aujourd'hui elle est divisée
entre la Russie, la Turquie et la Perse. En même
temps que chaque invasion nouvelle introduisait dans
son sein de nouveaux éléments de population étran-
gère, les Arméniens eux-mêmes se jetaient au dehors
1. D’après Vivien de Saint-Martin, Dulaurier, Chardin,
Charles Texier, Dubois de Montpéreux, Brosset, Elisée Reclus.
110
GUIDE AU CAUCASE
par de nombreuses émigrations, qui se sont répandues
dans une grande partie de l’Asie et dans plusieurs con-
trées de l’Europe. De là il est sorti un double fait qui
domine aujourd’hui la géographie et l’ethnographie
arméniennes : au point de vue géographique, des pro-
vinces arméniennes appartenant à la Russie, à la Perse
et à la Turquie, mais plus d’Arménie proprement dite;
au point de vue ethnographique, une nation morcelée
et disséminée, dont chaque fraction a cependant con-
servé intactes la foi de ses pères et la langue nationale.
Ainsi, chose étrange, l’Arménie a péri malgré la cohé-
sion du territoire; et la nationalité arménienne s’est
conservée malgré l’asservissement et le morcellement
de la nation ou sa dissémination hors de la patrie natale.
La région qui, dès l’origine des temps historiques,
fut le siège de la race arménienne, c’est-à-dire le haut
plateau montagneux compris entre la vallée de la Koura
et les plaines de la Mésopotamie, avait une assiette na-
turelle très forte et des limites bien marquées. C’est
une contrée d’une altitude moyenne de 1.500 à 1 600 m.
qui offre à sa surface de nombreuses plaines mon-
tueuses, de grands enfoncements d’origine volcanique
où se sont formés des lacs sans écoulement, et des
chaînes de montagnes considérables coupées d’innom-
brables vallées. Sur quelques points de son pourtour,
à l’O. en venant de l’Anatolie par Erzéroum, au N. -O.
en venant de la Géorgie occidentale par Aklialtzikh et
la région des sources de la Koura, au S.-E. en venant
de la Perse par Tauris, on entre en Arménie, on peut
dire de plain pied, ou du moins on n’a à monter que
des pentes peu sensibles, le plateau se rattachant dans
ces trois directions aux hautes plaines des contrées en-
vironnantes ; mais de tout autre côté le voyageur n’y
pénètre qu’en franchissant une suite de gradins consi-
dérables ou en gravissant des pentes escarpées. Même
en dehors de toute mesure directe, la grande hauteur
du plateau arménien serait suffisamment indiquée par
cette disposition physique de ses abords, aussi bien que
par le nombre de fleuves et de rivières qui y ont leurs
sources, et qui en descendent dans toutes les directions
pour se porter vers des mers différentes. C’est au voisi-
GUIDE AU CAUCASE
111
nage de cette région des sources, la plus élevée du pla-
teau, que l’Ararat projette sa double cime, c’est là que
les antiques traditions consignées dans la Genèse de
Moïse placent le berceau du monde et le point de dé-
part de tous les peuples. C’est là aussi que les premières
lueurs de l’histoire nous montrent les Arméniens déjà
constitués en une monarchie puissante sous les descen-
dants d’un chef (Haïk) sorti de la Babylonie dans le
même temps que se formaient les autres Empires de
l’ancienne Asie occidentale : dans la vallée de la Koura,
la monarchie de Karthlos ; dans les pays de l’Euphrate et
du Tigre, la monarchie d’Assur; dans les contrées plus
intérieures de la haute Asie, l’Empire médo-bactrien.
D’après les traditions nationales consacrées par l’his-
toire arménienne, le siège originaire delà race s’étendit
de la vallée supérieure du Mourad à la vallée de
l’Araxe, dans les provinces de Douroubéran, d’Ararat
et de Siounik’h. Là est l’Arménie primitive, le Haïas-
tan proprement dit : car Haïastan fut longtemps le seul
nom connu et employé parmi les indigènes. Celui
d’Arménie, qui a été universellement adopté par tous
les étrangers, est, sans aucun doute, d’origine sémi-
tique et fait allusion à l’élévation du pays par rapport
aux plaines mésopotamiennes.
D’Arménie primitive ne dépassait nulle part les
limites extrêmes du grand plateau; mais plus tard ces
limites furent franchies par la conquête,, ou par l’exten-
sion graduelle de la population. A l’O., les Arméniens
pénétrèrent dans la haute vallée de l’Euphrate et dans
les plaines de la Cappadoce; au N., ils envahirent une
portion du bassin du Tchorokh, et même plusieurs
parties du bassin supérieur de la Koura; à l’E., ils
s’avancèrent à la gauche de l’Araxe dans la direction
de la mer Caspienne, couvrirent la vaste province
qu’on nomme aujourd’hui le Karabagh, dans l’angle
intérieur de la Koura et de LAraxe, au-dessus de leur
confluent, et remontèrent la vallée droite de la Koura
depuis sa jonction avec l’Araxe jusqu’aux confins du
Karthli méridional, enveloppant ainsi complètement le
bassin du lac de Sévang, dont ils n’avaient originaire-
ment occupé que le côté occidental. Au S., ils se ré-
112
GUIDE AU CAUCASE
pandirent aussi dans l’Aderbeïdjan, principalement au
pourtour occidental du lac d’Ourmiâh, pénétrèrent
dans quelques-unes des hautes vallées du Kurdistan
qu’arrosent les affluents du Tigre, et descendirent les
pentes échelonnées du plateau qui dominent les sources
de ce dernier fleuve, pour venir occuper une partie des
plaines septentrionales de la Mésopotamie. Le nom
d’Arménie ainsi appliqué à des provinces qui, pour la
plupart, avaient été antérieurement occupées par
d’autres populations géorgiennes mèdes ou sémi-
tiques, reçut à diverses époques une acception plus ou
moins étendue, et il en est résulté une assez grande
incertitude sur les limites précises dans lesquelles ce
nom se renferme. Ces doutes seront en grande partie
écartés si l’on s’attache à cette distinction essentielle
des pays originairement arméniens et des provinces
annexées. Dans la plupart de celles-ci, en effet, par
exemple dans les districts de l’Aderbeïdjan, du Kurdis-
tan et de la Mésopotamie, ainsi que dans les provinces
conquises de la haute Géorgie, les populations anté-
rieures sont toujours restées dominantes, et il convient
conséquemment de ne pas comprendre ces portions de
territoires dans les limites de la véritable Arménie^
tandis qu’on y doit rattacher au contraire la haute vallée
de l’Euphrate et la partie droite de la basse vallée de
la Koura, depuis la rivière de Bortchalo jusqu’au con-
fluent de l’Araxe, où les Arméniens ont formé à toutes
les époques connues (antérieurement à l’irruption des
tribus de langue turque) la population dominante,
sinon exclusive.
L’Arménie comprendra ainsi la presque totalité du
pays situé entre la Koura et l’Araxe, à la seule excep-
tion du Somkhéthi géorgien et de la Meskhie ou région
des sources de la Koura ; le surplus de la haute vallée
de l’Araxe : tout le bassin des deux grandes branches
supérieures de l’Euphrate jusqu'à leur jonction ; enfin,
le bassin particulier du lac de Van. Dans cette circons-
cription essentiellement ethnographique, l’Arménie
conserve cependant encore sur une grande partie de
son pourtour ses limites naturelles. Au total, el malgré
ses extensions partielles, il est toujours vrai de dire
GUIDE AU CAUCASE
113
que l’Arménie est la terre du haut plateau caucasien.
Au point de vue de la géographie naturelle, c'est là
son trait caractéristique. Elle se partage inégalement
♦ entre les deux grands systèmes d’eaux de l’Araxe et de
l’Euphrate. Le premier est de beaucoup le plus étendu.
Le bassin du lac de Van forme entre les deux un petit
système isolé. Le morcellement actuel de l’Arménie
entre les trois puissances copartageantes coïncide lui-
même, en général, avec la distinction des grands bas-
sins auxquels appartiennent les provinces arméniennes.
L 'Arménie russe , située tout entière entre l’Araxe et
la Koura, comprend la presque totalité du bassin de
UAraxe. V Arménie turque , sauf une portion relative-
ment faible de la haute vallée de l’Araxe, ne se com-
pose que des provinces du bassin de l’Euphrate, avec
le bassin particulier du lac de Van. U Arménie persane ,
beaucoup moins étendue que les deux autres, ne com-
prend que quelques districts de la droite de l’Araxe et
ne forme plus ainsi, en quelque sorte, qu’un appendice
de l’Arménie russe.
Les grands lacs répandus sur le plateau arménien
sont une des particularités les plus remarquables 'de la
configuration physique de cette haute région. Le lac
de Van , le lac d 'Ourmiah et le lac de Goktchaï (qué
les Arméniens nomment Séoang , et les Turcs Gheuk-
tchaï), le premier dans l’Arménie turque, le second
dans l’Arménie persane, le dernier dans l’Arménie
russe, sont de magnifiques nappes d’eau sans écoule-
ment extérieur, vastes réservoirs enveloppés de mon-
tagnes volcaniques. Parmi les montagnes dont le pays
est hérissé, quelques-unes sont au nombre des grandes
sommités de l’Asie. Le plus haut sommet de V Ararat
s’élève à 5,156 m. d’altitude absolue au-dessus du ni-
veau de la mer et domine de 2,600 m. le niveau du
plateau. L e Binglieul-Dagh , au S. d’Erzéroum , est
élevé de 3,752 m. au-dessus de la mer; VAlaghôz , au
N. d’Erivan, de 4,095 m.; le pic de Savalan , au
S. de l’Araxe inférieur, de 4,813 m. environ. L’alti-
tude des sources de l’Euphrate est de 2,570 m., celle
du lac de Van est de 1,559 m. ; celle du lac Goktchaï
de 1,925 m.
8
114
GUIDE AU CAUCASE
Nous avons dit qu’une foule de cours d’eau nais-
saient dans les parties culminantes du plateau arménien.
Ce sont d’abord les affluents du Rion (Phase) et le
Tchorok (qui n’appartient pas tout entier à l’Arménie),,
et qui s’écoulent vers le fond de la mer Noire ; la Koura
qui reçoit YAraæe et aboutit à la mer Caspienne; les
deux grandes branches supérieures de l’Euphrate, le
Kara-sou d’Erzéroum et le Mourad-tchaï qui portent
à la mer des Indes la masse de leurs eaux grossies de
celles du Tigre ; toutes ces rivières, les plus impor-
tantes de l’Asie occidentale, prennent naissance à peu
de distance les unes des autres dans un espace d’environ
100 kil. de rayon. Comme tous les pays de montagnes,
l’Arménie est coupée d’un nombre infini de vallées
que sillonne une multitude de petites rivières et d’im-
pétueux torrents. C’est à cette disposition physique que
la plupart des cantons et des provinces doivent les
terminaisons de dsor, hovit (vallée, creux, enfonce-
ment), qui entrent dans la composition de leurs noms.
Lorsque Tigrane, retenu dans sa jeunesse en otage chez
les Parthes, voulut recouvrer sa liberté, il dut leur
abandonner, dit l’histoire, soixante-dix vallées, c’est-à-
dire soixante-dix cantons.
Le cadre de cet article ne nous permet pas de con-
sacrer à V Arménie persane et à Y Arménie turque des
notices descriptives spéciales. L’ Arménie russe est
renfermée dans la vaste presqu’île que forment l’Araxe
et la Koura avant de se réunir. La Koura la limite au
N. et à l’E., du côté de la Kakhéthie et du Chirvan ;
l’Araxe la limite au S. du côté de l’Aderbeïdjan et de
l’Arménie persane. Au S.- O. une petite chaîne de
montagnes volcaniques, qui part de l’Ararat et enve-
loppe les sources du Mourad-tchaï,, la sépare du packa-
lik de Baïazid; et à l’O. elle est séparée du pachalik
de Kars (qui appartient comme le précédent , mais
en partie, à l’Arménie turque), par une rivière, l’Arpa-
tchaï, affluent delagauchede l’Araxe. Au N. -O. enfin,
la chaîne très élevée des monts Pambaki ou Pensakhi
forme sa limite du côté de la province géorgienne de
Somkhéthi. Salongueur de l’E. àl’O., depuis Djevat,
point de jonction de l’Araxe et de la Koura, jusqu’à
GUIDE AU CAUCASE
115
l’Arpatchaï, est de 420 kil., à ouverture de compas;
sa plus grande largeur, entre la Koura et l’Araxe, est
de 250 kil., prise également en ligne droite et sans tenir
compte des inévitables sinuosités d’une ligne de cette
étendue dans un pays aussi inégal. L’Arménie russe
est en effet une contrée des plus montagneuses. Le
Goktcliaï ou lac Sévang, qui en occupe le centre, grande
nappe d’eau de 72 kil. de longueur sur 37 kil. dans sa
plus grande largeur, est enveloppé d’un cirque de
montagnes volcaniques dont beaucoup de sommets
dépassent la région des neiges perpétuelles. Les chaînes
de VAlagôz et de Pambaki s’y rattachent l’une et
l’autre, la première courant au S. vers l’Araxe qu’elle
rencontre près d’Ordoubad, où le lit resserré du fleuve
forme à travers les rochers une suite de rapides et de
cascades que les Arméniens nomment Kharavaz et
les Turcs Arasbar; la seconde courant à l’O. sur la
limite commune de l’Arménie et de la Géorgie, toutes
deux formant ici, avec le massif même où se creuse le
lit du lac, l’angle N.-E. du plateau d’Arménie. Un
peu au S. des monts Pambaki, un pic isolé, que les
Arméniens nomment Aragdaz et les Turcs Alagôz,
projette à une hauteur de 3,300 m. environ au-dessus
de la plaine où il est assis, la plus élevée des quatre
aiguilles de granit par lesquelles il se termine; et la
plaine elle-même est à près de 900 m. au-dessus du
niveau des mers. M. Parrot a trouvé pour l’altitude
absolue du pic le chiffre de 12,871 pieds (4,180 m.).
Une multitude de ramifications des chaînes principales
se portent d’ailleurs soit sur le bassin de la Koura, soit
du côté de l’Araxe, et sillonnent partout le pays d’in-
nombrables vallées. Les rivières y sont nombreuses ;
mais la rapidité générale de leurs eaux, résultat de
leur pente très inclinée, le peu de longueur de leur
cours, et leurs intermittences de croissance ou de
dessèchement, selon les saisons, leur donnent plutôt
le caractère de torrents alpins que de rivières proprement
dites. Elles se partagent en deux systèmes : celui de
l’Araxe et celui de la Koura.
Le territoire actuel de l’Arménie russe répond à
quatre provinces de l’ancienne Arménie : YOudi,
116
GUIDE AU CAUCASE
F Artscikh, le Païtakaran et le Siounikh, avec une
portion considérable de la vaste province RArarat, et
la partie de celle de Vaspourakan qui s’étend sur la
gauche de l’Araxe. Elle a d’abord formé, sous l’admi-
nistration russe, les deux provinces d’Erivan et de
Karabagh, auxquelles étaient annexés les districts de
Gandja ou Elisabethpol, de Chamchadin et de Kasakh ;
aujourd’hui on en a formé la province entière d’Erivan,
la presque totalité de la province d’Elisabethpoi , la
province de Kars et une portion du gouvernement de
Tiflis.
Histoire. — Les commencements de l’histoire ar-
ménienne, comme ceux de tous les peuples, sont
obscurs et légendaires; ce qu’on y voit de plus certain,
c’est que les Arméniens devinrent de bonne heure les
vassaux des monarques assyriens et persans. Au rap-
port des écrivains indigènes, Haïk fut le premier chef
ou prince qui gouverna leur pays. Il était fils de Ta-
glath qui, selon eux, est le même que le patriarche
Thogorma, petit-fils de Japhet. Vingt- deux siècles
environ avant notre ère, il quitta Babylone sa patrie,
et vint se fixer avec toute sa famille dans les montagnes
d’Arménie méridionale pour fuir la tyrannie du roi
d’Ass}o*ie. Aram, le sixième successeur de Haïk, vain-
quit les Mèdes, s’empara de l’Assyrie septentrionale
et poussa ses conquêtes jusqu’en Cappadoce, où il
fonda la ville de Majakh ou Mazaca, qui depuis fut
nommée Césarée. Il fit alliance avec Ninus, roi d’As-
syrie, qui lui accorda le premier rang en Asie. Son fils
Ara périt en défendant l’indépendance de son pays
contre Sémiramis; l’Arménie devint alors une province
assyrienne, mais en conservant ses rois indigènes. Cet
état de choses dura jusqu’à Paroïr, trente -sixième
successeur de Haïk. Paroïr se joignit aux satrapes
révoltés qui détrônèrent Sardanapale et détruisirent
son empire (VIIIe s. avant notre ère). Le royaume
arménien recouvra son indépendance, mais il ne revint
à sa première splendeur qu’au temps de Dikran ou
Tigrane Ier, qui régnait en 565 av. J.-C. C’est ce Ti-
grane qui fit bâtir la ville de Tigranocerta, située aux
bords du Tigre et portant aujourd’hui le nom d’Amid.
GUIDE AU CAUCASE
117
Le dernier roi de la dynastie de Haïk fut Vahé; il périt
l’an 328, en combattant les généraux d’Alexandre le
Grand. Après la mort du roi de Macédoine, l’Arménie
devint le partage d’un persan nommé Mithrinès, qui
en avait été nommé gouverneur par le conquérant
macédonien. Un peu plus tard l’Arménie rentra sous
la domination des rois de Syrie, qui la firent gouverner
par des envoyés; mais bientôt Artaxias, l’un d’eux,
Arménien de naissance, se révolta contre Antiochus le
Grand, au moment où ce roi venait d’être vaincu par
les Romains. Depuis ce temps les Séleucides ne purent
rétablir leur puissance dans ce pays. Artaxias transmit
la couronne à ses descendants, qui, à ce qu’il paraît, ne
la conservèrent pas longtemps, puisqu’on voit bientôt
après les Arsacides faire la conquête de l’Arménie et y
établir leur race. Cet événement eut lieu l’an 149 av.
J.-C. A cette date commence la seconde dynastie des
rois d’Arménie, celle des Arsacides. La ville deNisibe,
en Mésopotamie, fut la capitale du nouveau royaume.
Vagharchak fit des conquêtes dans l’Asie- Mineure,
dans le pays des Lazes, et étendit sa domination sur
les peuples montagnards du Caucase. A son retour de
ces expéditions lointaines, il donna des lois et de sages
institutions à son peuple. Tigrane II, son arrière-petit-
fils, parvint au trône l’an 89 avant notre ère; doué de
quelques talents et d’un grand courage, il voulut sou-
mettre tous les peuples de l’Asie à son Empire. Non
satisfait d’avoir réuni à ses Etats la Syrie et plusieurs
provinces de l’Asie -Mineure, il attaqua la branche
aînée des Arsacides qui régnait en Perse. Son audace
fut couronnée du plus heureux succès : la Mésopotamie,
l’Adiabène et l’Atropatène conquises lui valurent le
titre de (( roi des rois » que les princes parthes lui
reconnurent. Il ne balança pas à embrasser la cause
de Mithridate, roi du Pont, qui, vaincu par les Ro-
mains, était venu chercher asile dans ses Etats et
implorer son appui. Vainement il déploya tout son
courage pour soutenir ce prince malheureux; l’orgueil-
leux Tigrane fut défait, contraint d’abandonner presque
toutes ses conquêtes et de renoncer au fastueux titre de
« roi des rois '). Son fils Artavasdelui succéda et périt,
118
GUIDEAU CAUCASE
l’an 34 av. J.-C., par la perfidie de Marc-Antoine qui
s’empara par trahison de sa personne, l’emmena captif
à Alexandrie et livra sa tête à Cléopâtre. Son royaume
fut donné à Alexandre, fils de cette reine et d’Antoine ;
mais les Arméniens ne tardèrent pas à chasser
cet étranger. Depuis ce temps l’Arménie ne put
jamais se relever. Les successeurs de Tigrane, jouets
de la politique romaine ou de celle des princes parthes,
virent dans tous les temps leur Empire ravagé par ces
deux puissances, trop heureux de conserver sous la
protection de l'une des deux leur trône avili. La plu-
part des vallées ou cantons de leurs pays montagneux
étaient possédés par de nombreux vassaux souvent
aussi puissants que leurs maîtres et peu disposés à leur
obéir. Après la mort d’Abgar, arrivée l’an 32 ap. J.-C.,
le royaume fut partagé entre son fils Anané et Sana-
trouk. Le premier continua de résider à Edesse, qui
était alors la capitale du royaume ; le second régna à
Nisibe, ville qu’il avait fait reconstruire. Après deux
siècles de troubles l’Arménie fut conquise, en 232, par
Ardechir, premier roi de Perse de la dynastie des
Sassanides, sous la domination de laquelle les Armé-
niens restèrent pendant vingt-huit ans. Toute la race
des Arsacides de l’Arménie périt à l’exception de Terdat
ou Tiridate, qui se réfugia à Rome et obtint de l’em-
pereur une armée considérable, avec laquelle il attaqua
les Perses et rentra en Arménie. Sous le règne de ce
Tiridate, auquel les historiens arméniens donnent
l’épithète de Medz , ou le Grand, la religion chrétienne
fut introduite en Arménie (commencement du IVe s.),
mais cette conversion devint la cause de longs déchi-
rements intérieurs et d’interventions du dehors. Il y
eut en 387 un partage de l’Arménie entre les Romains
et les Perses ; en 428 le roi de Perse fit définitivement
du royaume d’Arménie une province de l’Empire des
Sassanides. Ainsi finit pour toujours la dynastie des
Arsacides ; elle avait régné 577 ans, depuis l’année 149
avant notre ère. La monarchie des Sassanides s’étant
écroulée en 632, les Arméniens espérèrent trouver chez
les Grecs la protection nécessaire contre la puissance
toujours croissante des Arabes; mais pendant cette
GUIDE AU CAUCASE
119
guerre entre les Mahométans et les Grecs, le malheureux
pays fut encore une fois presque entièrement dévasté.
Cependant un des princes de la glorieuse famille des
Bagratides se conduisit avec tant de sagesse et de
prudence, qu’il parvint à se concilier également la con-
fiance des autres princes arméniens et l’amitié du Kalife,
qui le fit couronner roi d’Arménie, en 885, à Ani. Achot
fut également reconnu par les Grecs et fonda la troisième
dynastie, celle des Bagratides. Ani, la nouvelle capitale,
devint florissante et célèbre par le luxe et les richesses ;
mais la famille royale se divisa en plusieurs branches,
qui bientôt se brouillèrent entre elles. En même temps,
les Turcs Seldjoucides et les Grecs se disputèrent
encore une fois l’Arménie. Finalement les Grecs s’en
emparèrent, après avoir fait périr, en 1079, le dernier
roi bagratide, et en réunirent la plus grande partie à
leur empire. Ce fut le coup final porté à la nationalité
politique de l’Arménie, elle ne s’en est pas relevée. A
côté des Grecs, plusieurs principautés turques se for-
mèrent dans le N. du pays, et les Kurdes s’établirent
dans les cantons méridionaux. La famille des Orbélians,
originaire de la Chine, avait aussi des possessions
considérables dans le voisinage de Lori, en Géorgie, et
au N.-E. de Nakhitchévan, en Arménie, mais toutes
ces principautés indépendantes disparurent au milieu
du XIIIe s., lorsque les Mongols s’emparèrent de
l’Arménie et des pays voisins. Dans la seconde moitié
du XVe s., l’Arménie fut envahie par les Turkomans ;
et enfin depuis 1555, après de longues et sanglantes
alternatives, la contrée tout entière fut soumise aux
Turcs Ottomans.
Cependant l’Arménie avait eu une sorte d’existence
posthume dans les vallées du Taurus cilicien à l’ex-
trémité S.-E. de TAsie-Mineure. Déjà dans les Ve et
VIe s., beaucoup de familles arméniennes, pour se
soustraire aux persécutions des Persans, s’étaient ré-
fugiées dans cette partie du territoire grec. Après l’assas-
sinat du dernier roi bagratide par les Grecs, en 1079,
un de ses parents nommé Rhouben se retira dans les
montagnes de la Cilicie, s’y attacha les habitants
d’origine arménienne et chassa les Grecs de tous les
120
GUIDE AU CAUCASE
lieux où il put les atteindre. Ses successeurs étendirent
leurs possessions au point que toute la Cilicie leur
fut soumise. Ils firent des alliances avec les Croisés, et
ils devinrent si puissants que Léon II obtint le titre de
roi de l’empereur allemand Henri VI, qui le fit cou-
ronner en 1198 à Sis, par l’archevêque Conrad de
Mayence. Le royaume des Rhoubéniens fut pendant
assez longtemps florissant. Les princes surent se con-
cilier l’amitié des Mongols en Perse, et résistèrent
autant qu’ils purent aux Mamelouks d’Egypte; mais
peu à peu leur pays fut divisé par des troubles intérieurs
que l’influence des papes augmenta encore, de sorte
qu’il succomba enfin aux attaques des sultans d’Egypte.
Le dernier roi Léon VI, de la maison de Lusignan, fut
fait prisonnier en 1375, et mourut à Paris en 1391.
Avec lui disparut la dernière trace d’existence politique
dont aient joui les Arméniens.
Les derniers faits qui se rapportent encore à l’histoire
territoriale de l’Arménie appartiennent à notre temps.
Depuis la fin du XVI® s., les rois de Perse avaient
enlevé aux Ottomans et incorporé à leur Empire la
partie orientale de l’ancien royaume arménien; et dans
la partie supérieure du bassin de la Koura, les succes-
seurs des anciens rois de lTbérie (dont le royaume
avait pris le nom de Géorgie) avaient étendu leur
autorité sur quelques-unes des anciennes provinces
arméniennes entre la Koura et l’Araxe,àrO. du lac Sé-
vang. En 1783, Héraclé, souverain de ce petit royaume,
avait reconnu la suzeraineté du Tsar; en 1801, peu
après la mort de Georges XIII, successeur de ce prince,
ses domaines furent déclarés partie intégrante de l’Em-
pire. Ce fut le premier pas de la Russie sur les terres
arméniennes. Un second pas plus considérable encore
fut fait en 1827, lors de la paix subie par la Perse, qui dut
abandonner toutes ses possessions du N. de l’Araxe.
Enfin, en 1829, le traité d’Andrinople imposa à la
Turquie une rectification de sa frontière arménienne
qui ajouta encore quelques districts à la Transcaucasie
russe, et de ce côté établit la limite turco-russe telle
qu’elle est aujourd’hui.
Après l’acquisition de 1827, le nom de province d’ Ar-
GUIDE AU CAUCASE
121
ménie avait été donné par l’administration russe à la
partie du nouveau territoire où se trouvent les villes
d’Erivan et de Nakhitchévan ; ce nom a disparu dans
la nouvelle organisation territoriale de 1868, où les deux
districts prennent le nom de leurs chefs-lieux et font
partie du gouvernement d’Erivan. Géographiquement,
la vieille dénomination d’Arménie n’existe plus que
dans la nomenclature administrative de la Turquie, où
elle prend la forme Erménistan.
Ethnographie. — Il y a eu en Arménie tant de
causes de mélanges et de croisements, que la pureté
des types individuels y reste toujours entachée de
doute. On a pensé avec raison que la colonie arménienne
d’Astrakhan devait présenter sous ce rapport une plus
grande sécurité. Les Arméniens réfugiés à Astrakhan
depuis l’époque de leur émigration d’Ani, au XIV0 s.,
s’y sont trouvés entourés cle populations sauvages et
musulmanes; isolés ainsi, pendant plusieurs siècles,
de tout contact étranger, ils ont pu conserver leur type
national dans la forme sinon primitive, du moins telle
qu’elle existait sous les premiers Mongols. En Trans-
caucasie, les Arméniens sont de haute taille, assez bien
faits, mais enclins à l’obésité. Une épaisse chevelure
brune couvre leur tête. Les yeux noirs, grands, mais
beaucoup plus encaissés dans l’orbite que chez les
Persans, semblent doux, presque mélancoliques ; le
front est bas, le nez presque sans exception est très
proéminent, très aquilin, et d’une grande longueur.
L’ovale du visage est plus arrondi que celui des Géor-
giens ; les traits sont aussi d’ordinaire plus forts, le
cou plus gros et plus court. La peau assez fine chez les
jeunes individus est très sujette à devenir avec l’âge,
jaunâtre et couperosée, chez les hommes comme chez
les femmes. Fort tranquilles de leur nature, dans la
vie ordinaire, aucun Arménien n’est armé, tandis que
le costume des Géorgiens, surtout dans le bassin du
Rion, se complète par tout un arsenal de pistolets et
de poignards. Ainsi se révèle d’une manière frappante
le contraste des caractères nationaux. Mais précisément
l’homme désarmé, le résigné, le pacifique, est celui
qui a su le mieux sauvegarder sa liberté ; il ne recon-
122
GUIDE AU CAUCASE
naît point de nobles, choisit librement ses chefs, et
de tout temps il a su se soustraire à la dure condi-
tion de serf qui fut le partage de la plupart des
Géorgiens.
Assez ignorants, en général, les Arméniens font
preuve d’une intelligence naturelle remarquable, et
quand roccasion d’étudier se présente à eux, ils s’ins-
truisent avec une étonnante rapidité; ils dépassent
même les Slaves par la merveilleuse facilité qu’ils ont
d’apprendre et de parler les langues. L’Arménien a son
intelligence dans la tête, tandis que le Géorgien l’a
seulement dans le regard. Les Arméniens exercent en
Russie et par conséquent dans toute la Caucasie une
influence considérable, due à leur intelligence, à leur
pratique des langues, à leur souplesse, souvent aussi à
leur esprit d’intrigue, au talent remarquable qu’ils ont
à pénétrer dans le monde des fonctionnaires. On sait
combien large est la part de domination que les Haï-
kanes ont prise à Constantinople sous le nom de leurs
maîtres Osmanlis. A Saint-Pétersbourg, ils ont com-
mencé aussi à jouer leur rôle, analogue à celui que les
ingénieux Italiens ont fréquemment exercé en France.
Dans la Transcaucasie même ils essayent d’accaparer
peu à peu le sol ; comme propriétaires, ils empiètent
constamment sur leurs voisins les Tartares.
Malgré leur perpétuel contact, les Géorgiens mon-
trent pour les Arméniens de l’aversion et un peu de
mépris. D’anciennes guerres où les Géorgiens furent
moins souvent vainqueurs que vaincus peuvent expli-
quer cette haine nationale encore augmentée par la
différence radicale des mœurs, des goûts et des habi-
tudes. Le Géorgien avec la rudesse et l’ignorance du
soldat en a aussi la franchise et l’abandon ; pacifique
par inclination et par intérêt, et presque exclusivement
adonné au commerce, l’Arménien en a dû contracter
les habitudes de stricte économie et peut-être aussi de
duplicité profondément antipathiques au caractère
ouvert, libéral et hospitalier du Géorgiem. Gens de
tous métiers, pourvu qu’ils soient rémunérateurs, les
Arméniens sont poussés par leurs aptitudes natu-
relles vers le négoce et la banque ; grâce à leur
GUIDE AU CAUCASE
123
esprit de parcimonie, ils réussissent souvent à accu-
muler d’assez grosses fortunes. Qu’il soit employé,
fonctionnaire, banquier, prêteur sur gage, l’Arménien
n’a qu’un objectif, l’argent; il a parfaitement saisi que
c’est la grande puissance qui domine la société moderne,
et tous tendent leurs efforts vers ce but qu’ils pour-
suivent sans relâche et souvent sans beaucoup de
scrupules, aussi n’y a-t-il que peu de Juifs au Caucase,
les Arméniens rendantlaprésencedeces derniers inutile.
Par leur travail et leur esprit de suite, les Arméniens
s’enrichissent tandis que les Géorgiens s’appauvrissent
pour la plupart du moins. Une réaction cependant
notable est à constater depuis les faillites de quelques
grands capitalistes de Tiflis. Ce sont les petites banques
géorgiennes qui sont devenues propriétaires de quel-
ques terrains et d’immeubles qui deviendront produc-
tifs, dès qu’on saura en tirer suffisamment parti.
En résumé, si l’on s’accorde à reconnaître dans les
Géorgiens une certaine supériorité morale sur les
Arméniens, il est incontestable aussi que ces derniers
1’emportent par la finesse et par une plus grande ins-
truction. Au fond, ces deux races si différentes, assez
hostiles l’une à l’autre, se mélangent peu. De temps à
autre, quelque prince géorgien ruiné cherche à amé-
liorer ses finances en épousant la fille de quelque riche
Arménien. Cette absence de fusion est regrettable, car
le croisement des deux races produirait une descen-
dance que la combinaison des qualités et des habitudes
héréditaires de l’une et de l’autre devrait douer supé-
rieurement.
Religion. — L’Eglise arménienne professe, comme
les Eglises grecque et latine, le dogme des deux natures,
des deux volontés et des deux opérations en J.-C. Une
ambiguïté dans les termes de leur idiome employés
pour définir la coexistence et la corrélation des deux
natures de l’Homme-Dieu a causé la méprise dans
laquelle on est tombé en disant que les Arméniens
ont embrassé le monophysisme tel que l’ont enseigné
Eutychès, archimandrite de Constantinople, et ses
adhérents Dioscore, patriarche d’Alexandrie, et Jacques
Baradée dit Zanzale, qui ne reconnaissaient en J.-C.
124
GUIDE AU CAUCASE
qu’une seule nature, la nature divine1. Quant aux
grands dogmes de l’Evangile, tels que la Trinité, la
Rédemption*, etc. , l’Eglise arménienne admet pour
règlepde sa foi le symbole des Apôtres et celui du concile
de Nicée. Elle invoque les saints, tient en honneur les
vœux monastiques, prescrit de longues prières et de
rigoureuses abstinences. Elle ne regarde le baptême
comme valable que lorsqufil a été administré par
immersion. Les Mékhitaristes de Venise et un grand
nombre d’ Arméniens vivant en dehors de la Trans-
caucasie et de la Turquie appartiennent au rite des
Arméniens unis, qui se rattachent à l’Eglise catholique
romaine.
Le peuple d’Arménie, christianisé au commencement
du IVe s. par Grégoire lTJluminateur, est le premier
qui se soit converti en masse; mais en changeant de
dieux, il ne perdit point ses traditions et ne modifia
que peu à peu son culte; la transformation ne s’accom-
plit que lentement. Encore de nos jours, comme au
temps de Zoroastre, on célèbre le feu divin; le jour de
la fête annuelle, un couple de nouveaux mariés embrase
dans un bassin de cuivre tout ce que la terre bien-
faisante produit de meilleur, fleurs de toute espèce,
tiges de céréales en épis, pampres, branches de laurier.
Dans tous les actes importants de la vie, on regarde
vers le soleil, comme pour lui demander la force. Les
fiancés tournent leur face vers lui en le prenant à
témoin de leur amour; les malades lui demandent la
santé; les mourants espèrent lui donner leur dernier
regard, et c’est à ses rayons qu’on enterre les morts.
Lors des grandes fêtes, les Arméniens amènent dans
l’église ou sous des arbres sacrés des taureaux ou des
béliers couronnés de fleurs et décorés de cierges
allumés, puis les égorgent avec accompagnement de
chants et de prières : c’est évidemment le sacrifice du
dieu Mithra légué par l’ancienne religion à la reli-
gion nouvelle.
La constitution du clergé arménien est hiérarchique.
Au sommet se trouvent trois patriarches ayant le titre
1. Dulaurier.
GUIDE AU CAUCASE
125
de Catholicos , dont l’un, le plus honoré, sinon le plus
puissant, siège à Edchmiadzine. Le second réside à
Sis en Cilicie; le troisième dans File d’Aghtamar au
milieu du lac de Van; le quatrième, qui n’a que le
titre de patriarche , à Constantinople. Au-dessous
d’eux est le corps très nombreux des évêques et des
vardapets (archimandrites) qui, à leur tour, ont sous
leur domination immédiate les diacres et les prêtres.
Le mariage des prêtres est admis, mais seulement
pour ces deux derniers ordres. Le Catholicos d’Ed-
chmiadzine est élu par un conclave ecclésiastique et
laïque, mais sa nomination doit être ratifiée par le
Tsar.
Population. — Lors de la conquête du pays par les
Russes, de 1828 à 1830, environ 130,000 Arméniens
de Perse et de Turquie vinrent s’établir, sous la pro-
tection des armées russes, dans les vallées de l’Araxe,
et de la Koura et remplacèrent les Kurdes et les Tatares
qui, de leur côté, refluaient vers les contrées restées
au pouvoir des Mahométans. Pendant la guerre de 1877
et 1878, un phénomène analogue de double migration
s’est accompli. Le district d’Ardaghan, dans la haute
vallée de la Koura, et celui de Kars, dans le bassin de
l’Araxe, se sont en grande partie dépeuplés de leurs
habitants de foi musulmane, mais, en revanche, ils ont
reçu des multitudes d’ Arméniens. Ceux-ci venaient de
tout le haut bassin de l’Euphrate et des bords du
Tchorok, mais surtout du territoire que le traité de
San-Stéfano avait attribué à la Russie et que lui aretiré
de nouveau le congrès de Berlin. Sans doute, ce croi-
sement d’exodes nationaux s’est compliqué de terribles
drames, famines, épidémies, haines de religion, de
races, etc.; mais, dans l’ensemble, les populations se
sont mieux réparties, conformément à leurs affinités
naturelles.
Jusqu’à présent, aucune statistique précise n a donné
le nombre des Arméniens qui vivent en Asie-Mineure
sur le territoire mahométan, mais il est probable qu’ils
sont moins nombreux que ceux du territoire russe.
L’ensemble de la nation peut être évalué à deux millions
126
GUIDE AU CAUCASE
six cent mille âmes1. Par une singulière bizarrerie qui
témoigne bien de l’état de dispersion des Arméniens, il
se trouve que la ville où les hommes de cette race
vivent en plus grand nombre est éloignée de l’Arménie
et même en dehors du continent d’Asie; h’est Constan-
tinople où on compte 200,000 Arméniens. Tiflis, la
deuxième ville haïkane par l’importance de sa popu-
lation, est située également sur une terre non armé-
nienne ; c’est une enclave de la Géorgie. Il en est de
même de plusieurs autres villes de Transcaucasie,
arméniennes par la majorité de leurs habitants.
Etat social. — Il est probable que l’élément sémi-
tique a pris une large part à la constitution du peuple
arménien, car de nombreuses émigrations juives et
même des transportations en masse ont eu lieu de
Palestine en Arménie. Considérés d’une manière géné-
rale, les descendants de Haïk sont des Aryens, se
rattachant intimement aux Perses ; mais les vicissitudes
incessantes causées depuis quatre mille ans par les
guerres, les conquêtes, etc., ont mêlé ces Aryens avec
toutes les populations voisines, et les Juifs, notam-
ment, furent transportés en foule dans les montagnes
1. Nombre probable des Arméniens :
Caucasie et Russie d’Europe. 840.000
Arménie turque A 760 . 000
Arménie persane 150.000
Turquie d’Europe 250.000
Autres pays 60.000
Ensemble 2.060.000 (d’après Elisée Reclus).
La population du vilayet d’Erzéroum n’est évaluée dans un
document de 1869 qu’à 1,200,000 âmes. M. Behm, dans ses
relevés statistiques de 1872 la porte à 1,906,000 âmes. Une moitié
environ est chrétienne, et l’autre moitié musulmane. Sur les
600,000 chrétiens, l’immense majorité, près de 580,000 appar-
tiennent à la communion arménienne non unie, dite grégo-
rienne, les communions catholique et grecque ne comptent
guère, à elles deux, plus de 20,000 membres.
M. Grigor Arzruni, dans son rapport au deuxième congrès
international des gens de lettres, tenu à Paris en 1889, dit que
le nombre des Arméniens chrétiens (sans compter les Arméniens
musulmans), dans l’ancienne patrie arménienne, divisée mainte-
nant en Arménie russe, turque et persane, est à peu près de
quatre millions, dont un million et demi dans l’Arménie russe.
GUIDE AU CAUCASE
127
d'Arménie, comme captifs des conquérants assyriens.
La race royale la plus fameuse qui régna sur le
Hayasdan et la Géorgie, celle des Bagratides, tire
meme son origine des Juifs et fait remonter sa généa-
logie jusqu’à David le roi-prophète. Parmi les divers
émigrants, on cite aussi, comme ayant exercé une
influence considérable sur la nation, cette tribu des
Mamikomans qu’un prince de Djenasdan, c’est-à-dire
de Chine, introduisit dans le Somkhet en Arménie, au
IIIe s. de Père vulgaire. Les récits des chroniqueurs
prouvent d’une manière évidente que la plupart de ces
étrangers venus à la façon des Normands et des
Varègues, comme chefs de guerre et combattants au
service de l’ami ou de l’ennemi, appartenaient proba-
blement à la même souche que les Tadjeks du bassin
de l’Oxus.
Les désastres qui ont frappé l’Arménie dans son unité
nationale l’ont atteinte également dans son organisation
sociale. La nation tout entière était autrefois enveloppée
dans les liens d’une forte hiérarchie ; organisation
vicieuse si la hiérarchie, se transformant en féodalité,
affaiblit ou annule l’autorité centrale, mais qui n’en
recèle pas moins des éléments de puissance et de
grandeur. Tous ces éléments ont été détruits ou se sont
graduellement éteints depuis le morcellement de la
monarchie de Haïk. L’antique noblesse arménienne,
jadis si fière et si puissante, est à peu près complè-
tement éteinte. Il y a à Tiflis deux familles qu’on dit
issues des Artzrouniks et des Mamikonians ; mais on
n’en cite nulle part aucune autre qui se rattache aux
vieux noms historiques de la nation. Aucun Arménien
ne garde souvenir d’avoir appartenu autrefois à l’aris-
tocratie nationale. Une seule province fait exception
sous ce rapport, c’est le Siounikh . Dans ces profondes
vallées qui confinent au Karabagh, et que la nature
des lieux a défendues jusqu’à un certain point contre
les invasions étrangères, le Siounikh a gardé quelques
débris de l’ancienne nationalité. Là, les nobles sont
encore nombreux, quoique pauvres.
Depuis des siècles, les Arméniens sont répandus
dans tout le monde oriental. Dès le XIe s., ils émi-
128
GUIDE AU CAUCASE
grèrent en foule et on les vit pénétrer en Russie, en
Pologne, en Galicie, etc. Actuellement on les trouve
dans toutes les grandes villes de commerce, de Londres
à Singapour et à Chang-Haï, et partout nombre des
leurs font partie des négociants notables. Les Haïkanes
ne le cèdent certainement pas aux Israélites en ténacité
religieuse, en esprit de solidarité, en instincts mercan-
tiles, en habileté commerciale; mais ils sont moins
aventureux, et tandis que l’on rencontre jusqu’au bout
du monde des Juifs isolés, soutenant sans faiblir le
combat de la vie, les Arméniens ne s’avancent que
groupés en communautés solides. En outre, la majorité
des Arméniens restés dans leur pays d’origine est loin
d’éprouver la même aversion que les Juifs pour le tra-
vail de la terre; en plusieurs districts de la Transcau-
casie, les paysans sont de race arménienne. Ailleurs,
comme dans certains villages du Karabagh, les habi-
tants vivent de l’émigration temporaire comme maçons
et charpentiers. En aucun pays du monde on ne voit
les Juifs gagner leur vie de cette manière.
Il y a dans les races un principe de vie qui résiste
durant de longs siècles à l’action extérieure des causes
de dissolution les plus puissantes. Le pays peut être
envahi et morcelé, le nom national effacé, la nation
même dispersée et l’Etat qui est l’œuvre des hommes
et du temps périt, mais la race ne meurt pas. Si la pa-
trie n’est plus dans le sol natal, elle passe tout entière
dans la puissance des souvenirs et la sainteté des tradi-
tions. Et même alors que le cours des siècles a usé les
souvenirs et affaibli les traditions, il est un double lien
plus puissant encore et plus durable que les autres, qui
continue de rattacher entre eux, même à leur insu, les
membres épars de la race proscrite : c’est la commu-
nauté du langage et celle de la foi religieuse. Les Ar-
méniens, comme les Juifs, ont donné dans l’histoire ce
grand exemple et ce grand enseignement. Disséminés
tous deux parmi les nations étrangères, tous deux ont
conservé, presque sans altération, dans les contrées di-
verses où le sort les a conduits, les mêmes traits, les
mêmes habitudes et le même caractère. Tous deux
encore offrent cette particularité remarquable, qu’après
GUIDE AU CAUCASE
129
s’être signalés dans les temps anciens de leur existence
historique par leur esprit remuant et leur humeur
belliqueuse, ils se sont tournés prudemment vers les
spéculations anodines et pacifiques du négoce.
Mœurs, coutumes, usages. — Au Caucase,
comme dans presque toutes les contrées qu’ils habitent,
les Arméniens se tiennent assez soigneusement à l’écart
des hommes d’autre race et d’autre langue. D’ailleurs
les habitudes du négoce en font souvent une classe à
part. Qu’ils soient agriculteurs ou commerçants, les
uns et les autres sont comme murés dans leur vie de
famille. Ils pratiquent encore les mœurs du patriarcat.
Le grand-père commande; les enfants, les gendres et
les petits-enfants obéissent. Les soins du ménage in-
combent aux femmes dont la vie se passe à servir leur
mari et à élever leurs enfants. Les mariages sont pour
la plupart d’une merveilleuse fécondité. Beaucoup de
femmes ont à 30 ans une huitaine d’enfants et il est peu
de ménages où l’on ne compte quatre ou cinq garçons
et filles. Ces nombreuses familles ne sont point un
fardeau. Les filles se marient sans dot, et les garçons
devant gagner leur vie dès la quatorzième année, ne
restent pas longtemps à la charge de leur famille. Le
respect des parents est poussé plus loin peut-être que
partout ailleurs. Les jeunes gens ne sont pas consultés
sur le choix de la femme qu’ils doivent épouser, l’usage
est de laisser au père et à la mère le soin de la trouver.
Habitations, villes et villages. — Le nombre des
habitations souterraines, dont Xénophon parlait déjà
avec étonnement, est encore considérable, sinon dans
les villes du moins dans les campagnes. La plupart dés
villages sont bâtis au bord des routes à la pente des col-
lines, de façon que le toit est de niveau avec la chaussée ;
il résulte de là que l’on peut passer à côté d’un village
sans en soupçonner l’existence, l’hiver surtout quand
la neige couvre la campagne. La pauvreté de l’intérieur
de ces maisons répond à leur triste apparence. Elles
n’ont qu’une seule chambre, au fond de laquelle sont
l’étable et l’écurie. La famille vit sur une sorte d’es-
trade bordée de sofas grossiers, à la fois sièges et lits.
9
130
GUIDE AU CAUCASE
Dans un angle est pratiqué un étroit foyer ; les aliments
y sont cuits au moyen du rézeh, combustible animal
dont l’odeur trahit l’origine ; la fumée s’échappe par
une ouverture au plafond. L’aspect des villes ne dif-
fère guère de celui des villages, si ce n’est qu’elles
couvrent une surface plus considérable et que les cons-
tructions et les jardins sont entourés d’un mur en pisé
qui les cache entièrement à la vue. Les terrasses du
même îlot de maisons se trouvent à peu près au même
niveau; il est souvent plus facile de cheminer sur les
toits que par les rues.
Langue, littérature, instruction. — La langue
des Haïks est classée par tous les grammairiens dans
la famille aryenne ; ses plus grandes analogies sont
avec le zend : par la syntaxe, elle est iranienne et, par
les mots, elle présente beaucoup de ressemblance avec
le grec et les langues slavonnes. Quoique fort rude,
hérissé de consonnes, l’arménien est l’égal de l’ionien
pour la richesse des mots et des formes grammaticales ;
il a la même flexibilité de construction, la même puis-
sance de création indéfinie pour les mots composés. Il
est vrai que l’arménien moderne, subdivisé d’ailleurs
en de nombreux dialectes \ a pris au turc et au géor-
gien un grand nombre d’expressions ; dans la vallée
inférieure de l’Araxe notamment, là où les Arméniens
sont entourés de Tatars, il parlent un jargon où le turc
1. On distingue Y arménien littéral de Y arménien moderne.
Le premier est celui qu’ont employé les anciens auteurs des
siècles littéraires de l’Arménie et qui n’est plus actuellement,
comme le grec d’Hérodote et le latin de Cicéron, qu’une langue
morte étudiée seulement par les hommes instruits ; le second
est l’idiome tel qu’on le parle aujourd’hui, soit en Arménie
même, soit parmi les Arméniens des autres contrées. On dis-
tingue dans Y arménien moderne deux dialectes principaux :
le dialecte occidental et le dialecte oriental partagés l’un et
l'autre en un grand nombre de sous-dialectes. Le premier
embrasse les provinces turques et la Crimée ; le second est le
dialecte des habitants mêmes de l’Arménie actuelle, avec les
Arméniens de la Géorgie et ceux du S. -O. de la Russie, de la
Perse et de l’Inde. Depuis une cinquantaine d’années, ces
dialectes sont devenus l’objet d’études philologiques et gramma-
ticales et ont créé toute une littérature à laquelle appartiennent
les publications de Tiflis et de Constantinople.
GUIDE AU CAUCASE
131
prédomine parfois sur la langue haïkane; de même
dans le Ckirvan, au S. du Caucase, quelques commu-
nautés arméniennes ont presque cessé de l’être par le
langage 1 . De pareils changements étaient inévitables à
cause de la dispersion de la race ; la plupart des Ar-
méniens depuis longtemps éloignés de la mère-patrie,
par exemple ceux de la Bukowine et de la Transyl-
vanie, ont complètement oublié la langue des ancêtres.
Au couvent d’Edchmiadzine, où se parle le haïkane le
plus rapproché de la langue classique, l’arménien est
encore un pur dialecte iranien. Du reste la littérature
arménienne, qui ne cesse de s’enrichir depuis plus de
deux mille années, raconte l’histoire de la langue et
témoigne de ses origines. Dans le pays de Van, des
rochers portent des inscriptions arméniennes en carac-
tères cunéiformes. D’autres documents haïkanes sont
écrits en caractères persans et grecs, et, dès le Ve s.
de l’ère actuelle, à l’époque de la grande floraison litté-
raire, lorsque trois cents écoles étaient ouvertes aux
jeunes gens du pays, l’arménien se donnait en propre
l’alphabet qu’il emploie encore de nos jours 2. C’est au
XIVe s. que l’invasion de Tamerlan vint mettre brus-
quement un terme à la période de littérature classique
du Hayasdan.
L’Arménie a eu ses siècles littéraires, qui tiennent
une place considérable dans le mouvement intellectuel
de l’ancienne Asie. La littérature arménienne, telle
que nous la présentent les monuments dont elle s’est
enrichie dans sa première période, se développa sous
l’influence du christianisme, en s’imprégnant d’idées
helléniques qui vinrent se mêler à un vieux fonds de
doctrines orientales. Elle procède beaucoup plus de
l’esprit scientifique et réaliste que de l’imagination ;
1. Entre autres contrées de l’Arménie, on peut citer la ville
de Césarée (en Asie-Mineure) dont la population arménienne
sait presque par cœur toutes les prières et les chants de son
Eglise nationale, comprend la langue maternelle et cependant
ne la parle pas.
2. C’est à Mesrob, au IVe s. ap. J.-C., que revient l’honneur
d’avoir donné un alphabet dont les caractères rendent exacte-
ment tous les sons de l’idiome arménien, qui contient des sons
particuliers, manquant aux autres langues congénères.
132
GUIDE AU CAUCASE
aussi a-t-elle donné naissance à une multitude d’his-
toriens et de chroniqueurs qui se succèdent de siècle en
siècle, véritable chaîne d’or dont les premiers anneaux
sont soudés au IVe s. et qui se prolonge pendant toute
la durée du moyen âge et se continue jusqu’à nos jours.
Four l’exégèse et la théologie, cette littérature n’est pas
moins précieuse ; plus qu’aucune autre, elle abonde en
compositions de ce genre. Lorsqu’elle cesse d’être ori-
ginale pour se parer de richesses étrangères, elle a le
mérite de savoir se les approprier et celui de les repro-
duire sous la forme la plus fidèle.
Dans une haute antiquité, lorsque l’Arménie était
unie à l’Empire perse par des liens pratiques très étroits,
par des croyances religieuses et une civilisation com-
munes, et qu’elle formait une partie intégrante du
groupe des nations iraniennes, elle possédait une
culture littéraire dont le souvenir, quoique bien obscur
aujourd’hui, n’est pas cependant tout à fait effacé.
Toutes les productions que cette culture enfanta furent
anéanties par le zèle des Apôtres qui vinrent répandre
dans le pays les semences de la foi chrétienne ; mais
l’existence de ce primitif développement intellectuel
est mise hors de doute par la perfection de la langue
qu’ont employée les écrivains les plus anciens parmi
ceux qui nous sont parvenus, et qui suppose une
longue élaboration antérieure, par des fragments de
poésie, par des traditions et des légendes qui ont
échappé à cette destruction générale.
Convertis à la foi de l’Evangile dans le commen-
cement du IVe s. et instruits par les docteurs de la
savante école de Césarée de Cappadoce, les Arméniens
s’éprirent d’un amour passionné pour la langue de
leurs instituteurs religieux et pour ses chefs-d’œuvre
immortels. Ils accouraient, entraînés par une studieuse
ardeur, dans les écoles les plus célèbres : à Alexandrie,
à Athènes, à Constantinople et à Rome ; ils y apprirent
l’art que ne connut jamais aussi bien qu’eux aucune
des nations orientales, l’art de bien dire et de bien
écrire, la discipline de la pensée, les délicatesses du
style et le sentiment du beau.
On doit à ce culte des lettres grecques, si florissant
GUIDE AU CAUCASE
133
chez les Arméniens, les nombreuses versions faites au
IVe et au Ve s., sur des manuscrits préservés encore
des altérations dont la main des copistes les a souillés
dans le cours des âges, et la conservation de quantité
d’auteurs dont le texte original est maintenant perdu.
Il suffira de citer ici la Chronique d’Eusèbe, retrouvée
à Jérusalem et conservée aujourd’hui dans la biblio-
thèque du séminaire arménien de Constantinople, une
portion notable des traités de Philon et des fragments
de Chrysostôme. La bibliothèque du couvent patriarcal
d’Edchmiadzine renferme des trésors du même genre,
et il est probable qu’une visite faite dans les monastères
encore inexplorés de l’Arménie amènera de nouvelles
découvertes, peut-être celle d’un Diodore de Sicile
complet qu’on sait avoir été traduit au Ve s.
Ambitieux pour leurs familles, les Arméniens cher-
chent à fournir à leurs enfants les avantages de
l’instruction ; il n’est pas de commune qui ne s’occupe
de la fondation ou de l’entretien d’écoles1, et souvent
même les villages arméniens ont à lutter contre leurs
prêtres qui craignent de voir diminuer leur influence
au profit de l’instituteur. Le mouvement scientifique et
littéraire est devenu assez actif et, relativement à leur
nombre, les Arméniens sont peut-être ceux qui, parmi
les habitants de l’Empire russe, impriment le plus
d’ouvrages..
Autrefois, les livres de théologie, d’histoire, de
métaphysique, de grammaire, constituaient à peu près
toute la littérature arménienne; aujourd’hui, elle aborde
tous les sujets. Outre les ouvrages originaux d’auteurs
contemporains comme ceux des poètes Raphaël Patka-
nian et Sembat Chahasissian, des romanciers comme
Térentz , Raffi, Agaïantz et Prochiantz, des auteurs
dramatiques comme Gabriel Soundoukiantz et Michel
Ter-Grigoriantz, les linguistes et historiens : Etienne
1. Il y a cinquante ans que l’archevêque Nersès a fondé à
Tiflis le premier collège arménien qui porte le nom de Ner-
sessian. Le nombre des élèves dans les 500 écoles de rArménie
russe, sans compter 4 collèges provinciaux et une Académie à
Edchmiadzine, est de 500 filles et garçons. (D’après le Dr,
Grégoire Arzrouni).
134
GUIDE AU CAUCASE
Balassan , Grégoire Khalatiantz , Mikirtich Emine,
Kéropé Patkanian , la littérature arménienne s’est
enrichie, ces dix dernières années, de nombreuses
traductions des plus grandes œuvres de la littérature
européenne : drames de Shakespeare, de Schiller,
comédies de Molière, romans et comédies de Dumas
fils, romans de Victor Hugo, Tourguénieffi, etc., etc.,
ouvrages philosophiques , historiques , pédagogiques
d’écrivains modernes. En 1854 déjà, il y avait en
Europe et en Asie au moins 22 imprimeries armé-
niennes. Des journaux arméniens se publient àTiflis1,
Saint-Pétersbourg, Moscou, Constantinople, Smyrne,
Varna, Alexandrie (Egypte), Vienne, Londres, Mar-
seille, New-York, et diverses congrégations s’occupent
à Moscou, Vienne, Paris, Venise, de la publication
des monuments de l’ancienne langue et d’ouvrages en
langue moderne2. La plus célèbre institution des
Arméniens à l’étranger est le couvent que le moine
Mékhitar ou « le Consolateur» fonda en 1717 dans
l’île de San-Lazzaro, près du chenal des lagunes que
suivent les gondoles entre Venise et le Lido, Dans cet
édifice en briques roses, entouré de jardins, se publient
de précieux documents et se trouve une bibliothèque
renfermant de rares manuscrits orientaux3.
1. Il y a, au Caucase, 6 éditions périodiques arméniennes
appartenant à deux camps différents, les unes au parti clérical
ou conservateur, les autres au parti progressiste. A Edchmia-
dzine, paraît une revue mensuelle (YArarnt) organe de ce
monastère; à Tiflis paraissent: YAgbur (la source), revue
mensuelle pédagogique ; le Mourtsch (le marteau), revue
mensuelle sociale et littéraire ; Y ArdsaqanJ ?. (l’écho), revue
illustrée hebdomadaire politique et littéraire; le Tarai (la
mode), journal illustré mensuel, et enfin les deux feuilles poli-
tiques et littéraires : le Mscliak (le travailleur) et le Nor-Dar
(le nouveau siècle).
2. Il s’est formé dernièrement àTiflis une Société arménienne
de gens de lettres qui a pour but d’encourager matériellement
les écrivains et les traducteurs arméniens, en achetant leurs
manuscrits et en les faisant paraître aux frais de la Société.
Les deux grandes Sociétés de bienfaisance, l’une, celle de Saint-
Grégoire a Bakou, et l’autre à Tiflis, ont aussi pour but d’en-
couraeer l’enseignement et la littérature nationale.
3. D’après le rapport de M. le Dr. Grigor Arzrouni, au
déuxième congrès international de la Société des gens de
lettres à Paris, 1889.
GUIDE AU CAUCASE
135
LES MONTAGNARDS DU CAUCASE
TCHERKESSES
Quoiqu’il ne reste plus au Caucase qu’un petit
nombre d’Adighés ou Tcherkesses, ces peuplades ont
été trop longtemps considérées comme le type des
autres tribus caucasiennes, elles ont aussi exercé trop
d’influence sur celles qui n’ont pas encore émigré, pour
qu’il ne soit pas nécessaire d’étudier la nation telle
qu’elle existait avant l’exode de 1864. Alors sa résistance
énergique aux Russes lui avait valu une renommée
d’héroïsme; ses traditions chevaleresques, la simplicité
patriarcale de ses mœurs, la beauté physique et l’élé-
gance de ses formes faisaient incontestablement du
Tcherkesse le premier des Caucasiens, et son nom était
fréquemment donné d’une manière générale à tous les
montagnards. Malheureusement il ne vivait que pour
la guerre, si bien que la plupart des étymologistes ex-
pliquaient le mot de « Tcherkesse » par le sens de
(( brigands )),« bandits ou coupeurs de routes. » Ce-
pendant il est peut-être dérivé de celui de Kerkètes,
mentionné par Strabon. La langue des Adighés, rude,
gutturale, est très difficile à prononcer pour tous les
étrangers.
Fort beaux pour la plupart, ils sont élancés, minces
de taille, larges d’épaules : leur figure ovale, au teint
clair, à l’œil brillant, est entourée d’abondants cheveux
noirs, parfois aussi châtains ou blonds. On attribue
leur port si droit et la cambrure de leurs reins à l’habi-
tude qu’ont les mères d’élever leurs nourrissons en leur
tenant le dos appliqué sur une planchette. Hommes et
femmes se croient déshonorés par l’obésité ou d’autres
vices de formes, et ceux qui sont, ainsi affligés s’abs-
tiennent de se présenter dans les fêtes publiques et les
réunions populaires; sachant que la beauté est le pri-
vilège de leur race, les Tcherkesses épousaient rare-
ment des femmes d’un autre sang que le leur. Le cos-
tume tcherkesse, d’une singulière coquetterie, sied
parfaitement à ces hommes adroits et souples; aussi
est-il devenu une sorte de costume national pour tous
136
GUIDE AU CAUCASE
les Caucasiens, même pour les Cosaques russes, et
Ton voit jusqu’aux Juifs pacifiques se revêtir de la
tcherkeska , ornée de cartouchières, inutiles pour eux*
De même que les Albanais clu Pinde, avec lesquels
ils offrent beaucoup de ressemblances, les Tcherkesses
ont le talion pour loi suprême. Le sang appelle le sang;
le meurtrier doit être puni, à moins qu’il ne rachète
son crime ou qu’il ne réussisse à voler un enfant dans
la famille de son ennemi, pour l’élever lui-même
comme son propre fils et le ramener ensuite dans la
maison paternelle. La substitution des marques de
propriété sur les chevaux est aussi assimilée au meurtre
et doit être payée par le sang. Les guerres de famille à
famille duraient pendant des générations entières, et
pourtant le Tcherkesse, différent en cela de son voisin
le Svane, dédaignait de se cacher dans une maison de
pierre. Comptant sur la force de son bras, il n’habitait
que des cabanes en bois légèrement construites. D’ail-
leurs, jamais la vengeance ne s’accomplissait en pré-
sence des femmes, êtres sacrés dont un geste pouvait
arrêter la mort, et qui pourtant appartenaient elles-
mêmes, soit à un père, soit à un mari, qui s’arrogeait
le droit de les tuer sans en rendre compte à personne.
Suivant la coutume antique, le jeune homme s’empa-
rait par la force de celle qu’il voulait pour épouse.
D’avance la fille du Tcherkesse savait qu’elle aurait à
quitter la maison paternelle, soit par une violence
réelle ou simulée ; soit par une vente en pays étranger;
mais, telle est la force des usages, que l’expatriation
même et la vie dans le harem ne lui causaient d’ordi-
naire aucun effroi. Il est vrai que, par tradition, les
jeunes filles Tcherkesses sé croyaient assurées de de-
venir les femmes légitimes de grands personnages,
grâce à leur beauté, à leurs bonnes manières, à la poésie
de leur langage. Tandis que les autres Orientales
n’étaient que des esclaves, elles avaient vécu en per-
sonnes libres, et c’est là ce qui faisait leur charme.
Quant aux garçons, ils étaient élevés le plus souvent,
non par leurs propres parents, mais par un atalik ou
(( éducateur » que l’on choisissait surtout pour ses qua-
lités physiques et morales, son courage, sa politesse.
GUIDE AU CAUCASE
137
son éloquence, son adresse à manier les armes et les
chevaux. Les parents, se défiant d’eux-mêmes et de
leur tendresse, craignant de gâter leurs enfants, leur
donnaient un autre père, chargé d’en faire des cavaliers
et de vaillants chasseurs à l'animal et à l'homme, de
leur enseigner les beaux préceptes et l’art de s’expri-
mer simplement, avec éloquence et poésie. Quand
l’éducation du jeune homme était terminée, il rentrait
dans la maison de ses parents, mais il ne cessait de
considérer son atalik comme un véritable père. Autre-
fois, c’est par un vol fictif — singulier reste de cou-
tumes barbares, -- que l’atalik s’emparait de l’enfant :
il le ravissait, trois jours après sa naissance, mais en
présence de sept témoins, chargés d’attester ensuite par
serment l’identité de l’adolescent.
Quoique fiers de leur liberté, les Tcherkesses n’étaient
point égaux entre eux. Ils se divisaient en trois castes :
celles des princes et des nobles qu’avaient abaissés des
luttes intestines et celle des simples paysans guerriers;
mais tous se groupaient en tleouch ou « fraternités )) et
en groupes de fraternités, et ce sont ces associations
d’hommes, dévoués les uns aux autres jusqu a la mort,
qui donnèrent aux Tcherkesses une si grande force de
résistance contre les Russes. C’est dans la plaine sur-
tout que les nobles avaient le plus d’autorité, et en cer-
tains endroits ils avaient même réussi à constituer un
régime presque féodal, mais leurs paysans s’enfuyaient
chez les Tcherkesses de la montagne, et les nobles les
réclamaient en vain. De là d’incessantes guerres, qui
eurent pour conséquence la défaite des nobles et le re-
cours de plusieurs d’entre eux à l’aide de l’étranger.
Au-dessous des trois classes libres travaillait la foule
des esclaves, composée entièrement de prisonniers de
guerre et de réfugiés. La volonté des hommes libres,
exprimée dans les assemblées populaires, devenait la
loi, et princes et nobles n’en étaient que les exécuteurs.
Les prêtres, classés au rang des seigneurs, n’avaient
qu’une faible influence, car les religions, fort mélan-
gées dans le pays, rendaient les Tcherkesses à la fois
païens par leurs anciens dieux, chrétiens et mahomé-
tans parleurs pratiques officielles; comme païens ils
138
GUIDE AU CAUCASE
adoraient Chiblé, le dieu de la foudre, de la guerre et
de la justice : c’est à lui qu’après la victoire ils sacri-
fiaient les plus belles brebis du troupeau. Ils vénéraient
l’arbre frappé du tonnerre, et le criminel trouvait sous
son branchage un asile respecté. Les divinités des airs,
des eaux, des forêts, des arbres fruitiers, du bétail,
toutes animées du souffle d’un Grand Esprit, avaient
aussi leur culte et recevaient leurs offrandes, au moins
quelques gouttes de liqueur solennellement épanchée
d’une coupe. Pour implorer la mer et lui demander
d’être clémente aux marins aimés, mère, femme, fian-
cée confiaient leurs présents aux torrents des montagnes
qui les portaient à la mer Noire, et celle-ci répondait
par le sifflement des vents et l’ascension des nuées.
Telle était la religion des anciens Tcherkesses ; mais
jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe s., les princes et
les nobles s’étaient dits chrétiens pour la plupart, s’a-
genouillant dans les églises dont les ruines se voient
cà et là au sommet des collines. Le cheik Mansour fit
de presque tous les Tcherkesses des musulmans sun-
nites , l’influence des Khans de Crimée agit dans le
même sens, et la foi mahométane devint de plus en
plus ardente, à mesure que s’accroissait la haine contre
le Russe chrétien, l’envahisseur de la patrie. Cepen-
dant certaines pratiques, notamment la polygamie, ne
s’introduisirent pas d’une manière générale dans le
pays ; les mœurs anciennes s’étaient maintenues pour
la famille. Quant au zèle religieux, on ne saurait com-
parer les Tcherkesses et autres montagnards du Cau-
case occidental aux honnêtes Tartares dë la tribu du
Karatchaï ou du « Torrent noir », qui vivent dans les
vallées méridionales du Kouban, à l’O. de l’Elbrouz,
sur un territoire que la légende dit avoir été habité
autrefois par les Frenghi, c’est-à-dire des a Francs »
ou Européens. Ces Karatchaï sont des musulmans par
excellence. Ils s’occupent surtout de négoce et. servent
d’intermédiaires entre les tribus de versant à versant 1 .
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
139
ABKHAZES
Les Abkhazes, qui conservent, à peine modifié, le
nom d’Abazes, sous lequel ils étaient connus des Grecs,
se donnent à eux-mêmes l’appellation d’Absoua. Avant
les grandes émigrations, ils occupaient presque tout le
versant méridional du Caucase, entre la vallée de l’In-
gour et celle de Bzib, et dépassaient sur quelques points
la crête principale des montagnes pour empiéter sur le
territoirre des Tcherkesses. Les dialectes qu’ils parlent
ressemblent à ceux des Adighés, mais on remarque un
grand contraste entre les deux peuples, pour l’apparence
et les mœurs. Les Abkhazes sont plus petits que les
Tcherkesses, plus bruns de peau, plus noirs de cheve-
lure : la plupart ont les traits irréguliers, la physionomie
dure, sauvage. Leur sang n’est pas si beau que celui
de leurs voisins; les esclaves de leur race, hommes ou
femmes, étaient livrés pour la moitié du prix auquel
étaient évalués les Circassiens. Ils n’ont pas les allures
chevaleresques de leurs voisins, mais comme eux ils
aimaient à vivre de leur épée, et longtemps leur métier
préféré fut celui d’écumeurs de mer ; avant que le Pont-
Euxin ne fût devenu mer russe, leurs longues embarca-
tions qui pouvaient marcher soit à la rame, soit à la
voile, et dont l’équipage se composait de cent à trois cents
hommes, se hasardèrent sur tous les rivages de l’Ana-
tolie, de la Crimée et de la Turquie d’Europe, jusqu’à
la porte du Bosphore. Comme les Tcherkesses, les
Abkhazes se groupaient en confédérations guerrières
ayant leurs princes, leurs nobles, leurs hommes libres
et laissant à des mains d’esclaves tous les travaux
pénibles d’agriculture. Chez certains Abkhazes, l’argent
était encore inconnu avant la domination russe, et le
signe de l'échange était représenté d’ordinaire par une
vache, dont les veaux étaient l’intérêt ; il arrivait qu’au
bout de quelques années un petit emprunt devait être
payé par la livraison de tout un troupeau : c’est en
1867 seulement que ce mode primitif d’usure a été rem-
placé par celui que pratiquent tous les peuples (( civi-
lisés. » Comme les Tcherkesses, les Abkhazes, encore
140
GUIDE AU CAUCASE
païens par leur façon de penser et par certaines pra-
tiques, gardaient dans leur foi mahométane quelques
traces de l’ancien culte chrétien : ils vénéraient les
croix et les églises, mangeaient de la viande de porc,
apportaient dans les temples des ex-voto, cuirasses,
armes ou vêtements ; encore de nos jours, une chapelle
bâtie, dit la légende, par l’apôtre Paul, sur une des
montagnes avancées du massif du Marouk, est un de
leurs grands lieux de pèlerinage. Mais le temple le
plus respecté était la forêt profonde : c’est aux branches
des chênes qu’ils aimaient à suspendre leurs offrandes
et à prononcer leurs serments. Jadis c’était aussi sous
le branchage des arbres sacrés qu’ils plaçaient les cer-
cueils. Leur piété pour les morts est extrême. Les lieux
d’inhumation sont beaucoup mieux tenus que les de-
meures des vivants 1 .
KABARDES
Les Kabardes ou Kabardins, qui se donnent à eux-
mêmes le nom de Kabertaï, peuplent presque tout le
versant septentrional du Caucase central, entre l’El-
brouz et le Kazbek. Ce sont ethnologiquement les
proches parents de ces Adighés ou Tcherkesses qui ont
presque complètement disparu du Caucase. Beaux,
souples et fiers comme les Adighés, aimant comme eux
la guerre et ne se prêtant qu'avec peine aux mœurs
pacifiques des agriculteurs, les Kabardes ne se dis-
tinguent de leurs anciens voisins de Circassie que par
leur langage, d’ailleurs plein de gutturales et de
sifflantes comme celui des Tcherkesses. Musulmans
convertis, ils rattachent leurs origines à celles du
peuple de Mahomet. Toutefois la différence que l’on
veut avoir remarquée entre le type des princes Kabardes
et celui des simples guerriers, semble devoir être
attribuée seulement à la différence de vie et à l’in-
fluence de quelques croisements avec des familles
étrangères. La nation vient probablement du N. -O.,
peut-être même de la Crimée ; elle a été graduellement
1. D’après Élisée Reclus.
GÜJDE AU CAUCASE
141
refoulée vers les rives du Térek, d’abord par les Tar-
tares Nogaï, puis par les Russes. Les Kabardes ont
gardé quelque chose de la vie nomade, car ils s’occu-
pent beaucoup plus de l’élève des chevaux et des
brebis que de la culture des champs. Le vol hardi est
en honneur chez eux, mais à la condition qu’il se fasse
en dehors du village ou de la communauté. Il est aussi
très honorable pour le jeune homme d’enlever sa
fiancée ; quelques jours avant la noce, il se glisse dans
la chambre de la jeune fille qui l’attend et s’enfuit
avec elle ; quand il reviendra se faire pardonner, il
peut compter d’avance sur l’approbation de ceux qui
respectent encore les anciennes coutumes.
Les Kabardes proprement dits, furent jadis la pre-
mière nation de la Ciscaucasie ; mais ils devaient suc-
comber plus tôt que les autres, à cause de la situation
géographique de leur pays, exposé à toutes les attaques
du dehors. Il suffisait aux Russes de franchir quelques
torrents pour entrer sur le territoire des Kabardes, et
plus loin la vallée du Térek, pénétrant du N. au S. en
pleine Kabardie, servait de voie naturelle aux enva-
hisseurs. Des forts, des postes, placés de distance en
distance le long du fleuve, coupaient la plaine en deux
moitiés distinctes : à l’O. la Grande-Kabarda, à l’E. la
Petite-Kabarda ; c’est là que passe la route militaire
entre les deux versants du Caucase et que les Russes
devaient par conséquent tenter tout d’abord d’établir
solidement leur puissance. D’ailleurs la forme même
des villages kabardes, s’allongeant en sinueuses rangées
sur le bord des torrents, rendait la défense plus diffi-
cile. Dès l’année 1763, des Kabardes, christianisés en
apparence, émigraient sur le territoire russe et s’éta-
blissaient dans la steppe, sur le Térek moyen. Au
commencement du siècle, plus de quarante mille indi-
gènes de la Kabarda, fuyant la domination russe,
allèrent demander asile aux Turcs du Kouban, qui
les accueillirent et leur donnèrent des terres, de nos
jours encore habitées par les descendants de ces « Ka-
bardes blancs ». Mais le gros de la nation resta dans le
bassin du haut Térek, et ses jeunes hommes durent
entrer dans l’armée du tsar. C’est parmi eux que les
142
GUIDE AU CAUCASE
empereurs recrutèrent d’abord les superbes (( Tcher-
kesses » qui paradent dans les cérémonies officielles,
caracolant sur de nerveux et infatigables chevaux,
portant avec aisance leur élégant costume, le papak et
lample tcherkeska , ornée de cartouchières et serrant
étroitement la taille \
OSSES
Les Osses ou Ossètes, sont aussi nombreux que
les Kabardes dans le bassin du Térek, mais ils n’ha-
bitent que les hautes vallées, dans la zone montagneuse
que limitent à l’O. l’Adaï-Kokh, à l’E. le Kazbek.
Leurs aoûts ne sont pas groupés seulement au milieu
des pâturages et dans les fonds du versant septen-
trional; les deux cinquièmes de la populaiion ossique
vivent sur le versant méridional dans les vallées tribu-
taires du Rion et de la Koura, qui prennent leur ori-
gine sur les flancs des monts Zikari et Broutsabseli.
Diverses théories ont été imaginées relativement à
l’origine et à la parenté de ces montagnards. Sont-ils
des Alains? Sont-ils des Aryens? Faut-il voir en
eux soit les frères des Germains, soit plutôt ceux des
Persans? Sont-ils des Ases, comme ceux qui émi-
grèrent en Scandinavie? Ou bien seraient-ils partielle-
ment des Sémites? A en juger par la diversité des types
et des physionomies qui varient chez les Osses, la race
est très mélangée, elle comprend des Géorgiens, des
Arméniens, des Kabardes. En Digorie, sur le versant
N., plusieurs familles nobles sont d’origine tartare;
au S., dans la vallée du Liakhvi, quelques-unes sont
de provenance géorgienne. Les traits de la plupart des
Osses sont anguleux, leurs formes lourdes ; ils manquent
absolument de ce charme du regard, de cette noblesse
du visage, de cette souplesse de la démarche, qui dis-
tinguent les Tcherkesses et les Kabardes. Les blonds
sont plus nombreux que les bruns, quelques-uns ont
des yeux bleus comme les Scandinaves, d’autres, sur-
tout ceux qui ressemblent aux brocanteurs juifs et
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
143
parlent comme eux d’une voix caressante, ont les yeux
bruns ou noirs.
Quelle que soit la race à laquelle la majorité des
Osses est le plus apparentée, leur langue doit être
rangée parmi les idiomes de souche aryenne. Ils se
donnent à eux-mêmes le nom d’ Irons qui rappelle celui
de l’Iran ou de la Perse, et leur contrée est l’Ironistan.
L’idiome de la Digorie est très mélangé de mots tar-
tares et circassiens, mais le dialecte que l’on parle dans
les hautes vallées, et qui a gardé sa pureté, se dis-
tingue par sa richesse en radicaux, semblables à ceux
des langues indo-européennes, grec, latin, slave, alle-
mand; il est plus rude que celui de la plaine. On a
voulu retrouver dans les mœurs des Osses d’autres in-
dices de parenté avec les nations occidentales. Les
Osses font usage du lit, de la table et du siège, ce qui
n’est pointdans les habitudes des autres montagnards; ils
saluent à l’européenne, embrassent et serrent la main
comme on le fait dans les pays civilisés de l’O. ; enfin
ils savent broyer lorge de la même façon que les Alle-
mands, s’en préparer une boisson fermentée et se servir
de pots à bière ayant la même forme que ceux des
paysans du N. de l’Allemagne. Les habitations des
Osses du S., de même que celles des Imères, ressem-
blent aux granges des Alpes : ce sont des maisonnettes
en bois couvertes de bardeaux sur lesquels pèsent de
lourds galets. Mais dans les hautes vallées, où le bois
manque, les Osses habitent des tours de pierre.
En général, les Osses ne font guère honneur à la
race indo-européenne dont ils passent pour les repré-
sentants caucasiens. Inférieurs physiquement à leurs
voisins des montagnes, ils ne peuvent non plus se com-
parer à eux pour la fierté, la dignité, le courage. Ils
sont toutefois extrêmement hospitaliers. Leur ancien
métier, pareil à celui de tant d’autres montagnards,
était de se vendre au plus offrant; ils entraient comme
soldats dans les armées des Byzantins, des Géorgiens,
des Persans, qui envoyaient des agents recruteurs dans
les montagnes ; les mercenaires ne revenaient chez eux
que pour dépenser en orgies le prix de leur butin. Les
habitudes de guerre avaient tellement démoralisé les
144
GUIDE AU CAUCASE
Osses qu’ils ne savaient plus à la fin s’occuper que de
pillage; ils vénéraient tout particulièrement et vénèrent
encore le dieu du brigandage, Soubareg, qui, monté
sur un cheval noir, escorte le bandit dans ses expé-
ditions et lui montre le chemin. Encore pillards à
l'occasion, quand ils peuvent tuer et voler sans grand
danger, ils se sont bien gardés de défendre leur liberté
contre les Russes, alors qu’il eût fallu se battre en
désespérés : quoique possesseurs des vallées centrales
du Caucase et maîtres par conséquent des points straté-
giques les plus importants de la chaîne, ils laissèrent
les Tcherkesses du Caucase occidental et les Lesghiens
du Daghestan combattre et succomber séparément. Au
lieu d’occuper dans la guerre sainte le premier rang,
qui semblait leur revenir de droit, ils attendirent pour
prendre définitivement leur parti que la victoire eût
décidé en faveur des Russes. La misère les avait livrés
à des exploiteurs de toute race, à des familles princières,
parmi lesquelles se rencontrait même un Hongrois.
Pour mettre fin à toute discussion sur la propriété du
sol, le gouvernement russe déclara toutes les terres de
la plaine propriété d’Etat, et y fit descendre comme
colons les habitants « non sûrs » de la montagne. La
plupart des Osses se disaient musulmans; maintenant
ils se prétendent chrétiens et vénèrent saint Nicolas avec
non moins de ferveur que le prophète Elie. D’ailleurs,
ils avaient déjà changé officiellement trois fois de
religion pendant les dix derniers siècles. Chrétiens
avant l’an 1000, ils s’étaient convertis à l’islamisme,
pour revenir deux cents ans plus tard à leur premier
culte, sous la domination de la reine Thamar. De nou-
veaux changements politiques, au XVe s., en firent
pour la seconde fois des mahométans, à l’excep-
tion toutefois de ceux qui vivent aux confins de la
Géorgie. En dépit de leur christianisme actuel les
Osses pratiquent la polygamie, avec cette aggravation
que la première femme traite en esclaves les enfants de
ses compagnes. Sous le culte officiel et sous les sédi-
ments religieux du mahométisme, reparaissent les
pratiques païennes. Pendant la semaine sainte du rite
chrétien, les Osses font des offrandes de pain et de
GUIDE AU CAUCASE
145
beurre sur les autels des bois sacrés, dans les grottes,
dans les chapelles autrefois chrétiennes, et mangent la
chair des moutons tués en sacrifice. Les monuments les
plus respectés du pays osse sont les sappads ou tom-
beaux des anciens temps, constructions octogonales
de 4 à 5 m. de hauteur, se terminant par un toit pyra-
midal percé de trous1.
SVANES. RATCHIENS
Les Svanes, qui habitent dans la haute vallée de
PIngour et de la Tskhénis-Tskhali, sont une peuplade
de race mélangée, quoique le fond ethnique se compose
de Géorgiens auxquels ils se rattachent par leurs dia-
lectes. Ils constituèrent autrefois une nation puissante
mentionnée par Strabon, et, au XVe s., ils occupaient
encore la haute vallée du Rion. Ce qui reste de la
nation paraît descendre surtout de fugitifs, que les
mauvais traitements, Poppression des seigneurs ou les
misères de la guerre avaient chassés des plaines de
Mingrélie et qui certes ne pouvaient trouver un
meilleur asile que dans ces forteresses naturelles de la
montagne. Les Svanes qui se réfugièrent dans le voisi-
nage des glaciers étaient presque inattaquables ; les crues
de PIngour ferment l’entrée de leur vallée et pendant
huit mois de l’année les cols des montagnes environ-
nantes, obstrués par les neiges, ne peuvent être abordés
que par les gravisseurs les plus hardis. Les Svanes du
bassin supérieur de la Tskhénis-Tskhali sont moins
séparés : le sol qu’ils habitent est de plusieurs centaines
de mètres inférieur en élévation, les montagnes qui les
entourent n’offrent pas d’escarpements aussi abrupts;
l’accès par les défilés d’entrée est plus facile. Aussi les
Svanes de cette vallée ont-ils eu à subir le régime
féodal le plus dur et des princes les ont-ils asservis à
la glèbe; on leur donne le nom de Svanes-Dadian,
d’après une famille souveraine qui les gouvernait, le
titre de (( dadian » étant celui d’anciens princes de Min-
grélie. Ils diffèrent à peine des Imères leurs voisins, et
1. D’après Elisée Reclus.
10
146
GUIDE AU CAUCASE
leur langue est grousienne. Les Svanes-Dadichkilian,
qui vivent, dans la partie occidentale du haut bassin de
l’Ingour, étaient également inféodés aux princes
Dadichkilian, de meme que les Svanes-Dadian, et
comme eux considérés comme serfs. Ils furent payés à
leurs maîtres par le gouvernement russe lors de l’abo-
lition officielle du servage. Les communes orientales
du haut Ingour ont gardé longtemps leur parfaite
indépendance, et, quoique ayant prêté serment à la
Russie en 1853, on les désigne souvent par l’appellation
de ((Libres)). A bien des égards, elles sont libres en
effet, quoique le suzerain russe soit désormais un maître
et qu’un village rebelle ait été démoli en 1876 par
ordre du gouverneur général. Les Svanes-Libres ou
(( ci-devant Libres )). comme les nomment les documents
officiels, n’ont point de seigneurs, ni de maîtres; les
prêtres n’ont aucun pouvoir sur eux. Dans les assem-
blées communales, tous les montagnards ont voix
égale et les décisions importantes doivent être prises
à l’unanimité : l’opposition d’un seul, même d’un retar-
dataire arrivant après que la résolution est votée, remet
tout en question : il faut délibérer et voter de nouveau
jusqu’à ce que tous soient d’accord, ce qui d’ailleurs
finit toujours par avoir lieu. Quant aux différends entre
particuliers, la commune n’a point à s’en occuper; elle
est réglée par la loi du talion, de même que les dissen-
sions entre villages. En aucune région du Caucase, les
lois de la vendetta ne sont plus impérieuses qu’en
Svanie; on y rencontre peu d’individus qui n’aient tué
leur homme, et le père y jette une balle defusildans le
berceau de son enfant. Aussi toutes les maisons du bord
du haut Ingour sont-elles de véritables forteresses
capables de soutenir un siège; toutes, perchées sur une
saillie de roc, sont dominées par une tour quadran-
gulaire de 20 à 25 m. de hauteur. Les portes d’en-
trée de ces donjons ne sont qu’au deuxième ou au
troisième étage et l’on ne peut en descendre que par
des troncs d’arbres inclinés et munis de traverses.
Les haines héréditaires et les meurtres qui en sont la
conséquence contribuent à réduire l’excédent de la
population, à l’étroit dans la froide vallée de la Libre-
GUIDE AU CAUCASE
147
Svanie: mais elle n’en reste pas moins trop nombreuse,
et les Svanes doivent avoir recours à l’émigration chez
leurs voisins. Au temps de leur puissance comme
peuple militaire, ils avaient la ressource de laisser
émigrer leurs enfants en conquérants, et plus d’une
fois ils firent des incursions de pillage dans la plaine ;
môme à la fin du XIVe s., les Svanes descendirent
jusqu’à Koutaïs et brûlèrent la cité. Il y a peu
d’années encore, les Svanes pratiquaient l’infan-
ticide pour diminuer l’excédent des familles : les gar-
çons étaient respectés, mais la plupart des filles devaient
périr. En temps de famine, les montagnards vendaient
leurs enfants adultes : le prix variait de 700 à 1,200 fr.
Classés parmi les tribus chrétiennes du Caucase, les
Svanes « libres » et les Svanes ((princiers » se donnent
une sorte de prééminence parmi tous leurs coreligion-
naires et prétendent que leurs ancêtres ont été baptisés
par Jésus-Christ lui-même, mais leur christianisme
s’est développé d’une manière originale, en se mélan-
geant avec les restes de cultes plus anciens. Ainsi, les
chapelles, petits édifices qui peuvent contenir en
moyenne une dizaine de personnes et autour desquelles
la foule se rassemble, ont leur crypte remplie de cornes
de chamois et de bouquetin, qui sont l’objet d’une
grande vénération. Les prêtres forment une caste
spéciale, et Jeur dignité se transmet de père en fils,
mais ils n’ont d’autre privilège que celui d’échapper à
la vendetta. La coutume, telle est la vraie religion des
Svanes. En général, hommes et femmes sont laids; le
goitre, le crétinisme sont fréquents chez les habitants
de la haute vallée de la Tskhénis-Tskhali. Là des fa-
milles entières se composent de crétins.
La haute vallée du Rion, connue sous le nom de
Ratcha, est plus vaste, plus populeuse que les deux
vallées occidentales de la Tskhénis-Tskhali et de l’In-
gour, et, de plus, elle a servi de passage aux pâtres,
aux marchands et même aux guerriers qui voulaient
traverser obliquement le Caucase, des plaines de la
Géorgie à celles du Térek. Aussi les Ratchiens, qui
sont de race et de langue géorgienne, comme presque
tous les habitants de la province de Koutaïs, sont-ils
148
GUIDE AU CAUCASE
plus civilisés que leurs voisins les Svanes, et leurs
rapports avec les étrangers sont-ils beaucoup plus
fréquents. D’ailleurs ils sont aussi trop nombreux pour
leur territoire, dont toute la partie haute est inutile
pour la culture, et des milliers d’entre eux doivent
émigrer dans les campagnes inférieures. Très laborieux,
très économes, ils ne reviennent dans leur pays que
munis d’un petit pécule. Presque tous les charpentiers
et les scieurs de long que l’on rencontre en Iméréthie
et en Mingrélie sont des Ratchiens1.
MINGRÉLIENS
On sait combien, au-dessus des régions maréca-
geuses, le climat et le sol de la Transcaucasie occidentale
sont propices à l’homme et développent sa force et sa
beauté. Mais il ne faut pas croire que les habitants de
ces contrées appartiennent à une race pure. On remarq ue
chez eux les plus grandes variétés de types, et l’on est
frappé tout d’abord du contraste que présentent les
blonds et les bruns de Mingrélie : les premiers à front
haut, à face ovale, les seconds au front plus bas, à
figure plus large, mais beaux et gracieux les uns et
les autres. Depuis les âges les plus reculés, les rivages
orientaux de la mer Noire sont visités par des voyageurs,
envahis par des ennemis de toute race, et parmi ces
étrangers combien sont restés dans le pays et ont fait
souche de familles nouvelles ! Mais si nombreux
qu’aient été les croisements, tous ces éléments divers
se sont fondus en développant chez les individus la
beauté du type originaire. Dans les régions basses de
la Mingrélie, et surtout sur les premiers contreforts
des monts, jusqu’à 1,000 à 1,200 m. d’altitude,
presque tous les hommes sont beaux; il suffit de se
promener un jour de marché à Zougdidi ou dans telle
autre petite ville du bas Rion ou du bas Ingour pour
se convaincre que nulle part la race humaine n’a de
plus admirables représentants. Mais dans le cœur des
montagnes, là où la lutte pour l’existence devient
1. D'après Élisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
149
pénible et souvent périlleuse, les figures sont de pro-
portions moins heureuses, et l’on voit çà et là des per-
sonnes vraiment laides, surtout parmi les femmes1.
LAZES
Quoique habitant naguère en dehors des limites
politiques de la Transcaucasie russe, les Lazes de
l’Adjara et du Tchorok n’en sont pas moins les frères
de race et de langue des Mingréliens et des Grousiens ;
ceux qui restent soumis à la Turquie, jusqu’au delà de
Trébizonde, sont aussi des Géorgiens, plus ou moins
mélangés, et par delà ces limites beaucoup de noms
démontrent le séjour des Grousiens dans l’intérieur de
l’Asie-Mineure à une époque reculée. Rosen, qui visita
la Lazie en 1844, a mis hors de doute que l’idiome des
habitants est très rapproché des dialectes grousiens;
le parler de l’ancienne frontière russe et des bords du
Tchorok diffère peu du mingrélien, mais le langage de
la côte occidentale est très mêlé de mots turcs et grecs.
Quant aux mœurs des Ad j ares et des autres montagnards
lazes, elles ressemblent à celles des Imères. Les uns et
les autres ont le respect des cheveux blancs; tous pra-
tiquent largement l’hospitalité; leur attitude est pleine
de réserve, quoique leur curiosité soit en éveil. Aimant
le luxe et l’élégance des vêtements, bien faits, marcheurs
intrépides, agiles, excellents tireurs, bons cavaliers, ils
forment, avec les Gouriels, le plus beau bataillon de
l’armée du Caucase.
Leurs champs sont bien cultivés, leurs maisons bien
entretenues. Les femmes lazes sont jolies et ont la
réputation d’être vaillantes. Les Lazes du littoral
émigrent en grand nombre; beaucoup se font matelots,
et leurs felouques, auxquelles la piraterie est désor-
mais interdite, voguent de port en port sur la mer
Noire. D’autres Lazes se rendent vers les villes popu-
leuses où ils exercent différents métiers. Autrefois,
Constantinople était la cité vers laquelle ils se diri-
geaient de préférence, et depuis la récente annexion à
1. D'après Elisée Reclus.
150
GUIDE AU CAUCASE
]a Russie, des milliers de Lazes musulmans ont émigré
sur le territoire resté turc. Le gouvernement des
Osmanlis avait su se rattacher la masse du peuple
laze, en abaissant le pouvoir des beys, jadis à demi
indépendants, dont le caprice était la seule loi pour
leurs sujets. Maintenant, les Lazes chrétiens apprennent
le chemin de Tillis et des ports russes de la mer Noire.
Le régime turc ne pouvait manquer de modifier la
population laze et de la faire contraster, à certains
égards, avec les Mingréliens d’outre-frontière. Il y a
trois siècles, tous les Grousiens des hautes vallées de
l’Adjara étaient chrétiens, et dans nombre de villages
on voit des églises bien conservées qui sont des modèles
d architecture byzantine. Certaines communes ne se
convertirent au mahométisme qu’à la fin du XVIIIe s. ;
on en cite même plusieurs qui sont encore chrétiennes
de fait et musulmanes d’apparence; elles superposent
les deux religions, sans trop savoir où finit leur foi en
l’ancien dogme, où commence leur croyance aux ensei-
gnements nouveaux. Avec la religion, la langue des
Turcs s^est aussi introduite dans le pays; l’idiome grou-
sien avait naguère complètement disparu des villes et
des gros villages ; on ne le parlait plus que dans les
campagnes écartées. Des colonies d’Arméniens, éparses
dans le pays des Lazes, avaient également oublié leur
langue maternelle et ne se servaient plus que du turc.
Maintenant, c’est le russe qui a chassé peu à peu le
turc de Batoum et des autres villes, et les rites chré-
tiens ont refoulé de nouveau le mahométisme1.
PCHAVES. TOUCHES. KHEVSOURS
La Géorgie orientale, de même que celle de l’occi-
dent, se complète, au point de vue ethnologique, par
une région d’accès difficile où vivent des montagnards,
libres naguère : Ce sont les Svanes, les Khevsours, les
Pchaves et les Touches. Les hautes vallées du Caucase
ont donné asile à des fugitifs de toute race et de langues
diverses, qui ont fini, grâce à un long séjour au milieu
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
151
des pâturages et des neiges, par acquérir, sinon un
type, du moins une physionomie distincte, et se sont
groupés en peuplades; des Tchétchènes, des Lesghiens,
des Grousiens, même des Juifs, dit la légende, sont
entrés dans la formation de ces tribus ; mais les prin-
cipaux éléments qui ont concouru à ce groupement
nouveau sont venus du S. Les pratiques chrétiennes,
qui prédominent chez ces tribus, témoignent aussi de
l’influence prépondérante des Géorgiens. Cependant,
sur les versants du N., l’idiome dominant est d’ori-
gine tchétchène.
A TE. du Barbalo, montagne remarquable comme
centre de rayonnement des eaux, s’étend la Touchie,
arrosée par les deux torrents qui forment le Koïsou
d’Andi. Au S., l’Alazan de la Kakhéthie n’a sur ses
bords qu’un petit nombre de Touches et la population
se compose surtout de Géorgiens. Au S. -O. les
sources de l’Iora, celles de TAragva orientale jaillissent
dans le territoire des Pchaves. A l’Occident et au N.-O.,
sur les deux versants de l’arète centrale du Caucase,
vivent les Khevsours, c’est-à-dire les gens des Gorges.
Il n’existe pas de limites précises entre les domaines de
ces tribus.
Les Pchaves, qui descendent le plus bas, soit à l’al-
titude de 1,000 m. environ, et qui vivent dans le
voisinage immédiat des Géorgiens de la plaine, sont
les plus civilisés de ces montagnards et parlent un
dialecte grousien : leur nombre s’est grandement accru
depuis qu’ils vivent en paix avec leurs voisins et por-
tent leurs denrées sur le marché de Tiflis.
Les Touches, moins nombreux et très à l’étroit dans
leurs vallées sauvages entourées de tous côtés par des
monts neigeux, ont la réputation d’être les plus intelli-
gents et les plus industrieux des montagnards de cette
région du Caucase. La plupart des hommes, obligés
d’émigrer pendant une moitié de Tannée, comme les
Savoyards et les Auvergnats, rapportent de leurs voyages
lointains parmi les populations diverses de la plaine des
idées plus larges, un esprit plus entreprenant: plusieurs
ont même su acquérir une certaine instruction et parler
plusieurs langues, en outre de leur idiome, langage extrê-
152
GUIDE AU CAUCASE
mement rude, pauvre en voyelles, richeen consonnes; ce
langage possède en propre neuf sifflanteset huit gutturales
dont Tune se combine diversement avec les consonnes
précédentes ou suivantes d’une façon tellement intime
qu’il a fallu inventer des signes spéciaux pour les
représenter.
Les Khevsours sont encore des hommes grossiers,
presque barbares; mais par quelques-uns de leurs
traits nationaux ils sont restés l’une des nations les
plus curieuses de l’Asie. Moins bruns en moyenne que
les Touches, les Khevsours diffèrent par la stature, les
traits, la couleur des yeux, des cheveux, et par la forme
du crâne : la plupart ont la physionomie sauvage, le
regard fuyant. Un grand nombre d’entre eux sont d’une
extrême maigreur. Rarement les Khevsours ont les fines
attaches du Tcherkesse : ils ont des pieds et des mains
énormes, hors de toute proportion avec le reste de leur
corps. Le pays qu’ils habitent leur donne des muscles
d’acier ; ils gravissent les roches les plus abruptes en
portant de lourds fardeaux.
Quelques-unes des coutumes khevsoures et pchaves,
que les efforts des Russes n’ont pas encore réussi à faire
disparaître, ressemblent à celles de maintes tribus des
Peaux-Rouges et d'autres peuplades sauvages de l’A-
frique et du Nouveau-Monde. Ainsi les femmes doivent
accoucher dans une tanière écartée, sans l’aide de
personne, même celle de leur mari. Seulement ce
dernier rôde autour du misérable réduit dans lequel est.
enfermée la patiente, et lorsque les cris l’avertissent
que le travail de l’enfantement est pénible, il tire des
coups de fusil pour encourager la malheureuse. Après
la naissance de l’enfant, de petites filles, averties par
le père, se glissent en secret, soit au crépuscule, soit à
l’aurore, pour aller porter du pain, du lait, du fromage
à la nouvelle accouchée. Celle-ci, considérée comme
impure, reste pendant un mois dans son réduit, que
l’on brûle après son départ. Le père est félicité lors de
la naissance d’un fils, et des festins se font à ses frais,
mais il ne doit point y prendre part. Les garçons reçoi-
vent d’ordinaire des noms d’animaux sauvages : « Ours,
Lion, Loup, Panthère, » symboles de leur vaillance
GUIDE AU CAUCASE
153
future, tandis que les filles sont désignées par des mots
d’affection: « Rose, Perle, Resplendissante, Fille-du-
Soleii, Petit-Soleil, Soleil-du-Cœur. »
La plupart des mariages sont décidés par les parents
respectifs, lorsque les enfants sont encore au berceau ;
cependant les jeunes hommes pratiquent la formalité
de l’enlèvement, comme si la fiancée ne leur était pas
destinée depuis longtemps, et quand le mariage est
conclu, même célébré, les époux évitent pendant des
semaines ou des mois de se laisser voir ensemble. Les
usages relatifs aux inhumations ne sont plus observés
avec la même rigueur qu’autrefois. Jadis il était interdit
de laisser mourir quelqu’un dans la maison familiale;
les mourants devaient fermer les yeux en face du soleil
ou des étoiles, et leur dernier souffle se mêlait à celui
du vent. En face du cadavre, les parents simulaient
d’abord la gaieté : mais bientôt venaient les pleureuses :
les lamentations, les cris de douleur, les chants de
tristesse commençaient. Quand un enfant mourait avant
le baptême, on ne manquait pas de le frotter de cendre.
Très fiers d’être chrétiens, les Khevsours le sont
d’une manière originale. Leur dieu principal est le
dieu de la guerre, mais parmi leurs dieux et leurs
anges ils ont aussi la Mère de la T erre, l’Ange du chêne
et l’Archange de la propriété. Ils célèbrent le vendredi,
refusent démanger du porc, abhorrent les coqs, vénèrent
les arbres sacrés, offrent des sacrifices aux génies de la
terre et des airs. Ils ont des prêtres chargés de soigner
les malades, d’asperger la foule du sang des victimes,
d’annoncer l’avenir, de préparer la bière sacrée, et c’est
à ces personnages que finissent par appartenir les
bijoux, les vieilles médailles, les vases d’argent du
pays. Cependant, c’est avec chagrin que les Khevsours
se privent des ornements de leurs personnes et de leurs
demeures, car, bien différents des Touches vêtus de
noir, ils aiment beaucoup les costumes à couleurs
éclatantes, ornés de franges et de paillettes \
Rien n’est plus curieux que l’accoutrement de ces
hommes : ils sont revêtus d’une espèce de tunique à
1. D’après Elisée Reclus.
134
GUIDE AU CAUCASE
longues manches de gros drap foulé, couleur marron
ou noir; un pantalon de même étoffe leur arrive au
milieu des jambes qui sont couvertes de jambières en
cuir ornées de dessins bizarres ou de broderies bigarrées.
La chaussure consiste en brodequins pointus qui arri-
vent au-dessus de la cheville où ils vont en s’évasant.
C’est par-dessus tout cela, qui représente le chamois
des guerriers du moyen âge, qu’ils mettent leur armure
de mailles. Le casque est formé par une calotte de fer
ornée d’une bande de cuivre retenue par des clous
d’acier ; au centre se trouve un bouton du même métal
d’où part un cordon qui s’attache au cou et témoigne
du peu de stabilité de cette coiffure; de la calotte pend
une pièce démaillés qui descend jusque sur les épaules
par derrière et sur le devant n’arrive que jusqu’à la
hauteur des yeux ; mais de chaque côté il existe un
appendice, qui, au moment du combat, y est fortement
attaché au moyen de cordons de cuir, et garantit ainsi
le reste du visage. La cotte de mailles proprement dite
est de la même forme que la tunique qu’elle recouvre
entièrement, et le pantalon est également couvert de
mailles, mais par dèvant seulement; et cette moitié de
défense est attachée autour de la cuisse par des cordons
de cuir. Quelques Khevsours ont une petite armure en
mailles sur leurs brodequins. Deux bandoulières se
croisent sur la poitrine et sur le dos ; l’une soutient
une cartouchière épousant la forme du corps, et dans
laquelle il y a place pour douze cartouches ; l’autre
supporte la chachka , sabre qui n’a pas de croisillon à
la poignée, laquelle entre en partie dans le fourreau.
Ces bandoulières en cuir épais sont ornées de clous et
d’ornements d’argent; de distance en distance pendent
quelques appendices terminés par une croix en argent.
Le corps est entouré d’une ceinture pareille qui soutient
à droite une boîte d’argent destinée à contenir la graisse
nécessaire pour l’entretien des armes, et à la gauche le
kindjal , ce long poignard du Caucase que l’on voit au
côté de tous les habitants de ce pays. Au cou est pendu,
par une longue et mince courroie de cuir, un petit
bouclier de bois rond, revêtu à la surface extérieure
de bandes concentriques de fer fixées par des clous à
GUIDE AU CAUCASE
155
tête, en forme de pointe de diamant; au centre une
plaque carrée fixée par les mômes clous et par quatre
bandes de fer en croix assure la solidité de cette arme
défensive ; l’intérieur est doublé de cuir et une seule
poignée au centre sert à la saisir. L’armement est
complété parle long fusil du Caucase, à la crosse mince
et étroite, au canon de damas déroché, maintenu par
une multitude de capucines en argent.
LESGHIENS
Presque toutes les peuplades qui habitent les vallées
du Caucase oriental à l’E. des Tchétchènes sont
confondues sous le nom de Lesghi ou Lesghiens qui
semble être unedénomination nationaleantique, puisque
les Géorgiens et les Arméniens donnent au peuple,
depuis une époque immémoriale, les appellations de
Lèkes ou Lékses. Le nombre des tribus lesghiennes
n’a cessé de changer suivant les migrations et les
guerres : Kolenati en compte 55, tandis que Bergé en
énumère 51 ; Komaroff, s’en tenant aux divisions
générales, se borne à marquer le domaine de vingt-sept
peuples sur sa carte ethnologique du territoire du
Daghestan. Toutes ces peuplades ont leurs dialectes,
pleins de sons gutturaux et très difficiles à prononcer
pour une bouche européenne. Uslar et Schifner ont
classé ces divers idiomes en groupes de langues dont
les principales sont l’idiome des Avares dans le
Daghestan occidental et les langues de Dargho et de
Kura dans le Daghestan oriental ; mais les monta-
gnards de pays éloignés ne peuvent se comprendre
mutuellement et se servent d’une langue tierce : chez
les tribus occidentales, c’est ordinairement T arabe qui
sert de moyen de communication ; à l’E., le patois turc
de l’Aderbeïdjan est d’un usage général. La plus
célèbre des tribus, celle qui jbuit du plus grand renom
de vaillance, et qui forme à elle seule plus du cinquième
de tous les Lesghiens, est la tribu des Avares, qui vit
à l’orient des Tchétchènes. Faut-il voir en eux les
frères de ces Avares qui fondèrent un grand Empire
sur le Danube et dont triompha Charlemagne? La
156
GUIDE AU CAUCASE
plupart des écrivains l’admettent comme vraisemblable.
Cependant, d’après Komarofï, le nom d’ Avares, qui a
le sens de (( fugitifs », de « vagabonds » dans le langage
turc des gens de la plaine, serait d’origine moderne.
Le Daghestan a trop peu de terres arables pour qu’il
fût possible au demi-million de Lesghiens qui l'habi-
taient d’y vivre de la culture du sol et de l’élève des
bestiaux. Cependant, ils sont habiles agriculteurs:
leurs jardins, soutenus de murailles et arrosés avec
soin, sont parfaitement tenus et fournissent des grains,
des fruits, des légumes. C’était à l’émigration ou au
pillage quhl leur fallait demander le surplus des res-
sources nécessaires à leur subsistance. Etablis sur les
deux versants du Caucase, ils pouvaient descendre,
soit au N., dans les plaines du Térek ou du Soulak,
soit au S. dans la féconde Géorgie. Non moins hardis
que les Tchétchènes, plus tenaces et plus infatigables,
les Lesghiens avaient le désavantage d’être fractionnés
en un grand nombre de tribus, qui se constituaient
librement, mais qui devenaient souvent hostiles les
unes aux autres, et leurs jeunes hommes, ayant l’habi-
tude, comme autrefois les Albanais et les Suisses, de
se louer comme mercenaires à tous les petits souverains
des alentours, la force de la nation s’épuisait contre
elle-même en d'incessantes guerres. Dans leurs combats
ils se montraient moins nobles que les Tcherkesses :
quand le Circassien poursuivi devait abandonner ses
prisonniers, il les délivrait sans leur faire aucun mal,
tandis que le Lesghien leur coupait la main droite,
qu’il rapportait à sa demeure comme un trophée.
Les Lesghiens n’ont uhi leurs efforts que pendant
les dernières luttes soutenues contre la Russie, à la
fois pour leur indépendance et pour leur foi religieuse.
Parmi les tribus lesghiennes, on cite encore les Dido,
qui vivent dans la haute vallée du Koïsou d’Andi,
comme ayant une religion spéciale, et leurs voisins les
disent adorateurs du diable, parce qu’ils cherchent,
comme les fidèles de tant de religions diverses, à conju-
rer le méchant dieu par des sacrifices. Tous les autres
Lesghiens sont musulmans. Fumeurs de tabac, obser-
vateurs de pratiques traditionnelles dérivées du paga-
GUIDE AU CAUCASE
157
nisme et du christianisme, ils n’en sont pas moins de
zélés sunnites, et c’est grâce à l’ardeur de leur foi qu’ils
ont pu oublier durant de longues années leurs rivalités
de tribus et de familles, pour soutenir en commun la
guerre sainte ou ghazavat . Groupés avec les Tché-
tchènes autour de leur compatriote Khazi-Mollah, puis
autour de Schamyl, de la tribu du Koïsou-bou, ils
firent plus d’une fois reculer les Russes jusque dans
les forteresses de la plaine, et maintes fois ceux-ci
durent abandonner les colonies militaires et les garni-
sons isolées qui s’étaient établies trop avant dans la
montagne. La force des Lesghiens leur venait du
mouvement d’égalité dans lequel ils étaient entraînés :
les exploits du héros légendaire des Lesghiens, Hadji-
Mourad, commencèrent par une guerre contre les
Khans des Avares. Peu à peu se reconstitua l’aristo-
cratie des naïbs ou gouverneurs, qui détenaient le
pouvoir et qui, par leurs murides ou « élèves )), dis-
posaient en maîtres de toute la force armée. La foule
des montagnards, graduellement asservie à ses propres
chefs, cessa de lutter avec la même énergie qu’autrefois
contre les envahisseurs russes. Cernés de trois côtés,
entourés de forts et de colonnes militaires qui se
resserraient autour d’eux comme un cercle d’airain,
voyant leur territoire coupé de routes où passaient les
canons de montagne, ils durent cesser la guerre, après
l’extermination de la moitié d’entre eux par les balles,
les maladies et la faim. Quand Schamyl se rendit en
1859, il n’était plus entouré que de quatre cents
hommes.
Après la conquête, les anciennes haines de famille à
famille ont reparu. Le Daghestan lesghien est, parmi
les régions du Caucase, celle des assauts sanglants et
des meurtres. On compte qu’en moyenne un individu
sur trois cents est tué ou blessé pendant l’année. Le
((cercle» de Kaïtago-Tabasseran, à l’O. de Derbent,
a le triste privilège d’avoir parmi ses habitants plus de
meurtriers que tout autre pays de l’Empire russe. Mais
précisément dans le voisinage immédiat de ces hommes,
toujours prompts à se servir du poignard ou du fusil,
vivent les pacifiques Koubitchi, dont le métier est, non
158
GUIDE AU CAUCASE
pas de se battre, mais de fournir des armes aux monta-
gnards des alentours. Indispensables à tous, ils sont
respectés par tous, et leur neutralité ne fut jamais violée.
Ils fabriquaient jadis des cottes de mailles, maintenant
ils forgent surtout des poignards et des fusils ; ils ont
même su fondre de petits canons. Quelques-uns d’entre
eux, tisserands habiles, s’occupent de la fabrication
d’excellentes étoffes de drap. De quelle origine est cette
peuplade industrielle, perdue au milieu d’agriculteurs
et de pâtres ? Les Koubitchi se disent eux-mêmes
Frenghi ou Frenki, c’est-à-dire Francs, Européens.
Mais ni leur figure ni leur idiome qui se rattache au
groupe des langues dargoua, ne justifient cette tradition :
ils ne sont Européens que par l’intelligence avec
laquelle ils ont su s’approprier des procédés industriels
enseignés peut-être par quelques fugitifs, ou surpris
par des ancêtres esclaves ou voyageurs. Du reste, ils
sont fort peu nombreux : on en compte à peine deux
mille, vivant dans quatre cents maisons. Quelques
fédérations ou magals de clans lesghiens offraient
aussi, grâce à la solidarité commune et à la liberté de
tous, un remarquable bien-être : telle était la fédération
des cinq clans darghilars, ou du Dargho, qui se réu-
nissaient dans une plaine, près d’Akoucha, en grandes
assemblées populaires. Ce magal donnait asile à des
émigrés de toutes nations, et son territoire était le plus
peuplé de tout le Daghestan 1 .
TCHETCHENES
Les Tchétchènes, désignés sous les appellations de
Misdjeghi par les Lesghiens, leurs voisins orientaux,
et de Listes par les Géorgiens, habitent tout le Daghes-
tan occidental à l’E. des Osses et des Kabardes, et
descendent même des coteaux avancés dans les plaines.
La Soundja traverse leur territoire et sépare la « Petite-
Tchetchnia », la région basse, de la « Grande-Tche-
tchnia », le pays des montagnards. Tchétchènes de. la
plaine et de la montagne combattirent, on le sait, avec
1. D’après Élisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
159
le plus d’acharnement contre les Russes; au siècle der-
nier, Daoud-Bey et Omar- Khan, et dans ce siècle
Klmzi-Mollah, puis Schamyl, groupèrent autour d’eux
les Tchétchènes, et ceux-ci, plus ardents pour leur
culte que leurs coreligionnaires tcherkesses etabkhazes
du Caucase occidental, luttèrent avec l’énergie que
donne le fanatisme, uni à l’amour de la liberté et à la
passion des combats. Cependant il fallut céder, et
depuis 1859 la Tchetchnia, le pays le plus fertile et
le plus salubre de la Ciscaucasie, n’est plus habitée que
par des vaincus, sujets de la Russie. Dès l’année 1819,
la forteresse Groznaïa ou Menaçante, devenue main-
tenant la ville de Grozni, avait été bâtie par les enva-
hisseurs, sur les bords de la Soundja, entre les deux
territoires de Tchétchènes^ et ses menaces ne sont point
restées vaines. De même que les Tcherkesses, les
Tchétchènes de la montagne durent abandonner pour
la plupart leurs aoûts paternels, et ceux qui ne consen-
tirent pas à s’établir dans la plaine durent émigrer.
Les habitants de la Tchetchnia ressemblent beau-
coup aux Tcherkesses. La plupart d'entre eux ont le
nez aquilin, le regard inquiet, presque méchant;
toutefois, ils sont magnanimes et conservent toujours
la dignité du langage et du maintien; ils tuent, mais
ils n’insultent pas. Les femmes des Tchétchènes aisés,
fort gracieuses, sont habillées d’une veste élégante
dessinant bien la taille, et de larges pantalons de soie
rose; elles ont aux pieds des babouches jaunes, aux
poignets des bracelets d’argent; une pièce de drap
retombant sur leurs épaules cache en partie leur che-
velure. Les demeures des Tchétchènes sont presque
toujours de véritables tanières froides, sombres, hu-
mides; quelques-unes sont creusées dans la terre,
d’autres sont formées de branchages entrelacés ou de
pierres empilées grossièrement. L’ensemble des habi-
tations forme un de ces aoûts que l’on aperçoit, perchés
sur quelque promontoire vertical ou surplombant, et
semblables à des blocs erratiques arrêtés au bord d’un
précipice. Avant la conquête russe, la grande majorité
des montagnards vivaient en communes républicaines,
se gouvernant elles-mêmes par des assemblées popu-
160
GUIDEAU CAUCASE
laires, pareilles à celles des cantons primitifs de la
Suisse. Tous étaient soumis à Vadat ou droit coutumier.
Quoique très redoutés par les habitants de la plaine,
comme pillards et brigands, les montagnards du Da-
ghestan, surtout les Tchétchènes, étaient peut-être de
tous les peuples de guerre ceux qui, du moins pendant
leur lutte suprême contre les Russes, montrèrent les
plus brillantes qualités d'hommes libres : (( Nous
sommes tous égaux ,» aimaient-ils à répéter. Des captifs
ou des fils de prisonniers épousaient souvent des filles
de leurs maîtres et devenaient ainsi membres de la
famille et les égaux de tous. Les Tchétchènes pous-
saient la fierté jusqu’au fanatisme; leur hospitalité était
sans bornes, quoique mêlée de bizarres pratiques. Que
de fois le voyageur n’a-t-il pas vu une bande de cava-
liers descendre vers lui au grand galop du haut des
escarpements, en tirant au-dessus de sa tête des salves
de coups de fusil et de pistolet, puis s’arrêter soudain,
à dix ou quinze pas de distance, et saluer l’étranger
d’un (( salamalec » respectueux! Dans une pareille
société, la justice devait être réglée par la loi du sang
et, malgré le code russe, cette loi est encore respectée.
Le christianisme a toujours une certaine prise sur les
Tchétchènes, tous devenus sunnites, à l’exception de
ceux de Bragouni,sur la Soundja. Près de Kistinc, trois
églises érigées sur une montagne en l’honneur de Saint-
Georges, de la Vierge, de sainte Marina, sont des lieux
de pèlerinage très fréquentés, et l’on vient à des époques
fixes y sacrifier des béliers. Les édifices sont pleins de
dépouilles d’animaux1.
TARTARES
La région du littoral caspien, voie historique des
armées et des peuples qui se rendaient d’Asie en
Europe ou d’Europe en Asie, devait recevoir pour
résidents des conquérants ou des traînards appartenant
à toutes les races qui ont suivi ce chemin de guerre et
de commerce. Mongols, Sémites, Aryens et Turcs sont
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
161
représentés dans cette étroite zone du littoral. Au N.,
des Nogaï ont planté leurs tentes dans les steppes qui
bordent le Soulak. De ces plaines marécageuses jusqu’à
Derbent, la zone côtière est occupée principalement
par les Tartares Koumikes qui se sont avancés vers
le N., en repoussant dans les vallées latérales les
populations indigènes, mais en admettant au milieu
d^eux un grand nombre de marchands arméniens.
D’autres Tartares, appartenant au même groupe que
ceux de la Transcaucasie, vivent plus au S., dans les
plaines de Kouba et contribuent à donner la prépon-
dérance ethnique à l’élément turc de la contrée.
Les Tartares occupent presque toute la partie orien-
tale du bassin de la Koura, en aval de Tiflis. En
plusieurs districts ils sont groupés en masses compactes,
sans mélange d’autres populations : ce sont des Turcs
qui, tout en ayant perdu leur nom de race, sont incom-
parablement moins mélangés que les Osmanlis de
Turquie; les Byzantins et les Arabes les confondaient,
sous l’appellation générale de Khazars^ avec les peuples
qui dominaient sur les bords du Don et du Volga. On
rencontre tous les types parmi les Tartares, du plus
noble au plus grossier, mais en général ils sont à peine
moins beaux et moins souples de corps que leurs
voisins les Kartvels ; presque tous de physionomie
sérieuse et grave, les Tartares de la Transcaucasie,
considérés en masse, ont des qualités qui manquent à
d’autres populations du Caucase : ils sont d’une rare
sincérité, d’une probité à toute épreuve et, quoique
vindicatifs, hospitaliers avec une étonnante délicatesse
de procédés. La plupart sont fort actifs, et comme pâtres,
agriculteurs, jardiniers, artisans, se montrent supérieurs
aux autres races du pays. Par l’instruction, ils sont
même en certains districts plus avancés que les Russes,
car la plupart savent lire; un grand nombre d’entre
eux écrivent purement le turc, la (( langue des padi-
chahs », et l’on rencontre fréquemment des Tartares
qui ajoutent à la connaissance de leur langue celle des
dialectes indigènes et des deux idiomes policés, l’arabe
et le persan, l’un sémitique et l’autre aryen. A cet
égard, les Tartares sont un peu les civilisateurs du
U
162
GUIDE AU CAUCASE
Caucase, puisque leur langage, qui est le dialecte turc
de l’Aderbeïdjan, est celui qu’emploient les interprètes
des diverses peuplades pour entrer en relations les unes
avec les autres.
Tous les indigènes non Arméniens ou Russes, à
quelque autre race qu’ils appartiennent, sont commu-
nément désignés sous le nom de Tartares : c’est ce qui
explique le manque de type national. Certainement les
Albanais de Strabon, ces hommes « francs, aussi peu
marchands que possible )), célébrés par le géographe
d’Amasie, se retrouvent parmi les Tartares qui peuplent
aujourd’hui la contrée. On rencontre également au
milieu d’eux, ainsi que le prouvent les noms de villages,
des représentants des populations guerrières qui en-
vahirent l’Europe méridionale, les Koumanes , les
Petchenègues ; et plusieurs bourgades sont désignées
parle nom d’Arab. Si les Tartares avaient eu plus de
force d’initiative, ils auraient peut-être exercé dans
tout le pays une influence décisive, mais en beaucoup
de districts ils se sont laissé ronger par l’usure, et les
Arméniens sont devenus leurs maîtres. Par leurs
mœurs, les Tartares de la basse Koura, du Chirvan et
de Bakou ressemblent plus aux Persans qu’aux Turcs ;
quoique la religion leur permette la polygamie, il est
rare qu’ils la pratiquent, et les femmes travaillent en
général librement et la figure découverte. Les chiites
sont en grande majorité , mais ils n’en profitent pas
pour molester les musulmans sunnites. Ils sont éga-
lement tolérants pour les chrétiens, et dans certains
villages de population mixte les maires sont alterna-
tivement arméniens et tartares , sans que personne
ait à s’en plaindre. Même sur la frontière persane,
là où les fêtes chiites célèbrent la mort de Hassan et
de Hosseïn, et où en tête des processions funèbres
marchent les <( Balafrés », les chrétiens peuvent assister
aux cérémonies et même y prendre part.
D’autres chiites zélés habitent, à côté des Tartares,
certaines parties delà Transcaucasie orientale. Ce sont
les anciens maîtres du pays, les Persans, qui, sous le
nom de Tates, synonyme de celui de Tadjiks employé
dans le Turkestan, se sont maintenus en groupes
GUIDE AU CAUCASE
163
compacts. Ils peuplent les alentours de Bakou, et se
répandent sur le revers septentrional du Caucase, jusque
dans le voisinage de Kouba. Presque tout le district
de Lenkoran, sur la frontière persane, appartient aussi
à l’Iran par l’origine de sa population, composée de
Taliches ; ces hommes sont encore à demi sauvages
dans la région des montagnes : ayant longtemps vécu
à l'écart, entre les hautes cimes et les marais de la
basse Koura, ils n’ont pu se civiliser comme les autres
populations de la Transcaucasie orientale. Leur langue,
dans laquelle on ne doit point voir un simple patois,
s’est développée parallèlement aux autres dialectes
iraniens et, à certains égards, ressemble à l’afghan1.
POPULATION
Les divers recensements, depuis l’occupation défi-
nitive du territoire parles Russes, ont fait constater un
mouvement progressif assez considérable. En 1887, on
comptait dans le Caucase 4.661.800 individus. Le dé-
nombrement de 1877 accusa une population de
5.391.700. Enfin les recensements divers opérés de-
puis 1882 ont prouvé que la population du Caucase, y
compris les territoires annexés de Kars (162.980 h.) et
de Batoum (92.450 h.) se montait en 1886 au chiffre
de 7.307.849 hab. La densité moyenne de la population
dans le Caucase septentrional est de 10,3 par kilomètre
carré; dans le Caucase méridional, elle est de 13.6, pa-
reille à celle du midi de la Russie d’Europe. Les gou-
vernements de Koutaïs, d’Erivan et de Tiflis ont
respectivement une densité de population de 33.6 ; 20.8 ;
et 17.8 par kil. c. L’excédent des naissances sur la
mortalité est juste de 13 sur 1.000 individus.
La proportion des suicides est assez forte au Caucase,
et. la statistique signale ce fait remarquable qu’ils sont
à peu près égaux entre les deux sexes. C’est là un con-
traste frappant avec l’Europe où la proportion des
suicides d’hommes est de trois à quatre fois supérieure
à celle des suicides de femmes.
1. D’après ÉLisée Reclus.
164
GUIDE AU CAUCASE
AGRICULTURE
Bétail. — Instruments agricoles. — Moulins. — Cultures :
çjomi (millet), riz, vigne, lin, chanvre, mûrier, tabac, coton-
nier, ramie, garance. — Apiculture. — Sériciculture.
Au Caucase, pendant longtemps encore, l’agriculture
sera l’élément de richesse le plus considérable. Le sol
fertile du pays , le climat bienfaisant, les nombreux cours
d’eau descendant des montagnes servent à souhait les
habitants. Ce qui manque surtout ce sont des canaux
d’irrigation, des bras et des capitaux pour mettre en
valeur les immenses étendues de terres donnant deux
et même trois récoltes par an, sans s'épuiser.
La récolte moyenne des diverses céréales, pendant
5 des dernières années, est la suivante : Blé, 1.726.000;
seigle, 130.066; maïs, 418.990; riz, 81.774; orge,
574.776; pommes de terre, 153.064; autres céréales,
267.943. Soit au total 3.352.585 tonnes métriques ou
460 kilogr. par habitant. Défalcation faite des quan-
tités nécessaires aux semailles et à l’alimentation, il
restait disponible pour la vente plus d’un million
de tonnes. On sait qu’en 1891 la Russie a trouvé
dans le Caucase le moyen de remplacer un tiers du
déficit total de ses récoltes.
Outre toutes les céréales ordinaires, gruau, millet,
légumes, herbes potagères et fourragères, le Caucase
est favorable à la culture de la vigne, du noyer, tabac,
cotonnier, sorgho, de la ramie, du mûrier, ricin , chanvre,
lin, de la garance, du safran ; il le serait peut-être à
celle de l’olivier, de l’arbre à thé. Les primeurs réussis-
sent dans le gouvernement de Koutaïs, mais ont peu de
goût. Il en est de même des arbres à pépins et à noyaux,
dont les fruits sont petits en général, peu juteux et
acidulés parce que les greffes sont insuffisantes.
Bétail. — Au chapitre Faune, nous avons déjà parlé
des animaux domestiques, des bêtes à cornes et autre
bétail du Caucase. Voici leur effectif moyen pendant
ces dernières années: Chevaux, 1.120.955; ânes et
mulets, 87.303; bêtes à cornes, 6.710.112; buffles,
97.561; chèvres, 3.454.093; moutons, 15.452.843 ;
GUIDE AU CAUCASE
165
chameaux, 32.996; porcs, 1.024.547; total : 28. 020. 4001.
Instruments agricoles. — Au Transcaucase, les
paysans sont presque seuls à s’adonner à l’agriculture,
la plupart des propriétaires préférant affermer leurs
terres. Les. instruments et les outils employés pour la
culture sont très imparfaits et difficiles à transporter,
aussi les progrès agricoles sont-ils lents et ne contribuent-
ils que fort peu encore au rendement général du pays.
Le tokhé ou bergui est le type par excellence des
outils campagnards, remplaçant à lui seul la pelle, la
tranche, la pioche, le râteau, et ressemblant à notre
dioue. La charrue indigène est faite avec un long morceau
de bois horizontal recourbé à angle aigu, ayant l’air de
notre L renversée, et peu ou point fermée. On y attelle,
avec un joug mobile qui porte sur le cou à la hauteur
des épaules, deux bœufs ou deux buffles. Le laboureur,
tenant dans la main la poignée d’une branche torse
fixée au timon, guide son engin et trace le sillon en
effleurant à peine la terre qui est rejetée également des
deux côtés du soc. La charrue dite gouthani ressemble
à celle de la Petite-Russie; elle est en grande partie en
bois. Elle se compose d’un avant-train (essieu à deux
roues inégales, la plus grande roulant dans le sillon
tracé) accroché à l’extrémité de la volée qui est courbée
en S. Le soc, en fer, pesant 80 livres, affecte la forme
d’un triangle rectangulaire à angles émoussés, et est
appliqué sur une semelle de bois. Le couteau très
massif est fixé par des coins de bois dans la volée.
L’oreille n’est qu’une planche droite ajustée à la partie
antérieure de la volée sous un angle de 140°, ce qui
fait que la terre au lieu d’être rejetée dès le début
s’appuie contre cette planche, se courbe peu à peu et
n’est retournée qu’avec une grande résistance. A
l’arrière de la semelle se dresse un montant réuni par
une tige horizontale à un second qui s’appuie sur
l’oreille; ces manches servent à guider. Les colonistes
allemands se servent d’une charrue un peu meilleure,
mais nos instruments européens ne se voient qu’excep-
tionnellement; charrues de fer, herses, machines à
1. D’après V. Thiébaut.
166
GUIDE AU CAUCASE
battre, à vanner, faucheuses, moissonneuses ne se ren-
contrent que chez quelques rares propriétaires riches.
Quand le sol a été passé au tokhé ou bergui , ou labouré,
on emploie pour niveler et herser le partski , grande
balayeuse plate et carrée faite en verges tressées et
qu’on traîne sur tout le champ. Pour le dépiquage du
blé, on se sert du khévri, planche épaisse garnie de
morceaux de pierres et de cailloux à laquelle on attelle
deux vaches, et qu’on promène sur les gerbes étalées.
Mais. — Au Transcaucase, l’objet principal de la
culture est le maïs. En avril, les membres de la famille
du paysan viennent aux champs, se rangent l’un à côté*
de l’autre, arrachent les vieilles tiges, les brûlent, sèment
à la volée, puis recouvrent les grains, en donnant un
léger coup de charrue. En juin et juillet on vient arracher
avec la houe les mauvaises herbes parasites et on butte
légèrement les pieds de maïs.
Notons, en passant, une habitude patriarcale des
Géorgiens pendant l’époque des travaux des champs :
Une ou deux fois par récolte, chaque propriétaire
prie ses voisins de venir l’aider à labourer sa terre
et ceux-ci considèrent comme un devoir de se rendre
avec leur houe à cet appel, au jour indiqué. Dix, vingt,
quarante paysans réunis travaillent toute la journée
sans cesser de chanter et de rivaliser de zèle. Les
femmes viennent les encourager, les égayer et leur
promettre, s’ils terminent la besogne, un excellent
souper. Le soir, en effet, on sert un repas extraordinaire
où la plupart du temps figure un bœuf ou un mouton,
suivant le nombre des invités et les ressources du pro-
priétaire,, et on débouche à cette occasion la nouvelle
kouchine 1 de vin. Chacun, du reste, s’est multiplié et
s’est consciencieusement acquitté de sa tâche. A son
tour, le paysan qui a organisé la journée de travail et le
festin est tenu d’aller chez celui de ses invités qui l’en
priera pour lui rendre son contingent de travail.
En Mingrélie le maïs atteint une hauteur de deux à
trois mètres; en basse Mingrélie la tige porte deux et
quelquefois trois épis ayant en moyenne 800 grains.
1. Voir la note 1, page 169.
GUIDE AU CAUCASE
167
Un hectare de terre ordinaire donne environ 125 pouds,
soit près de 2.000 kilos. C’est aux mois de septembre et
d’octobre qu’a lieu la récolte. Paysans, femmes et
enfants, munis de paniers, de sacs, se rendent aux
champs et l’on cueille avec joie le pain annuel. On le
charge sur Yavba 1 jusqu’à la maison où, au milieu des
chansons, on se met à le dépouiller de ses enveloppes
qui servent à garnir les paillasses. Comme pour le
labour, les voisins viennent faciliter le travail et on ne
se sépare qu’à l’aube. Les épis de maïs sont ensuite
déposés dans des maisonnettes en bois, élevées, sou-
tenues par de hautes poutres. Là, à l’abri de l’humidité,
aérés convenablement, ils sèchent peu à peu. Puis on
monte dans ces greniers, on s’assied, et, à coups de
bâton on commence à battre. Des fentes pratiquées au
plancher de la maisonnette, laissent les grains détachés
tomber à terre, où un tapis, un morceau cl’ étoffe étendue
les reçoivent. De là on transporte le maïs égrené à la
cabane de bois dans laquelle on le conserve jusqu’à ce
qu’il aille au moulin.
Le moulin caucasien est d’une simplicité extrême.
Un chéneau de 6 m. sur 0 m. 16 de large, lance l’eau
d’une hauteur de 1 m. 60 contre une roue horizontale
de 0 m. 80 de diamètre et munie d’une vingtaine de
palettes. L’eau frappe par le travers les palettes de la
roue, dont l’arbre tourne en faisant mouvoir la meule
supérieure du moulin d’un diamètre de 0 m. 50 environ.
La farine s’échappe par le côté. Une petite tringle en
bois traînant sur la meule à mesure qu’elle tourne,
communique un ébranlement assez fort à l’entonnoir
qui laisse tomber la quantité de grains nécessaire. Tel
est le mécanisme tout à fait primitif de ces moulins,
contenu dans une hutte en bois d’une largeur de 2 m. 50
environ. Le moindre courant d’eau suffit pour les
alimenter. Ils peuvent moudre par jour 25 kilogrammes
de grain.
Gomi. — (Millet d’Italie) objet des redevances
dùiutrefois, est assez peu répandu aujourd’hui, quoiqu’il
soit plus délicat que le maïs et qu’il remplace aussi
1, Voir la note 3, page 169.
168
GUIDE AU CAUCASE
comme alimentation le pain de froment ou de seigle
parmi les paysans. La terre demande à être labourée
avec soin et exige deux façons. Les épis donnent
de 200 à 1 ,000 grains. Au mois de mai on le cueille au
couteau et on le conserve dans une maisonnette; quant
aux tiges, on les coupe à la serpe et elles servent d’ex-
cellente nourriture pour les chevaux pendant l’hiver.
Elles prennent alors le nom de tchadi.
Riz. — La culture du riz est très pratiquée au Trans-
caucase, dans les endroits arrosés. La zone de culture
s'étend au N. depuis le gouvernement de Tiflis jus-
qu'aux montagnes de la grande chaîne; au S. jusqu’à
la frontière de Perse; à LE. jusqu’à la mer Caspienne.
L'espèce qu’on cultive dans cette région est à tige
courte et n’exige pas l’immersion. D après les statis-
tiques on récolte dans les gouvernements d’Elisabethpol,
de Bakhou, d’Erivan, l’arrondissement de Zakatal,
environ 1,000,000 d’hectolitres en moyenne La popu-
lation indigène consomme la plus grande partie de ce
riz; le reste est expédié dans la Russie septentrionale
où on le vend sous le nom de riz persan. Le meilleur
croît dans l’arrondissement de Lenkoran, à Akoula. Le
riz joue un rôle très important dans l’agriculture trans-
caucasienne parce que cette culture est la plus lucrative.
Malheureusement la graminée exige un arrosement
abondant, et comme l’irrigation au Caucase est très
irrégulière et mal faite, toutes les localités où pousse
Je riz sont très fiévreuses et empestées par la malaria .
Vigne. — La culture de la vigne est encore au
Caucase dans l’enfance, malgré les sensibles progrès
faits ces dernières années. En général, on ne la taille
pas et on laisse la ramure s’enrouler et grimper autour
des arbres et la garnir jusqu’au sommet du réseau de
ses pampres. Or, à ce cépage égal, le vin provenant
des hautains est de qualité inférieure. En vignes basses
on obtiendrait un bon vin de table. Les vignes demi-
basses'sont tenues sur les souches et ont leurs sarments
de l’année attachés sur des perches. Recevant peu de
soins d’entretien, elles participent aux désavantages
des hautains. Avec cette méthode, ou les plants irrégu-
lièrement placés et très rapprochés sont soutenus par
GUIDE AU CAUCASE
169
des rames, et, en pleine végétation les sarments sont
enchevêtrés les uns dans les autres, ou, en certains
endroits, les plants sont trop éloignés et la vigne se
trouve associée à d’autres plantes. Le soufrage est
impossible, et, faute d’une taille bien comprise, le bois
pousse au détriment du fruit. Lors de la vendange, qui
a eu lieu en octobre, novembre et même décembre, on
cueille toutes les grappes vertes et mûres qu’on porte à
la maisonnette destinée à remplacer la cave ; on les
mêle ensemble; le foulage s’exécute avec les pieds nus
à défaut de pressoir; le cuvage se fait dans un arbre
creusé de 50 c. à 1 m. de diamètre et de 2 à 4 m. de long.
Quand la fermentation, qu’on abandonne à elle même,
est jugée suffisante, le tonneau étant objet presque
encore partout inconnu, on met le vin dans d’immenses
cruches ( kouchines ) 1 qu’on enterre, qu’on bouche et
qu’on ouvre au fur et à mesure des besoins, en y pui-
sant avec une courge emmanchée d’un bâton. De là il
est transvasé dans des bourdouks , peaux de buffle ou de
mouton qu’on enduit de goudron pour leur conserver
de la souplesse, ce qui donne au vin un goût désa-
gréable auquel cependant on s’habitue. Rien n’est plus
curieux que de voir ces peaux gonflées ayant conservé
presque la forme primitive de l’animal qu’elles ont
recouvert, suspendues aux portes des doukans 2 ou
transportées sur un arba 3, et tressautant à chaque
1. Les vases en terre cuite où l’on conserve le jus de la
treille sont à panse large, la base se terminant, en pointe;
l’ouverture est un col très bas, ordinairement assez resserré et
à lèvres. Ils ont une capacité qui varie entre 100 et 3,000 litres.
Quelques-uns ont jusqu’à 3 m. de haut sur 2 de large. Pour
nettoyer ces gigantesques kouchines on y descend à l’aide
d’échelles. 11 y a de ces vases qui coûtent i00 roubles. Parfois
si solides qu’iis soient, la fermentation du vin les fait éclater;
le sol alors en boit le contenu. La plus grande kouchine connue
au Caucase se dresse en l’air dans le jardin du prince Grégoire
Gouriel à Ozourghet. Elle a 3 m. 50 de haut et 10 de circonfé-
rence; elle est soutenue par les poutres et le plancher d’un
kiosque en bois où peuvent prendre place vingt personnes.
2. Cabarets où l’on débite du vin, de l’eau-de-vie, et où l’on
donne à manger; dans quelques-uns on peut loger.
3. L 'arba n’est pas un chariot, une charrette ou un camion,
lia une forme toute spéciale. Ni trop haut, ni trop bas, il repose
sur deux lourdes roues tournant avec leur essieu. Terminé en
170
GUIDE AU CAUCASE
instant comme des bêtes vivantes. L’avantage de ces
bourdouks consiste en ce que la ligature étant faite
d’une façon très hermétique le liquide ne ballotte pas.
La majorité des vins est rouge. Tous se conservent très
mal, rarement plus d’un an, parce qu'ils sont mal
traités. S’ils supportaient le voj^age et si leurs prix
étaient relativement moins élevés, ils pourraient servir
pour des coupages1.
La vigne, dont la Transcaucasie est pour ainsi dire
la patrie, y est sujette à trois maladies : l’oïdium, le
mildevv et le phylloxéra. L’oïdium, qui s’est fait sentir
surtout après la guerre de Crimée, continue jusqu’à
présent dans les vignobles du gouvernement de Koutaïs,
dans les districts de la mer Noire, de Soukhoum et de
la Kakhéthie. Le phylloxéra a fait son apparition au
Transcaucase il y a onze ans. Il s’est propagé aux alen-
tours de Soukhoum, puis au N. du Caucase. Il a été
constaté à Tiflis et dans la région vinicole de la mer
Caspienne. Le mildew a été constaté à Tiflis, en Kakhé-
thie, à Douchet, etc.
Lin. — Cette culture s’est conservée par tradition en
Mingrélie depuis l’époque des colonies égyptiennes 2
ou grecques qui y apportèrent, probablement avec cette
plante inconnue, l’art de filer et d’en tisser les toiles.
Chanvre. — Quand cette plante est dans un sol
pointe par devant, il va s’élargissant vers l’arrière où il est
carré. Un double lattis en ferme les bordages latéraux. Attelé
d’une, de deux ou trois paires de bœufs ou de buffles, Yarba
sert à la fois de haquet de transport pour les outres, et d’équi-
page de promenade pour les familles indigènes ; dans ce
dernier cas, on le garnit de tapis et de coussins [moutalns) .
L’allure pesante de son flegmatique attelage lui imprime un
mouvement cadencé qui rend la locomotion assez douce.
1. Voir au chapitre : Productions et produits. — Vins.
2. D’après Hérodote et Diodore de Sicile, les Colches seraient
les descendants d’Egyptiens venus dans la Mingrélie actuelle
au temps de Sésostris, au XVe ou XVIe s. av. J.-C. On ignore
ce qu’étaient ces hommes à teint basané, à cheveux crépus,
pratiquant la circoncision, sachant filer le lin à la manière
égyptienne, et dont Hérodote fait les habitants de la Cc-lchide.
Us'lar prétend qu’ils possédaient un développement intellectuel
et matériel avancé et appartenaient à une chaîne de peuples
civilisés qui, partant de l’Egypte, allait jusqu’à l’Inde et reve-
nait par la Perse, la Colchide’et la Grèce en Egypte.
GUIDE AU CAUCASE
171
argilo-calcaire profond, elle vient bien; mais dans les
terres argileuses humides, à sous-sol imperméable, elle
ne donne que peu de produits.
Mûrier. — Partout où prospère la vigne, on est
assuré de voir croître et prospérer le mûrier. Il ne
“devrait donc pas y avoir de contrées plus favorisées
que la Mingréiie, l’Iméréthie, la Kakhéthie, le gouver-
nement d’Erivan pour la culture de cet arbre et l’édu-
cation des vers à soie1. Malheureusement, pendant long-
temps cette industrie a été abandonnée à l’insouciance
et à l’ignorance des paysans. D’abord, sur les plateaux
un peu élevés, sur les coteaux bien exposés, dans les
terrains légèrement sablonneux, il faudrait et beaucoup
planter et tirer un meilleur parti des plantations déjà
existantes. Au lieu de tailler les mûriers, de les équili-
brer en les maintenant en <( gobelets » à une hauteur
modérée, on les laisse croître en liberté comme des
chênes et des ormes.
Tabac. — Quoique le tabac turc soit depuis long*
temps en usage au Transcaucase, la culture d’espèces
turques ne date que de l’année 1873 Avant cette époque,
les tabacs indigènes étaient récoltés et connus sous le
nom de « mingrélien, iméréthien, borthchalien, ma-
danskien, salanien », etc. Quoique tous de qualité
inférieure et mal préparés, ils se vendaient cependant
facilement à la population campagnarde et à la classe
pauvre des villes. Lorsqu’en 1883, il fut défendu de
vendre désormais le tabac indigène sans la banderole
de l’accise, le débit de tabac caucasien commença à
diminuer, et il est à supposer que, dans un avenir pro-
chain, il sera complètement exclu du marché.
Jusqu’en 1873, le prix du tabac turc importé ne dé-
passait pas 7 roubles le poud de bon « Samsoun » et
<( Trébizonde », et 18 roubles le poud de «Dubek»,
parce que le droit de douane qui frappait le tabac
étranger imposé au Transcaucase n’était que de 5 % de
la valeur, soit 25 kopeks par poud. Dans ces conditions,
la culture du tabac turc, au Caucase, ne pouvait pas
être lucrative. Elle ne s’est développée que grâce à de
1. Voir au chapitre : Sériciculture.
172
GUIDE AU CAUCASE
nouveaux droits protecteurs qui, appliqués à l’impor-
tation du tabac étranger dans l’Empire russe, ont été
mis en vigueur sur toute la côte de la mer Noire. La
production dans cette région a été, en 1864, considé-
rablement aidée aussi par Uémigration des Circassiens
et l’établissement en Turquie, en 1872, d’une régie. Les
cultivateurs des provinces voisines de Trébizonde et de
Samsoun, gênés par le système du monopole introduit
en Turquie, commencèrent à émigrer volontairement
dans les possessions russes situées au bord oriental de
la mer Noire quittées par les Circassiens, et à y faire
des plantations. Au Transcaucase, le premier essai de
culture de tabac turc a eu lieu en 1873; il fut motivé
par l’augmentation, en 1872, des droits de douane frap-
pant de 2 roubles le poud de tabac importé.
Après quelques premiers essais et grosses dépenses
inévitables pour les innovateurs, les débuts ne furent
pas très heureux; du reste, le droit de 2 roubles ne
suffisait pas pour préserver la production locale contre
la concurrence de l’importation. Néanmoins, de 1873 à
1877, plusieurs de ceux qui s’intéressaient au tabac en
ont entrepris la culture dans divers endroits, mais pres-
que tous ont été obligés de l’abandonner faute d’argent
et d’ouvriers, ou faute de rendement satisfaisant.
Enfin, en 1877, le droit de douane de 14 roubles en
or, par poud de tabac importé, fut appliqué au Trans-
caucase. Cette mesure du gouvernement, puis le com-
mencement de la guerre avec la Turquie arrêtèrent
complètement l’arrivée du tabac étranger. La demande
de tabac en feuilles à des fabriques du pays s’augmenta
par suite des besoins de l’armée. A partir de ce moment,
on se mit avec ardeur à cultiver le tabac ; k l’appel des
planteurs, on vit arriver une foule de Turcs, et les
indigènes eux-mêmes devinrent peu à peu d’assez bons
travailleurs.
De 1877 à 1878 et 1879, les récoltes abondantes
rétribuèrent largement de leurs peines tous les cultiva-
teurs ; les demandes se soutenaient fermes et les prix
proposés étaient élevés. Malheureusement les planta-
tions de Laguodekh et celles qui s’étendaient au S. de
la chaîne du Caucase eurent beaucoup à souffrir des
GUIDE AU CAUCASE
173
dévastations des montagnards, lors de l'insurrection
des Lesghiens en 1877. Le massacre de beaucoup de
travailleurs et la panique qui s’empara alors de toute
la population empêchèrent de récolter et de rentrer le
tabac mûr sur 25 déciatines. Aujourd’hui, au Trans-
caucase, les principaux rayons de culture du tabac turc
sont : le district de Signak, l’arrondissement de Zaka-
tal, la Gourie, les parties supérieures des vallées de
l’Algeth et du Khram, les districts d’Artvine et de
Soukhoum et celui de Tiflis. En 1886, la récolte de
ces régions s'est élevée à 300,000 pouds, dont la moitié
provenait de la vallée de.l’Alazan et de l’arrondisse-
ment de Zakatal. Les plantations sont groupées au pied
des montagnes couvertes de forêts; celles qui s’étendent
sur des pentes peu élevées, assez douces, et orientées
vers le S. ou S. -O., passent pour les meilleures. On
occupe aussi avec succès, près des villages ou des
fermes, les endroits qui servaient autrefois d’hivernage
aux brebis ou ceux sur lesquels paît le bétail. Les meil-
leures espèces de tabac turc croissent sur un sol amon-
celé, rempli de décombres, et aussi sur une terre en
friche conquise sous une forêt et riche en fumier brûlé
végétal. Les plantations de la vallée de l’Iora, et celles
de Moukhrane, près Tiflis, donnent de 80 à 100 pouds
par déciatine; les feuilles sont succulentes, épaisses et
d’un goût fort. A Laguodek, le rendement d’une décia-
tine est de 60 à 75 pouds; les feuilles sont fines, déli-
cates, aromatiques et d'un goût agréable. Les conditions
heureuses du climat et de terrain se rencontrent du
reste dans la plupart des plantations de l’arrondisse-
ment de Signak, de Zakatal, et le pays présente une
foule d’autres localités aussi privilégiées.
Dans la culture du tabac, le capital joue un rôle
important; le paysan, qui s'y livre tout entier avec sa
famille, est obligé de s’adresser à un bailleur de fonds
pour se procurer les denrées de première nécessité que
la terre ne lui donne pas. S’il loue son champ et son
travail à un planteur, qui lui abandonne une partie de
la récolte, celui-ci doit aussi souvent faire appel à un
capitaliste ou marchand de tabac pour obtenir des
avances de fonds. Les conditions de ces prêts sont
174
GUIDE AU CAUCASE
réglées par les usages locaux. Au Transcaucase, et
particulièrement clans le district de Signak, il y a un
mode d’accommodement en usage entre planteur et
bailleur de fonds; les deux parties s’entendent pour
cultiver le tabac sur un terrain qu'elles louent à un
tiers. Pour les dépenses de culture, elles fixent une
certaine somme ( soit 200 à 350 roubles environ par
déciatine ) que débourse le capitaliste et qui lui
sera restituée sur le prix de la future récolte. Après
vente faite du tabac, le surplus de l’argent retiré, excé-
dant le montant de l’avance consentie, et déduction
faite des dépenses, est partagé par moitié entre le prê-
teur et le cultivateur. En Turquie, les bailleurs de
fonds qui interviennent dans ce genre d’affaires sont
exclusivement traficants de tabac; au Transcaucase,
au contraire, ce sont des personnes de tout état,
mais riches, et ne faisant de contrats avec les plan-
teurs* que par pur intérêt et en vue de toucher de
gros bénéfices.
Plus que toutes les autres branches de l’économie
rurale, la culture du tabac est exposée à une foule de
hasards et d’éventualités; aussi, au Transcaucase, est-
elle considérée comme une entreprise risquée. Jamais,
même dans le cas d’une bonne récolte, elle ne rému-
nère suffisamment le planteur, car si la production
dépasse les besoins et la demande, ou bien c’est l’abon-
dance qui oblige à baisser les prix, ou bien c’est l’excé-
dent qui ne trouve pas de débit et reste pour compte au
cultivateur. Le prix de' vente des espèces médiocres
de tabac du pays est de 4 à 9 roubles le poud, selon
les offres et les demandes; les frais de culture varient
de 3 à 6 roubles le poud, selon les saisons et les diffé-
rentes phases delà récolte.
Sous l’influence de mille circonstances, de l’absence
d’entente solide entre le capitaliste, le travailleur et le
propriétaire foncier, la culture du tabac au Transcau-
case subit d’années en années des vicissitudes et des
écarts considérables au point de vue de la quantité et
de l’étendue des terres ensemencées. La récolte, qui
dans le district de Signak et dans l’arrondissement de
Zakatal ne dépassait jamais autrefois 50,000 pouds.
GUIDE AU CAUCASE
175
s’est élevée en 1886, à cause de la hausse des prix de
1885, jusqu’à 100,000 pouds. Aussi, sans compter la
production de cette même année, du gouvernement de
Koutaïs et celle des arrondissements de Soukhoum et
d’Artvine qui ont été abondantes, cette récolte dépas-
sant près de moitié les besoins locaux, les tabacs de
1886 sont tombés au prix incroyable de 2 à 4 roubles le
poud, et une grande partie reste encore aujourd’hui
non vendue.
Le tabac du Caucase ne supporte pas un transport
lointain et doit rester longtemps en magasin ; cela ne
dépend pas toujours de sa nature, mais provient surtout
de ce que, après la récolte, on ne le laisse pas fermenter
et l’on ne sait ni l’assortir ni l’emballer convenablement.
Les tarifs protecteurs, l’abondance de la production
et la facilité des débouchés pendant les premières
années, ont empêché jusqu’ici de réaliser les amélio-
rations et de chercher les débouchés qui seuls pourront
assurer à la culture du tabac au Transcaucase un
écoulement certain et un prix rémunérateur qui mettront
fin à la crise qu’elle traverse actuellement1.
Cotonnier. — La culture du cotonnier était jadis
florissante au Transcaucase ; partout où le climat le
permettait, elle était une des nécessités domestiques.
En effet, chaque paysan s’habillait avec les tissus et
les toiles fabriqués à la maison par sa femme et ses
filles. L’art de l’impression et de la teinture était même
assez avancé. Mais quand les cotonnades, les indiennes,
les cretonnes européennes importées firent leur appa-
rition au Caucase, '"leurs prix modiques, leurs nuances
heureuses, leur bonne qualité les firent préférer. Dès
lors la culture du cotonnier, qui exige beaucoup de
soins, qui est longue, pénible et moins productive que
celle du maïs, de. la vigne et que l’élevage des vers à
soie, fut dépréciée et délaissée. L’absence de voies de
communication rendait, du reste, difficile l’exportation
du coton brut ; aussi Ton vit la production totale du
Transcaucase tomber à 40,000 pouds dont30,000 étaient
fournis par un seul gouvernement, celui d’Erivan. La
1. D'après le rapport de M. Enfiadjiantz à la Société d’agri-
culture du Caucase.
176
GUIDE AU CAUCASE
guerre d’Amérique développa subitement et rapidement,
dans de grandes proportions, culture et rendement.
En 1859 et 1860 le poud de coton, au Caucase, se ven-
dait de 3 à 5 roubles 50 kopeks, tandis qu’à Liverpool
il valait de 18 à 20 roubles. Mais personne n’osait se
risquer à acheter le coton caucasien et à l’exporter en
Europe. Le gouvernement russe intervint et commu-
niqua aux intéressés les rapports encourageants des
consuls accrédités en France, Angleterre et Turquie.
Un indigène entreprenant expédia, en 1862, à Constan-
tinople un premier chargement qui fut vendu avec gros
bénéfice. Son exemple fut aussitôt imité. De 4 roubles,
le' prix du poud monta en quelques mois à 10, 12,
17 1/2, 18, 19 1/2 et même 20 roubles, à Tiflis. Le
gouvernement d’Erivan qui, en 1861, n’exportait que
30.000 pouds, produisit, en 1862, plus de 60,000 pouds;
et en 1863, plus de 150,000 p. En trois ans, la culture
avait donc quintuplé. Dans le gouvernement de Koutaïs
aussi, les plantations avaient augmenté. Au lieu de
3.000 pouds à 4 ou 5 roubles qu’on récoltait autrefois,
on vendit, en 1863, plus de 10,000 pouds au prix de
20 roubles. Au gouvernement d’Erivan, c’est principa-
lement dans la vallée de l’Araxe et dans les défilés
élevés que se cultive le cotonnier. D’après les sta-
tistiques officielles, on a récolté dans cette région :
En 1876 132.810 pouds.
- 1877 149.084 —
Quant aux gouvernements d’Elisabethpol et de
Koutaïs, les chiffres exacts manquent. Quoique le sol
et le climat y soient favorables, et que cette culture s’y
développe d’année en année, on n’y rencontre pas de
plantations ayant plus d’un quart ou d’un demi-arpent.
D’après les statistiques, le Transcaucase a exporté :
En 1862 pour
21.034 roubles de coton.
— 1863 —
263.680
— 1865 —
680.673
— 1867 —
526.555
— 1868 —
1.402.200
- 1869 —
1.127.842 —
— 1870 —
307-081 —
— 1871 —
237.149 —
— 1872 —
368.469 —
GUIDE AU CAUCASE
177
Dans les années ci-dessous le Transcaucase n’a pas
exporté; au contraire, il a importé de Perse et de
Turquie:
En 1864 pour
— 1866 —
—1873 —
— 1874 —
— 1875 —
— 1876 —
842.356 roubles de coton.
19.269 —
444.406 —
909.514 —
945.485 —
599.720 —
En somme, au Transcaucase, la culture du cotonnier
est minime et très fractionnée parmi les habitants .
L’égrainage s’opère d’une façon rudimentaire, avec un
instrument composé de deux bâtons cylindriques pa-
rallèles, posés l’un sur l’autre et supportés par deux
pieds d’un mètre de haut. Deux femmes assises, mettant
en mouvement une manivelle, font tourner en sens
contraire les deux cylindres entre lesquels le coton est
saisi et entraîné. Les graines tombent en dehors.
Le rendement d’une déciatine n’est que de 15 à
20 pouds en moyenne, tandis qu elle devrait donner un
tiers de plus au moins, si la plante était mieux cultivée.
Le prince Vorontzofï avait fait venir d’Egypte des
graines qui ont été distribuées en Mingrélie, mais qui
n’ont pas donné de très bons résultats. On tente, depuis
quelques années, d’introduire et de semer des graines
d’Amérique destinées à remplacer peu à peu le coton
caucasien qui est blanc, assez soyeux, mais dont le
brin est court et peu résistant.
Les semailles de coton américain faites dans le gou-
vernement d’Erivan sont attaquées par la maladie de
la rouille à laquelle l’espèce indigène nommée karakoza
n’est pas sujette. A Karaïas, près Tiflis, les plantations
ont un autre ennemi, la chenille du papillon Heliothis
armiger Hub.1.
Ramie. — Deux espèces, Vutilis et la nivea , furent
importées pour la première fois de France au Caucase
en 1862. L ’utilis périt, mais la nivea au contraire a
réussi, malgré tous les changements de température.
1. D’après les notes de M. Chavrofï.
12
178
GUIDE AU CAUCASE
Les essais faitsen Kakhéthie, Iméréthie,Gourie, Géorgie
et Mingrélie sontconcluants ; la plante s’y développerait
avec vigueur, et au bout de quatre ans on pourrait faire
trois coupes ou récoltes annuelles.
Garance. — C’est depuis 1873 et la découverte de
l’alizarine par MM. Grâbe et Lieberman, que la culture
de la garance au Caucase est complètement déchue.
Cette plante, classée parmi les agents tinctoriaux les
plus importants, jouait un grand rôle comme produit
d’exportation (20.000 pouds par an), coûtait cher (6 r.
en moyenne le poud) et offrait de gros bénéfices aux
cultivateurs; elle a été détrônée par un agent artificiel
et chimique qui a presque toutes les qualités de la
garance et coûte beaucoup meilleur marché. Dans l’ar-
rondissement de Kouba et au Daghestan méridional,
plusieurs milliers d’arpents restent depuis dix ans
abandonnés et improductifs, et sans qu’on ait retiré les
plants qu’ils portent. C’est une perte évaluée à dix mil-
lions de roubles U
Apiculture. — On a calomnié un peu le miel du
Caucase. On a dit et écrit que fait avec les sucs de
certaines fleurs il causait l’ivresse et même était véné-
neux pour l’homme. Toute part faite à l’exagération, il
faut avouer que les indigènes évitent de manger le miel
de juin, époque de la floraison des azalées, mais on ne
peut citer un seul cas d’empoisonnement. Dans les
vallées de l’Ingour, duTékour, de la Tskhénis-tskhali,
l’éducation des abeilles est l’occupation principale des
habitants. Les ruches sont faites avec deux longs cy-
lindres creux, posés sur deux pieds, fendus dans le
sens de la longueur et superposés. Sur le bord de la
fente qui les sépare on a pratiqué de petits trous pour
l’entrée et la sortie des mouches qui vont butiner dans
les bois, sur les coteaux et dans les vallons émaillés
de plantes odoriférantes. Une fois par an, au mois de
janvier ou d’août, on recueille le miel; pour éviter les
piqûres on a soin d’allumer près des ruches du fumier
sec dont la fumée étourdit les abeilles. Le miel de
Tchouria en Mingrélie est blanc et d’un goût exquis.
1. D’après les notes de M. Chavrofï.
GUIDE AU CAUCASE
179
Le pond vaut de 4 à 5 r. La cire du miel suffit à la
fabrication des cierges des églises du pays.
Sériciculture. — De 1850 à 1863 le Caucase
produisait chaque année de 550,000 à 600,000 pouds
(le poud équivaut à 16 kilos 380 gr. ) de cocons frais,
avec lesquels on obtenait environ 30,000 p de soie
grège asiatique. Depuis 1864 la récolte a successi-
vement diminué. En 1886 elle est supposée n’avoir été
que de 150,000 p. de cocons frais, dont le rendement en
soie grège pourrait se chiffrer par 5,600 p. seulement,
défalcation faite des déchets de cocons.
Sans parier de la maladie la flàcherie qui a causé de
grands ravages dans les magnaneries indigènes, la
cause principale de l’état peu florissant d’une des plus
importantes branches des industries du Transcaucase
provient de ce que les paysans ne veulent pas limiter
la quantité de graines à élever aux ressources et aux
moyens dont ils disposent, mais s’entêtent à faire des
éducations au-dessus de leurs forces. Les cocons,
bourres de soie et une certaine quantité de grèges, sont
exportés à Moscou et à l’étranger. La France reçoit
surtout des bourres de soies grèges et ouvrées. Les
cocons sont envoyés à Milan.
PRODUCTION ET PRODUITS
Vins. — Laines. — Poils de chèvres et de chameaux. —
Réglisse. — Saragane et Soumak. — Pyrèthre.
Vins. — Le Caucase et le Transcaucase présentent
une grande variété de climats et de sols, variété dont
se ressent naturellement la qualité des différents pro-
duits de l’économie rurale, et entre autres celle du vin.
Quoique la vinification existe depuis bien longtemps,
il n’y a que quinze ou vingt ans que cette branche de
l’agriculture a commencé à se développer et à se per-
fectionner, et encore est-elle loin d’atteindre le déve-
loppement qu’on serait en droit d’attendre, étant données
les conditions si favorables du climat, l’excellence du
terroir et les importantes demandes de vins que fait la
Russie et auxquelles il faut répondre.
Le Caucase septentrional a trois rayons vinicoles.
180
GUIDE AU CAUCASE
Les vins qu’on y récolte, connus sous le nom de thikhir ,
se débitent dans les provinces de la Russie du N., où
on les emploie principalement comme coupages dans
les falsifications. 11 y a cependant dans cette région
quelques vignerons qui procèdent régulièrement et ont
de très bons vins. Sur la côte orientale de la mer Noire,
le domaine de la Couronne, « Abraou », produit des
vins remarquables qui sont consommés à la Cour de
Russie et vendus à Saint-Pétersbourg. La partie méri-
dionale de la côte E. de la mer Noire se termine au
gouvernement de Koutaïs, où la culture de la vigne et
la production sont, en certains endroits, assez dévelop-
pées. Le rayon vinicole de Koutaïs, qui occupe le bas-
sin du Rion, fournit, en général, des crus assez variés,
qui offrent le type d’un petit vin ordinaire et assez
faible. En Mingrélie et au Letchkhoum, Yisabella,
vigne de Crimée, donne un vin chargé d’un bouquet
assez agréable (crus d’Odjaleschi, de Salkhino).
Au delà du col de Souram, les conditions climatolo-
giques sont tout autres, et par conséquent les vins y
diffèrent beaucoup de ceux de Koutaïs. Ce sont d’abord
ceux du district de Gori, parmi lesquels le meilleur est
sans contredit le vin d’Athéni. Ce sont des vins blancs
et rouges, assez mousseux, et qui pourraient facilement
servir à préparer un champagne excellent. Le vin de
Douchet, dans le district voisin, jouit d’une réputation
méritée. C’est dans les environs que s’étagent les remar-
quables vignobles du prince Bagration Moukhransky.
Le mode de traitement des vins y est français. On y
récolte des vins blancs et rouges qui se distinguent par
quelques qualités supérieures. A l’Exposition de Mos-
cou, en 1882, ils ont reçu la première médaille.
Aux alentours de Tifiis, la culture de la vigne est
peu développée; mais, en revanche, un peu plus loin,
s’étend le rayon de vinification le plus fameux, la Ka-
khéthie, qui embrasse les districts de Thélaff, de Sig-
nak et une partie du district de Tioneth. Cette région,
depuis des siècles, produit des vins blancs et rouges de
qualités et de sortes très différentes. Les quartiers les
plus renommés sont ceux de Kvaréli, Kardanak, Tsi-
nandal, etc. Le vigneron et producteur le plus connu
GUIDE AU CAUCASE
181
de Kakhéthie est le prince Djordjadzé. 11 a créé un
grand entrepôt qui alimente Tiflis et beaucoup de villes
de la Russie; il commence à exporter à l’étranger. 11 y
a peu de temps, l’administration des domaines a fait
l’acquisition d’une vaste propriété, Tsinandal, ainsi
que des villages environnants. On y a agrandi les vi-
gnobles et l’on y organise de vastes caves pour y
traiter les vins. Le comte Chérémétieff, à Kardanak,
est un des grands viticulteurs de la contrée.
On laisse fermenter les vins de Kakhéthie en pré-
sence des pelures, etc.; ce qui leur donne une âpreté
que les vignerons d’Europe n’admettent jamais. La
réputation dont jouissent les vins de Kakhéthie a pro-
voqué une foule de falsifications à Tiflis. Partout on
lit sur les devantures des magasins, partout on n’offre
que (( vins de Kakhéthie», tandis qu’en réalité, sous
cette dénomination, se débitent les vins d’Iméréthie,
d’Elisabethpol ou autres, mélangés, délayés d’eau-de-
vie, d’eau, avec différentes substances colorantes.
Si le rayon contigu à la Kathéthie n’est pas très riche
en vins, cependant ceux de Noukha et surtout ceux de
Matracin ont de la valeur; ce sont de bons vins légers.
Au bord de la mer Caspienne s’étend le district de
Derbent. On y récolte de bons vins qui sont assez forts.
En Russie, on trouve une grande quantité de « crus de
Derbent», mais ce sont pourla plupart des falsifications.
Passons au rayon qui promet de devenir le pour-
voyeur de vins forts et de vins de dessert; c’est la
région qui s’étend du S. de la Koura et comprend le
gouvernement d’Erivan et une partie de celui d'Elisa-
bethpol. Dans ce dernier district, les colonies allemandes
produisent de très bons vins de table et même quelques
vins fins. Dans la partie S. -O., la récolte est faible; le
raisin y sert principalement à la distillation de l’eau-
de-vie. Mais aux environs de Choucha, on fait un vin
qui peut être compté au nombre des bons vins de table.
Le raisin de la partie méridionale du gouvernement
d’Elisabethpol est riche en sucre et peut servir à obtenir
des vins forts et de dessert.
Dans le gouvernement d’Erivan, on distingue les
crus des districts d’Erivan et d’Edchmiadzine et les
182
GUIDE AU CAUCASE
crus plus faibles du district de Nakitchevan. La prépa-
ration de ces derniers laisse à désirer, mais le raisin
est excellent. Quand ils sont quelque peu buvables, ces
vins ont un goût agréable et un parfum de noisette.
Tels sont, en abrégé, les principaux vins plus ou
moins remarquables et les principales régions vinicoles
du Caucase.
Les défauts de la vinification indigène sont : Ceps
mal soignés; préparation des vins mauvaise; traitement
primitif; pas de types déterminés; enfin, caves bien
organisées manquant presque partout dans le pays1.
Laines. — Le Caucase produit annuellement en
moyenne 200,000 pouds de laines expédiées à Marseille,
Dunkerque, Londres, etc., que l’on peut classer en
4 catégories : 1° Laines fines (6 à 7,000 p.), envoyées
à Moscou, trop courtes pour être peignées et bonnes
seulement pour la carde. Prix moyen : 6 r. 50 k. le
poud, à Tiflis. 2° Laines des Touches , Pshaves , Tou-
chines , de Touanèthi , Bouchet , Gori, Kizik . Les
secondes tontes sont assez propres, assez fines et peu
piquées; elles n’ont, comme mélanges, que 5 % de
gris et noir. Prix : de 6 à 7 r. 50 le poud. Les laines
de Gori, lavées en rivière, valent de 8 à 9 r. 50.
3° Laines Tarahamas, en général très sales, donnent
à peine 30 % de blanc piqué, le reste est noir et gros-
sier. Prix : 4 r. Les premières tontes seules se vendent.
4° Laines intermédiaires , plus ou moins blanches,
ayant moins de gris et les blancs moins piqués que les
Tarahamas . On paj^e souvent les Balmas le même
prix que celles de Nouhha , quoiqu’elles aient 20 à
25 % de gris et que les premières tontes ne soient pas
bonnes. Les laines de Nouhha , de Kahh , valent de 5
à 6 r. le poud; les Dèmour 6, les Eldar 4, selon que
l’hiver a été plus ou moins rigoureux, et selon les fluc-
tuations du marché. Celles d ’ Elisabethpol (15,000 p.),
qui sont sales et ne donnent que 40 % de blanc piqué,
valent à peu près le prix des Tarahamas . Enfin, celles
de Chahchévan (5 à 6,000 p.) donnent 60 % de blanc;
le reste est gris clair et noir.
1. D’après les notes de M. Chavroff.
GUIDE AU CAUCASE
183
Poils de chèvres et de chameaux. — On sait
que dans les poils de chèvres il y a deux qualités :
l’une, le poil proprement dit; l’autre, le duvet ( poukh ).
La chèvre du Caucase a le poil très gros et le duvet
grossier et peu blanc. Le poil, qui se vend 4 r. le
poud, ne sert qu’à faire des tamis; le duvet, qui vaut
6 roubles et est gris noir et sale, ne convient pas pour
l’exportation; il se vend à Moscou, où les fabricants
1’emploient pour le mélanger avec la laine. Le véritable
poil de chèvre vient de Boukhara, Khiva, etc. Il est
expédié à Nijni-Novgorod ; là, il est acheté par des
Tartares qui l’envoient à Kassimofï pour le nettoyer et
l’assortir1, puis il est réexpédié à Moscou. Le duvet
[poukh], se vend alors 25 à 30 r. le poud de blanc;
20 à 25 r. le poud de gris, et le poil 4 r. C’est avec ce
poukh que les fabriques françaises font le cachemire.
Les poils de chameaux sont, comme ceux de chèvres,
grossiers, et n’ont que peu de duvet (taïlok). Quoique
les indigènes sachent cependant en fabriquer des étoffes
unies, très souples, excellentes et d’une jolie nuance,
les poils de Perse ne valent pas mieux que ceux du
Caucase.
Les véritables poils de chameaux viennent de l’Asie-
Centrale; 60,000 pouds environ, expédiés à Nijni-
Novgorod, sont achetés surtout par l’Angleterre et
l’Amérique. A Elbeuf, en France, un fabricant de
draps en utilise une petite partie. A Bélostok, en Po-
logne, on assortit les nuances et on en fait un débit
assez considérable2.
Réglisse. — La réglisse, qui pousse à l’état naturel
au Caucase, abonde surtout dans les gouvernements
dhElisabethpol et, de Bakou, à droite et à gauche du
chemin de fer, dans les champs de la vallée de la Koura.
L’exportation de cette plante à l’état brut, en balles
pressées hydrauliquement, est de date récente (1886).
Les racines s’achètent sur place, à l’état frais, de 10
à 25 k. le poud. Après triage et séchage, elles perdent
1. Le nettoyage et rassortiment des poils de chèvres sont
fort longs et fort difficiles ; les femmes tartares n’arrivent à
trier qu’un quart de livre par jour, en moyenne.
2. D’après les notes de M. Chavroff.
184
GUIDE AU CAUCASE
50 °/°, et reviennent à Batoum, tous frais compris, â
environ 80 k. ou 1 r. le poud. Tandis que la réglisse
de Smyrne se vend en Europe de 30 à 45 fr., celle du
Caucase, peu appréciée à cause de son mauvais assor-
timent et de son goût un peu âpre, ne se paye que
15 à 35 fr. les 100 kilos.
Saragane et Soumak. — Au Transcaucase orien-
tal, on emploie, pour le tannage, les feuilles et les
jeunes bourgeons de deux espèces d’arbustes : le sara-
gane et le soumak ( Rhus cotinus et coriaria). Ces
deux plantes, très répandues, croissent sur les pentes
rocailleuses et quelquefois dans les plaines. On utilise
principalement les feuilles du saragane qui abonde dans
l’arrondissement de Noukha et le gouvernement d’Eli-
sabethpol, sur les domaines de la Couronne, et où la
récolte de feuilles est soumise à un impôt de 10 k.
par poud. Comme l’Etat reçoit 5,000 r., il en résulte
que la récolte s’élève annuellement à 50,000 pouds.
Une certaine quantité de ces feuilles est utilisée sur
place à Noukha, où sont installées quelques tanneries;
mais la plus grande partie est expédiée dans divers
endroits du pays et à Tiflis.
C’est moins pour le tannage que pour la teinture
qu’on emploie surtout le soumak. Cependant, l’exploi-
tation de cet arbuste est fort minime et, sous ce rapport,
le Transcaucase diffère complètement de l'Europe mé-
ridionale, où le soumak et son utilisation représentent
une branche assez importante de l’industrie nationale.
Pyrèthre. — Parmi les articles d’exportation du
Caucase et que peu de contrées, excepté la Dalmatie,
produisent, il faut ciler le pyrèthre (Pyrethrum
roseum ), dont les fleurs servent à fabriquer la poudre
que les commerçants vendent sous le nom de « poudre
insecticide», «poudre persane». Production : 175 à
200,000 kilos; prix : 3, 7, 15, 16 r., selon les années.
INDUSTRIE
En 1887, il y avait au Caucase 15,549 usines ou
fabriques occupant plus de 50,000 ouvriers, et ayant
produit 45,449,549 r. de denrées diverses ; pétrole.
GUIDE AU CAUCASE
185
produits du naphte, alcools, cuirs, savons, bougies,
soie, minéraux, métaux, ciment, huiles de graines,
tabac, etc.
Naphte. — Pendant des siècles, le Caucase a dormi
sur ses légendes et ses richesses naturelles. Les incom-
parables sources naphtifères de la presqu’île d’Apché-
ron, connues dès l’antiquité, restaient même impro-
ductives. C’est cependant par les « feux sacrés » de
Sourakhani, que le réveil économique de cette contrée
s’est produit; ces riches gisements ont attiré l’attention
des industriels qui, depuis une vingtaine d’années en
ont commencé l'exploitation ; c’est presque la seule
qui jusqu’à présent ait donné des résultats importants.
Les naphies de Bakou et du Kouban ne forment cepen-
dant qu’une faible partie des richesses exploitables du
sol et sous-sol du Caucase1.
En 1872, le gouvernement russe, abolissant le mo-
nopole, décida que tous. les usufruitiers, pour 47 ans,
d’un terrain naphtifère, auraient désormais le droit
d’exploitation, à leurs risques et périls, et comme ils
l’entendraient. Pour apprécier à sa valeur cette mesure,
il est nécessaire de donner un court aperçu de ce
qu’étaient, au début, les affaires du naphte à Bakou.
Cette industrie, dont le monopole avait été donné à
M. Mirzoëff, commerçant de Tiflis, n’était à cette époque
qu’en germe et réduite à la simplicité la plus primi-
tive. On se contentait d’approfondir à la bêche les fis-
sures et issues naturelles de façon à former des bassins
et des puits. Naphte et pétrole étaient fort chers;
M. Mirzoëff faisant à son gré la hausse ou la baisse,
le pond de naphte brut valait 60 k., et M. Kokoreff
qui avait installé une raffinerie à Sourakhané, obligé
de faire ses transports par chevaux et tonneaux,
vendait à Bakou l’huile raffinée 3 r. 50 k. Le monopole
aboli, on commença à vendre aux enchères le droit de
fermage des lots de terrains naphtifères, et c’est seule-
ment à dater de 1873, que l’industrie indigène put se
développer. La concurrence libre força à chercher les
meilleurs modes d’exploitation et de raffinage. L’argent
1. D’après Y. Thiébaut.
186
GUIDE AU CAUCASE
engagé exigeait aussi une méthode qui permît l’amor-
tissement du capital. Le creusement des puits fut rem-
placé par le forage mécanique; au lieu de recueillir le
naphte à l’aide d’un seau et d’une corde que des .che-
vaux mettaient en mouvement, on eut des machines à
vapeur. Balakhané, éloigné de la mer, ne pouvait con-
venir pour la construction des usines qu’on installa
près de Bakou, en même temps qu’un réseau de
tuyaux sillonnant les douze verst.es qui séparent cette
ville de Balakhané allait amener facilement le naphte.
L’initiative de la construction de la première raffinerie
et de la plupart des grandes et nombreuses améliora-
tions apportées à cette industrie appartient à la Société
de MM. Nobel frères. Les environs de Bakou, arides,
sans forêts, ne pouvaient fournir les matériaux néces-
saires pour les tonneaux, et les prix élevés du bois, des
salaires, majoraient de beaucoup le prix du pétrole. 11
s’agissait d’arriver à réduire les frais de transport.
MM. Nobel ont eu les premiers, l’heureuse idée des
pipe-lines , du pompage à vapeur, des grands réservoirs,
wagons-citernes, etc. La construction du chemin de
fer transcaucasien, en permettant d’éviter le long dé-
tour de Bakou, Tsaritzine, etc., a ouvert pour l’expor-
tation à l’étranger une voie relativement assez écono-
mique pour le pétrole russe qui, aux bords delà Médi-
terranée, à Gênes, Marseille, Londres, et même aux
Indes et au Japon commence à faire concurrence au
pétrole américain. Le projet, d’un pipe-line entre Ba-
kou et Batoum semble abandonné. Quelques verstes
de tuyaux posés par MM. Nobel, entre Michaïlofï et
Kwirila rampent le long de la voie ferrée, et des
pompes à vapeur font passer le naphte à travers le col
de Sou ram.
Les principaux gisements exploités sont ceux de la
presqu’île d’Apchéron et ceux du Kouban. En 1890, la
production s’est élevée dans la presqu’île d’Apchéron
à 4 millions de tonnes En juillet 1890, il y avait
637 puits forés ou en préparation, dont 306 en exploi-
tation. Pendant les six premiers mois de 1891 , on a im-
porté de Bakou 500.000 t. de pétrole, 50.000 t,. d’huiles
à graisser, 1.000 t. de benzine et quantité d’autres dé-
GUIDE AU CAUCASE
137
rivés du naphte. Les prix moyens du pétrole étaient
de 32 r. la t. sur wagon à Bakou. Le prix moyen sur
place était de 1 r. 90 à 2 r. 50 la t. ; aujourd'hui il a sen-
siblement baissé. Quant aux causes, aux circonstances
qui tantôt ralentissent, tantôt accélèrent l’extension de
cette industrie, elles tiennent à une foule de raisons
qui ne sauraient trouver place dans le cadre de ce
Guide. La description des forages, fontaines jaillis-
santes et applications du pétrole, etc., sont trop con-
nues pour que nous reproduisions ici les récits faits
déjà par divers savants, chimistes, ingénieurs. Nous
renvoyons le lecteur aux ouvrages de MM. de Fon-
vielle, Fernand Hue, Boulangier, Orsolle et au journal
« La Nature » .
Filatures de soie. — Depuis sept ans l’application
de la vapeur a augmenté sensiblement le nombre des
filatures de soie, augmenté la production et amélioré
les procédés techniques. La soie filée d’après l’an-
cienne méthode était grosse, inégale, celle obtenue par
les nouvelles fabriques est beaucoup plus fine et régu-
lière. Les qualités inférieures de soies, filées à la mar
nière indigène, proviennent aussi de ce qu’on n’assortit
pas les cocons et de ce qu’on n’a pas le son d’éliminer
les doubles et déchets.
Les anciennes filatures [odjakh mandjilikh ), diffé-
rent de celles à vapeur en ce qu’on y chauffe chaque
chaudière, servant à amollir les soies, par un fourneau
spécial, en dépensant ainsi plus de combustible
qu’avec un seul foyer commun ; en ce que chaque roue
de dévidage est mise en mouvement par un mécanisme
à part, tandis que dans les dix grands établissements
de Noukha, une douzaine de roues sont actionnées par
le même essieu, et qu’à Karabagh, c’est une courroie
sans fin qui les met en mouvement. Seules, les grandes
filatures arrivent à produire de la soie suffisamment
régulière, sans duvet, bouchons, gommures, barres
flottantes et mousondées. Elles vendent rarement les
grèges, mais presque toujours des organsins et trames.
La notion du titrage est inconnue aux petits filateurs
villageois; les industriels qui préparent leur soie pour
Moscou, Marseille, et qui sont obligés, pour ces mar-
188
GUIDE AU CAUCASE
chés exigeants, de façonner soigneusement leurs pro-
duits, se heurtent au mauvais vouloir des ouvriers,
ennemis de toute innovation et méthode nouvelle de
travail.
La qualité de la soie dépend surtout de l'espèce des
cocons. Aux alentours de Noukha, Karabagh, la race
japonaise, race verte, est la plus répandue; elle diffère
peu de l’espèce française ou italienne par la finesse du
fil.
Espèce Couche Couche Couche
supérieure du milieu intérieure
Jaune milanaise 0.030 0.040 0.025 millim.
— française 0.025 0 035 0.024 —
Verte japonaise 0.030 0.040 0.020 —
Blanche — 0.020 0.035 0.017 —
En même temps que le nombre des filatures a
augmenté à Noukha, Karabagh, on a commencé à y
construire des fabriques pour tordre la soie (6 à
Noukha, 3 à Karabagh). La plupart de ces maisons
façonnent la soie en trames, quelques-unes seulement
en organsins à causede la difficulté d’en préparer d’assez
bons pour les fabricants d Europe et cle Moscou. La
plupart des organsins indigènes, employés par les tis-
serands de Chémakha, Karabagh, sont préparés d’une
façon différente de ceux destinés à Lyon, Moscou,
qu’on nomme organsins français.
Les fabriques pour tordre la soie sont de type français
ou italien et de type persan. Le dévidage dans les
premières donne 5 à 10 p. °/o de perte; dans les
secondes, 20 à 25 p. %.
Pour produire de la soie en grand, une fabrique doit
avoir au moins 20 bassines. Comme les prix des
soies de basse qualité, fabriquées dans les petites fila-
tures de paysans, sont peu élevés (150 à 170 r. le p.),
les gros filateurs trouvent plus profitable de faire de la
soie de bonne qualité, dont la vente est assurée et dont
le prix est de 250, 300, 400 r. le p.
En 1887, à Noukha et dans l’arrondissement, on
comptait 8 filatures à vapeur et quatre filatures à
fourneaux. Ces 12 fabriques avaient 550 bassines.
Aucune ne travaille toute l’année. D’abord, parce que
GUIDE AU CAUCASE
189
les patrons sont obligés de choisir leurs ouvriers parmi
les paysans occupés, en été, aux soins de l’agriculture,
et qui exigeraient à cette époque-là un salaire compa-
rativement, énorme; et ensuite parce que les filateurs
n’ont pas souvent de provision suffisante de cocons.
Les paysans, qui ont quelquefois des cocons à vendre,
sachant les besoins des fabricants, demandent alors
des prix si exorbitants que ces derniers préfèrent arrêter
temporairement le travail.
La plupart des filateurs ne peuvent pas faire leur
provision à temps, à cause du manque de capitaux et
parce qu'ils dépendent des fluctuations du commerce
de la soie. Ils ne savent pas donner eux-mêmes le ton
à ce commerce, et aux marchés fixer les prix. Sur les
500 bassines des 12 fabriques de Noukha, 350 seule-
ment travaillent toute l’année; elles produisent 1,200 p.
de soie bien façonnée vendue 400,000 r. environ. La
meilleure qualité est achetée par Lyon, la moyenne
par Moscou, la qualité très ordinaire par Moscou,
Chémakha , Karabagh , centres de l’industrie du
tissage au Transcaucase. La trame de Noukha va à
Lyon et Moscou; l’organsin à Chémakha et Karabagh.
Quoique le berceau de la filature ait été longtemps à
Noukha, Karabagh a rapidement surpassé cette ville ;
sa soie est aujourd’hui mieux cotée à Moscou. Sa
supériorité provient surtout de l’habileté des doigts
des fileuses arméniennes employées au lieu deTartares
et d’hommes comme à Noukha. En outre, les fabriques
de Karabagh, dispersées dans plusieurs villages envi-
ronnants, ne sont pas exposées à manquer d’ouvriers,
la main-d’œuvre y est moins élevée. En 1890, le salaire
qui à Noukha était de 55 à 75 k. par jour , n’était
à Karabagh que de 15 à 30 k. L’absence de petits
ateliers y contribue à la prospérité des grands établis-
sements.
En 1886, il y avait à Karabagh, 13 filatures, dont
12 en marche. Elles avaient 674 bassines, dont 600
(soit deux fois plus qu’à Noukha) étaient occupées et
produisaient annuellement 1,400 p. de soies grèges.
Dans l’arrondissement d’Ordoubad, 4 grandes filatures
à vapeur donnent 300 p. ; à Zakatal, 2 filatures à vapeur
190
GUIDE AU CAUCASE
et 2 à fourneaux produisent 50 p., soit 12,000 r. On
comptait en 1886 à Noukha : 8 filatures à vapeur ; dans
l’arrondissement de Choucha 13, dans celui d’Or-
doubad 4 ; à Zakatal 2 : total 27, dont deux ne mar-
chaient pas, et 8 filatures à fourneaux. En résumé :
35 établissements à 1,428 bassines produisent 2,930 p.
desoie façonnée représentant une valeur de 811,250 r.
Au Transcaucase, de 19 1/2 à 16 1/4 de cocons frais,
espèce japonaise, on tire une livre de grège. Pendant
l’assortiment on rejette les cocons tachés, piqués,
doubles ; on les expédie à Marseille parce qu’on ne
sait pas les utiliser sur place. Les déchets atteignent
au minimum 35 à 40 p. °/0.
De toutes la production du Transcaucase, les grandes
filatures reçoivent 88,900 p. de cocons, dont 54,000
servent à façonner la soie, dans ces mêmes établisse-
ments ; le reste est vendu aux petits filateurs villageois
qui préparent une soie de qualité inférieure, ou on
l’envoie comme déchet à l’étranger.
La production caucasienne pourrait être singuliè-
rement améliorée si l’on adoptait l’espèce française ou
italienne. Le poud des cocons japonais se vend de
7 à 12 r. ; un poud de cocons français ou italiens 16 à
22 r. Néanmoins la plupart des sériciculteurs s’obs-
tinent à élever l’espèce japonaise. A Akoulis1, on cul-
tive avec succès l’espèce italienne et française dont on
achète la graine à Marseille.
Jusqu’en 1880, la plupart de la soie était exportée en
grège. Depuis ces dernières années, le nombre des
ateliers pour tordre la soie a sensiblement augmenté ;
on en compte aujourd’hui à Noukha 11, Karabagh 6,
Zakatal 1, Gorkhchague 4 ; total 22, dont 9 occupent
des bâtiments spéciaux et 13 font partie des grandes
filatures. Ces - fabriques comptent à Noukha 2,120 fu-
seaux, Karabagh 1,368, Zakatal 142, Gorkhchague
432; total 4,062. Le nombre d’ouvriers travaillant
dans 55 filatures et ateliers à tordre s’élève à 1,772
des deux sexes, dont 976 femmes. Ils gagnent au total
1. C’est d’ Akoulis que proviennent les meilleures soies du
Caucase ; ce sont celles qui sont les mieux cotées en France.
GUIDE AU CAUCASE
191
148,848 r., c’est-à-dire 84 r. chacun en moyenne.
Ce sont presque exclusivement des Tartares et des
Arméniens U
Alcools de fruits. — Au Transcaucase, la région
où l’on produit l’alcool de fruits est généralement dans
les vallées basses, plantées de jardins et de vignes. Ce
n’est que dans les gouvernements de Koutaïs, Erivan,
Elisabethpol que cette fabrication est dans une contrée
montagneuse et quelques localités élevées. Les arron-
dissements de Choucha, Djévanchir occupent le pre-
mier rang comme producteurs ; puis viennent ceux
d’Erivan, Gori, Elisabethpol, Kazak, Noukha, Ché-
makha, Nakhitchévan, Tiflis et autres. La répartition
est assez différente dans chacun de ces endroits : dans
le gouvernement de Koutaïs, la production des villages
est plus ou moins égale entre eux, il en est de môme
des arrondissements de Tiflis et Bortchalo, si l’on
excepte Sagaredjo dont le rendement est de beaucoup
plus considérable que celui des bourgs voisins. Dans
l’arrondissement de Gori, c’est cette ville qui avec
Khidisthavi, Akhalkhalaki et Tsinkvali ont la spécialité
de ce produit; dans celui de Douchet, c’est Moukhrani
où se trouve la distillerie du prince Moukhranski; dans
celui d’Akhaltzik, peu ou point de développement;
dans ceux de Thélaff, Signak et Zakatal, production
assez uniforme, dans celui de Noukha, c’est cette
ville qui est un centre important, grâce à ses nom-
breuses distilleries appartenant aux propriétaires des
jardins. Il en est ainsi dans l’arrondissement d’Elisa-
bethpol, dans cette ville et les villages Karatchinar et
Elénendorf. Dans les cercles de Choucha et de Djé-
vanchir, c’est surtout à Agdam, située dans une région
basse, que la, distillation prospère, parceque les pro-
priétaires des usines y utilisent leurs produits et
achètent le raisin et les mûres aux Tartares. Citons en-
core les villages Tchartaz-Guney, Tougue, Kia-toukhe,
Tagovert, Djamiate, Eguighende, Talhéar, Guéchan,
Sari-tchouroum , Zecha , Kintékourte et Ispagan-
Djouk qui tiennent la tête comme centres de production
1. D’après les notes de MM. Chavroff et Lehéricey.
192
GUIDE AU CAUCASE
au Transcaucase. Dans l’arrondissement de Djébrail,
ce sont les villages de Gadronte et Takassir, dans celui
de Zanguézour : Hanzarak, Guérensour, Dig, Khoth;
dans celui d’Erivan, àErivan etKamarlou, la distillation
est assez développée; dans celui d’Edchmiadzine,
production assez égale entre les villages Àchtarak et
Vagarchapat; dans celui de Nakitchévan, Chikmah-
moud; dans celui de Chémaka, Kourdamir où les
distillateurs achètent le raisin aux Tartares, Matrassi,
Gurdjivane et Ingare. Dans les arrondissements
d’Arech, Gueuktchaï, Kouba, Lenkoran, Bakou, Cha-
rouro-Dalagoz la production est minime; au Daghestan
elle est localisée à Derbent. Un nombre considérable
de distilleries est concentré à Nouka, Elisabethpol.
Erivan. Ce fait peut paraître étrange, car il semble que
les usines devraient naturellement s’élever là où sont
en honneur le jardinage et la vinification, et non pas là
où il n’y a qu’économie domestique. Mais les endroits
cités sont entourés d’une foule de jardins, de vignobles,
et ces villes ne ressemblent nullement à celles que l’on
est habitué en Europe à appeler de ce nom et à consi-
dérer comme telles. De plus, comme c’est là que sont
réunies diverses autres branches d’industrie, on est
nécessairement forcé d’y installer aussi les distilleries.
Quoique, généralement, la production de l’alcool de
fruits soit là où existent la vinification et le jardinage,
cependant c’est surtout dans les arrondissements de
Choucha, Zanguézour, Djévanchir, Djébrail, c’est-à-
dire dans la partie S.-O. du gouvernement d’Elisa-
bethpol, qu’elle est le plus développée. La population
musulmane s’y occupe principalement du jardinage et
des vignes ; la partie arménienne de la population
achète ces produits agricoles et les travaille. Les memes
causes qui ont développé dans cette région la vinifi-
cation, y encouragent aussi la distillation qu’alimentent,
en dehors du raisin, tous les fruits des mûriers qui
croissent là en abondance. Ce sont les forêts, jardins,
vignes et la vinification qui fournissent les produits
nécessaires à la fabrication de l’alcool de fruits.
Voici quelques données indiquant les productions,
espèces de fruits et quantités d’alcool absolu obtenues :
GUIDE AU CAUCASE
193
Du raisin Du raisin Des fruits Total,
et du marc. sec. du mûrier.
1874 8.808. 190o1 491.154° 1.201.606° 10.501.010°
1877 10.294.970° 4.202.353° 3.190 592° 17 687.915°
1880 24.888.650° 424.341° 3.280.721° 28.503.712°
1882 21.407.478° 2.000.593° 3.007.658° 26.415.729°
On le voit, c’est le raisin et le marc qui sont surtout
employés, puis viennent les fruits du mûrier et les rai-
sins secs.
La fabrication de l’alcool de fruits étant encore très
peu développée, la plupart des résidus des récoltes du
jardinage se perdent, parce qu’au Transcaucase les fa-
bricants se préoccupent fort peu de les utiliser; n’ayant
en vue que commerce et spéculation, iis préfèrent les
produits qui leur fournissent le plus d’esprit-de-vin et
n’emploient par conséquent que raisin, marc et fruits
des mûriers. Au point de vue agricole, cette fabrica-
tion a une certaine importance, puisqu’elle permet de
tirer parti des résidus de la vinification, d’utiliser ar-
bustes et arbres qui, sans cela, resteraient inutiles et
qu’on n’aurait pas cultivés dans les endroits privés de
bois.
Quoique la fabrication de l’alcool de marc soit la
plus répandue dans le pays, cependant, dans quelques
localités, le distillateur est obligé de rejeter les résidus,
soit parce qu’il n’a pas les moyens d’avoir ses propres
alambics ou parce qu’il ne peut pas vendre les résidus,
soit parce qu'il n’a pas de profit à en extraire l’alcool,
ou enfin, parce qu’il ne peut pas acquitter l’accise. On
a généralisé ces faits particuliers et on les a indiqués
comme exemples de la mauvaise influence des condi-
tions de l’application de l’impôt; mais la chose n’est
pas tout à fait exacte, car ordinairement on emploie le
marc pour la distillation et les cas où on le dédaigne
ne sont pas aussi fréquents qu’on l’a dit.
. CUest la distillation de l’alcool de raisin et de marc
qui, au point de vue de la production, est la plus
avancée. On a construit, à cet effet, plusieurs grandes
1. Un degré d’alcool absolu s’appelle la 1/100 d’un « védro »
d’alcool absolu, un litre équivaut à 0.08131 d’un « védro ».
13
194
GUIDE AU CAUCASE
usines munies d'un outillage perfectionné; les plus
importantes sont dans les gouvernements d’Elisabeth-
pol, de TifLis (Princes Moukhransky, Djordjadzé et
autres), et à Derbent; leur rendement est fort différent.
Quelques-unes donnent jusqu’à 500,000 degrés d’ai-
cool; mais, en général, le chiffre normal de la plupart
d’entre elles est de beaucoup inférieur, surtout s'il
s’agit des installations primitives des propriétaires de
jardins.
Au Transcaucase, on ne tire pas parti du marc
uniquement pour distiller l’alcool. Au Daghestan, après
le pressurage, on prépare un bon vinaigre qui se vend
de 1 r. 50 k. à 2 r. le seau. En Kakhéthie, on cherche à
extraire le tartre; dans le gouvernement d’Erivan et
quelques villages du gouvernement de Bakou, on brûle
les résidus pressés en forme de briquettes qui, une fois
sèches, fournissent un très bon combustible ; dans
d’autres endroits, en Kakhéthie, dans le défilé cle Bol-
niss, on nourrit avec le marc les porcs qui le mangent
volontiers; enfin, la cendre des résidus sert d’engrais
pour la vigne.
Voici le chiffre de la production d’alcool de fruits :
Années. Nombre d’usines Quantité de degrés Impôt à payer,
en activité. d’alcool distillé.
1876
1.131
1877
2.839
1878
3.644
1879
2.634
1880
3.642
1881
3.104
1882
3.161
1883
3.354
1884
2.159
1885
1.877
1886
2.389
10.683.523°
17.687.915°
25.027.157°
20.920.893°
28.593.712°
24.034.141°
26.415.729°
23.262.352°
17.107.346°
16.419.480°
21.938.574°
156.885 r,
298.085
420.798
352.434
319.877
273.896
271.033
258.470
271.181
429.414
522.187
A première vue, on est frappé de la disproportion
entre le nombre des distilleries en activité, la quantité
d’alcool produite et la somme de l'impôt à payer. Cette
disproportion ne résulte pas de la production elle-
même; il faut plutôt l’attribuer à certaines circon-
stances extérieures qui ont influé, pendant ces onze
GUIDE AU CAUCASE
195
dernières années, sur cette branche d’industrie. En
effet, c’est durant cette période qu’eut lieu la réforme
de 1876, qu’éclata la guerre de 1877-78 et que la réforme
de 1884 fut accomplie. Les préparations pour la guerre
de 1876 firent augmenter tout d’un coup la production
de 7 millions de degrés, c’est-à-dire de 70 %. Plus
considérable encore fut l’influence de la guerre de
1877-78-79, lorsqu’on dut approvisionner d’eau-de-vie
une nombreuse armée. Cet événement amena une spé-
culation sur les alcools; on produisit énormément et
l’on distilla non seulement l’alcool des raisins, mais
encore celui des vins de basse qualité. Les règlements
de 1884 arrêtèrent l’élan qui avait été provoqué. La
baisse continue en 1885; mais, en 1886, la production
augmente parce que les propriétaires d’usines, familia-
risés avec les lois récentes et les nouvelles conditions
de commerce créées par l’impôt, savent profiter des
occasions favorables et se ménagent de nouveaux dé-
bouchés. Voici les chiffres moyens de cinq années :
Usines en activité.
Alcool distillé.
Impôt payé.
Alcool distillé, en moyenne,
par une usine.
1876-80 1880-85 1886
2.778 2.731 2.389
20.000.000° 21.000.000° 21.000.000°
245.700 r. 367.940 r. 561.779 r.
7.020° 7.690° 8.837°
On le voit, la production de l’alcool de fruits, malgré
toutes les vicissitudes qu’elle a subies, a constamment
suivi une marche ascendante et a presque doublé pen-
dant les onze dernières années. Cette tendance à
accroître la production, à restreindre le nombre des
distilleries et à augmenter la production des grandes
usines s’affirme jusqu’en ces derniers temps. Quoique
les chiffres cités donnent une idée suffisante de l’im-
portance de la production de l’alcool de fruits, il ne
faut pas oublier qu’en fait on produit beaucoup plus
que les statistiques, attendu que : 1° l’alcool distillé et
consommé par chaque propriétaire de jardins, et ses
connaissances n’y est pas compris, et que 2® la distil-
lation prohibée et la fraude se pratiquent sur une large
échelle parmi les campagnards.
Il est impossible de dire à combien se monte ce sur-
196
GUIDE AU CAUCASE
plus. En général, on admet que le Transcaucase pro-
duit de 20 à 25 millions de degrés d’alcool de fruits,
ou de 500,000 à 600,000 seaux d’alcool à 40 degrés,
représentant une somme de 2 à 3 millions r. On ne
saurait prévoir si ces chiffres s’augmenteront dans
l’avenir. Actuellement la production semble avoir
atteint tout le développement qu’elle pouvait acquérir,
et ses destinées futures dépendent de l’essor que pren-
dront la vinification et le jardinage.
Il est assez intéressant de comparer la production
des différentes régions du Transcaucase citées plus
haut. En 1886, on a distillé et acquitté l’impôt, dans
le gouvernement de Tiflis (non compris la Kakhéthie),
pour
Dans la Kakhéthie (arrondissement
de Zakatal, Noukha
Dans le gouvernement de Koutaïs
— de Bakou
— d’Erivan.
— d’Elisabethpol
258.309 3/4°
2.143.017 1/2°
71.670o
1.399.383 3/4°
4.478.016 3/4°
11.318.677 3/4°
Total 19.663.075 1/2°
En outre, les propriétaires des jardins, dans tout le
pays ont distillé et acquitté les droits de l’accise pour
2,268,499°; total général 21,938,574°. C’est le gouver-
nement d’Elisabethpol qui occupe la première place
comme producteur, puis viennent le gouvernement
d’Erivan, la Kakhéthie et les arrondissements de
Noukha et Zakatal.
La population du Transcaucase consomme actuel-
lement une quantité appréciable d’alcool de grains et
de fruits. En 1886, la consommation dans les cabarets
s’est élevée au chiffre de 17,868 564°, dans lequel
l’alcool de grains figure pour 9,611,021°, celui de
fruits pour 8,257,542°, ce qui donne une moyenne
de 5° par habitant. Mais à ce chiffre il faudrait ajouter
la quantité d’alcool distillé et consommé en cachette
par les propriétaires des jardins qui ne payent pas
l’impôt.
Pour donner une idée approximative de la consom-
mation de l’alcool de fruits, voici quelques chiffres
GUIDE AU CAUCASE
197
relatifs à 1886. Au Transcaucase, il a été distillé et payé
à l’accise : 19,669,075° ; les propriétaires des jardins
ont distillé environ : 2,268.499° ; total, 21,937,574°.
Il a été exporté et payé à l’accise : 2,233,916° ; pour le
le premier semestre 1887 : 1,324,890° et non payé à
l’accise 370,007° ; total, 2,603,923°. Par conséquent,
19,333,651° ont dû être consommés dans le pays ;
8,257,542°, comme nous l’avons vu, ont été débités
dans les cabarets; 1,403,596° appartenant aux proprié-
taires de jardins ont été absorbés; le reste, c’est-à-dire
9,672,513°, a formé le stock de réserve des usines, ca-
barets et dépôts du Transcaucase Ce sont les distilla-
teurs et industriels qui fournissent la plus grande
partie de l’alcool vendu, les propriétaires des jardins
produisent comparativement beaucoup moins. Ainsi
sur 2,268,499° distillés en 1886 sans payer l’impôt, ces
derniers ont vendu et payé à l’accise pour 864,903 3/4°,
et ils ont consommé eux-mêmes 1,403,595 1/4°.
La répartition de l’accise supplémentaire pour l’alcool
est la suivante :
Dans le gouvernement de Tiflis il
a été vendu
En Kakhéthie et les arrondisse-
ments de Noukha et Zakatal . . .
Dans le gouvernement de Bakou . .
— — de Koutaïs.
— — d’Erivan...
— — d’Elisabethpol
132,716 degrés.
22.7483/4 —
144,133 —
19,932 —
471,7281/2 —
73,645 1/2 —
Total 864,903 3/4 degrés.
CTest-à-dire près de 4 p. °/o de tout l’alcool mis en
vente.
La statistique citée de débit et de consommation
d’alcool de fruits en 1886, au Transcaucase, présente
en bloc le chiffre général comme pour l’alcool de
grains.
En donnant les chiffres de consommation de l’alcool
de fruits, nous avons dit qu’une partie de la production
était bue par les indigènes, et une partie exportée; il y
en a une troisième qui sert à la vinification. Pour ce
dernier usage l’on emploie de l’alcool de bonne et
198
GUIDE AU CAUCASE
mauvaise qualité. Les débitants au détail et les petits
cavistes utilisent la mauvaise ; les grands marchands
ne se servent que de la meilleure provenant de Tune des
distilleries où l’alcool est plusieurs fois rectifié. Deux
de ces fabriques sont installées à Tiflis, deux dans
l’arrondissement de Choucha. Dans ces établissements,
on fait subir au liquide différents traitements qui le
rendent plus pur et plus concentré et qui permettent
d’obtenir un alcool de raisin excellent pour la vinifica-
tion. Cependant ce n’est pas surtout à cet usage qu’il
est appliqué; il sert à préparer une eau-de-vie consom-
mée par la population.
Il n’y a pas longtemps qu’au Transcaucase on a
commencé à exporter l’alcool de fruits ; c’est en 1884
que, pour la première fois, on a expédié à Vladikawkaz
2,000,000°; de Bakou à Astrakhan 443,302°, et
en Transcaspie 27,486°. En 1886 on a exporté
2,603,423° ; en 1887 1,324,890°. C’est dans les gouver-
nements du S. de la Russie qu’on l’envoie.
La différence de l’accise sur l’alcool de fruits et sur
celui de grains (4 k. sur le premier et 9 sur le second)
engendre une spéculation qui peut devenir considérable,
selon le chiffre d’affaires. En effet, profitant du bas
prix de l’alcool de fruits, les débitants le mêlent avec
celui de grains et bénéficient de la différence de l’alcool
non pavé. On dit que cet alcool est expédié même à
l’étranger par les ports russes, par Akermann, par
exemple, et l’on se fait rembourser l’impôt à la sortie
comme s’il s’agissait d’alcool de grains, c’est-à-dire
9 k. par degré; de sorte que la majorité de l’alcool de
raisin exportée est détournée de sa destination naturelle,
qui est de renforcer et alcooliser les vins, et ne sert
qu’à frauder les revenus de l’Etat. On expédie l’alcool
en tonneaux par le chemin de fer du Transcaucase, la
route militaire de Géorgie, la mer Noire, les ports de
Batoum, Bakou et Derbent1.
Tanneries. — L’industrie de la préparation des
peaux est peu développée au Transcaucase, quoique
cette contrée lui offre des conditions de prospérité
1. D’après les notes de M. Chavroff.
GUIDE AU CAUCASE
199
favorables. On trouve, en effet, dans les districts de
Noukha et Zakatal un excellent agent de tannage, le
soumak ; les forêts de chêne abondent dans le gouver-
nement de Koutaïs, et la quantité de cuirs bruis à
expédier à l’étranger et en Russie est considérable.
C’est en plein air, dans de petites cours et seulement
pendant six semaines de 1 année, que les indigènes,
par des procédés très primitifs, c’est-à-dire en n’em-
ployant que le soumak , traitent toutes les espèces de
peaux. La production de quelques rares industriels
russes établis dans le pays est fort restreinte; ils ne
fournissent que des cuirs de chaussures de qualité in-
férieure. 11 n’y a qu’une tannerie sérieuse au Trans-
caucase, c’est celle qui a été installée à Tiflis en 1875,
par MM. Adelkanoff et CK
Le Crédit industriel au Caucase. — Le crédit
industriel n’existe ni au Caucase ni en Russie. Un
fabricant, un industriel, s’il a besoin de recourir à
l’emprunt, doit se contenter du crédit commercial qui
ne prête qu’à courtes échéances, six et neuf mois au
plus. Or, l’industrie ne rentre pas, en si peu de temps,
dans ses débours ou ses avances. Indépendamment de
cela, au Caucase, le crédit commercial lui- même
coûte excessivement cher. Les banques, qui font payer
environ 10 % par an. ne disposent que d’un capital
très limité, ce qui oblige les huit dixièmes des com-
merçants à recourir au crédit privé qui. dans les
meilleures conditions, ne prête qu’au taux de 12 à 24 %
au minimum. Il n’y a que le commerce qui semble
pouvoir payer de semblables intérêts, et jamais l’in-
dustrie ne supporterait ces charges. Le pays n’a que
fort peu de capitaux, et presque tout l’argent, engagé
depuis longtemps, et de père en fils, dans des spécu-
lations commerciales, y reste et n’en sort pas.
Ce sont là les raisons qui expliquent l’absence
presque complète d’industrie dans un pays excessive-
ment riche cependant en matières premières et en
marchés cle consommation. Aujourd’hui, tous les be-
soins du pays en produits fabriqués, le pétrole excepté,
sont coûteusement satisfaits par l’importation étrangère
ou russe.
200
GUIDE AU CAUCASE
Sans doute, le gouvernement en établissant et en
surélevant constamment les droits d’entrée, espère
développer l’industrie nationale, mais l’absence totale
de crédit industriel entrave entièrement les efforts tentés
jusqu’à présent.
Le champ est donc libre et propice aux industriels
disposant personnellement de capitaux suffisants et à
bon marché. Ils ne rencontreraient au Caucase ni
concurrence ni difficultés sérieuses, et ils auraient à
alimenter un marché de près de 5 millions d'habitants
sans compter les régions voisines. Dans ces conditions,
il n’y a pour ainsi dire pas de branche d'industrie qui
n’aie de chance de prospérer. Mais, en revanche, on
ne saurait trop prévenir les imprudents qui, comptant
sur leur savoir et leur expérience, tenteraient de créer
au Caucase une industrie quelconque avec des capitaux
insuffisants et avec l’espoir de faire appel au crédit
commercial local. Presque toutes les tentatives faites
récemment, dans ces dernières conditions, n’ont été
que désastreuses à cause de la cherté de l’argent.
Ce ne sont ni les connaissances techniques ni les bras
qui manquent; c’est uniquement l’argent à bon marché
et à longue échéance qui pourrait créer l’industrie cau-
casienne et lui donner tout l’immense développement
auquel la nature, les conditions économiques et finan-
cières du pays semblent l’avoir destinée.
Quant à la création d’une banque de crédit industriel,
plusieurs raisons s’y opposent. Un des plus grands
obstacles provient de l’insuffisance de la législation
russe en ce qui concerne les Sociétés, l’hypothèque du
matériel et les warrants. C’est là le motif qu’a fait
valoir le gouvernement lorsque, il y a quelques années,
il a refusé à des étrangers le droit de fonder en Russie
une banque de ce genre.
ÉTAT GÉNÉRAL ET SOCIAL ^
Instruction. — Religions. — Coutumes. — Jurisprudence. —
Cadastre.
Le Caucase n’a pas encore toute l’unité matérielle
que donne la possession d’un grand réseau de voies
GUIDE AU CAUCASE
201
ferrées et d’entrepôts de commerce; il a moins encore
cette unité morale qui provient de l’existence dune
nationalité commune ou bien d’un concert de nationa-
lités ayant mêmes intérêts et mêmes espérances. Cepen-
dant de grands progrès ont eu lieu. La civilisation,
grâce à la Russie, a fait des pas immenses, et l’on peut
prévoir que d’ici à peu, malgré toutes les différences
de mœurs, de religions et de langues, l’assimilation et
la fusion avec l’élément ou au contact européen seront
générales et complètes. Dans quelques années, on ne
distinguera plus toutes ces mille frontières ethnogra-
phiques, toutes ces appellations diverses de Tcherkèss,
Lesghiens, Tchétchènes, Osses, Kabardiens, Iméré-
thiens, Karthliens, Khevsours, Pchaves, Lazes, etc.;
on ne trouvera parmi les montagnards et les habitants
des plaines que de pacifiques marchands, de paisibles
agriculteurs, des industriels ou des commerçants, de
bons soldats, s’appelant tous Russes ou russifiés par
les croisements, la similitude de religion, l’unité de
législation, le cadastre, les rouages habiles de l’admi-
nistration, l’obligation du service militaire et l’usage
de la langue russe, seule reconnue officielle.
Pendant longtemps, l’instruction a été trop peu
répandue pour que les diverses nationalités illettrées
et hier encore sauvages, qui habitent le Caucase, aient
pu acquérir du moins cette confraternité que donne la
connaissance des mêmes idées et des mêmes faits. Le
grand obstacle à l'instruction commune provenait non
seulement de la variété des langues, mais aussi de celle
des alphabets. Les Abkhazes, les Osses, les monta-
gnards du Daghestan n’ont pu apprendre à lire, tant
que Lhuillier, Sjôgren , Schiefner, Uslar, Zagoursky
n’eurent pas inventé des alphabets et reproduit par un
signe chacun des cinquante sons de leurs diverses
langues. C’est au Caucase plus que partout ailleurs
qu’il importerait de posséder cet alphabet universel
déjà proposé par Lepsius en 1852 et depuis sous
d’autres formes par Bell, Coudereau et tant d’autres
savants1.
1. D’après Élisée Reclus.
202
GUIDE AU CAUCASE
L'administration russe et l’initiative privée ont fait
tous leurs efforts pour créer dans les villes et villages
des centres d’instruction, et dans mainte école on voit
maintenant l’Arménien assis à côté du Tartare et le
Russe à côté du Géorgien L
On sait que le Caucase est le pays des religions
comme celui des langues. Le paganisme y subsiste
encore sous diverses formes parmi les tribus des mon-
tagnes. Les deux grandes sectes du mahométisme s’y
rencontrent : sunnites et chiites se distinguant les uns
des autres à la coupe de la chevelure et de la mous-
tache, et à diverses pratiques, entremêlent leurs corm
munautés dans la Caucasie orientale, surtout dans le
gouvernement de Bakou. La contrée a ses Juifs, ses
Israélites convertis et ses chrétiens judaïsants; Ortho-
doxes grecs, Arméniens grégoriens, Arméniens unis
dominent parmi les chrétiens1 2. Les tendances réfor-
mistes ou protestantes sont représentées, au Caucase,
parmi les sectes russes, par les Lutteurs de l’esprit
( Boukhobortskys ) et les Buveurs de lait ( Molokanys ).
Ces derniers personnifient la réaction de la raison et
de la conscience contre le formalisme orthodoxe et
l’excès du ritualisme. Repoussant tout clergé, icono-
clastes, ils voient des allégories dans les sacrements et
admettent que la vraie communion en Christ consiste
dans la lecture et la méditation de sa parole. Les
Molokanys mangent le pain en commun en souvenir
du Sauveur, mais sans y voir aucun mystère. Ils furent
persécutés; vers 1800, on leur assigna des terres sur
les bords de la Molotchna, au N. de la mer d’Azof, où
se trouvent presque toutes leurs communautés, qui ne
comptent pas moins de cent mille adhérents.
1. Principaux établissements d’instruction publique en Cau-
casie : Tiflis, 2 écoles d aides-médecins ; institut pour les jeunes
filles; pour les sages-femmes; école modèle; institut de Sainte-
Nino; institut pour former les maîtres; école de la ville; gym-
nase et progymnase pour les filles; école des arts et métiers;
école de dessin; école des porte-enseignes; corps de cadets.
Gvmnases : Titlis 3, Stavropol, Vladikawkaz, Erivan, Koutaïs,
Elisabethpol, Elkathérinodar.
4 progymnases ; Tiflis, Koutaïs, Piatigorsk, Témir-Khan-
Choura; 3 écoles techniques : Tiflis, Bakou, Vladikawkaz.
2. D’après Élisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
203
Les Lutteurs de l’esprit sont plus mystiques encore
peut-être que les Buveurs de lait; aussi n’en compte-
t-on que quelques milliers. Ils croient à l’inspiration,
à la parole intérieure qui parle en chaque homme; le
Christ a, tout le premier, préféré la tradition orale à
l’Ecriture. Ils nient le péché originel, chacun ne répon-
dant que de ses fautes ; peut-être même admettent-ils
la préexistence de l’âme et des fautes antérieures.
Les Molokanys mettent leur idéal dans une sorte de
théocratie démocratique; l’Eglise, disent-ils, et la société
civile ne font qu’un; comme telle, la société doit être
basée sur les principes évangéliques, sur l’amour, la
liberté et l’égalité. Primitivement, ils refusaient d’être
soldats; depuis, ils ont transigé. Mais, malgré leur
spiritualisme, ils rêvent une rénovation terrestre de
l’homme; sous le nom d’Empire de l’Ararat, ils atten-
dent le règne universel de la justice et de légalité. On
raconte qu’en 1811 des Cosaques arrêtèrent une dépu-
tation de ces sectaires, chargée d’aîler demander à
Napoléon s’il n 'était pas le libérateur annoncé par les
prophètes.
Des Molokanys est sorti un groupe, les Obclitchiie ,
qui. vers 1825, sous la direction d’un certain Popof,
prêchait la communauté des biens. Depuis, la doctrine
s’est modifiée; ils n’ont guère conservé qu’un magasin
commun où chaque ménage doit verser au profit des
indigents la dixième partie de ses récoltes. Le reste de
cette secte s’éteint dans un petit village de la Trans-
caucasie1.
Les diversités nationales et religieuses ont eu pour
conséquence nécessaire une manière différente de con-
cevoir et de pratiquer le droit. Aussi, malgré tous ses
efforts, le gouvernement russe a-t-il dû renoncer, du
moins pour un temps, à imposer une jurisprudence
unique, et chez les montagnards musulmans se main-
tiennent encore les deux codes, le code religieux ou
chariot , fondé sur le Coran, et le droit coutumier ou
adat . Le chariot est appliqué seulement dans les ques-
1. D’après Gustave Lejeal, La Russie, 1 vol., Larousse, édit.,
Paris.
204
GUJDE AU CAUCASE
tions religieuses, de famille et d’héritage, tandis que
Yadat règle les affaires ordinaires de propriété et les
questions d’intérêt communal. Le jugement d'après
Yadat se fait sur la place publique, par des juges élus;
certains villages, devenus célèbres par une administra-
tion scrupuleuse de la justice, ont été choisis par la
coutume comme de véritables cours d'appel et c’est à
eux qu’on s’adresse dans les cas douteux1.
La grande question du cadastre du Caucase, intime-
ment liée à la question juridique, foncière, forestière,
minière et industrielle du pays et à son avenir, est
toute nouvelle et ne date, à proprement parler, que
de 1860. C’est à cette époque que fut promulguée la loi
qui en réglementait l’élaboration; et quoique cette loi
de 1860 soit antérieure à la réforme judiciaire de 1864
en Russie, l’esprit et les bases de la première sont à
peu près les mêmes que dans la grande innovation
d’Alexandre IL Le gouvernement russe a d’abord ins-
titué à Tiflis une école spéciale destinée à former un
certain nombre de topographes qui travailleraient à
l’arpentage et aux dessins des plans. Puis, en 1868,
lors de l'application au Caucase de la réforme judi-
ciaire, c’est à de nouveaux tribunaux et à une cour
d’appel qu’est dévolue la tâche de juger tous les diffé-
rends, toutes les réclamations qui pouvaient naître à
propos des titres de propriété, des limites et de la quote-
part de chaque copropriétaire. Théoriquement parlant,
il semblait donc que toutes garanties fussent données
pour que le cadastre fût fait delà façon la plus sérieuse
et la plus juste. En effet, excellente loi, praticiens
habiles, tribunaux impartiaux, tout ne paraissait-il pas
réuni comme à souhait pour faciliter la réussite de
cette œuvre si indispensable au progrès du pays? Mais
aussitôt qu’on a entrepris le travail, œn s’est aperçu
inopinément que, sous tous les rapports, la tâche dé-
passait les prévisions et les forces mises en mouvement.
C’était, en effet, une œuvre colossale non seulement à
cause de l’étendue du sol le plus accidenté du monde,
qu’il fallait lever sur plans, mesurer avec exactitude
1. D’après Élisêe Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
205
(ce qui exigeait beaucoup de temps), mais surtout
parce que, en l'absence de titres, de documents écrits,
au milieu de possesseurs à intérêts opposés et de plus
ou moins de bonne foi (le premier venu pouvant faire
valoir des droits problématiques), les juges fort em-
barrassés étaient sans cesse obligés ou d’ajourner indé-
finiment leurs arrêts ou de rendre des jugements qui
étaient cassés par l’instance supérieure. En réalité
c’était surtout la difficulté de convoquer et de réunir
toute une myriade de copropriétaires ou soi-disant
tels, en perpétuel désaccord sur leurs situations res-
pectives et sur les limites de leurs forêts ou de leurs
champs, qui créait aux fonctionnaires du cadastre des
embarras perpétuels et insurmontables. Le travail,
malgré tout, a été poursuivi et se continue peu à peu.
Mais une réforme importante est à introduire. Croirait-
on, en effet, qu’après le cadastre d’une propriété fait,
le plan ratifié, les droits reconnus juridiquement, il
suffise qu’un tiers appartenant ou se disant appartenir
de près ou de loin, quelquefois au douzième degré, à
la famille du propriétaire confirmé dans ses droits,
vienne après coup réclamer sa part (prétendant être
quelque bisaïeul ou quelque collatéral, inconnu du
reste la plupart du temps), pour que la justice, saisie
de sa réclamation, admette sa parenté, d’après des té-
moignages plus ou moins sérieux, et vous condamne
à partager avec lui? Noblesse, paysans, industriels
réclament vivement l’accélération de cette œuvre in-
dispensable. En effet, dans quelle inégalité de condi-
tions se trouvent les cadastrés jouissant maintenant
paisiblement de leurs droits et les non-oadastrés sans
cesse inquiétés par les procès de la veille ou les contes-
tations du lendemain! Le gouvernement, il faut le re-
connaître, a compris combien étaient justes les exi-
gences générales. En ces derniers temps, il a mis en
mouvement toutes les forces techniques dont il dispo-
sait, mais malheureusement elles sont peu en rapport
avec les nécessités impérieuses de la situation.
206
GUIDE AU CAUCASE
ADMINISTRATION ET DIVISIONS
ADMINISTRATIVES
Circonscriptions militaires. — Armée. — Flotte.
Pendant longtemps le Caucase a formé une lieu-
tenance, administrée par un lieutenant général auquel
étaient transmis les pouvoirs du gouvernement. Depuis
le départ de S. A. I. le Grand-Duc Michel Nicolaïe-
vitch, c'est un administrateur général qui est à la tête
du pays. Les anciennes familles princières de la Géor-
gie, de la Mingrélie, de lTméréthie, de la Kakhéthie,
d’Abkhazie, de Gourie, du Daghestan ne possèdent
plus aucun pouvoir politique, mais on alloue à certaines
d’entre elles diverses pensions et quelques privilèges.
Politiquement et administrativement le Caucase forme
aujourd’hui un gouvernement général de l’Empire
russe et est divisé en provinces de grandeurs inégales,
ayant toutes une origine militaire et désignées par des
termes officiels différents ; gouvernement, province,
cercle, district. (Superficie totale : 415,234 v. carrées :
472,554 kilomètres.)
CISCAUCASIE OU CAUCASE SEPTENTRIONAL
Province du Kouban. — Villes principales : Ekathé-
rinodar, Eisk, Maïkop, Temrouk^ Batalpachinsk,
Kavkazkaïa.
Gouvernement de Stavropol. — Villes principales :
Stavropol, Piatigorsk, Beloglinskoï, Praskovaïa.
Province du Térek. — Villes principales: Vladi-
kawkaz, Mozdok, Kizliar, Groznaïa, Veden.
TRANSCAUCASIE OU CAUCASE MÉRIDIONAL
Gouvernement de Bakou. — Villes principales : Ba-
kou, Kouba, Chemakha, Salyan, Lenkoran.
Province du Daghestan. — Villes principales :
Témir-Khan-Choura, Derbent, Gounib, Pétrovsk.
Gouvernement d’Elisabethpol (1^86). — Villes prin-
cipales : Elisabethpol, Noukha, Choucha.
Cercle de Zakatal. — Ville principale : Tali.
GUIDE AU CAUCASE
207
Gouvernement de Koutaïs. — Villes principales :
Koutaïs, Ozourghet, Zougdidi, Poti.
Division de Soukhoum. — Ville principale : Sou-
khoum-Kaleh.
Gouvernement de Tiflis. — Villes principales : Tiflis,
Akhaltzikh, Signak, Thélaff, Gori, Douchet, Akhal-
kalaki .
208
GUIDE AU CAUCASE
Cercle de la mer Noire (Tchornomorsky). — Ville
principale : Anapa.
Gouvernement d Erivan. — Villes principales :
Erivan, Alexandropol, Nakhitchevan, Novo-Bayazet,
Ordoubad.
Province de Batoum. — Villes principales : Batoum,
Artvine, Ardanoutch.
Province de Kars. — Ville principale : Kars.
Gouverneur général, commandant en chef l’armée
du Caucase : Chérémétieff, général de cavalerie,
aide de camp générai. — Adjoint : Comte Tatitcheff,
lieutenant général.
Gouverneurs : Tiflis , Prince G. Chervachidzé. —
Elisabethpol , Prince Nakachitzé.
Lieutenants généraux : Territoire du Térek, Ko-
khanofï. — Stavropol , Nikoforaki.
Majors généraux : Routai* , Chalikoff, lieutenant
général. — Kouban , Léonofï, lieutenant général. —
Kars , Tomitch, major général. — Erivan, Frese,
major général. — Daghestan , prince Tchatchavadzé,
lieutenant général. — Bakou, Roggé, conseiller d’Etat
actuel.
CIRCONSCRIPTION MILITAIRE
DU CAUCASE
Corps d’armée du Caucase : — 20e et 21e divi-
sions d’infanterie, 2 brigades de tirailleurs, 4 ba-
taillons de cosaques à pied ; 1 division de cavalerie du
Caucase, 1 brigade de cosaques du Kouban et 1 bri-
gade de cosaques du Térek, 1 1/2 régiment irrégulier
de cosaques, 20° et 21e brigades d’artillerie, 1 brigade
d’artillerie à cheval de cosaques du Kouban, 1 batterie
de cosaques du Térek et 1 brigade de sapeurs du
Caucase.
Commandant en chef de l’armée du Caucase et
gouverneur général : Chérémétieff ; adjoint : Comte
Tatitcheff ; attaché : Zaleski, major général ; chef
d’état-major : Perlik, lieutenant général ; chef de
l’artillerie : Semtchevski, lieutenant général ; chef du
génie : Potymoff, lieutenant général.
GUIDE AU CAUCASE
209
Corps d'armée du Caucase (Tiflis) : le prince Tchav-
tchavadzé, général de cavalerie. — Division des
grenadiers du Caucase (Tiflis) ; 38" division d’infanterie
(Koutaïs) ; 39ô division d’infanterie (Àlexandropol) ;
lr° division des cosaques du Caucase (Tiflis) ; 2e divi-
sion des cosaques du Caucase (Elisabethpol) ; 20e divi-
sion (Vladikawkaz), Douve, lieutenant général; 21e di-
vision (Témir-Khan-Choura) , le comte Borch,
lieutenant général. — Division de cavalerie du Cau-
case (Tiflis), le prince Amilokwary, lieutenant général.
Troupes irrégulières (cosaques). — « Ataman » de
tous les cosaques : S. A. I. le Grand-Duc héritier
Nicolas Alexandrovitch ; du Caucase: Chérémétieff,
lieutenant général; du Kouban : Malama ; du Don:
prince Sviatopolk-Mirsky II, général de cavalerie;
du Térek : Kokhanoff.
Commandant des forteresses d’ Akhaltzik, Alexandro-
pol, Ardaghan, Batoum : Bouroy, major général ; de
Kars : Anossoff, lieutenant général ; de Poti : Pav-
loff, général d’infanterie.
Flotte de la mer Noire.
BATIMENTS
Tonneaux
Chevaux^
indiqués
Canons
de
plus
de 10
Calibre
de
moins
cent.
Equipages |
4 cuirassés à tourelle
1886-90
40.518
45.250
47
79
?
2 id. id.
1873-75
6.050
5.066
6
10
»
7 croiseurs
1878-88
8.578
10.470
25
24
»
7 schooners, etc.
1852-72
5.121
1.791
17
—
»
2 vapeurs
1877-80
4.102
1 368
9
6
»
2 id. à aubes
1849-66
1.471
1.635
4
—
»
2 croiseurs porte-torpille
1886-90
950
7.100
32
»
16 batteries torpil. (lru cl.)
1883-91
1.341
14.975
—
72
»
1 bât1 pour le serv. mines
1891
1.360
2.800
—
—
»
1 transport
1880
3.920
10.500
—
—
»
44
73.411
100. 955
106
223
■»
En outre : 3 cuirassés pour le service des ports
(10,331 tonneaux, 433 chevaux indiqués), 2 canon-
nières cuirassées (657 t., 570 chevaux indiqués), 1 cor -
14
210
GUIDE AU CAUCASE
vette (1,057 t., 360 chevaux indiqués), 3 autres va-
peurs pour le service des ports (467 t.), 1 yacht,
1 cutter, 10 cutters porte-torpilles, 56 vieux bateaux-
torpilles, 2 bâtiments pour le service des mines,
1 tender, 6 barques de fanal, 1 dock et autres bâti-
ments pour le service des ports. De plus : 12 va-
peurs de la flotte volontaire (environ 30,500 t., 30,000
chevaux indiqués, 46 canons). En construction : 1 cui-
rassé à tourelle (10,180 t., 15,000 chevaux indiqués),
3 croiseurs porte-torpilles, 1 transport-torpille et 9 bat-
teries-torpilles première classe.
Flotte de la mer Caspienne.
3 canonnières 1860 et 1866 (902 t. environ, 370 che-
vaux indiqués, 9 canons) ; 1 schooner 1876 (448 t.,
2 canons) ; 4 vapeurs à aubes (1,775 t.) ; 8 petits va-
peurs ; 4 voiliers ; 2 barques de fanal 1 .
VOIES DE COMMUNICATIONS
Routes. — Chemins de fer.
Le souci principal du gouvernement russe, après
tant de luttes pour la conquête du pays, était d’abord
de s’y fortifier de manière à pouvoir concentrer, au
premier signal de révolte, sur un point donné des
forces suffisantes pour réprimer l’insurrection. Cette
idée a présidé à l’établissement des routes dans le Cau-
case; la plupart des chemins tracés sont donc plutôt
stratégiques et militaires que commerciaux. Le manque
de temps n’a pas permis encore au système des voies
de communications du Caucase toute l’extension dési-
rable. Cependant, depuis quelques années, le tracé de
voies nouvelles, utiles et faciles, est l’une des grandes
préoccupations de l’Administration.
La route principale carrossable du Caucase est celle
qui passe par le défilé du Darial et s’étend de Vladi-
kawkaz au delà de Tiflis. Une autre, celle du col Ma-
misson, a été rendue récemment praticable pour les
1. D’après T Almanach Gotha.
GUIDE AU CAUCASE
211
voitures, elle relie Vlaclikawkaz à Koutaïs. De Vladi-
kawkaz, une route postale va par Groznaïa à Témir-
khan-Choura, Derbent, Pétrovsk et au Daghestan. A
? 5 o o o o
- 2 o o o o
^ S (û QJ cO t O
8
S
5
S
ci
partir de Tiflis, la route militaire de Géorgie se sépare
en plusieurs tronçons dont l’un conduit à l’O. vers
Akhaltzik et Batoum, ou, par le col de Souram, jusqu’à
la vallée du Rion et à Poti en passant par Koutaïs.
Au S.-E., deux autres routes conduisent, l’une vers la
212
GUIDE AU CAUCASE
vallée de la Koura, par Elisabethpol, jusqu’à Bakou;
l’autre à Lenkoran, sur la frontière persane. Au S.,
une chaussée postale traverse les villes d’Alexandropol
et de Kars qu’elle réunit à travers le plateau de Gok-
tchaï avec Erivan, Edchmiatzine et UArarat. Au N.-E.,
enfin, une route postale mène en Kakhéthie. Les cols
jouent naturellement dans le Caucase comme dans tous
les pays montagneux un rôle considérable pour le pas-
sage des piétons et des mulets. En dehors des cols
cités déjà dans la partie orographique, mentionnons
encore dans le groupe des monts du Kouban, les cols
Akh-Birtz, conduisant des sources de la Grande-Laba
sur les terres des Pskhow, le Kloutchor, praticable
pour les chevaux, entre la vallée du Kodor et la Ta-
berda ; le col de Nakhar (2.931 m. ), conduisant de la
rivière de ce nom jusqu’à la rivière Klitch. Au centre
de la chaîne, le col de Karet (3.220 m.), le Skoudner
(3.000 m.); le Naksagar (2.900 m.), le Djiper, allant
des sources du Baskan à la vallée de la Neskra
(3.650 m.), le Dougoussouroun (3.600 m.), le col de
Ceja, entre la vallée de même nom et les sources de
fArdone; l’Oullou-Auz (Grande Vallée) réunissant le
Tcherek au Dou-Mala, à travers le versant E. du Dikh-
Taou (environ 4.000 m.); le Salouïnan-Tchiran
(3.800 m.) conduit du glacier Bissinghi au Gara-Sou
et au Tcheghem; enfin, le col d’Aksou (3.600 m.) donne
passage du glacier Chitchildi au Betsho. Dans laTrans-
caucasie, la configuration du terrain a permis d’établir
des communications plus faciles ; les sentiers et les
passages sont plus nombreux, les cols moins élevés1.
Les chemins de fer comprennent actuellement :
1° La ligne de Rostoff-sur-Don à Vladikawkaz (pro-
longement des lignes de la Russie méridionale).
2° Embranchement. Ligne de Tikhoretskaïaà Novo-
Rossiisk.
3° Ligne de Vladikawkaz à Pétrovsk, sur la mer
Caspienne (en construction).
4° Lignes de Poti et Batoum à Tifïis, qu’elles re-
lient à travers le col de Souram et Mtzkhet à Bakou.
1. D’après P. Lemosoff, Grande Encyclopédie.
GUIDE AU CAUCASE
213
5° (Embranchement). Ligne de Bakou à Saboutcbi,
Sourakhane, Balakhané.
6° (Lignes secondaires). Embranchement, de Rion
à Koutaïs.
7° De Koutaïs à Tkwibouly (houillères).
8° De Kwirila à Tchiatoury (mines de manganèse).
9° De Michaïloffi à Borjom (eaux minérales), (en
construction).
214
GUIDE AU CAUCASE
Lorsque le réseau intérieur sera complété et que de
grandes voies ferrées relieront la ligne transcaucasienne
à la Russie et à la Perse, lorsque des ponts, des chaus-
sées seront construits dans les riches vallées actuelle-
ment presque impraticables, lorsqu'on aura rendu pos-
sible la colonisation du littoral de la mer Noire par
des voies de communications et assaini les plaines de
la Koura, de l’Araxe et de l’Alazan, en rendant à
l’agriculture plus de 2 millions d’hectares restés in-
cultes faute de canaux d’irrigation, on peut être assuré
que ce pays prendra un développement économique
extraordinaire.
COMMERCE EXTÉRIEUR
Mouvement maritime.
De 1823 (époque à laquelle une première caravane
réussit à passer de Poti à Bakou) à 1860, les chiffres
statistiques font défaut; on estime que de 1840 à 1850
le mouvement commercial extérieur ne s’élevait pas à
plus de 2 à 3 millions de roubles. De 1862 à 1881, la
moyenne est de 13.343.000 r., dont 5.264.000 r. à
l’exportation et 8.079.000 à l’importation, soit une
différence de 2.815.000 r. en faveur de cette dernière.
De 1881 à 1886, par suite de l’ouverture de la ligne de
Bakou-Tiflis, le mouvement du commerce extérieur
s’éleva brusquement à 36.585.000 r. En 1888, il a
atteint 49.310.000, dont 36.304.000 r. à l’exportation et
13.006.000 r. à l’importation \
La France importe au Caucase : vins, spiritueux,
liqueurs, épices, tonneaux, sacs vides, articles de dro-
guerie, quincaillerie de luxe, mercerie, modes, parfu-
merie; chaux, ciment, briques, tuiles, colle forte,
graines de vers à soie, étoffes en soie, produits chi-
miques et pharmaceutiques, asphalte, plomb, cristaux,
bonneterie, lingerie, crin végétal, soufre, machines.
L 'Allemagne inonde déjà le Caucase de ses produits,
matières premières à demi ouvrées, denrées alimen-
taires, articles de Paris, contrefaçons de tout genre;
1. D’après V. Thiébaut.
GUIDE AU CAUCASE
215
spécialités : machines de toute espèce, produits chi-
miques, cordonnerie, étoffes, lingerie, couleurs, parfu-
merie, modes, bijouterie, papeterie, fleurs, ganterie,
chapellerie, vêtements confectionnés, verrerie, porce-
laine, carrosserie, meubles, papiers peints, jouets,
tabletterie, instruments de musique. L 'Angleterre im-
porte : peaux préparées ou apprêtées, ciment, houille,
fonte, fer, objets fabriqués métalliques. U Autriche-
Hongrie : chaussures, instruments de musique, cuirs
ouvrés, vitres, allumettes. La Belgique : matières
brutes et à demi ouvrées, matériel de chemin de fer,
fontes, tuyaux, lampes. La Perse : seigle, orge, maïs,
riz, miel, fruits secs, denrées alimentaires, tabac, ma-
tières tinctoriales, coton brut, peaux brutes et prépa-
rées, frisons, soie et tourbe, divers minerais, gomme,
soieries, tissus de laine, tapis. La Turquie : des fruits
et légumes, des fourrures, du papier à cigarettes, des
fers, cotonnades simples ou mélangées de soie et des
cordes.
Mouvement maritime . — En 1887 les ports du Cau-
case, dans la mer Noire et dans la mer Caspienne, ont
reçu 12.899 bateaux ou vapeurs, avec plus de 3 mil-
lions de tonnes, et expédié 12.887 bateaux ou vapeurs,
avec 3.150.000.000 det. Ces chiffres comprennent le ca-
botage et le long cours.
Le Caucase exporte, comme matières brutes et demi-
façonnées : Huiles de naphte, graisses minérales et
produits du naphte, minerais, cuivre, manganèse,
métaux, soufre, sel, sel Glauber, huile de sésame, huile
de lin, tourteaux, couleurs et matières colorantes,
laines, soies, cocons, cire, duvet, crin, soies de porc,
cornes, peaux, coton, graines de lin, bois de noyer,
chêne, buis, bijouterie en argent ouvré, sellerie, chaus-
sures, objets en cuir, étoffes de soie, laine, draps,
feutre, tapis, chanvre, etc. ; comme denrées comes-
tibles : froment, maïs, orge, millet, riz, tabac, vins,
alcools, poisson, caviar, salaisons, miel, fruits secs,
fromages, gruau, pois, haricots, fèves, réglisse, lin,
noix, etc.
216
GUIDEAU CAUCASE
BIBLIOGRAPHIE1
L’antiquité n’avait eu que des notions très vagues
sur le Caucase, jusqu’à l'époque où les guerres contre
Mithridate y conduisirent les Romains. Ce fut dans le
Ier s. av. J.-C. Dès ce moment, une ère nouvelle
s’ouvre pour l’histoire géographique des pays cau-
casiens. L’expédition de Pompée et les rapports suivis
que le peuple-roi conserva avec les Arsacides de
l’Arménie procurèrent aux écrivains de l’Occident
d’abondantes notions sur ces provinces de l’Araxe et
du Caucase, que jusqu’alors on avait à peine connues
de nom. Strabon, Mêla, Pline et Ptolémée puisèrent
à cette source nouvelle les détails dont ils ont rempli
la partie de leurs ouvrages qui concerne ces contrées.
A la riche nomenclature que présentent surtout la
troisième carte de sa géographie et les quatre chapitres
de son cinquième livre, on est porté à croire que
Ptolémée se guida sur une géographie arménienne
analogue à celle que plus tard Moïse de Khorène fit
entrer dans la partie de son abrégé géographique qui
traite de sa patrie. Pendant plusieurs siècles, l’antiquité
gréco-latine vécut sur ces notions. Au Ve s., les guerres
des empereurs de Constantinople contre les Persans
procurèrent une connaissance plus détaillée des pays
qui bordent le fond de l’Euxin, particulièrement de
tout le bassin du Phase ou de la Colchide des anciens
auteurs ; mais à partir de cette époque il faut traverser
tout le moyen âge pour retrouver une période de recru-
descence géographique. Du Ve ou plutôt du IIIe au
XVIe s., les pays du Caucase et l’Arménie furent le
théâtre d’événements importants, mais les sources
d’information fournies par cette longue période, meme
l’empereur Porphyrogénète dans son Traité de l’admi-
nistration de l’Empire (Xe s.), meme les auteurs
musulmans, soit persans, soit arabes, dans leurs nom-
breux traités de géographie et dans leurs relations de
voyages, ne reculent pas les bornes des connaissances
1. D’après Vivien de Saint-Martin, P. Lemosoff ( Grande
Encyclopédie ), et les notes de M. Zagoursky.
GUIDE AU CAUCASE
217
antérieures. Ce sont des documents à consulter pour
apprécier les changements survenus dans les conditions
politiques des différents pays de l’isthme, aussi bien
que dans la circonscription des provinces ou des Etats
et dans la nomenclature de la géographie locale ; il ne
faut pas leur demander autre chose. Une seule pro-
vince, le Daghestan, s’enrichit de quelques nouveaux
détails; pour toutes les autres, meme pour l’Arménie,
les notions positives n’égalent pas à beaucoup près, loin
de les surpasser, celles des géographes et des historiens
de la période romaine.
Dès que l’Occident, sorti du long enfantement de la
barbarie, est né enfin à un ordre nouveau, ses regards
et ses pensées se reportent vers les pays de l’Orient.
L’activité humaine n’avait alors que deux mobiles dans
ses pérégrinations : la religion et le négoce. Situés au
seuil de l’Asie, le Caucase et l’Arménie se présentèrent
les premiers sous les pas_ des marchands européens et
des missionnaires. Les uns et les autres ne tardèrent
pas à en donner des relations qui ouvrent pour ces
contrées l’ère de la géographie moderne. On dut aux
vénitiens Barbaro et Contarini, à la fin du XVe s.,
de très bons renseignements sur plusieurs parties de
l’isthme et au génois Interiano, quelques années plus
tard, une excellente notice des Tcherkess. Bientôt
après, l’Anglais Jenkinson et plusieurs autres de ses
compatriotes apportaient sur la mer Caspienne les pre-
mières notions justes que l’Europe en eût reçues depuis
le temps d’Hérodote. Le XVIIe s. a produit deux
relations notables : la description de la Mingrélie du
missionnaire romain Archangelo Lamberti,la meilleure
et la plus complète à bien des égards que nous ayons
encore aujourd’hui de l’ancienne Colchide ; et la
partie des voyages de Chardin qui se rapporte à la
même contrée et à la Géorgie. Mais c’est surtout avec
le XV IIIe s. que commencent les grands progrès de la
géographie caucasienne. Les intérêts politiques qui
amenèrent alors les Russes dans le Caucase en sont le
point de départ. La reconnaissance complète de la mer
Caspienne et la carte du Daghestan levée par Gàrber,
qui donna en même temps une description circons-
14.
218
GUIDE AU CAUCASE
tanciée de la province et du Chirvan, en furent les
premiers fruits ; ces deux documents précieux pour
l’époque se rattachent l’un et l’autre à l’expédition de
Pierre le Grand. Depuis lors, un grand nombre de
voyages particuliers et d’expéditions collectives ordon-
nées ou favorisées par le gouvernement russe, dirigées
par l’Académie impériale et confiées pour la plupart à
des Allemands que la Russie avait appelés ou accueillis,
se sont succédé à des intervalles toujours plus rappro-
chés. Güldenstadt pénétra le premier, en 1772, dans le
massif même du Caucase, parcourut la Géorgie, l’Imé-
réthie, et dota l’Europe des premières notions positives
sur la géographie physique, l’histoire naturelle, la
géologie de ces provinces centrales et l’ethnologie des
nombreuses tribus montagnardes. Falk, Pallas, Po-
tocki, Engelhardt, Parrot, Visniefski, Kupffer, Gôbel,
Homère de Hell ont étudié les vastes steppes qui
s’étendent au N. du Caucase jusqu’aux embouchures
du Don et du Volga. Marschall de Biebestein, Stéven,
Eichwald, Lenz et Ménétriès, Ruprecht, etc., ont beau-
coup ajouté aux notions fournies par Gârber. Le célèbre
Klaproth a repris les explorations de Güldenstadt sur
la géographie des provinces de la Kouraet sur l’ethno-
logie générale de l’isthme. Sous ce dernier rapport,
important pour l’éclaircissement des origines euro-
péennes, ses propres travaux ont été complétés ou
rectifiés par les recherches de Vivien de Saint-Martin,
Kovalevsky et Uslar qui a donné les bases d’une clas-
sification raisonnée des peuples du Caucase. Des
physiciens, des géologues, tels que Parrot, Ernest
Favre, Kolenati, Abich, Koschkül, Salatsky, Jules
François, Dru ont déterminé les formes générales du
relief du pays et les sources minérales. La faune et la
flore ont été décrites par Radde, Bogdanofï, Krimitsky.
Brosset,Duboisde Montpéreux, Dulaurier,Bartholomé,
le prince Gagarine, Bayern, Elisée Reclus, Virkhow, le
comte Ouvarofï, Chantre, de Morgan ont publié diffé-
rents ouvrages renfermant des données précieuses sur
l’histoire, la géographie, l’archéologie, l’architecture,
les inscriptions, la littérature, la numismatique indi-
gènes et, depuis Gamba, Tavernier et Alexandre
GUIDE AU CAUCASE
219
Dumas, une foule cle touristes, baron Ernouff, Ber-
noville, Caria Séréna, Kôkhlin- Schwartz , Orsolle,
Moser, Boulangier, Leclerc, etc., ont complaisamment
raconté leurs impressions de route et mis à la mode le
« Voyage au Caucase )). Des membres du Club alpin :
Freschfield, Décliy, Tucker, Moore, ont fait l’ascen-
sion des principaux sommets de la chaîne et recueilli
une série de vues photographiques et d’observations
intéressantes. En même temps que les topographes
russes sous les ordres des généraux Chodzko et Steb-
nisky ont couvert d’un vaste réseau de triangulations
tout Fisthme caucasien et ont publié deux belles cartes 1
(aux échelles de 5 v. et 10 v. au pouce, 1/210,000 et
1/420,000), des fouilles archéologiques faites par les
soins des gouvernements russe, français et allemand,
sont venues éclairer d’une vive lumière le passé du
Caucase. La Section caucasienne de la Société impé-
riale de géographie a pour tâche spéciale Fétude ethno-
graphique et ethnologique des pays caucasiens et des
régions limitrophes. Le Département des voies et coin-
analogue au service des ponts et chaussées
en France, s’occupe des avalanches et des mouvements
des glaciers. Les recherches géologiques sont faites par
le Département des mines . Parmi les établissements,
institutions. Sociétés savantes contribuant à explorer
le Caucase à des points de vue différents et à développer
la connaissance du pays, il faut citer : Y Observatoire
physique de Tiflis , celui d ' Abastouman, la Société ar-
chéologique, la Commission archéo graphique à laquelle
M. Berger avait voué ses soins, le Comité de statis-
tique dirigé par M. Seidlitz, la Société technique créée
par M. Ghersévanoff, la Société d'agriculture et le
Musée de Tiflis.
1. Ce sont les meilleures à consulter. Il existe aussi deux
petites cartes en langue française, assez bonnes : celle de
Schrader (Hachette, Paris, 1892), et celle de V. Thiébaut
(Paris, 1891).
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
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SECONDE PARTIE
ITINÉRAIRE A
DE CONSTANTINOPLE A BATOUM, PAR LA MER NOIRE1
Bateaux à vapeur. — Compagnie russe de navigation. —
Service hebdomadaire, ligne d’ANATOLiE et de Batoum. Mes-
sageries maritimes fran-
çaises : Service bi-mensuel
entre Marseille. Constanti-
nople et les ports de la mer
Noire. Paquet et Cie: Ser-
vice direct, toutes les deux
semaines . de Marseille à
Poti, avec escales à Cons-
tantinople, Sainsoun, Tré-
bizonde et Batoum. Egée :
Ligne de Trébizonde, avec
escales à Erékli, Inéboli, Si-
nope, Samsoun, Kérasonde.
En s’éloignant de Cons-
tantinople, la vision en-
chanteresse du Bosphore
disparaît peu à peu. La
côte d’Asie-Mineure, que
le vapeur longe ordinai-
rement d'assez près, offre
des lignes de paysages
très pures; les montagnes
élevées baignent dans la
mer ; sur leurs pentes
abruptes s’étagent de
grandes forêts qui abou-
tissent au rivage et où
s’abritent un grand nom-
bre de petites villes ou de
villages. Erekli (2,000
hab.), l’ancienne Héra-
clée ou (( portd’Hercule
est dans une vallée ver-
doyante au bord d’une
crique abritée du N., et
est entourée de vieilles
murailles cachées ça et là par des hêtres touffus.
1. D’après Elisée Reclus.
2e partie 1
2
GUIDE AU CAUCASE
Dans le voisinage on exploite faiblement, depuis la
guerre de Crimée, des mines de houille que des
travaux sérieux, vainement proposés par des indus-
triels européens, rendraient plus productives. Quel-
ques débris de l’ancienne Héraclée se voient encore
dans l’enceinte moderne. Au N., au milieu des ro-
chers, on montre la grotte Acherousia où descendit
Hercule pour enchaîner Cerbère et vaincre la mort ; les
magiciens y évo-
quaient les fantô-
mes. Après Bartan,
Amasra et Ineboli
(3,000 hab.) , an-
cienne colonie grec-
que, on double le cap
Syrias ou Indjeh-
Bouroun. La char-
mante Sinope
(9,000 hab.), anti-
que ville assyrien-
ne, déjà colonisée
par les Milésiens,
il y a vingt-sept
siècles, située près
du promontoire le
plus septentrional
de l’Asie - Mineure , est comme en dehors du conti-
nent ; c’est une sorte d’île ne devant son importance
qu’à ses avantages maritimes. Le groupe des collines
auxquelles la ville s’adosse fut en effet un massif
insulaire formé d’assises calcaires, que recouvrent en
certains endroits des trachytes et des tufs volcaniques.
Un isthme étroit, que les vents N. -O. parsèment d’un
sable fin, rattachent les hauteurs à la terre ferme.
Du haut des coteaux qui dominent le pédoncule de
Sinope, ses constructions et ses deux rades, on con-
temple l’un des tableaux les plus attrayants du littoral
d’Asie. Les ondulations harmonieuses de la rive, com-
parées par les poètes orientaux au corps souple d’un
adolescent, les groupes d’arbres épars qui ombragent
les pentes, les maisons, les tours, les minarets, les
GUIDE AU CAUCASE
3
navires qui se mirent dans le flot bleu, le contraste des
deux ports ayant chacun son système de courants, ses
risées et ses reflets, ont fait de Sinope le joyau de
TAnatolie du Nord. Mais à l’intérieur des murs, flan-
qués de tours lézardées et penchantes, on ne voit plus
aucun débris des monuments qui s’élevaient dans la
libre cité grecque, aux temps où naquit Diogène le
Cynique; les édifices que construisit Mithridate, égale-
ment fils de Sinope, n’existent plus, mais dans les
murailles byzantines sont encastrés des fragments de
sculpturesetd’inscriptions antiques. Le port méridional.
SINOPE. — D’après la carte d’Elisée Reclus.
de beaucoup le plus fréquenté, n’est protégé par aucune
jetée, mais les navires peuvent y ancrer en toute sécurité
quand souffle le vent d’Ouest. Le gouvernement turc a
reconstruit à Sinope un arsenal et un chantier pour
remplacer ceux que la flotte russe vint brûler, au
commencement de la guerre de Crimée, en 1853. Le
commerce local se borne à l’expédition des fruits et des
bois. On sait que la cité paphlagonienne fournissait
jadis aux artistes cette « terre de Sinope )) dont le nom
s’est transmis dans le langage héraldique au vert
« sinople » des blasons.
Samsoun (30,000 hab.) — Agences des Compagnies de navi-
gation : Messageries maritimes françaises , Paquet , Russe ,
Egée, Lloyd austro-hongrois , ottomane Mahsoullé. Agences
consulaires de France, d' Autriche, d'Italie. Exportation:
tabac , maïs, blé, soies, peaux de bœuf, de chèore, laines , riz,
pommes, pois chiches. Importation: produits manufacturés ,
coloniaux, quincaillerie.
4
GUIDE AU CAUCASE
Ce port, qui sert d’intermédiaire au commerce
des deux bassins du Yechil-Irmak et du Kizil-Irmak,
se trouve presque à moitié chemin entre les deux deltas ;
il a succédé à l’antique Amisus des Grecs qui s’élevait
à 2 kil. plus au N., et dont on voit encore les môles
et les restes de quais, bordant des terres alluviales
cultivées en jardins. La cité actuelle, avec ses rues
tortueuses et sales, n’est remarquable que par sa rade.
Depuis le milieu du siècle, son commerce a notablement
augmenté, surtout avec la Russie, et, dans les projets
de nombreux ingénieurs,
Samsoun est désigné com-
me futur point de départ
d’un chemin de fer qui se
dirigerait vers Tokat, Sivas
et les plaines de l’Euphrate.
A l’O. du promontoire de
Jason, considéré comme la
limite orientale des côtes
pontiques de l’Asie - Mi-
neure, la première ville du
riche pays de Djanik est le
port d’Ôunieh, connu par
ses carrières d’où l’on ex-
trait des dalles calcaires
SAMSOUN.-D’après la carte d’Elisée Reclus rouges et blanches \ les
roches excavées par les
carriers renferment des bancs de jaspe qui prend un
très beau poli. Les collines calcaires des environs
sont recouvertes d’une argile jaunâtre dans laquelle se
trouvent des nodules de pierre ferrugineuse d’une assez
faible teneur en métal, que les gens du pays, peut-être
descendants des anciens Chalybes, fondent et forgent
en de rustiques usines ; le fer affiné au feu de charbon
est d’ailleurs d’excellente qualité, et le gouvernement
turc l’achète pour ses arsenaux. A l’E. du promontoire
se succèdent Wonaliman, Ourlou, qui n’ont qu’un
faible trafic. Le bateau fait escale à Kêrasonde, l’an-
cienne Kerasos, aux murs cyclopéens, d’où Lucullus
apporta jadis à Rome les premiers plants de cerisiers :
la dénomination de l’arbre, keraz en arménien, prouve
GUIDE AU CAUCASE
5
que la ville lui doit son nom. Kérasonde était autrefois
entourée de forets de cerisiers : néanmoins ce sont
principalement des noisettes que l’on exporte de cette
contrée. C’est aussi à Kérasonde qu’est amené l’alun
exploité à Cheb-Khaneh. Un peu plus loin, sur la côte,
se voit Tireboli ou Taraboulous, une des nombreuses
Tripoli ou « Trois Cités » qui donnaient asile aux
habitants d’une triple origine \
Trébizonde (le Trapezos des Grecs, le Tirabzon des Turcs),
40,000 hab. Ville forte , chef-lieu du vilayet du même nom ,
résidence d'un pacha. Hôtel d'Italie et de Bellevue . Télé-
graphe. Poste française, autrichienne , russe et turque. Con-
sulats ou vice-consulats de France , d' Angleterre, de Russie ,
d' Autriche, de Grèce , d'Italie , de Perse. Mosquées. Eglises
grecques et catholique , Bains, etc. Agences des Compagnies
de navigation : Messageries maritimes françaises , Compagnie
russe, ottomane Mahsoullé, Paquet, Lloyd autrichien, etc. Im-
portation: Tissus coton filé, quincaillerie, armes, horlogerie ,
fers anglais et russes , acier , étain, papier, café, rhum, poivre,
épices, savon, blé et grains de Russie, sucre, soieries, fils d'or ,
draps, bonnets rouges, cuirs, pointes de Paris, salaisons ,
huile de Provence, vins fins. Exportation: Cuivre, cire, noix
de galle, haricots , noisettes, maïs, buis, coton, poteries.
Cette ville, une des antiques cités de TAsie-Mineure,
n’ayant qu’une mauvaise rade, il est souvent impossible
d’y relâcher parle gros temps ; les navires doivent aller
mouiller à Platana. Trébizonde n’a plus de son passé
que des souvenirs, des ruines pittoresquement enca-
drées. Construite en amphithéâtre, elle présente encore
la forme d’un trapèze, ce qui lui a fait anciennement
donner son nom. La forteresse, jadis célèbre, est aujour-
d’hui une enceinte délabrée qui se dresse entre deux
précipices sur la crête d’un promontoire rocheux et qui
est reliée à la ville neuve par dès ponts ; une arête de
quelques mètres de largeur la rattache à la montagne
volcanique de Boz-Tépé. Dans la forteresse était bâti le
palais des Comnènes : ses ruines sont entièrement
recouvertes par des lierres séculaires, et des figuiers
poussent dans les vieux fossés comblés. Quoi qu’il en
soit, depuis la suppression du transit transcaucasien,
Trébizonde a repris de l’importance comme entrepôt et
comme marché. C’est là que se forment et qu’arrivent
presque toutes les caravanes de la Perse ; une route-
1. D’après Élisée Reclus.
6
GUIDE AU CAUCASE
carrossable relie Trébizonde à Erzéroum et se continue
dans la direction de Van par un chemin praticable aux
arbas. La population, assez mélangée, se compose de
Turcs, d’ Arméniens, de Grecs et de négociants euro-
péens. Les marins, en dehors de la petite navigation
commerciale, y sont employés à la pêche d’une espèce
d’anchois nommé par les Turcs khamsi. De 1865 à
1868, on a fait dans ces parages une chasse aux
grèbes (koukarina) très active et très productive.
A 2 kil. de la ville, se trouve l’église de Sainte-
Sophie transformée en mosquée. C’est un assez beau
type d’architecture byzantine du XIIIe s. La tra-
TRÉBIZONDE. — D’après la carte d’ÉIisée Reclus.
dition du pays raconte que Justinien a fait élever cette
église en même temps que celle qui à Constantinople
porte le même nom, mais aucune inscription ne le
prouve et Procope ne la mentionne pas. Le port Pla-
tana esta 10 kil. à l’O. de Trébizonde. D’après Arrien,
l’empereur Adrien avait fait construire une jetée des-
tinée à mettre les navires à l’abri des vents et des
courants. Les Génois, devenus maîtres du pays, ne
négligèrent pas ce mouillage; ils y firent élever un
môle. Cet ouvrage, aussi bien que ceux qui étaient dus
à Adrien, n’offre plus que des ruines.
La côte méridionale offre, en sortant de la ville, une
esplanade à perte de vue, dont il est difficile de décrire
la magnificence. Elle était très probablement autrefois
plantée d’arbres disposés avec symétrie , selon la
coutume des Grecs. Trébizonde a subi dans le cours
des âges une foule de vicissitudes. Un des plus
anciens souvenirs qui s’y rattachent est le séjour qu’y
GUIDE AU CAUCASE
7
fit Xénophon avec les débris de l’armée grecque qu’il
commandait lors de la retraite des Dix-Mille. A ce
propos, Xénophon considère Trébizonde comme une
colonie de la Trapezus d’Arcadie, sur l’Alphée ; il
est beaucoup plus probable que ce fut une colo-
nie de Sinope. Après avoir fait partie de l’Arménie-
Mineure, puis du royaume du Pont, elle tomba au
pouvoir des Romains, fut déclarée ville libre par Pom-
pée et érigée en capitale du Pontus Cappadocius par
Trajan. Adrien lui donna une importance commerciale
considérable. Prise est saccagée par les Goths, sous le
règne de Valérien, elle se releva de ses ruines avec
l’aide de Justinien, qui reconstruisit ses fortifications.
En 1204, après que Beaudouin, comte de Flandre, Se
fut emparé de Constantinople, elle servit d'asile à
Alexis Comnène et devint la capitale d’une principauté
dite de Trébizonde, qui finit en 1461, époque où la ville
fut prise d’assaut par Mahomet II.
Après Trébizonde jusqu’à Batoum, pendant 150 kil.,
en n’aperçoit que quelques bourgades insignifiantes :
Surméné, Of, Rizeh, etc. Atina, antique colonie
grecque qui porta jadis le nom d’Athéné comme la
capitale de l’Attique, n’a que des maisons éparses
et, dans le voisinage, quelques débris de murs aux-
quels on donne le nom d’Eski-Tirabzon ou vieille
Trébizonde. On passe devant l’embouchure du Tcho-
rok, et on arrive à Batoum. ( Voir ce nom à l'iti-
néraire B. Route 1 .)
ITINÉRAIRE B
d’odessa a kertch, novo-rossiisk, poti, batoum,
PAR LA MER NOIRE1
Bateaux à vapeur. — Compagnie russe de navigation. —
Départ cL’Odessa les lundi et jeudi à H heures, et aussi îe samedi,
en été, à 5 heures du soir ; arrivée à Batoum, le vendredi soir et
les lundi et mercredi matin; avec escales à Eupatoria, Yalta,
Théodosie et Kertch. Le bateau partant le samedi en été et celui
du lundi en hiver ne touchent, entre Kertch et Batoum, qu’à
1. D’après Brosset, Dubois de Montpéreux, Elisée Reclus,
Bædeker, le prince Tsérételli, le colonel Kazbek et la carte de
i’état-major russe.
8
GUIDE AU CAUCASE
Novo-Rossiisk, celui du jeudi qu’à Soukoum-Kaleh, et ceux
du lundi en été et du jeudi en hiver desservent tous les points
mentionnés ci-dessous. — De Batoum à Odessa : en été, les
mardi et jeudi à 4 heures du soir, et le samedi à 8 heures; en
hiver, le jeudi à 4 heures, et le samedi à 8 heures, le bateau
du mardi touchant à Soukoum-Kaleh et à Novo-Rossiisk, celui
du jeudi seulement à Novo-Rossiisk, et celui du samedi à tous
les ports. — Prix : d’Odessa à Novo-Rossiisk, 25 r., 19 r., et
6 r. 40; à Touapsé, Sotchi et Soukoum-Kaleh. 34. 26 et 8; à
Poti, 38, 30 et 9.60; à Batoum, 39, 30.50 et 9.80, nourriture com-
prise, moins le vin. Durée du trajet : 95 heures environ.
Route 1. — En venant d’Odessa par Sébastopol,.
Théodosie, Kertch1, c’est seulement au delà de l’embou-
chure du Kouban, qu’on aperçoit la grande chaîne
du Caucase, qui borde la côte sur une longueur de
400 kil. On est frappé du calme qui règne sur les ver-
sants des montagnes couverts de forêts. Le nombre des.
habitations est bien réduit depuis l’émigration des
Tcherkess; on voit seulement de temps à autre les rui-
nes d’une forteresse ou quelque récente colonie russe.
Le bateau touche vers minuit Anapa (6,782 hab.).
Poste . Télégraphe. Cette ancienne place forte tur-
que fut prise par les Russes dans la guerre de 1828-
1829, et ceux-ci la supprimèrent temporairement en 1860
au profit deTemrouk, le chef-lieu administratif de la
péninsule deTaman. A cette époque, Temrouk était une
simple stanitza de Cosaques, groupant des maisonnettes
sur une colline d’environ 75 m. de hauteur, au milieu
de l’isthme allongé qui sépare deux étangs en commu-
nication avec le Kouban. C’est dans le voisinage que
s’élèvent en cinq groupes distincts, les principaux vol-
cans de boue de la péninsule de Taman : on en compte
plus d’une centaine, qui d’ailleurs se déplacent facile-
ment; depuis quelques années les boues de ces volcans
sont utilisées pour le traitement des douleurs rhuma-
tismales. On arrive vers le matin à Novo-Rossiisk
(8,000 hab.). Poste. Télégraphe . Hôtel Arménien.
1. Compagnie de navigation sur la mer d’Azofï et la mer
Noire. — Service régulier entre Rostofï. Kalatch et vice versa
— Service hebdomadaire entre Rostofï et Théodosie et vice
versa, avec escales à Taganrog, Marioupol, Berdiansk, Kertch ;
entre Rostofï, Kertch, Temrouk et vice versâ. (Pour rensei-
gnements, prix, heures de départ et d’arrieée, consulter les
tableaux de la Compagnie.)
GUIDE AU CAUCASE
0
Fabriques de ciment , de tonneaux . « Standard russe. )>
Ce port, relié par une voie ferrée au chemin de fer de
Rostofï-Vladikawkaz, est situé près de la jolie baie de
Tzémess, où malheureusement souffle souvent « le bora»,
violent vent du N. Pour y remédier on a commencé la
construction d’un port artificiel au fond de la baie. En
dehors de l’exportation des produits agricoles de la
Ciscaucasie, Novo-Rossiisk, qui appartient à la
Russie, depuis 1829, et que les Alliés bombardèrent
en 1855, semble appelé à jouer un certain rôle pour
l’exportation du naphte, qu’on trouve en plusieurs
endroits de la vallée du Kouban.
La route de Novo-Rossiisk à Soukoum-Kaleh, le
long de la mer Noire, construite par le général Annen-
kofï, est terminée. Cette route serpente sur une cor-
niche incomparable, au milieu de beaux sites et de
la masse imposante des montagnes de l’Abkhazie; il
n’y manque que de confortables hôtels pour attirer les
étrangers.
Route 2. — De Novo-Rossiisk à Tikhoretskaïa
(254 v.), en chemin de fer . ( Voir ces noms à l3 iti-
néraire E. Route 2 .)
Route 1 (suite). — Le bateau touche ensuite à
Djoubja , petit village d'où part un chemin menant par
la montagne à Ekathérinodar . Les montagnes s’élèvent
peu à peu. Elles atteignent déjà environ 1,000 m. à
Touapsé ; de cet endroit une route mène à Maïkop.
Au delà de Psèzouapé , fortin russe, on aperçoit quel-
ques cimes neigeuses de la chaîne centrale. Puis vient
Sotchi (100 hab.) qui passe pour occuper l’emplacement
de l’ancien Nisis. La végétation y est luxuriante et l’en-
droit est un des plus humides de la côte. Après Adler ,
apparaît Pitzounda ou Bidchwinta , l’ancienne Pythuis
des Byzantins, et qui tire son nom de la quantité do
pins tutuç, au milieu desquels elle est bâtie. Ce fut
jadis une ville importante ainsi qu’en témoignent les
ruines des environs. Une église byzantine d’assez
grandes proportions, sans ornements, à assises alter-
nées de pierres et de briques, a été restaurée en 1869 et
1885 par le gouvernement russe. Le plan et le dessin
ont été publiés par Dubois de Montpéreux. On a long-
10
GUIDE AU CAUCASE
temps attribué la fondation de l’église de Bidchwinta
■à Justinien Ier (VIe s.) Les auteurs géorgiens n’en
parlent cependant pas avant le XVe s. L’édifice,
-dans son état actuel, n’est pas antérieur au XIIe s.
Siège du catholicat d’Abkhazie, jusqu’au XVIIe s.
et ayant possédé plus de 3,000 serfs et de grandes
richesses métalliques, l’église a conservé quelques
peintures murales. L’autel était recouvert de plaques
de marbre ressemblant beaucoup, pour le travail,
à celles de l’église de
Khopi. ( Voir ce nom à
l'itinéraire H.) L’image
dite « de Bidchwinta »
est déposée au monastère
de Ghélath. ( Voir ce nom
à l'itinéraire J.) C’est
au monastère de Pit-
zounda que se rendait
saint Jean Chrysostôme
exilé , lorsque la mort
l’atteignit. Ce lieu de
bannissementdes Byzan-
tins devint ensuite pour
PITZOUNDA. — D’après Elisée Reclus, les Génois OU Djinoves
l’entrepôt commercial le
plus actif de la côte, et de là surtout partaient les trafi-
quants et les missionnaires italiens qui ont laissé dans
le Caucase occidental tant de traces de leur séjour :
églises; tours de guet, armes ornées de légendes
françaises et latines, monnaies, etc.
Le bateau, après s’être arrêté à Goudaout et à Novi-
Afon , couvent fondé en 1876 par les moines du mont
Athos, entre à Soukhoum-Kaleh (1,900 hab.). Poste.
Télégraphe. Hôtel de Tifiis . Simple bourgade malgré
son rang de chef-lieu de district militaire, l’excellence
de son port profond et défendu des vents, la douceur
de son climat et la richesse de sa végétation. Là pour-
tant s’élevait, disent la plupart des archéologues russes,
la ville hellénique consacrée aux Dioscures par les
Milésiens, il y a trente-deux siècles. Il semblait natu-
rel, il est vrai, de chercher Dioscurias plus au Sud, à
GUIDE AU CAUCASE
11
l’endroit où se trouve le village d’Isgaour ou Iskouriah ;
mais on ne trouve que peu de débris anciens dans le
voisinage du cap, tandis qu’une cité grecque existe, en
grande partie du moins, à plusieurs mètres de profon-
deur dans les eaux de Soukhoum ; des restes de ca-
naux, de routes, de constructions anciennes se voient
dans tous les environs, et ce sont les débris de monu-
ments grecs que les Osmanlis employèrent en 1787
pour bâtir la forteresse de Soukhoum détruite avec la
ville pendant la guerre de 1877. Même dans les meil-
leures années, le commerce de Soukhoum, importa-
tion et exportation, n’atteint pas la valeur d’un mil-
lion de francs; les marins se livrent à la fructueuse
pêche des dauphins. Au nord de Soukhoum se voient
les vestiges d’un mur qu’on dit avoir eu 60,000 pas de
longueur, et qui aurait été construit au Ve siècle pour
défendre les viJles du littoral contre les Abkhazes.
Dans la vallée de la Gounista, à deux heures de Sou-
khoum, se trouve une curieuse grotte de stalactites 1 .
Après un court arrêt à Otchemchiri, le bateau passe
devant Anaklia et Redout-Kaleh , dont le nom bizarre
se compose de deux mots ayant le même sens, l’un en
français, l’autre en turc C’est un petit port du littoral
et un pauvre village de fondation russe, qui date seule-
ment de ce siècle. Il eut une certaine importance
comme lieu de débarquement, quoiqu’il ne présente
qu’un mauvais ancrage et que la contrée soit assez
fiévreuse. Voisin des riches campagnes du bas Ingour
où se trouvent les bourgs populeux de Zougdidi, Djwari,
Tsalendjikha enrichis par leur maïs et leurs soies
grèges, Redout-Kaleh est aujourd’hui presque entière-
ment abandonné. On aperçoit quelque temps le dôme
de neige de l’Elbrouz que cachent d’ordinaire les géants
de la chaîne centrale. Le quatrième jour, le bateau
mouille devant Poti.
(4,800 hab. ) Poste aux lettres. Télégraphe , Hôtels de Col-
chide, du Caucase. Chambres meublées. Justice de paix, arsenal,
ateliers du chemin de fer, club, jardin public et botanique,
1. Il y a dans la vallée presque inhabitée du Khodor, qui a
son embouchure au sud de Soukhoum, une route neuve
menant dans la vallée de la Téberda , par le col de Kloukhorski ;
à l'Elbrouz , par le col de Nakhar.
12
GUIDE AU CAUCASE
ruines d’une forteresse turque. Ecole de marine; deux écoles
russes; une école grecque; trois églises orthodoxes. Vice-con-
sulats d’Allemagne, de Turquie.
Placé à l’embouchure d’un fleuve navigable et dans
une région qui, quoique fiévreuse et marécageuse, est
dffine étonnante fertilité, Poti était naturellement des-
tiné à devenir tête de ligne du chemin de fer transcau-
casien et le port commercial russe le plus important de
la côte orientale de la mer Noire. Malheureusement,
une barre dangereuse, des bas-fonds et l’ensablement
du Rion (Phasis) entravent perpétuellement la naviga-
tion. De grands travaux ont été entrepris depuis 24 ans
pour la construction d’un port artificiel. On a terminé
les môles permettant aux bateaux à vapeur de venir
à quai, mais ils sont insuffisants pour la sécurité des
mouillages et le mouvement commercial. En effet,
l’exportation serait disposée à prendre cette voie plus
économique au point de vue des frais de transport que
celle de Batoum, si elle offrait plus de facilités et moins
d’aléa. Non loin de Poti et près de l’embouchure du
Rion, s'étend le lac Paléostom (( ancienne bouche »,
que l’on croit avoir été, à l’époque hellénique, le mari-
got où se jetaient les eaux du Phase. D’après Vak-
houcht, qui écrivait au siècle dernier, le Paléostom
communiquait alors avec la mer par un grau navigable,
et les vaisseaux pouvaient y pénétrer et y chercher un
abri. Dans les endroits les plus creux la sonde y trouve
GUIDE AU CAUCASE
13
plus de 20 mètres de profondeur ; mais presque partout
les bords du lac sont plats et se prolongent au loin par
des bas fonds de boue ; l’eau est limoneuse, pleine de
débris organiques. La faune du Paléostom est encore
partiellement marine, quoique les eaux ne soient plus
même saumâtres : on y trouve des balanes, des néréi-
des, des némertes, comme dans les flots salés du Pont-
Euxin. Une flèche de sable parfaitement régulière
sépare ce lac de la haute mer et se continue au loin
vers le Nord. Les eaux du Rion, de même que celles
de l’Ingour et de toutes les autres rivières de la côte
mingrélienne ont percé cette flèche de dunes, puis elles
l’ont dépassée, et les alluvions déposées par le courant
en dehors de cette barre primitive ont empiété sur la
mer par une faible saillie, à laquelle un nouveau liseré
de plage s’ajoute chaque année. Le delta du Rion, de
même que celui du Pô et de la plupart des autres
fleuves qui se sont échappés par l’ouvertured’un cordon
littoral, ne commence qu’en dehors de cette porte : les
eaux ont dû se réunir en amont de l’obstacle pour le
percer en commun.
Route 3.— DePoti à Tiflis par Samtredi (289 v.)
en chemin de fer ; trajet en 14 h. environ, prix: 16 r. 50,
12 r. 22, 6 r. 25. ( Voir de Poti à Samtredi , itiné-
raire H .)
Route 4. — De Poti à Soupça (17 v.) en omnibus
ou phaéton . Départ quotidien à 3 h. après midi ; prix
1 r.; trajet en 1 h. 1/2.
Route 1 (suite). — C’est dans la matinée du cin-
quième jour qu’on aborde à Batoum (17,000 hab.).
Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe en toute
langue. Hôtels de France, d’Europe, Impérial, de Londres,
d’Odessa, Central. Restaurants, cafés grecs et turcs sur le quai.
Résidence du gouverneur, justice de paix, club russe, jardin
public, théâtre; trois églises orthodoxes, une grégorienne,
une arméno-catholique ; deux mosquées; une école. Fabriques
d’estagnons et de caisses pour le pétrole. Deux fabriques de
tabac. Agences et Compagnies de navigation : Messageries
maritimes françaises, Paquet, Compagnie russe, Lloyd austro-
hongrois, Danoise, Panhellénique. Compagnies russes d’ex-
péditions et d’assurances : Nadiejda, Rossiiski Obchestva,
Russia, Roussianine, etc. Consulat général de Turquie; de
Perse; vice-consulats de France, d’Angleterre, d’Allemagne,
14
GUIDE AU CAUCASE
d’Autriche, de Belgique, d'Italie; Consulats de Grèce, des
Etats-Unis, de Suède et de Norvège
Bateaux à vapeur. — Compagnie russe de navigation :
Départ pour la Crimée, Odessa, voir page 7 ; pour Constan-
tinople: le lundi à 7 heures du matin, avec escales à Trébi-
zonde, Kérasonde, Samsoun, Sinope et Inéboli, et arrivée
le samedi à midi. (Départ de Constantinople : le mercredi
à 10 heures du matin; arrivée le dimanche matin). Lloyd
austro-hongrois : un dimanche sur deux, à 6 heures du soir ;
arrivée le mercredi à 1 h. 1/2 du soir ; de Constantinople, un
samedi sur deux, à 3 h. du soir; arrivée le mercredi à 6 h. 1/2
du matin); Messageries maritimes françaises : un vendredi
sur deux, arrivée le mercredi (de Constantinople , idem). Prix :
37 r., 28 r. et 9 r. 15. Compagnie Paquet : Service entre Mar-
seille et Batoum et vice versâ. Départ, le jeudi de chaque deux
semaines, de Batoum pour Trébizonde, Samsoun, Constan-
tinople, Marseille. Compagnie Pdnhellénique. Départ de
Batoum tous les quinze jours le lundi à 7 h. du soir.
En entrant dans le port de Batoum on jouit d’une
vue magnifique de la chaîne du Caucase et des monts
d’Adjarie. Abritée de trois côtés, la baie qui a plus de
trois verstes de large et une profondeur qui varie entre
30 et 70 pieds, est exposée au vent du N. qui cause
souvent de grands ravages dans la ville et des avaries
aux navires à l’ancre. Mais lorsqu’on aura achevé de
construire des jetées et des môles qui feront dévier les
sables et les cailloux en pleine mer et empêcheront la
rade d’être peu à peu comblée par les alluvions du
Tchorok et par celles du courant sous-marin qui descend
le long de la côte orientale, Batoum pourra présenter
toutes les conditions d’un bon mouillage et deviendra
un des ports les plus commodes de la mer Noire.
Batoum, aujourd’hui place forte de la Russie, et
défendue par de redoutables batteries, était connue
400 ans avant notre ère. Au XIe s. ap. J.-C.,
sous l’empereur Adrien, elle servait aux Romains
de station militaire et avait une citadelle avec une
garnison. Plus tard, au Ve s., elle entrait dans les
possessions du roi de Géorgie Vakhtang Gourgaslan.
Aux VIe, VIIe et VIIIe s., la ville et la province
furent gouvernées par les princes régnants de Colchide
et d’Abkhasie. Lors de l’unification du peuple géorgien
et de la formation du royaume de Géorgie, la ville et la
province faisaient partie de la Klardjétie ou Haut-
Karthli et furent administrées par un éristhavi (gou-
GUIDE AU CAUCASE
15
verneur) géorgien. Puis, après le démembrement de la
Géorgie, au XVe s., sous le gouriel Kakhabéri, les
Turcs conquirent tout le Djanet ou Lazistan et s’appro-
chèrent du Tc-horok. Chassés de Khopiet d’Archkavi en
1564, par le gouriel Rostoin, les Turcs, au commen-
cement du XVIIe s., se rendirent maîtres du Lazis-
tan et de la province de Batoum qui devint la ville
principale delà Livanie ou sandjak de ce nom. Décrite
au XVIIIe s. par le géographe Vakhoucht, comme
ayant une belle citadelle, cette ville, quand Dupré la.
BATOUM. — D’après la carte d’Elisée Reclus.
visita en 1807, n’avait que 2,000 hab., des maisons
dispersées et plutôt l’aspect d‘un grand village. Aucune
fortification ne défendait sa rade. Une tour en bois, sur
des fondements de pierre, avec un fossé autour, et sans,
canons, se dressait à l’entrée du bazar composé d’une
cinquantaine de mauvaises boutiques.
En 1873, Batoum était la principale ville du pacha -
lik du Lazistan, gouvernée par un mutessarif dépen-
dant directement du vali ou gouverneur général de
Trébizonde. Ce pachalik comprenait onze kazas ou
districts: Batoum, Tchourouk-Sou, la Haute-Adjarie,
la Basse-Adjarie, Matchakali, Livanie, Goniê, Khopi,
Archkavi, Emchina et Atina, administrés chacun par
16
GUIDE AU CAUCASE
un kaïmakam ayant à sa disposition deux ou trois
moudirs , qui correspondent à nos chefs d’arrondisse-
ment. Outre le pacha, à Batoum se trouvaient le med-
jiiis ou conseil de gouvernement, le kaïmakam , le
tribunal, la douane et le quartier-général du bataillon
qui construisait la forteresse. Il y avait deux écoles,
l’une turque et l’autre grecque, trois mosquées et une
église orthodoxe dédiée à saint Nicolas. Près du port
se voyaient des magasins et quelques constructions
particulières, entre autres la maison du vice-consul de
Russie avec un joli jardin, et l’hôtel dulaze Mahmoud,
dans le goût turco-européen, avec une fontaine, des
bains., etc. Cette partie de la ville allait rejoindre les
bazars indigènes composés de boutiques derrière les-
quelles commençait le faubourg, aussi clairsemé que du
temps de Dupré.
La ville de Batoum prête peu aux descriptions. Elle
ne peut être désignée que comme le point où pourrait
se développer dans l’avenir une grande ville maritime
qui, tête de ligne d’un chemin de fer, est susceptible,
par sa position au bord de la mer et par son port, de
devenir une voie de commerce importante pour la
Transcaucasie, l’Asie-Mineure et la Perse. Grâce aux
grands travaux des Russes, Batoum a déjà cependant
l’air d’une ville européenne. De grandes rues pavées,
un boulevard, un jardin public, des conduites d’eau et
un éclairage suffisant y rendent le séjour assez agréable,
quoique le climat soit très fiévreux. La ville se compose
de trois quartiers, celui de PO., celui du Centre ou
vieux bazar et celui du N.-E. Le quartier O., le plus
vaste, avait été abandonné par le gouvernement turc
aux émigrés Abkhazes et Tcherkess qui s’y étaient
installés dans des maisonnettes en bois. Après l’occu-
pation russe, on a proposé aux émigrés de se réunir et
de former un quartier à part. On leur a donné de
petites bandes de terre, de manière que les trois quarts
de Nourié sont restés libres et ont été distribués aux
fonctionnaires plus ou moins aisés de Batoum, afin d’y
hâter la construction des maisons. C’est ainsi que de
1879 à 1880 s’est éveillée une activité fiévreuse de bâtir.
Vu le manque de bois, on a fait venir ciment de Port-
GUIDE AU CAUCASE
17
land, briques, tuiles de Marseille. La spéculation s’en
mêlant, on a rapidement remplacé les chétives baraques
de bois par des maisons à plusieurs étages. La partie
centrale de Batoum, c’est l’ancienne ville ou le bazar
proprement dit, au milieu duquel est la maison du
gouverneur avec un petit jardin. Entre le quartier
N.-E. de la ville et le pied de la chaîne des montagnes,
s’étend une vaste plaine limitée au N. par les rivières
Barzkhanaet Korodéré et qui occupe une surface de
plus d’une verste carrée. Abondamment arrosée par les
ruisseaux venant des hauteurs voisines, cette plaine
ensemencée de riz était maintenue couverte d’eau
pendant les atroces chaleurs des mois d’été. On com-
prend quel foyer d’empoisonnement fébrile avait
Batoum à ses côtés. Dès l’occupation russe, il a été
défendu de semer du riz et on a commencé à dessécher
la contrée» Les vents de mer chassant les émanations
miasmatiques des marais du S. -O. au N.-E., les
quartiers bas du littoral et la partie occidentale de la
baie jouissent d’un air relativement salubre. Pendant la
domination turque, Batoum, en l’absence de population
suffisante (en 1873 : 4,970 âmes) et de communications
intérieures , ne faisait qu’un commerce restreint.
Aujourd’hui la ville prospère par suite de la grande
affluence d’habitants du Caucase et d’étrangers, sur-
tout grâce à l’essor donné à l’industrie du naphte et
à la construction du chemin de fer qui relie la mer
Noire à la mer Caspienne. En 1885, la Russie a
supprimé la franchise de Batoum, qui, en vertu de
l’article 59 du traité de Berlin (1877), avait été déclaré
port franc.
Excursions: 1° Au S. de la ville (1 verste 1/2), un
petit lac très poissonneux qui s’est formé probablement
pendant l’époque historique par suite du flux de la mer
et des alluvions apportées par le Tchorok ;2Ü les ruines
de l’église Saméba (5 v.), sur le haut d’une montagne,
entre la chaîne de Kakhabéri et de Makhine-Djaouri.
On jouit de là d’une jolie vue sur la mer ; à droite
s’élèvent en ressauts les rameaux de la chaîne de Tcha-
khali, en Kobouléti; à gauche se dessine l’embouchure
du Tchorok avec son triple delta et le lac entre cette
2e PARTIE
2
18
GUIDE AU CAUCASE
rivière et la ville ; 3° (à 3 v.) les ruines dites « Zamok
Tamary » ( château de Thamar ) ; 4° une promenade
intéressante à faire, mais avec escorte, est celle de la
vallée du Tchorok .
ITINÉRAIRE G 1
D’ASTRAKHAN a BAKOU PAR LA MER CASPIENNE 2
476 milles marins (881 kil.) - Bateaux à vapeur de la Compa-
gnie Caucase et Mercure. Départ &’ Astrakhan les dimanche,
mardi et jeudi à 10 h. du matin. Trajet de 55 h. Départ de
Bakou les mercredi, vendredi et samedi à 1 h. du soir; arrivée
à Astrakhan les samedi, lundi et mardi à 3 h. du soir. Prix :
29 r., 19 r., 7 r. 70. Bagages: 70 kopeks par poud.
Route 1. — Astrakhan (70,500 hab.). Poste. Télé-
graphe. Hôtel Smirnofï, restaurant Poliakovitch ; jardin
public; voitures 20 à 40 kop. la course. Cette ville,
chef-lieu du gouvernement d’Astrakhan, siège des au-
torités civiles et militaires, clevêchés gréco-russe et
arménien, résidence d’un grand-prêtre bouddhiste, est
située dans le delta du Volga, sur File accidentée de
Saïatz et à 60 v. de l’embouchure du fleuve dans la mer
Caspienne (le principal bras du Volga mesure en cet
endroit 1420 m. de largeur, 11 m. au-dessous du niveau
de la mer Noire). C’est un grand centre de commerce,
et la population très mélangée se compose de Russes,
d’Arméniens, de Persans, de Tartares, etc. Un tiers
des habitants ne vit guère que de la pêche qui produit
annuellement environ 6 millions de pouds de poissons,
1. D’après Bædeker.
2. Société de bateaux à vapeur sur le Volga . Service régulier,
entre Nij ni- Novgorod et Astrakhan par des bateaux rapides,
et, entre Astrakhan et les ports de la mer Caspienne, par
des paquebots portant voyageurs et marchandises. Les dix
vapeurs de la Société sont de type américain et offrent aux
voyageurs toutes les conditions de confort et de luxe. Durée
du trajet des bateaux rapides: (montée du Volga) 5 jours;
(descente) 7 jours. Compagnie de navigation à vapeur et de
commerce A. A. Séveke. Bateaux à vapeur, de type américain.
Départs réguliers de Nijni-Novgorod pour Astrakhan, les mardi,
vendredi et dimanche; et d’Astrakhan pour Nijni-Novgorod, les
lundi, mercredi et vendredi. — ( Pour plus amples rensei-
gnements s'adresser aux Agents , et consulter les horaires des
Compagnies.)
GUIDE AU CAUCASE
19
20
GUIDE AU CAUCASE
surtout des esturgeons, représentant une valeur de
7 millions de roubles.
Astrakhan a été fondé au XIVe siècle, quand Tamer-
lan eut détruit la vieille ville située environ 10 v. plus
au N. sur la rive droite du Volga, et elle a été jusqu’à
la conquête russe, en 1554, la capitale d’un khanat
tartare. Cette ville prit, en 1605, le parti du faux Dmitri, v
fut vainement assiégée en 1660 par lesTartares et prise
en 1670 par Stenka-Razin, chef des Cosaques rebelles
qui profita de la mort d’Alexis Alexéïevitch, fils aîné
du tsar Alexis pour soulever tous les pays du Volga
jusqu’à Arzanass, à 100 v. au S. de Nijni-Novgorod.
Pierre le Grand (1689-1725) fit d’Astrakhan sa base
d’opérations dans ses combats avec les Persans, et y créa
des chantiers de construction, source première de l’im-
portance qu’elle a acquise.
La partie la plus élevée de la ville, le Tsaïatchi Bou-
gor, est occupée par le kremlin qui a été construit avec
les matériaux de l’ancienne forteresse tartare, de 1582
à 1692, et qui avait des tours dont deux seulement sub-
sistent encore. Il reste également peu de chose de
l’enceinte de la Ville Blanche qui y touchait à LE. Les
nombreux faubourgs, dont le plus ancien est la Ville
tartare , sont si bas qu’il a fallu élever des digues pour
les protéger contre les inondations du Volga.
La Cathédrale Ouspenskhy , commencée en 1646, est
le principal édifice d’Astrakhan. Elle a un grand dôme
d’environ 64 m. de haut et un clocher isolé. Elle se
compose d’une église haute , dont les colonnes, les
murs sont revêtus de stuc, l’iconostase de peintures ou
d’ornements en argent, et d’une église basse qui con-
tient des sarcophages d’archevêques et de princes
géorgiens. De la cathédrale, en suivant la Moskovaskïa,
principale rue de la ville et où il y a beaucoup de bou-
tiques arméniennes, on arrive au Vieux Bazar et à la
Cathédrale arménienne . Dans la Politséïskaïa, se trouve
une mosquée persane. Au vieux port, dont les chantiers
ont été transférés en 1867 à Bakou, se voit, dans une
allée ombragée, la maison de Pierre le Grand qui
renferme divers souvenirs du tsar.
— Vu le peu de profondeur du Volga, on est d’abord
GUIDE AU CAUCASE
21
transporté par de petits bateaux à son embouchure,
en 6 h. (50 milles), à Birioutchia-Kossa où Ton monte
à bord des paquebots de la mer Caspienne. On fait un
trajet de 223 milles en 19 h. sans arrêt j usqu’à Pétrovsk
(Voir ce nom aux itinéraires F, O, P), petit port russe
de fondation récente, dont la rade est protégée par deux
longues jetées, et qui va devenir tête de ligne d’un
embranchement du chemin de fer de Rostofï-Vladi-
kawkaz. Il n’y a de curieux que le bazar. Dans la soi-
rée du deuxième jour, on atteint Derbent (Voir ce nom
aux itinéraires F, O, P),
port de la province du Da-
ghestan et ville nommée
aussi la « Porte de Fer »
parce qu’elle est située à
l’endroit où il était le plus
facile de défendre la seule
route qui conduisait vers le
N. en longeant les monta-
gnes. En contournant la
presqu’île d’Apchéron, on
arrive, après 17 h. de traver-
sée, a Bakou. (Voir ce nom BAKOU. D’après la carte d’Élrsée Reclus
aux itinéraires D, F, O, P).
Routes 2, 3 et 4. — Une grande route postale
relie jusqu’à présent Pétrovsk et Vladikawkaz (311 v.
1/2); un chemin de fer est en construction ; un autre
mène au S. à Témir-Khan-Choura, chef-lieu du Da-
ghestan, d’où l’on peut aller à Gounib. De Témir-Khan-
Choura, une route conduit à Derbent (143 v. 1/2) et
à Bakou (380 v.). Voir aux itinéraires F, O, P.
ITINÉRAIRE D
DE BAKOU A TIFLIS PAR EVLAK, NOUKHA, ZAKATAL,,
SIGNAK
Route 1. — De Bakou à Tiüis par Evlak (en
chemin de fer). Noukha, Zakatal, Signak ( route
postale). Voir ci- dessous.
Route 2. — DeBakouà Adji-Kaboul, Kiourdamir,
Oudjari, Evlak (en chemin de fer). Voir itinéraire O.
GUIDE AU CAUCASE
Route 2 (suite). — D’Evlak à Noukha (77 y. 3/4)
en équipages de poste ou en phaéton.
On trouve souvent à Evlak des phaétons, retournant à vide
à Noukha, qu’on peut louer pour 7 à 9 roubles, et des fourgons
pour les bagages.
On passe la Koura sur le pont du chemin de fer;
après une plaine n’offrant rien de curieux, on entre dans
le village tartare Kaldane (13 y.) Franchissant à gué
l’Alzégaine, on traverse encore une plaine pendant
6 y., et gravissant un monticule aride que l’on
redescend jusqu’à Khanabatli, on se dirige vers Tcha-
makly (12 v.). Jusqu’à Chouchemine(19 v. 3/4), station
jadis fortifiée, incendiée en 1883, on parcourt une route
assez pittoresque à travers des montagnes de sable d’un
effet bizarre, le lit d’un torrent et quelques hauteurs.
Jusqu’à Epékli (14 v.) on longe les villages du Grand
et du Petit-Daana ; à gauche, un assez grand lac d’eau
salée dont les herbes et les plantes aquatiques servent
à faire de la soude d’assez mauvaise qualité. Après le
pont de pierre jeté sur le Tacharet-Tchaï, on atteint
Djafarabath. Près delà est le magnifique jardin de
l’ancienne résidence des Khans. Par Tacha-Boularki,
on entre dans le faubourg de Noukha nommé Kichlar.
Noukha. (11,000 hab. 6,500 tatares, 4,500 arméniens). Deux
glises arméniennes, une russe; cinq masquées. Poste aux
GUIDE AU CAUCASE
23
lettres et aux chenaux. Télégraphe. Pas d’hôtel; il faut des-
cendre à la station de poste et user des provisions qu’on a eu
le soin d’apporter avec soi. On trouve à acheter à Noukha
des broderies, des soutaches de soie sur drap, des étoffes
lesghiennes et quelques armes.
La ville, en amphithéâtre, est assez mal bâtie, sale,
et paraît assez grande grâce aux nombreux jardins qui
s’y trouvent. Dans la forteresse, construite en 1765
par Houssein, est l’ancien palais des Khans, décoré de
fresques fort abîmées aujourd’hui. Il sert de résidence
au gouverneur et aux notabilités de passage. Une
vieille chapelle arménienne qui est à Kiche, à 4 v. de
la ville, est un lieu de pèlerinage assez fréquenté. Le
commercede Noukha était jadistrèsimportant. En 1851,
il s’y vendait 21,000 pouds de soie; mais depuis la
maladie des vers, en 1862, cette branche de revenus
semble avoir diminué.
Route 2 (suite). — De Noukha à Zakatal (68 v.
en équipages de poste ou en phaéton . Prix : 8 à i0 r.).
— On franchit à gué le torrent de Hobi et celui de
Kich-Tchaï. A droite, un joli hameau: Kournouk. On
traverse Karaboulak et on laisse à gauche, sur le
flanc de la montagne, Innectmt et Zounoute. Entre
ces deux localités, un chemin pour cavalier conduit en
dix heures, par des raccourcis, à Akhti. On arrive
à la station de Gennuk (18 v. 1/2). De là on descend
directement sur Belladjik ; on passe à gué le petit
cours d’eau qui sépare le district de Noukha du
gouvernement d’Elisabethpol et on entre dans le dis-
trict de Zakatal. Une oasis de mûriers entourée de
murailles sert d’asile aux caravanes et aux voyageurs
qui ne pourraient traverser le torrent de Kormouk,
de plus d’une verste de large et qui roule souvent
des pierres énormes et des arbres entiers. La riante
et petite ville de Kak, habitée par des Tatars, des
Lesghiens, des Arméniens et des Géorgiens, est
renommée pour ses noisettes et ses noix exquises. Le
bazar est dans une enceinte crénelée à cause des fré-
quentes incursions qu’y faisaient les Lesghiens. On
peut visiter non loin de là Ellisoune avec sa vieille
forteresse, résidence de quelques khans qui reçoivent
tous les voyageurs de la façon la plus courtoise. De
24
GUIDE AU CAUCASE
Kak, une grande plaine coupée par l’Alazan se
déroule à gauche et est semée de villages. La station de
poste de Gulluk (19 v.) se fait reconnaître par ses deux
énormes platanes. En la quittant, on aperçoit deux hau-
teurs en forme de pains de sucre. C’est là que s’élève
Tsarsky-Kolodtsi. ( Voir ce nom itinéraire K.) C’est
là aussi que sont les puits de pétrole appartenant à
MM. Siemens. Des champs de blé bien cultivés
entourent Talla, et bientôt se dresse la forteresse de
Zakatal qui domine la vallée de l’Alazan. Un pont
souvent emporté, a été jeté sur le torrent qui coule au
pied de la ville ceinte de murailles, et débouche devant
une école des arts et métiers où les enfants lesghiens
apprennent à travailler le fer et le bois ; à côté : une sta-
tion séricicole toute nouvelle et le jardin de la ville.
Zakatal (3,000 hab.). Deux mauvaises auberges où
cependant Von peut loger et coucher . Poste aux lettre»
et aux chevaux. Télégraphe . Douée d’un climat privi-
légié, et offrant des conditions de vie exception-
nelles, cette petite ville, incendiée en 1875 et rebâtie
depuis, fut le foyer d’une insurrection lesghienne il
y a quelques années, et les maisons portent encore
les marques des balles. Tous les environs sont magni-
fiques; les montagnes d’alentour boisées; les pâtu-
rages superbes ; l’eau excellente, le laitage exquiâ. Le
pays est giboyeux; les truites des torrents excellentes.
Près de Zakatal est Djar, résidence d’été, et Danatchi
qui étend au loin ses vertes prairies1.
Route 3. — De Zakatal à Laguodekh (39 v.).
Poste aux lettres et aux chevaux . "Télégraphe . Au
sortir de Zakatal, à droite :1e village de Chakasor, au
pied d’une ancienne forteresse; à gauche: Montgan-
loup, riche aoul tatar sur les bords de l’Alazan. On at-
teint MATZEK,et, après plusieurs torrents qu’on franchit
à gué, on entre à Katek, où se voient encore les vestiges
de la grande muraille qui allait, dit- on, jusqu’à Derbent
et construite aux premiers siècles de l’histoire de la
Géorgie. La route longe ensuite la grande chaîne du
Caucase pendant 22 v. On pénètre dans une tran-
1. D’après les notes manuscrites de M. Lehéricey.
GUIDE AU CAUCASE
chée pratiquée dans la montagne, au bas de laquelle
s’étendent de noirs marécages couverts de roseaux et
peuplés de sangliers. Le torrent de Bélakani, qu’il faut
passer à gué, offre souvent de grandes difficultés à cause
des énormes pierres qu’il roule. De Bélakani (800 feux),
on arrive en 10 v. à Laguodakh1. Cette bourgade
qui ne date que de trente-cinq ans a surgi de la forêt
même qu’éclaircissait, pour y traquer les Lesghiens, la
hache des soldats russes. Bientôt à la forteresse primi-
tive succéda une ville en miniature comptant une
population militaire de 10 à 15,000 hommes, au milieu
de laquelle les familles d'officiers se créèrent un
petit centre social extrêmement vivant. Des églises
russe, arménienne, catholique furent bâties, un club se
forma; une salle de danse, un jardin d’été pour les fêtes
locales s’ouvrirent; sur quoi vinrent les Arméniens
toujours à l’affût des sources de gain, qui dotèrent en
outre la station d’un bazar. Cette prospérité n’eut
toutefois qu’une durée éphémère. En 1877, Laguodekh
était désert, et ce coin ombreux de la belle futaie rede-
venait silencieux. Les régiments qui l’animaient de
leur présence durent quitter leurs gais cantonnements
pour s’en aller à la frontière combattre les Turcs: du
même coup, les maisons se fermèrent, le club fut
abandonné, églises et bazar perdirent leurs clients, et
aujourd'hui le nombre des habitants ne dépasse pas 400.
Seule, la nature environnante n’a point changé: c’est
toujours ce site romantique du Caucase, avec son
arrière-plan de pics glacés, ses vallées fertiles et spa-
cieuses et ses torrents jaseurs, où se reflète, avec les
grands arbres à la forte ramure sur leurs berges, un
pan du ciel asiatique. Même plus splendide encore
apparaît dans son état de négligence ce merveilleux parc
de Laguodekh, taillé dans l’étoffe sauvage du fourré,
et qui, par son étendue aussi bien que par la richesse
et la variété de sa végétation, ferait l’orgueil de mainte
grande capitale et n’a point son pareil dans tout le
Caucase2.
1. D’après les notes manuscrites de M. Lehéricey.
2. D’après Caria Séréna.
:26
GUIDE AU CAUCASE
Route 3 (suite). — De Laguodekh à Signak
(52 v. 1/2. Chaussée .) On traverse une haute futaie
coupée de quelques champs défrichés où se cultive le
tabac. Au bout de 6 v., on franchit à gué le dernier
bras du torrent de Laguodekh; on passe par Mikaï-
loff, village de 150 feux et de 400 hab., avec ses
isbas russes, jadis résidence de vieux soldats, mais
où les Géorgiens ont peu à peu pris la place des Russes.
La route tourne brusquement à gauche. On s’éloigne
des montagnes pour pénétrer dans la longue et magni-
fique forêt giboyeuse des princes Tchalakaïeff. C’est
au milieu des bois que s’abrite la station de Djaour
(14 v. 1/2). Après 19 v., on passe sur un pont la
rivière sablonneuse et poissonneuse de l’Alazan dont
les eaux, si l’on savait les utiliser pour les irriga-
tions, pourraient enrichir toute la contrée. On va
en ligne droite pendant 11 v. par une plaine presque
aride à la station de Sinori, sale village géorgien
où règne la fièvre. De là on aperçoit les murailles
fortifiées et l’enceinte crénelée au milieu de laquelle
s’élève Signak ( Voir pour ce nom C itinéraire K),
perchée comme un nid d’aigle au faite d un pic que
rien ne domine. En gravissant des pentes assez raides,
on pénètre dans une première enceinte, puis dans une
seconde, du haut de laquelle on jouit d un superbe pano-
1 Route 4. — De Signak à Kvaréli (54 v. Chaussée)
par Bakourtziche (15 v 1/2), Moukousani (17 \.),
Kvaréli (21 v. 1/2). .
Route 3 (suite). — De Signak à Tiflis [route pos-
tale), par Kachréti, Kakobéti, Sartachal, Vasiani,
Orkhévi). Près de Signak, on gravit une assez haute
montagne, puis l’on descend dans la plaine. En 21 v., on
est à Kachréti. Jusqu’à Kakobéti (21 v.)les montagnes
de la Kakhétie se dessinent à droite; la route fléchit à
gauche vers l’iora qu’on passe sur un pont de fer, et on
monte à Sartachal (20 v. ).Du plateau qui domine 1 Iora
on voit la colonie allemande Marienfeld, et à 1 horizon
Gambor. Par unecontrée aride, on gagne Vasiani (13 v.
3/4), et au dernier tournant, on découvre la Koura et
Tiflis. J usqu’à Oskhévi (10 v. 1/2) , le trajet est monotone.
GUIDE AU CAUCASE
Ï7
On passe à niveau la voie du chemin de fer, et laissant
à gauche les casernes et les hôpitaux de Naflouk, on
met pied à terre à la place d’Avlabar à Tiflis. ( Voir ce
nom itinéraire K. )
ITINÉRAIRE E
DE ROSTOFF-SUR-DON A VLADIKAWKAZ 1
En chemin de fer : 652 v. Trajet en 27 h. 1/2. Prix
des places : 24 r. 45, 18 r. 34 ; 9 r. 37.
Route 1. — Rostoff-sur-Don. (Buffet), 75,000 hab. Poste
aux lettres. Télégraphe , Douane. Hotels: Grand Hôtel, de
France, d’Europe , Tcholokoff, Ermitage, Saint-Pétersbourg,
Moscou. Succursale de la banque impériale ; banque commer-
ciale et banque urbaine. Cinq églises; synagogue; école
juive; hôpital; hospice; théâtre, fabriques et usines de cons-
truction de machines ; tanneries; corderies; savonneries; dis-
tilleries; brasseries; fabriques de sucre, bougies, macaroni,
tabac, papier à cigarettes ; fonderies de cloches, de méca-
niques, etc. Pêcheries. Etablissements pour la préparation du
poisson. Deux foires : à l’Ascension et le 8 septembre. Con-
sulats d’Allemagne, d’Angleterre et de Turquie.
Depuis qu’elle est desservie par un chemin de fer et
par un service régulier de bateaux à vapeur, cette ville
(tête de ligne des voies de la Caspienne par le nouveau
chemin de fer de Pétrovsk-Vladikawkaz et le Volga,
de la Caucasie parle Don, les mers Noire et d’Azoff)
a complètement changé de physionomie. Des parcs,
des jardins récemment plantés, des boulevards sillonnés
par des tramways, de larges rues bordées de jolis
magasins et éclairées au gaz, des théâtres, des cafés-
concert, ont donné à l’ancien Rostofï une nouvelle vie.
En quittant les faubourgs populeux de la ville, on
traverse sur un grand pont le Don et les marais formés
par les débordements du fleuve. D’innombrables mou-
lins à vent signalent la stanitza Bataïskaïa située à
une verste de la station du chemin de fer. A Kagal-
niskaïa ( buffet ) on passe le Manitch et on entre dans
la steppe triste, nue, inhabitée, qui s’allonge à perte de
vue jusqu’à Stavropol. Ce n’est qu’au printemps,
1. D’après Elisée Reclus, Bædeker, Vladikine et la carte de
Tétat-major russe.
28
GUIDEAU CAUCASE
lorsque l’herbe a poussé et que toute cette plaine
ressemble alors à une immense mer de verdure ondu-
lant sous le souffle du vent, que l’on s’explique la
poésie de l’invocation populaire : (( O toi, ma steppe !
steppe ! steppe de Mozdok ! » etc. Le Manitch qui
reçoit le Kalaous, le grand et le moyen Egorlik, se
dessèche en été et forme une foule de lacs salés dont le
plus grand, qui a 70 v. de long sur 6 de large,
approvisionne de sel le gouvernement de Stavropol.
Bordé d’épais roseaux foù se cachent des sangliers,
peuplé de toutes sortes de gibier d’eau, il sert d’abri
aux Kalmouks voleurs de chevaux. Koustchevka sur
l’Iéia [buffet), Krilovskaïa ( buffet ) sont des stations
insignifiantes ; à Tikhoretskaïa ( buffet ) s’embranche
la ligne de Novo-Rossiisk.
Route 2. — De Tikhoretskaïa à Novo-Rossiisk
254 v. en chemin de fer ; trajet en 11 h. environ. Prix
des places : 9 r. 53, 7 r. 15, 3 r. 66. Stations pour la plu-
part sans importance. Ekatherinodar [buffet). (23,000
hab.). Poste. Télégraphe. Hôtel de Saint-Pétersbourg.
Fondée par Catherine II en 1792, cette colonie de
Cosaques est devenue une place forte et le chôf-lieu de la
provincedu Kouban. Ellefaituncommerce considérable:
plus de 25,000 paysans se rencontrent à ses foires de
mars et d’octobre où se vendent des bestiaux, des laines, .
des peaux et des objets manufacturés, pour une valeur !
moyenne de deux millions de roubles. Ekathérinodar \
possède même 60 usines ou fabriques ; elle expédie ses
denrées d’un côté vers les ports de la mer Noire ; de !
l’autre vers Ye'isk, port de la mer d’Azoff. Cette petite I
ville (23,900 hab. Poste. Télégraphe ) n’existait pas en j
1848. Fondée sur les indications du marin Trifonoff, j
elle se construisit avec rapidité, grâce à la distribution 1
de terrains, aux exemptions d’impôt, à la liberté du
commerce et à l’abondance delà pêche. En dix années,
elle avait près de 20,000 habitants. Ses progrès ont été
plus lents depuis qu’elle est sous l’empire des lois
communes, mais elle est restée la ville la plus popu-
leuse de tout le littoral caucasien. Environ 700 navires f
de cabotage visitent sa rade chaque année pour y !
charger des céréales, des laines, de la graine de lin ; !
CHEMINS DE FER RUSSES
CHEMINS DE FER RUSSES
BATOUM A TIFLIS ET BAKOU — POTI A SAMTREDI
Heure de Saint-Pétersbourg (en retord de 58 minutes sur l’heure de Tiflis).
1012
2 32
6 7
10 2
1 30
matin
soir
4 52
8 32
2 3
5 52
midi24
6 12
10 12
3 32
soir
1 32
4 32
2 59
5 24
3 49
5 36
4 2]
8 47
...
7 17
soir
matin
r.
k.
r.
E7Î
r.
k.i
w.f
De
Batoum
6
60
3
30
2
02
97
8
29
4
15
2
54
126
9
83
4
91
3
01
154
12
49
6
25
3
83
213
16
69
8
35
5
12
325
19
88
9
94
6
10
4131
22
3a
11
20
6
87
502
25
28
12
C4
7
75
607
27
41
13
71
8
41
721
29
63
14
81
9
09
840
Batoum %
Samtredi |^‘
Rion
Kwirilla . . ..
Michaïloff . .
Tiflis....)™;
Akstafa .....
Elisabethpol.
Oudjari
Adji-Kaboul..
Bakou... arr.
8 U
2 27
9 12
8 47
11 50
midi 2
midi 57
2 1
5 28
8 54
noir
min.32
7 13
10 27
1 47
2 r
3 à
4 S
7 38
11 27
midi22
3 38
6 55
10 U
2 27
6 32
matin
Bakou dép.
Adji-Kaboul..'
Oudjari ....
Elisabothpol.
Akstafa
Tiflis....)™;
Michaïloff . . .
Kwirilla
Rion
soir
6 37
min 42
6 32
matin
Samlredi jdép.
Batoum arr.
POTI A SAMTREDI
r. k. jr. k. (r. k. iw.
De Poti
4 24 | 2 13| 1 30 | 61
Poti dép.
Samtredi arr.
8*27
11 32
10°ïz
1 M.
Samtredi dép.
Poti arr.
4 22
7 27
soir
6 2
9 2
RIO
N A KOUTA
is
r. k. | r. k.|r. k.|w.
De Rion
» 56 1 » 29 1 » 17 1 8
Rion dép.
ÜOUtaïS arr.
Tlk
3 il
1 1°?7
1 42
4°47
5 12
Koutaïs dép.
Rion arr.
TS
2M
midi 7
midi 32
3° 42
1 4 7
(a) Mercredi et dimanche ti/uuidami i a m
seulement. TIvWIBUULI A Kl
DUT A i S
r. k.|r. k. |r. k.| w.l
De Tkwibuli
2 81| 1 411 » 861 40
Tkwibouli . . .dép.
Koiltnïs arr.
matin
lla52
3 17
Koutaïs dép.
! Tkwibouli.. . .arr.
6o32
10 2
BAKOU
A
SOURAKHANI
r. k. |r. k. |r. k. | w.l
De Bakou
» 861 » 441 » 261 12
1 28 » 64 ») 39 18
Bakou dép.
Sabountchi...
Sourakhania
marin
6 32
7 14
7 27
matin
9 2
9 32
matin
midi 32
1 2
soit
spir
3 32,
4 17
4 33
soir
Sournkhanid
Sabountchi. . .
Bakou.. , .arr.
matin
7 42
8 10
8 42
matin
matin
9 47
10 17
matin
soir
1 17
1 47
soir
soir
4 47
5 32
6 2
soir
EXTRAIT DU LIVRET-CHAIX
DES CHEMINS DE FER DE L’EUROPE
PARAISSANT TOUè LES MOIS
et publié par la Librairie Chaix
20, rue Bergère, Paris
GUIDE AU CAUCASE
29
mais ils ne peuvent s’approcher de la côte ; c’est à 3 kil.
seulement de la plage qu’ils trouvent une profondeur
d’eau de 4 m. Un petit bateau à vapeur conduit d’E-
kathérinodar à Temrouk d’où un autre bateau mène
aux (( limans )) et de là on peut se rendre à Kertch .
Route 3. — D’Ekathèrinodar à Temrouk et
Taman, route vicinale (207 v. 3/4), par Kopanskaïa
{21 v.), Michastorskaïa (21 v. 1/4), Karaboubans-
kaïa (16 v. 1/4), Kopilskaïa (15 v. 3/4), Emanouï-
lovskaïa (17 v. 3/4), Andréevskaïa (19 v. 1/4).
Temrouk. ( Voir ce nom à V itinéraire R, route 7.)
(24 v.), Pérésipnaïa (13 v. 1/2), Sennaïa (19 v.), Ta-
man (20 v.). La ville de Taman (Poste. Télégraphe )
qui a donné son nom à la péninsule, n’a d’autre avan-
tage que d’être située près de la rive du détroit, en
face de Kertch et de léni-Kaleh ; les côtes voisines
sont basses, inaccessibles à d’autres embarcations que
les bateaux à fond plat. Près de là, au N.-E., se
trouve la forteresse de Phanagoria élevée sur les restes
de la ville grecque du même nom, dont on a décou-
vert quelques débris de murailles et de tombeaux,
moins riches en trésors que ceux de la rive opposée.
Route 2 (suite). — La voie traverse le Kouban, puis
un de ses affluents, tourne à l’O., longe les contreforts
du Caucase et pénètre dans la principale chaîne de
montagnes. Abinskaïa, plus loin Krimskaïa etBAKANs-
kaïa, deux petites places fortes. On passe sous un
tunnel et on arrive enfin à Novo-Rossiisk. ( Voir ce
nom à V itinéraire B . Route 7.)
Route 1 (suite). — Kavkazkaïa [Buffet). On
franchit le Kouban dont les bords sont couverts d’ar-
bustes et de roseaux. Peu à peu les champs de blé
apparaissent. En approchant d’Armavir (buffet), on
voit à gauche la stanitza de Protchnikop qui, en 1830,
était le quartier général du commandant des troupes
du (( flanc droit », le général Zasse. Habitée par des
Arméniens, Armavir (6,388 hab. Poste. Télégraphe)
est un centre de grand commerce en grains et en denrées.
Foires le 1er mai et le 1er septembre.
Route 4. — D’Armavir à Maïkop (route
vicinale , 114 v.) par Ouroupskaïa (13 v. 3/4), Novo-
30
GUIDE AU CAUCASE
Grigorievskaïa (17 v. 1/4), Tchamlikskaïa (11 y. 1/2),
Labinskaïa (13 y. 3/4), Tchokrakskaïa (14 v. 1/4),
Iaroslavskaïa (10 v.), Koujorskaïa (14 1/2).
Maïkop (19 v., 25,512 hab., Poste . Télégraphe ).
1 église, 3 établissements d’instruction ; 78 distilleries,
38 fabriques. Foires les 1er mars, 6 mai et 1er octobre.
C’est la plus importante des stanitzas placées à la base
même des avant-monts caucasiens. Jadis point stra-
tégique de premier ordre comme lieu de rassemblement
des troupes russes qui avaient à traverser les mon-
tagnes ; grand marché pour les denrées de tout le pays,
Maïkop a désormais pris rang parmi les villes de la
Caucasie.
Route 1 (suite). — D’ Armavir à Nevinomiskaïa
(buffet) y 75 v. en chemin de fer , par Konokorskaïa,
Nicolaïevskaïa, Bogoslovskaïa. De la voie, on aper-
çoit les hauteurs de Temnoleskia et de Vorofskoleskia
sur lesquelles s’élève Stavropol. A droite, après le
défilé d’Ouroupa, les maisons proprettes et les champs
bien cultivés des colonies allemandes des ménotistes
contrastent agréable-
ment avec le paysage
monotone qui s’est dé-
roulé depuis Rostofï.
On franchit une se-
conde fois le Kouban.
Le défilé de Zélent-
chouk débouche devant
Névinomiskaïa où une
foule de véhicules, four-
gons , etc. , attendent
les voyageurs pour Sta-
vropol.
Route 5. — De Ne-
vinomiskaïa à Sta-
vropol (route postale,
60 v.). Cette ville de
37,000 hab., chef-lieu
du gouvernement du
même nom, située à 600 m. de hauteur sur une des
terrasses avancées qui flanquent le pied du Caucase,
GUIDE AU CAUCASE
31
n’était à l’époque de sa formation, en 1776 ou 1777,
que le fort « numéro huit », et l’on ne sait quand
elle commença à être désignée communément sous
le nom grec de « ville de la Croix ». Longtemps elle
n’eut d’importance que par sa situation stratégique
sur la ligne des dix forteresses qui gardaient les
plaines de la Ciscaucasie, entre le delta du Don et
la ville de Mozdok. Occupant un espace considérable
sur plusieurs renflements du sol, que séparent les
uns des autres de profonds ravins, Stavropol est deve-
nue l’une des villes les plus propres de la Russie ; ses
eaux courantes arrosent de nombreux jardins, renom-
més pour leurs fruits. Des lambeaux de terre noire
se retrouvent sur la terrasse de Stavropol, et, comme
sur le tchernosyom de la Petite-Russie, les agricul-
teurs y récoltent d’excellentes moissons. Foires le
29 août et le 12 octobre.
Route 6. — De Nevinomiskaïa à la vallée du
Kodor. De Nevinomiskaïa une route conduit dans la
vallée du Kouban à Batalpachinsk, ville de 6,000 hab.
à50v. au S., et connue par une victoire des Russes sur
les Turcs en 1790. De là il y a un chemin carrossable
allant à Outchkoulan dans le Karatchaï à l'O. de
l’Elbrouz, d’où l’on peut franchir le col de Nakar
(2,900 m.) pour descendre par la vallée du Klitch dans
la magnifique vallée du Kodor et de là vers Soukoum-
Kaleh. Il y a encore une route neuve qui part de la
vallée du Kouban à Karamourzina, monte le long
de la Téberda et arrive dans la vallée du Kodor par le
col de Kloukhorsky (2,700 m.) 1 .
Route 1 (suite). — De Nevinomiskaïa à Miné-
ralnia-Vodi {en chemin de fer, 100 v.). En conti-
nuant sur Vladikawkaz, après quelques stations sans
importance, on passe la Kouma qui roule des eaux
bourbeuses et va se perdre dans la steppe. Un pano-
rama original s’ouvre sur la vallée verdoyante de Pia-
tigorsk au milieu de laquelle, comme des îles éparses,
se dressent les monts Geleznaïa, Bechtaou, Machouk,
Sineïka et que domine, au loin, à l’horizon, le pic nei-
geux de l’Elbrouz.
1. D’après Bædeker.
32
GUIDE AU CAUCASE
Route 7. — De Mineralnia-Vodi à Piatigorsk.
{ Buffet , hôtel). Poste aux lettres et aux chevaux. Té-
légraphe. Route postale 20 v. en équipages de poste,
phaétons ou omnibus.
Route 8. — De Piatigorsk à Yessentouki, route
postale 17 y.
Route 9. — De Yessentouki à Kislovodsk,
route postale 20 v.
Route 10. — De Piatigorsk à Geleznovodsk,
route postale 13 v. Prix des phaétons : De Miné-
ralnia-Vodi à Piatigorsk : 3r. , à Yessentouki : 5 r. ;
à Kislovodsk : 8 r. ; Geleznovodsk : 3 r.
Piatigorsk (13,000 hab.). Hôtels des Eaux minérales, d’Eu-
rope, Central. Appartements à louer: 401 r. pour la saison,
c’est-à-dire depuis le 1er mai jusqu’à lin septembre. Cham-
bres meublées, de 15 à 25 r. par mois. Le Comptoir principal
des eaux minérales, un bureau de renseignements, un journal
hebdomadaire : le Listok mlnèralnïa eocli, se chargent d’insérer
les annonces et de donner toutes les indications désirables
pour les locations. Musée géognostique. Théâtre. Club. Bi-
bliothèque. Poste. Télégraphe , Phaétons. drochkis , omnibus,
chevaux de selle, etc. Excursions :à la montagne de Machouk
12 v.); au grand ravin; sur le Bechtaou (7 v.); à la colonie
Karras : à Yaoul arménien (4 v.); à Goriatchevodsky ; aux colo-
nies Constantinovskaïa et Nicolaïevskaïa : au lac salé Tam-
boukane, etc., etc.
La plus grande ville du bassin de la Kouma, Piati-
gorsk (en russe (( Cinq montagnes ») est située à la
base méridionale du Machouk, promontoire avancé du
massif de Bechtaou. Ce cône de porphyre à cinq
pointes, entouré de récifs crétacés, qui se dresse au
milieu des steppes, fut de tout temps, avec les sommets
voisins, les monts du Renard, du Chameau, des Ser-
pents, un point de ralliement pour les nomades de la
steppe. Piatigorsk occupe donc une des parties de la
région caucasienne où se pressaient le plus de tribus
diverses, Kabardes, Nogaïs, Cosaques ; maintenant
elle est devenue un lieu de rendez-vous pour les Russes
de toutes les provinces et même pour des étrangers du
reste de l’Europe.
Piatigorsk s’étend sur un vaste espace dans la vallée
du Podkoumok, affluent méridional de la Kouma,
comme en témoigne son nom qui signifie (( sous la
Kouma ou Petite-Kouma » ; l’altitude moyenne de la
GUIDE AU CAUCASE
33
ville est de 475 m. au-dessus de l’atmosphère insa-
lubre des plaines, et de vastes promenades, des parcs,
des jardins, contribuent à l’assainissement des quar-
tiers. Des hôtels, de jolies maisons, des galeries
couvertes, des magasins où se vendent des tapis de
Perse et de Boukhara, et mille objets importés de Toula
et des usines de France et d’Angleterre, donnent un
peu à Piatigorsk l’aspect des villes thermales d’Europe,
mais la ville russe est plus récente : avant 1830, elle
n’avait pas meme de nom. A la fin du siècle dernier,,
les malades venaient se baigner aux sources de la vallée
sous le feu des Tcherkess. Les grands seigneurs de la
Russie arrivaient accompagnés d’une centaine de ca-
valiers et de domestiques, avec tout un convoi d’équi-
pages, de tentes, d’approvisionnements, et, pendant la
durée de la cure, ils bivouaquaient dans le voisinage
de la source. Maintenant des thermes bien aménagés
s’élèvent au-dessus du lac thermal souterrain et de tous
ses puits jaillissants ; mais le travail géologique des
sources ne se voit plus comme autrefois. Les énormes
bancs de tuf déposés par l’eau, qui étonnèrent le
voyageur Pallas, sont recouverts en maints endroits
par les constructions et les débris, et le gouffre d’effon-
drement quYmplit, à 26 m. de profondeur, un petit
lac fumant, a perdu de son aspect terrible : les bai-
gneurs y descendent désormais par un tunnel, et les
pigeons ramiers qui nichaient dans les anfractuosités
du puits se sont envolés. On dit que cet abîme s’ouvrit
vers 1774, et qu’en même temps le sol se fendit sur
une grande étendue. Yesentoukiet d’autres stations de
bains du groupe de Piatigorsk sont entourées de steppes
infertiles : mais une beauté qu’on ne peut leur ravir
est la vue du massif superbe de l'Elbrouz avec ses
glaciers, ses forêts, ses torrents. De la crête jurassique
du Bermamout qui s’élève à 2,591 m. de hauteur
à 4§ v. au sud-ouest de Kislovodsk et de ses beaux
ombrages, le géant des Alpes caucasiennes apparaît
dans toute sa sublimité : le Bermamout est le mont du
Caucase le plus souvent gravi 1 .
1. L’excursion se fait en une journée: voitures à 2 places,
attelées de 4 à 5 chevaux, avec postillon, 40 r. Il faut prendre
2e partie 3
34
GUIDE AU CAUCASE
Piatigorsk est une des stations thermales où les
eaux sulfureuses, coulant avec le plus d’abondance,
ont reçu des médecins et des malades la plus grande
réputation d’efficacité : à elle seule, cette ville d’eaux
est aussi fréquentée que les cent autres stations ther-
males du Caucase, avec leurs sept cents sources miné-
rales diverses, énumérées par Kodzko. Le groupe des-
eaux de Piatigorsk, en y comprenant celles qui jail-
lissent aux environs, jusqu’à la distance de 40 kil..
PIATIGORSK et le groupe des eaux minérales, d’après la carte d’Elisée Reclus.
présente la série complète des sources dont l’usage
est recommandé par la thérapeutique moderne. Les
vingt sources de Piatigorsk même, dont la température
varie de 29 à 47 degrés centigrades, et qui donnent
ensemble une moyenne de 10 litres par secondes,
représentent le type des eaux sulfureuses. A près cle
20 kil. au N.- O., de l’autre côté du massif insu-
laire des (( cinq montagnes », la station de Geles-
novodskfeau ferrugineuse) indique par son nom même
la nature de ses eaux, très différentes les unes des
des provisions, des couvertures, car on ne rencontre en route
aucune habitation.
GUIDE AU CAUCASE
35
autres par leur température et leur teneur en acide
carbonique, mais variables dans leur débit par l’effet
des tremblements de terre.
Hôtels. Chambres meublées. Appartements à louer : 500 r.
pour la saison, o’est-à-dire depuis le 1er juin. — Comptoir des
eaux minérales. Parc, Poste. Télégraphe. Excursion : à la
ferme d’Evdokimofï.
Al’0.,dans la même vallée que Piatigorsk, vingt
autres sources, celles-ci froides, alcalines et contenant
de l’iode et du brome, s’échappent du sol marneux,
près du village de
Yesentouki (5,677 hab.) Hôtels . Chambres meublées : 25 à
50 r. par mois, depuis le 1er mai jusqu’au 20 septembre.
Comptoir des eaux minérales. Parc. Poste . Télégraphe.
Plus haut, vers le S. -O, et déjà en plein cœur
des montagnes, s’élance la superbe fontaine à laquelle
les Tcherkess avaient donné le nom de Narzan ou de
(( Boisson des Héros », et que l’on distingue main-
tenant par l’appellation moins poétique et plus précise
de Kislovodsk (eau acidulée). Cette source, incompa-
rable pour ses vertus, donne plus de 1,500,000 litres
d’eau (18 par secondes) et dégage 5,400 mètres cubes
d’acide carbonique par jour. Une muraille de plusieurs
kilomètres de longueur, bordée de grottes et de tom-
beaux, défendait jadis l’entrée de la source sacrée; on en
voit encore quelques vestiges. D’autres fontaines con-
tiennent du chlore, de la magnésie, du sel marin,
tandis que des lacs et des étangs délaissés dans la
steppe, par le retrait de la mer, ont, comme les
(( limans » de la mer Noire, leurs boues salines emplies
d’algues microscopiques.
Hôtels. Chambres meublées. Saison depuis le 15 juillet
jusqu’au 10 septembre. Comptoir des eaux minérales. Parc.
Poste. Télégraphe.
Route 1 (suite). — De Mineralnia Vodi à Nez-
lobnaïa [en chemin de fer).
Route 11. — De Nezlobnaïa à Vladimirovka
( route vicinale , 158 v. 3/4) par Ghéorghievsk
(5 v. 1/4), Otkazanoï (26 v. 1/2), Soldatskaïa
(16 v. 1/2), Novo-Grigorievskaïa (18 v 1/2), Pri-
volnoï (28 v. 1/2), Praskovaïa (17 v.), Skarjinka
(14 v. 1/2), Prakokoumskoï (21 v.1/4), Vladimirovka
(10 v. 3/4).
36
GUIDE AU CAUCASE
Ghéorghievsk (4,248 hab.) Poste. Télégraphe .
Au N.-E. de Piatigorsk, fut jusqu’en 1824 la capitale
de la Ciscaucasie. En cédant à Stavropol son rang de
chef -lieu des administrations provinciales, Ghéor-
ghievsk devint un simple village, mais elle reprend
de l’importance comme entrepôt agricole du bassin de
la Kouma et comme station de chemin de fer. Des
colonies allemandes contribuent à la prospérité de la
ville. C’est à Ghéorghievsk, qu’en 1783, les représen-
tants des gouvernements russe et géorgien ont signé le
traité de l’annexion de la Géorgie à la Russie, sous le
règne du tsar géorgien Héraclius 11.
En aval, sur la Kouma et sur ses affluents occiden-
taux, se succèdent d’anciennes stanitzas de Co-
saques dont quelques-unes, Otkaznoï , Aleæandrov-
skaïa , Blagodarnoïe, Praskovaïa sont devenues des
villes et des centres agricoles. A l’E. de Praskovaïa,
s’élevait jadis la fameuse ville de Madjari. La coïnci-
dence des noms a fait croire à quelques auteurs que
Madjar fut une capitale des Magyars hongrois ; mais
ce nom d’origine tartare et dont le sens est celui de
(( palais, édifice », semble avoir appartenu à l’une des
cités principales de l’Empire des Kazars. Les tartares
Kiptchak s’y établirent, et divers documents, qu’on a
retrouvés récemment, prouvent qu’elle était encore au
milieu du XIVe siècle une ville florissante où
venaient fréquemment des commerçants russes : la
géographie arabe la désigne sous le nom de Kou-
Madjar. Du temps de Pallas, il y avait encore
trente-deux bâtiments intacts ; maintenant on y voit
seulement quelques restes de tours et des amas de
ruines couvrant un vaste espace; des briques vernissées
à la mode persane jonchent le sol. Les quelques ins-
criptions que l’on a trouvées se rapportent toutes à des
Tartares mahométans, et les médailles enfouies avaient
été frappées à Saraï, sur le Volga. Le village arménien
de Sviatoï-Krest s’est établi au milieu des décombres,
et de nombreux kourgans s’élèvent aux alentours. A
l’E., des colonies agricoles s’échelonnent le long de la
Kouma, mais loin de la rivière on ne voit que des
campements de Nogaïs et de Kalmouks.
GUIDE AU CAUCASE
37
Route 1 (suite). — De Nezlobnaïa à Proklad-
naïa. Buffet. (64 y.) en chemin de fer.
Route 1 (suite). — De Prokladnaïa à Ekatérino-
grad, Mozdok {route vicinale). Voir de Vladikawkaz
à la Caspienne, itinéraire F.
Route 1 (suite). — De Prokladnaïa à Koltia-
revskaïa, en chemin de fer.
Route 12. — De Koltiarevskaïa à Naltchik,
(environ 60 v. ou 6 h.,, 2 stat. )- C’est de Naltchik
[logis à la poste) qu’on va visiter les vallées du Bak-
san, de YOurban et du Tchégliem, qui font partie du
Caucase central et du bassin du Térek.
La vallée du Baksan est au delà de la steppe de la
Kabardie. Un premier jour de marche mène à Atajou-
tan ou Atajoukina, mais on a un meilleur gîte 10 v.
plus loin, dans l’auberge « doukhan » au premier
pont de la vallée. 50 v. plus haut, se trouve Ourousbié
( logis au « doukan » du prince). C’est de là que
Freshfield a fait en 1868 l’ascension de l 'Elbrouz,
nommé dans le pays Minghi-Taou. Il arriva sur la
cime orientale (5,593 m.). Celle de l’O. (5,631m.)
a été gravie en 1874 par Grove, et il y. a eu depuis
plusieurs autres ascensions. Divers cols très, élevés per-
38
GUIDE AU CAUCASE
mettent de passer de la vallée du Baksan en Souanétie ;
à l’O. le col Nakra ou Dougoussoroum (3,306 m.)
praticable aux bêtes de somme; au S. le col Betcho
(3,549 m.) et le col Adj/r-Sou (3,871 m.) par où l’on
Mont ELBROUZ. — D’après la carte d’Elisée Reclus.
va à Meztia ( logis à la Kanzellaria) dans le haut de
la vallée de l’Ingour : Freslifield a mis deux jours
pour y passer en 1887.
La vallée de YOurban est accessible de Naltchik, à
cheval, par un chemin qui mène à Toubènel ou Bé-
zinghi (1,528 m.), logis au « douklian » du Bey, situé
GUIDE AU CAUCASE
39
au milieu de montagnes grandioses. L’extrémité de
la vallée est formée par les plus hautes cimes de la
chaîne centrale, savoir, de l’O. à l’E. : la Gheztola
(4,865 m.), la Zalanantchèra (4,722 m.), la Djanga
(5,079 m.), la Clikara (5,194 m.) gravie en 1888 par
Cockin ; le Kochtan-Taou (5,199 m.) gravi aussi en
1888 par Mummery ; le Mijirghi-Taou (5,003 m.), le
Dykh-Taou (5,112 m.), également gravi en 1888 par
Woolley, etc. De ces montagnes descendent de grands
glaciers. Un col (3,990 m.) y mène par le glacier de
Tsanneren Souanétie.
La vallée du Tchéghem, affluent du Baksan, est
parallèle à celle de l’Ourban. Une route pour cavaliers
y mène de Bézinghi au N. Un défilé sauvage au-
dessus de Tchéghem , nommé Djighil-Sou, aboutit à
la partie supérieure de la vallée, qu’arrose le Bachil-
Sou et que terminent également d énormes glaciers. Des
cols très élevés font communiquer cette vallée : à l’O.
(4,351 et 3,865 m.) avec Ourousbié (voir ci-dessus);
au S. par le glacier de Goaalda ou de Thouher ,
avec la Souanétie ; à l’E. le col de Zaloninan-Tchirati
(4,260m.) avec la vallée de l’Ourban (voir ci-dessus).
Un col au S. de Bézinghi permet de passer dans le
Balkar , vallée supérieure du Tchérek, affluent du
Térek, et à l’extrémité du S. de cette vallée, entre le
Dykh-Taou (voir ci-dessus) et le Gouloukou (4,472 m. ).
Il se trouve au S. plusieurs autres autres cols du côté
de la vallée de la Tskhénis-Tskhali , par exemple le
Pazi-Mta (3,475 m.), dans le nom duquel on a voulu
reconnaître un souvenir du Phase de l’antiquité. Le
chemin de Naltchik jusqu’au fond de la vallée du
Tchérek à Karaoul, demande deux jours à cheval. Un
chemin de cavaliers va de Karaoul, par le col de
Ztoulévéesk (3,200 m.), dans la vallée de VOuroukh,
affluent du Térek, et un autre dans la vallée haute
du Rion1.
Route 1 (suite). — De Koltiarevskaïa à Vla-
dikawkaz ( en chemin de fer ) . Avant la station
de Borokovo , on traverse le Térek dont les rives.
1. D’après Bædeker.
40
GUIDE AU CAUCASE
étaient autrefois plantées d’immenses forêts. Par El-
kotovo , Dargh- Koh , Beslane on arrive à Vladi-
kawkaz. (Voir ce nom à l’itinéraire G.)
Route 13. — De Vladikawkaz à Sidone, route
vicinale (83 v. 1/4) par Arkhonskaïa (17 v. 1/2),
Ardonskaïa (17 v. 3/4), Alagliir, fonderie de plomb
argentifère (16 v.), Biz (18 v.), Sidone (14 v.)
Route 14. — De Vladikawkaz à Koutais
(220 v.), grande route. On passe par Arkhonskaïa et on
entre à Alagliir (625 m.) clans la vallée ( VArdone , qui
est magnifique. Près de Biz (856 m.) s’élève le Kariou-
Khokh (3,403 m.), la principale des montagnes cal-
caires de ce côté. Ensuite Kzourtè (919 m.). Plus loin,
une auberge (( doukhan » (965 m.) qui est isolée et
après laquelle la vallée se dirige à PO., jusqu’à l’em-
bouchure du Zadone (1,076 m.). La route reprend
ensuite la direction du S., en longeant le versant E.
de YAdaï-Kokh, énorme massif de montagnes dont la
plus haute cime connue atteint 4,646 m. et dont un
autre sommet a été gravi en 1884 par M Déchy. De
ce massif descend au N. le vaste glacier de Karagam
et à l’E. le superbe glacier de Céia. Ensuite la route
passe dans une gorge grandiose qui n’est pas inférieure
à la célèbre gorge du Darial, puis elle tourne encore à
l’O , et elle passe au col de Mamisson (2,800 m.)
sur le versant S. de l’Adaï-Khokh dans la chaîne
centrale du Caucase. Vue splendide. On en redescend
dans la vallée du Rion par Gourchavi , Glola , Oni , etc.,
Koutaïs. 1 (Voir ces noms à l’itinéraire J.)
ITINÉRAIRE F
DE VLADIKAWKAZ A LA MER CASPIENNE
Route 1 . — De Prokladnaïa à Vladikawkaz,
en chemin de fer . (Voir à l’itinéraire E.)
Route 2. — De Prokladnaïa àEkathérinograd,
route vicinale (20 v. 1/2).Ekathérinograd (2,622 hab.)
occupe une position maîtresse non loin du confluent
du Térek et de la Malka, au centre même de l’hémicycle
l. D’après Bædeker.
Grar paj‘_H.j
GUIDE AU CAUCASE
41
delà Kabarda: aussi Potemkin y fonda-t-il, en 1778,
une des forteresses de la ligne du Caucase, et, sept
années plus tard, cette forteresse était-elle choisie pour
capitale des possessions russes dans la région du Cau-
case. Mais, en 1790, Ekathérinograd a perdu son rang
de chef-lieu, et elle n’est plus qu’une simple stanitza
ClCRouteU' 3- — D’Ekathérinograd à Mozdok, route
postale (34 v. 1/2) par Pavlodolskaïa (20v 1/2), Moz-
dok (14 v ), 15.269 hab. [Poste. Télégraphe ), centre poli
tique et commercial de la contrée, est d’origine relative-
ment ancienne puisqu’elle fût fondée en 1759 par un chef
delà Petite-Kabarda, qu’une guerre malheureuse avait
forcé de s’expatrier. Lieu d’asile, Mozdok eut souvent
des fugitifs à recevoir : Kabardes de la vallee du lerek,
Ossétiens, Tchétchènes de la montagne, Arméniens et.
Géorgiens de la Transcaucasie. Jusqu’à une epoque
récente, les réfugiés d’Arménie, au nombre de plusieurs
milliers, étaient de beaucoup la population prépondé-
rante de Mozdok et, grâce à eux, cette ville,, que les
miasmes des marais ont forcée de se déplacer de 7 kilo-
mètres depuis l’époque de sa fondation, était devenue le
principal marché de la Ciscaucasie : c’était la que se
rencontraient les Cosaques des sternums, les monta-
gnards du Daghestan, les agriculteurs de la Kabarda,
les Nogaïs nomades du bas Térek et de la Kouma. Pour
favoriser Mozdok, le gouvernement russe avait meme
fait passer par cette ville la route militaire de Stavropol
à Tiflis; mais, depuis la construction du chemin de ter,
Mozdok a perdu le privilège commercial que lui assurait
ce bizarre détour du chemin. Désormais la ville n a plus
que ses avantages naturels, comme lieu de rendez-vous
des populations diverses qui l’entourent, et comme
entrepôt, des colonies agricoles du Térek moyen. Foires
le 23 avril et le 12 octobre. .
Trois villes ruinées se voient encore sur les rives clu
Térek: Tatartoup, Djoulad et des débris innomes près
desquels des fossés et des murailles sont attribues par
la légende à Timour le Boiteux.
Route 4. — De Mozdok à Kisliar, route postale
(208 v. 1/4), par Galugaevskaïa (26 v. 1/4), Istchers-
42
GUIDE AU CAUCASE
kaïa (17 v.), Naourskaïa (15 y. 1/2), Kalinovskaïa
(20 v.), Nicolaîevskaïa (21 y.), Tchervlennaïa (9 v.),
Stchédrinskaïa (21 v.), Chelkozavodskaïa (20v.1/2),
Stcherbakovskaïa(24 v.), Doubovskaïa (19 v.). Kis-
liar (15 v.), 8,962 hab. [Poste, Télégraphe), est encore
plus ancienne que Mozdok puisqu’elle est déjà men-
tionnée dans les chroniques de l’année 1616 De même
que Mozdok, elle reçut des fugitifs de toute nation et
surtout des Arméniens qui s’emparèrent peu à peu du
commerce local. La position de Kisliar à Ja tête du delta
est heureuse pour le trafic et la culture, sinon pour les
aises de la vie. Le Térek et ses branches, que retiennent
des levées latérales, trop faibles quelquefois, four-
nissent aux riverains toute l’eau qui leur est nécessaire
pour l’irrigation de leurs terres. En 1861, on comptait
autour de Kisliar plus de 1250 jardins fournissant aux
marchés de la Russie des fruits et des primeurs de
toute espèce. Kisliar est aussi fameuse dans l’Europe
orientale par ses vignobles où l’on voit les vendangeurs
descendre en bandes du Daghestan pendant les bonnes
années. Le vin de Kisliar est exporté par le petit port
voisin Brianskaïa, et les industriels russes s’en servent
pour la fabrication des vins de Porto, de Madère, de
Xérès et d’autres crus renommés du Midi. On en vend
chaque année 50,000 hectolitres à la foire de Nijni-
Novgorod.
Route 5. — De Kisliar à Brianskaïa, rouie
vicinale (72 v.), par Athaga-Bathana (23 v.), Béré-
zovskaïa(13 v.), Chandroukovskaïa (18 v. 1/2), Brians-
kaïa (17 v. 1/2).
Route 6. — De Mozdok à Témir-Khan-Choura,
route postale (255 v. 1/2), par Galugaévskaïa (26 v.
1/4), Istcherskaïa (17 v.), Naourskaïa (15 v. 1/2),
Kalinovskaïa (20 v.), Nicolaîevskaïa (21 v.), Tcher-
vlennaïa (9 v.), Stchédrinskaïa (21 v.), Chelkoza-
vodskaïa (20 v. 1/2), Tachkitchou-Aoul (12 v.),
Khassav-Yourt (18 v.), Tchaptchak (14 v.), Tciiir-
Yourt (14 v.), Goumali (19 v. 1/2), Tichikli (12 v.
3/4), Témir-Khan-Ghoura (15 v.)
Route 7. — De Mozdok à Vladikawkaz, route
postale (88 v. 1/4), par Magmeti-Yourtorskaïa (27 v.
-
GUIDE AU CAUCASE
43
3/4), ÀTCHALOUK (20 V.), K ANTICHEVSKAÏA (20 Y.), Bo-
zorkina (8 v.), Vladikawkaz (12 y. 1/2).
Route 8. — De Vladikawkaz à Témir-Khan
Choura, route postale (250 v.). (Voir ce nom à l’itiné-
raire P.)
Route 9. — De Vladikawkaz à Groznaïa, route
postale (101 v. 3/4), par Bozornaïa(12v.1/2), Nazrane
(13 v. 3/4), Slepzovskaïa (23 y.), Samachkinskaïa
(20 v.), Alkhan-Yotjrt (19 v. 1/2), Groznaïa (12 y.
1/2), (6.282 hab.) {Poste. Télégraphe), dont les maisons
se sont groupées autour de la forteresse Groznaïa, est le
chef-lieu naturel de la vallée de la Soundja, la plus
fertile peut-être de la Ciscaucasie : ses eaux minérales,
connues depuis le milieu du siècle dernier,, sont très
fréquentées, mais les puits de naphte des environs
n’ont pas une grande importance industrielle. De nom-
breux villages et des bourgs dont le plus considérable
est celui d’Ourous-Martan, sont épars dans la plaine
de Groznaïa et sur les coteaux voisins. A l’E., la ville
mahométane d’Aksaï (4,594 hab.) étend ses jardins
dans une région parfaitement arrosée, dont les eaux
vont se perdre dans les marécages du bas Térek et du
littoral caspien.
Route 10. — De Groznaïa à Véden, route vici-
nale (59 v. 1/4), par Oustargardoï (15 v. 1/2).
Eresnoï (21 v. 1/4). Véden (22 v. 1/2.), sur une haute
terrasse dont les eaux descendent vers le Térek, est
un village important qui domine un fortin russe, élevé
sur l’emplacement de ce qui fut la citadelle de Schamyl.
Route il. — De Véden à Khounzakh, route
vicinale (136 v. 1/2), par Korotchoï (6 v.), Kerket
(26 v. 1/4), Tando (28 v. 3/4), Botlik (8 v.), Tlokh
(24 v.), Kirakhi (15 v. 1/4), Khounzakh (28 v.)
Route 12. — De Groznaïa à Pétrovsk, route
postale (198 v. 1/4), par Oustargardoï (15 v. 1/2),
OumÂkhan-Yourt(20 v. 3/4), Istisou (12 v.), Gerzel-
Aoul (17 v.), Khassav-Yourt (14 v.), Chaptchak
(14 v.), Tkir-Yoort (14 v.), Goumali (19 v.), Tichikli
(12 v.3/4),Têmir-Khan-Choura (15 v.), Alti-Boïoum
(22 v. 1/2), Pétrovsk (21 v. 3/4).
44
GUIDE AU CAUCASE
Route 13. — De Pétrovsk à Témir-Khan Chou-
ra. route postale (43 y. 1/2), par Alti-Boïoum (21 v.
1/4), Témir-Khan-Choura (22 y. 1/4). (Voir ces
noms aux itinéraires C, P.)
Route 14. — De Témir-Khan-Choura à Gounib,
route postale (121 v. 3/4). (Voir ces noms à l’itiné-
néraire P.)
Route 15. — De Témir-Khan-Choura à Der-
bent, route postale (143 y. 1/2), par Paraoul (22 v.),
Karaboudakh-Kant(16 v.3/4), Goubdenskaïa (16v.),
Dachlagar (15 v.), Kaïakent (24 v.), Djemikent (16 v. ),
Kalinskaïa (15 v. 1/2), Derbent (18 v. 1/4). (Voir ces
noms aux itinéraires C, P.)
Route 16. — De Témir-Khan-Choura à Khoun-
zakh, route vicinale (58 v. 3/4), par Saltinka (6v.),
Karadakh (23 y ), Taklhadi (14 y.), Kounzakh
(15 y. 3/4). Cette ancienne capitale du Khan des
Avares et qui s’élève sur un promontoire dominant un
des affluents du Koïsou, n’est plus guère qu'une ruine
commandée par les canons d’une forteresse russe. En
amont des deux rivières le Koïsou des Avares et le
Koïsou d’Andi, Ghimri n’a plus que le souvenir des
guerres d’indépendance; c’est, là que mourut Kasi-
Moullah, là que naquit Schamyl. (Voir ces noms
pages 29 et suivantes, première partie de ce Guide.)
Route 17. — De Pétrovsk à Derbent, par
Témir-Khan-Choura, route postale (153 v.)
Route 18. — De Pétrovsk et Derbent à Bakou,
par mer . (Voir ces noms aux itinéraires C, O, P.)
Route 19. — De Derbent à Kouba, route pos-
tale (80 v. 1/2), par Koubaskaïa (16 v. 3/4), Ialama
(21 v. 1/4), Khoudat (21 v. 1/4). Kouba (21 v. 1/4).
Moins pittoresque, Kouba (J 3,249 hab.), (Poste. Télé-
graphe), ressemble à Derbent par la population et
l'industrie. Située au sommet du cône de déjection
formé par les torrents qui descendent du Chakh-dagh et
des montagnes voisines, Kouba est peuplée comme
Derbent de musulmans chiites et sunnites, s’occu-
pant surtout de jardinage. Des milliers de juifs y
vivent de commerce. Kouba a le grand désavantage
GUIDE AU CAUCASE
45
d’avoir à subir un climat fiévreux : aussi essaya-t-on,
en 1825, de transférer la ville dans un endroit plus
salubre, à 13 kilom. de distance au N. -O. Mais la
population ne suivit pas
l’exemple que lui don-
naient les employés , et
ceux - ci durent revenir
dans l’ancienne ville, où
d’ailleurs ils ne séjournent
que pendant l’hiver
Route 20 . — De
Kouba à Akhti, route
vicinale (84 v. 1/4), par
Koussari (11 v.), Khazri
(20 v. 1/4) , Tzoukoul
{20 v.), Adjikhour (10 v.),
Meskendji (13 v.), Akhti
(10 V.). KOUBA.— D’après la carte d’Élisée Reclus.
Route 21. — D’ Akhti
à Noukha, Zakatal, Signak, Evlak, etc. (Voir ces
noms à l’itinéraire C.)
Route 22. — De Kouba à Bakou, route postale
(156 v. 1/2), par Velvélinskaïa (21 v. 1/2), Divitchi
(21 v. 1/2), Kizilbouroum (17 v. 1/2), Khindirzind
(14 v. 1/4), Kiliazinskaïa (22 v. 1/4), Pirdaguassé
(21 v. 3/4), Saraïnskaïa (20 v. 1/2), Bakou (17 v.
1/4 h (Voir ces noms à l’itinéraire D.)
Route 23. — De Bakou à Tiflis, en chemin de fer .
(Voir à l’itinéraire O.)
ITINÉRAIRE G
DE VLADIKAWKAZ A TIFLIS1
Route militaire de Géorgie (200 v. 1/2).
Les communications entre Vladikawkaz et Tiflis sont éta-
blies, durant toute l’année, au moyen de diligences, d’omnibus,
de fourgons, de traîneaux et d’équipages de poste. Les relais, à
1. D’après Brosset, Dubois de Montpéreux, Elisée Reclus,
Vladikine, Bædeker et la carte de l’état-major russe.
46
GUIDE AU CAUCASE
partir de Vladikawkaz, sont: Balta (12 y. 1/4),' Labs (17 v. 1/4),
Kazbek (14 v. 1/2), Kobi (17 y. 1/4), Goudaour (16 v.), Mlet (14
v. 1/2), Passanaour
(18 v. 1/2), Ananour
(21 v.) , Douchet
(16 v. 1/4), Tsilkani
(17 y. 3/4), Mtzkhet
(14 v. 3/4), Tiflis (20
y. 1/2). — Service
régulier des équipa-
ges de poste : du 15
mai au 15 novembre,
tous les jours à 8 h.
du matin, de Tiflis
et de Vladikawkaz
partent deux voitures
fermées , à 5 places ,
et dans l'après-midi ,
de 4 à 5 h., partent
deux diligences à six
places. Du 15 no-
vembre au 15 mai,
tous les jours, départ
supplémentaire d’une
voiture le matin et
d’une diligence le
soir. Les voitures
s’arrêtent la nuit à
l’une des stations, or-
dinairement â Mlet,
relais situé à moitié
chemin du parcours ;
les diligences ne s’ar-
rêtent pas. Tous les
équipages arrivent à
destination vers le
soir, le lendemain de
leur départ. — Prix
des places; lre classe
(intérieur de la voi-
ture), 18 r.; 2e classe
(cabriolet), 12 r.; 3e
classe (en diligence),
11 r. ; sur le siège
(4e classe), 5 r. Les
personnes désirant
voyager à leur gré
et dans des voitures
particulières peuvent
louer à l’Adminis-
tration des postes différents genres d’équipàges , aux prix
suivants :
GUIDE AU CAUCASE
47
Calèche à 2 places 44 roubles 11 kop.
» 4 » 54 r. 13 k.
Voiture fermée, à 2 plac. 52 r. 13 k.
» 4 ». 64 r. 16 k.
» 5 »..66 r. 16 k.
Diligence à 6 places... 52 r. 13 k.
En été, il y a souvent manque de chevaux, de voitures ou de
places; il est bon de les retenir d’avance. — Le nombre de
chevaux attelés dépend du nombre des voyageurs. On change
de postillon à chaque relais, et de télêga ou de pêrikladnoï
(non suspendues) quand on n’a pas loué une voiture à ressorts,
pour tout le trajet ou qu’on n’est pas dans un des omnibus, une
diligence du service quotidien de la poste. Chaque postillon
reçoit toujours un pourboire de 20 à 30 k. , et comme de l’im-
portance du pourboire dépend la rapidité du trajet, il vaut
vaut mieux payer 50 kop., 1 r , si l’on veut aller très vite. On
fera bien aussi de donner quelque chose aux garçons d’écurie
qui attèlent. Avec des relais réguliers, on peut facilement
faire les 200 v. en 24 heures.
Il y a 3 barrières de péage à Mtzkhet, Passanaour, Balta;
on doit garder ses quittances jusqu’à Tifïis ou jusqu’à Vla-
dikawkaz. 11 est absolument nécessaire de se munir de 10 à 15 r.
de petite monnaie. Les provisions de bouche sont superflues.
A toutes les stations, maisons vastes en pierre, bien tenues, on
trouve assez bon gîte (50 k. à 1 r.) et nourriture suffisante
(1 à 2 r.) — La route dans tout son parcours est excellente.
Vladikawkaz 1 , dont le nom signifie en langue
russe « domine le Caucase », est sur le Térek à
2,280 p. au-dessus du niveau de la mer Noire
(32,230 h.), et sur l’emplacement du village ossète
Zaloutch .
Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe. Résidence
du général gouverneur de la province du Térek. Hôtels :
d’Europe, de France, de Londres, de Marseille. Club de la
noblesse, Club des commerçants. Bibliothèque. Gymnase clas-
sique; id. des demoiselles; id. militaire; école réale; 4 écoles
de la ville; école ossétienne; écoles des métiers, du comte Louis
Mélikoff. Succursale de la banque de l’Etat; banque urbaine;
photographie Roudniefï. Théâtre. Bains persans et russes.
Fabriques de tabac. Distilleries d’eaux-de-vie. Brasseries. (Dans
les magasins et le bazar on trouve à acheter des étoffes les-
ghiennes excellentes, peaux de mouton, bourkas blanches et
noires renommées. Armes, cuirs, sellerie. Incrustations d’or sur
acier, fer, ivoire ; mosaïques et petits parquetages de bois sur
bois multicolores, provenant du Daghestan.)
1. Les Tcherkess appellent cette ville : Térek-Kala; le nom
de Vladikawkaz lui a été donné par Potemkin, son fondateur,
en 1785.
48
GUIDE AU CAUCASE
Cette ville fondée sous Catherine II, en même temps
que Stavropol, autrefois fortifiée, a lutté longtemps
contre les montagnards et leur chef Schamyl. Elle
défendait la seule route qui existât à travers le Caucase.
A mesure que le pays s’est pacifié, la ville, qui, il y
a trente ans, n’avait que des maisons à un étage, s’est
agrandie et embellie, et depuis qu’elle est tête de ligne
du chemin de fer de Rostofï et de celui de Pétrovsk,
elle devient un centre de commerce entre la Russie, le
Caucase et la Transcaspienne.
En quittant la gare, on passe d’abord devant l’église
Lineïnaïa et on arrive au gymnase militaire devant
lequel est un monument élevé en mémoire de deux
sous-officiers et de soldats russes qui se sont distingués
pendant la guerredu Caucase. Delà, prenant à gauche,
on gagne la rue principale qui longe un large boule-
vard ; à droite : le théâtre, le jardin du club des
commerçants, le jardin public avec un orchestre et
une rotonde sur le bord du Térek. A côté du jardin, la
station de la poste. Plus loin, le petit boulevard ; à
droite, par le bazar, un pont mène à la route militaire
de Géorgie (Voïenno grouzinskaïa darogua). En face
de la poste, derrière la cathédrale et sur une hauteur,
est la maison du général gouverneur. Au bout de la
rue principale, à gauche ; les ruines d’une forteresse
surmontée d’une tourelle, plus loin, la muraille et les
batteries construites autrefois pour défendre la ville
contre les attaques de Schamyl.
Route militaire de Géorgie. — C’était jadis le
chemin qui reliait l’Asie à l’Europe. Cette route stra-
tégique, qui a coûté 100 millions de francs, suit la
vallée du Térek et celle de l’Aragva. Les monts Goudet
Krestovaïa séparent les sources de ces deux rivières.
C’est à Ermolofï ‘qu’appartient l’honneur d’avoir tracé
ce chemin. C’est lui qui, pendant cinq années, sous sa
surveillance personnelle, en a dirigé les travaux. Sur
le mont Krestovaïa, à 2,432 m. , une croix de pierre,
élevée par lui (1824), en perpétue le souvenir. Plus
tard, les princes Vorontzofï et Bariatinsky supprimèrent
le chemin difficile de Kobi à Kaïchàour, de Kaïchaour
à Kwéchète et Passanaour, en traçant, en 1864,, la
GUIDE AU CAUCASE
49
montée de Goudaour et la descente de Mlet, une des
plus belles et des plus intéressantes du Caucase.
On franchit le Térek à Vladikawkaz et l’on traverse
une plaine verdoyante à la sortie de laquelle est une
barrière où le gouvernement prélève un péage pour le
droit de chaussée. Les rochers qui de loin semblent
défendre l'entrée s’écartent à votre approche, et, selon
1 expression de Pouchkine, « le Caucase vous reçoit
dans son sanctuaire )).
A Balta (12 v. 1/2) la gorge se rétrécit peu à peu ;
les montagnes s’élèvent de plus en plus, et ce n’est
qu’à l’endroit où s’échappe le Térek que l’on aperçoit
la sombre ouverture du défilé. Au mois de juillet et au
commencement d’août, tes mugissements du torrent
sont terribles ; la surface de l’eau n’offre plus alors
qu’une nappe d’écume. La pente du Térek est de 60 à
100 pieds par verste. Après avoir laissé à gauche le
fortin de Djérakovsky et en approchant de Lars (17 v.
1/4) il semble que l’on entre dans un passage sans
issue. Rien de plus imposant que le défilé du Darial.
Les pentes abruptes qui s’élèvent des deux côtés à
1,600 m. ne laissent apercevoir le ciel qu’à de rares
intervalles. Les flots du Térek ne peuvent se dérouler
librement dans cette vallée étroite et longue de près de
deux verstes. Il y a à peine place pour la route taillée
dans le roc et qui est demeurée longtemps impraticable,
même après l’occupation russe. Les rochers sont cou-
pés de gorges profondes ; les unes éclairent le voyageur
d’une lumière éblouissante, les autres sont pleines
d’ombres et de ténèbres. Le soleil et les nuages changent
à chaque instant l’ordre des teintes et déroulent une
série de tableaux grandioses. Le bruit du Térek et le
murmure des ruisseaux tombant en cascades, ont rap-
pelé à Pouchkine «: l’enlèvement de Ganymède » de
Rembrandt. (( Les vieillards géants, enchaînés par le
charme et plongés dans un demi-sommeil mystérieux,
écoutent depuis des siècles ce concert éternel. »
A Lars, la route passe de la rive gauche à la rive
droite du torrent. Non loin de la station, on voit en-
core des traces de l’ancien chemin. A l’endroit le plus
resserré du défilé, le Devdoraky, qui descend du gla-
2e PARTIE 4
50
GUIDE AU CAUCASE
cier du même nom, vient se jeter dans le Térek. D’é-
normes masses de neige et de glace se détachaient
autrefois de ce glacier et barraient même quelquefois le
passage. Un éboulement de ce genre arriva en 1832 ;
il arrêta le cours de la rivière et ce ne fut que deux
ans plus tard, qu’on put rétablir l’ancienne route.
Depuis lors, ces accidents ne se sont plus répétés
parce que les neiges du Devdoraky, arrêtées par un
rocher en partie écroulé en 1832 ont trouvé une issue
opposée à la chaussée.
A la sortie du Darial, une petite forteresse quadran-
gulaire est occupée par des Cosaques. Derrière, se
dressent, sur un rocher nu, les ruines d’un antique
château. C’est le Darial proprement dit. Le nom de Da-
rial, suivant Klaproth, proviendrait des mots tartares :
dav étroit, et ial route. L'étymologie plus probable
provient du persan Dar-i-alan (porte des Alains) en
arabe Bab-al-alan que les Géorgiens ont rendu par
Darialan. Pline appelle cette porte « les portes cauca-
siennes ». Autrefois, dit-on, elles étaient en fer et
défendaient l’entrée de la gorge. Le château fut construi t
par le roi Mirian, 150 av. J.-C., et restauré par le roi
de Géorgie David. Une légende raconte qu’une reine
nommée Darya avait habité ce castel et donné son nom
au défilé. Plus tard le nom de Darya se transforma en
celui de Thamara. Cette reine devint à son tour l’hé-
roïne à laquelle on attribue la construction d’une foule
de forteresses et d’édifices religieux au Caucase. La.
plupart de ces ruines ont des légendes fantastiques ;
celles du Darial portent l’empreinte de la nature de ce
défilé sauvage et étrangement pittoresque : « Thamar,
aussi méchante que belle, dit la légende, attirait les
voyageurs par ses charmes pour les précipiter ensuite
dans les flots du Térek. » Lermontofï a immortalisé ce
souvenir dans son beau poème intitulé : Démon .
Après une rampe assez raide, pendant 10 verstesr
sous des basaltes et des pyrites contournés d’une façon
bizarre et coupés par des colonnettes prismatiques
curieuses, la cime blanche du Kazbek (5,044 m.) ap-
paraît enfin. A gauche, Vaoul de Stépan-Zminda et
l’habitation d’une famille noble, les Kazbek, qui ont
GUIDE AU CAUCASE
51
donné leur nom à la montagne voisine. La m ison
précédée d’une cour où ont été faites de précieuses
trouvailles archéologiques, est à côté d’une cluip lie
de style roman construite sous le règne d'Alexandre I.
Au relais Kazbek (14 v. 1/4), (5,681 pù,( 7H-/ ra ),
on peut acheter des cornes de <( touri1 », des crist ux,
Mont KAZBEK. — D’après la carte d’Élisée Reclus.
et manger surtout d’excellentes truites. De la galerie
qui entoure la station, on a une vue magnifique sur le
Kazbek2, mais il est généralement voilé l’après-midi.
Trois Anglais : Freshfield, Moore et Tueker, sont par-
1. Bouquetin du Caucase.
2. Son vrai nom en géorgien est Mkirrwari , c’est-à-dire mon-
tagne de glace. Les Ossètes le nomment Ourz-Khokh , mont
blanc, et aussi Tseritsi-Tsoub , pic du Christ.
52
GUIDE AU CAUCASE
venus à sa cime le 18/30 juin 1868. Pour visiter
Tsminda-Saméba, église voisine, bâtie sur le mont
Kvénan-Nitha-Kini (7,673 p.) on loue des chevaux de
selle ou l’on fait l’excursion à pied. Le clocher et
l’église elle-même, qui n’est ouverte que les jours des
pèlerinages au mois d’août, sont de style byzantin ; les
fenêtres sont hautes et étroites, les murs ornés de
sculptures assez bien conservées.
En se dirigeant vers Kobi (17 v. 1/4. 6,364 p.).
( Télégraphe ) on laisse à gauche le village de Sion avec
son église, sa tour pittoresquement située et ses grottes
naturelles. Le Térek que I on côtoie est moins rapide
que dans le défilé du Darial. La vallée devient plus
large sinon plus riante. A deux verstes de là, la cime
du Kazbek s'aperçoit une dernière fois derrière les mon-
tagnes. Près d’un des aouls qui bordent la route, on
est tout étonné de trouver un petit bois au milieu de
tous ces monts nus et rocailleux. Aux environs de
Kobi, jaillissent mille sources ferrugineuses, alcalines,
etc., qui ne sont pas exploitées. On suit le défilé de
Djouart-Nakhé. A l’E., la gorge d’Oukhite et la vallée
creusée par la rivière Oukha-dagh; à l’O., le
défilé de Trousso, où le Térek, en s’échappant par
quatre crevasses du mont Rosse, forme une cataracte.
Sur une hauteur, on voit l’ancien août Liaslase avec
sa vieille église Tzminda-Ghéorghi. C’est entre Kobi
et Goudaour que la route de Géorgie traverse le col le
plus élevé de la chaîne du Caucase. C’est le passage le
plus difficile de tout le parcours, parce qu’il y a quel-
quefois des avalanches. Mais ces accidents ne sont à
redouter qu’au commencement d’avril, lorsque les
neiges s’amollissent pour fondre bientôt, et en automne
lorsqu’elles ne sont pas encore durcies par le froid. En
été, il n’y a aucun danger. La route, protégée ça et là
par des tunnels à toits inclinés, s’est élevée en ser-
pentant. On traverse la Baïdara ; près de sa source est
une maison gardée par des Ossétiens qui sonnent la
cloche pendant le chasse-neige et portent secours aux
voyageurs. A partir du mont Krestovaïa, au pied
duquel s’étend la vallée du Diable qui formait autre-
fois la frontière de Géorgie, on redescend l’autre versant
GUIDE AU CAUCASE
53
du Caucase. En s’approchant du relais de Goudaour
les montagnes laissent voir dans toute sa beauté la
gorge de Kaïchaour si merveilleusement dépeinte par
Lermontoff. On est frappé du brusque changement
dans la nature: les défilés du N. sont devenus des
vallées verdoyantes qui s'étendent au loin. Le ciel,
l’air, les montagnes sont tout autres que dans la contrée
que l’on vient de quitter. Au pied du Mtiouleth on voit
l’Aragva et, au fond de la vallée un énorme rocher.
C’està Goudaour (16 v., 7,327 p.). ( Télégraphe) que
commence la célèbre descente qui conduit à Mlet. On
aura une idée de son escarpement quand on saura que
ce relais se trouve à 3,800 pieds plus bas que le mont
Krestovaïa. La route, effroyablement rapide, à tour-
nants zigzagués, et faisant mille détours, offre un coup
d’œil magnifique. Une inscription en lettres d'or sur
une plaque de bronze incrustée dans le roc, à mi-che-
min, apprend que cette route a été frayée au temps du
prince Bariatinsky.
Mlet (14 v. 1/2, 4,848 p.) {Télégraphe, est au fond
de la charmante vallée de Khwich et où coule l'Aragva.
Les rochers ont fait place à des montagnes boisées,
couvertes de pâturages et de champs fertiles ; en bas,
de nombreuses maisonnettes, entourées de noisetiers,
viennent égayer le tableau. Çà et là on aperçoit sur les
pentes quelques tours et forteresses en ruines ; autre-
fois, on y allumait des feux pour avertir les habitants
lorsqu’un danger quelconque les menaçait.
Passanaour (18 v. 1/2. 3,555 p.) Près de la station
s’élève une église de style russe. Le chemin qui mène
à Passanaour suit la rive droite de l’Aragva dont on a
rectifié le cours par plusieurs digues. D’un bout à
l’autre de la vallée : des collines couvertes de verdure,
des habitations avec jardins, des champs bien entre-
tenus, etc.
Ananour(21 v., 2,709 p.), [Poste. Télégraphe ), est
une localité habitée par des cultivateurs. Des canaux
artificiels servent à arroser les champs. A dix ve.rst.es
du relais, à droite, s’élève la tour de Tchertchaly et à
gauche celle de Vaneslobqui jadis défendaient le défilé
à l’entrée duquel est une barrière où l’on prélève un
54
GUIDE AU CAUCASE
péage pour le droit de
chaussée. Sur le rocher
qui domine le village,
les ruines de la forte-
resse des eristhavi de
l'Aragva, et au milieu
deux églises dédiées à
saint Khitobel , dont
l’une où se célèbre au-
jourd’hui roffice divin
a été construite * au
XVe siècle. A l’exté-
rieur, les murs sont
décorés d’une grande
croix artistement cise-
lée, av'ec lions, anges,
branches de vigne sur
lesquelles pâturent des
cerfs, etc.
En sortant d Ana-
mour1, laroutesedirige
à droite. On passe de-
vant des casernes, une
école pour les enfants
de soldats, et l’on gravit
une longue côte mono-
tone pendant huit ver-
stes. Du haut du pla-
teau qu’on atteint, on
jouit d’une assez belle
vue : au loin, le lac
Limasse qui , d’après
une légende populaire,
recouvre l’emplace-
1. D’Anamour un che-
min très intéressant con-
duit en 3 jours à l’E. de la
vallée de l’Aragva par
Tionéti et Akméti, à Thé-
lafï en Kakhéthie. ( Voir
itinéraire K.)
GUIDE AU CAUCASE
55
ment de l’ancien Douchet détruit par un tremblement de
terre. A gauche, la petite ville de Douchet (16 v. 1/4,
2,900 p.), ( Télégraphe . Poste aux lettres ), avec sa
vieille forteresse et son ancienne église, et qui ressem-
blerait à une petite ville russe , si les montagnes qui
l’entourent ne rappelaient le Caucase. A partir de ce
relais, on descend dans une vallée bordée de montagnes
boisées. Çà et là des cabanes rustiques entourées de
vignes, d’amandiers, de pruniers, etc.
A mi-chemin, on rentre dans la vallée de'l’Aragva. La
station de Tsilkanj (17 v. 3/4,1,888 p.) est dans une
contrée où régnent les fièvres. La route longe la rivière
Khartis- Khari, puis l’Aragva. A l’un des derniers
détours du chemin se dresse l’ancienne forteresse de
Natzkher.
Avant d’arriver à Mtzkhet, on voit, à droite, la né-
cropole de Samthavro où ont été faites de nombreuses
fouilles archéologiques et l’église du même nom. L’é-
difice est décoré à l’extérieur de jolies sculptures dont
la coupole est peut-être même trop surchargée. Une
large enceinte en briques contre laquelle s’appuient les
habitations des prêtres; à côté, un clocher penché qui
n’offre rien de remarquable. Les quatre pignons prin-
cipaux du monument sont surmontés de toutes petites
églises sculptées qui forment clochetons. La façade
N. présente un élégant motif de la flore ornementale.
A l’intérieur, des badigeonnages successifs n’ont plus
laissé de traces des peintures murales. Dans le chœur,
on reconnaît à peine la Résurrection de Lazare.
De la route, on aperçoit sur la rive gauche de l’A-
ragva, et perchée sur une haute montagne, l’église de
Djouari-Sakdari. Pour s’y rendre, il faut traverser la
Koura à gué, et l’on peut arriver à cheval jusqu’à l’é-
glise qui était entourée de trois côtés d’une enceinte
fortifiée, aujourd’hui complètement ruinée. L’église
forme une croix de 27 m. de long, dont les quatre bras
se terminent par une construction arrondie. Dans les
intervalles sont des réduits carrés ou en forme de paral-
lélogrammes. Au N., il y a une construction plus
récente qui est tout au bord du précipice. Détail assez
curieux, toutes les pierres des parois sont reliées entre
56
GUIDE AU CAUCASE
elles par des crampons de fer qui ont su mieux résister
aux intempéries que les pierres elles-mêmes qui s’ef-
fritent. A l’intérieur un massif octogone ayant, dit -
on, la forme des rayons de la croix miraculeuse dont
l’apparition donna lieu à l’érection, en cet endroit,
d’une chapelle qui remonterait au temps du roi Mirian
et de sainte Nino. Au-dessus de la porte S., sur-
montée d’un fronton, avec deux anges qui soutiennent
un cartel et une croix, on voit un homme agenouillé
devant un saint et cette inscription incomplète : (( Saint
Stéphane, ô Christ, aie pitié de l’âme de.... » Sur la
fenêtre N.-E, un personnage agenouillé devant l’ange
Gabriel. Sur la fenêtre centrale, un saint mettant la
main sur la tête d’un personnage agenouillé. Chacune
de ces sculptures porte des inscriptions en caractères
khoutzouri ou ecclésiastiques, déchiffrées par Brosset
et Kanykoff, d’après lesquelles cette église, bâtie entre
les années 600 et 619, aurait été achevée sous Stépha-
nos II, roi de Géorgie de 639 à 663. Ce qui fait une
antiquité constatée de plus de 1,200 ans.
Près de Mtzkhet, l’Aragva se jette dans la Koura,
dont les eaux roulent dans un lit resserré entre des
rochers. La station est sur la rive droite de la rivière
que l’on traverse sur le pont de pierre construit par
ordre du général Golovine, commandant en chef des
armées du Caucase, en 1841. Mtzkhet (14 v. 3/4,
1,535p.), {Poste. Télé graphe). Station du chemindefer
Batoum -Poti - Tiflis- Bakou. Ancienne capitale de la
Géorgie, aujourd’hui ce n’est plus qu’un petit village,
pittoresquement disposé autour de la célèbre cathédrale,
en porphyre verdâtre, datant du XVe siècle, bâtie par
le roi Alexandre, et qui est un beau modèle d’archi-
tecture. La coupole et le plan restent conformes aux
traditions arméno-géorgiennes, mais dans les propor-
tions plus sveltes, on reconnaît l’influence byzantine.
La décoration extérieure très riche, va parfois jusqu’à
l’exagération. Aux motifs géorgiens composés d’entre-
lacs, viennent se joindre des dessins byzantins tirés de
la flore ornementale. L’enceinte ruinée et crénelée dont
l’église occupe le milieu est quadrangulaire, assez vaste
et flanquée de tours. A l’intérieur, le long des murs.
GUIDE AU CAUCASE
57
sont les demeures du Décanos, des prêtres et la maison
des Gédéon-Chwili, de toute antiquité fils ou vassaux
de Mtzkliet. Dans le chœur de l’église, à droite, près
de l’endroit où se tient le patriarche, on voit une cons-
truction carrée, dite Samironè (lieu d’où sort le miron),
car, d’après la légende, il y avait là, un écoulement
miraculeux d’huile sainte, dû à la présence sous terre
en cet endroit de la robe sans couture, yyz wv1, du
Christ. Sur les quatre faces de ce monument sont peints
les épisodes de la vie de sainte Nino, l’apôtre de la
Géorgie. Presque toutes les peintures et les inscriptions
murales ont disparu et toutes les figures des saints et
des personnages, qu’on devine encore, ont été lacérées
par des coups de fusil et de sabre. Sur le mur de
droite, il reste un panneau où l’on distingue un groupe
de femmes et une danseuse géorgienne (XVe siècle) ; sur
un pilier : le portrait en pied de la reine Marie (1680)
et de son fils Otia (1646), dont les costumes sont inté-
ressants. C’est à Mtzkhet que le christianisme fut
prêché par sainte Nino, et que l’on couronnait les an-
ciens rois de Géorgie, dont quelques-uns y sont enterrés.
Dans le village : la petite chapelle ruinée d’Antioche,
et celle de Bethléem, taillée dans le roc, sur le bord de
la rivière, mais qui est effondrée et dont on n’aperçoit
plus que le haut d’une voûte. La grande fête annuelle
qui se célèbre le ler/13 octobre attire une immense
foule de pèlerins et de curieux.
Vingt verstes 1/2 séparent Mtzkhet de TifLis. A quel-
ques pas de la station, à une dernière barrière de péage,
les voyageurs doivent remettre la quittance du droit de
chaussée qu’ils ont reçue à Balta. La route traverse à
niveau le railway de Poti-Batoum-Tiflis-Bakou, et
suit la rive droite de la Koura. Sur les flânes des
montagnes, des cavernes carrées creusées dans les
rochers à une grande hauteur servaient de refuge
1. Suivant la légende géorgienne, le centurion Longin reçut
dans le partage des vêtements du Christ, le yjx tov. Il l’apporta
en Géorgie et le donna à sa sœur qui lui reprocha d’avoir
assisté à la mort du Christ. Elle mourut de saisissement après
s’être enveloppée du yi twv; on ne parvint jamais à le lui
enlever et elle fut ensevelie avec le saint vêtement à Mtzkhet.
58
GUIDE AU CAUCASE
aux habitants pendant les invasions. Le long des petits
affluents de la rivière. s’échelonnent quelques villages ;
à droite, Digomi, Alexandrofï et Véra ; à gauche,
Avtchal, entourés cle vignobles. En approchant deTiüis,
on aperçoit les deux colonies allemandes, le champ de
courses, le jardin public de Mouchtaïd derrière lequel
la ville s’étend sur les deux rives de la Koura. A la
dernière montée, à gauche, est une croix élevée en sou-
venir de l’accident de voiture dont faillit être victime
l’empereur Nicolas en 1837.
ITINÉRAIRE H
DE P O T I A SAMTRÉDI1.
Route 1 . — De Poli à Tiflis par Samtrédi (289 v.,
en chemin de fer). Trajet : 14 h. environ. Prix des
places : 16 r. 50, 12 r. 25, 6 r. 25. (Voir de Poti à
Samtrédi.)
Route 2. — De Poti à Samtrédi (61 v.; en chemin
de fer). En quittant Poti, ce ne sont que marécages
fiévreux et forêts presque impénétrables, fouillis de
taillis noyés dans les roseaux d’où émergent de grands
arbres couverts de lierre et de plantes grimpantes. Sur
un espace de cinq lieues, on n’aperçoit aucune habi-
tation, hormis une station, celle de Tchaladidi, élevée
en pleins marais. Peu à peu, la forêt s’éclaircit vers
Téklati sur la Tsiva, affluent du Rion ; à Novo-
Sénaki on franchit le Tékhour. Abacha est une station
insignifiante On est dans les plaines de la Mingrélie.
Après la Tskénis- tskhali (rivière des chevaux), le
paysage s’anime, et c’est au milieu des champs de
maïs, des rosiers et des peupliers qu’on atteint
Samtrédi, limite de lTméréthie.
Route 3. — De Novo-Sénaki à Zougdidi
(42 v., route postale).
Novo-Sénaki, staiion du chemin de fer Poti-Tiflis (buffet).
2,500 habit. 1 église, 2 écoles, dont l’une est un demi-séminaire.
1. D’après Brosset, Dubois de Montpéreux, Elisée Reclus,
Caria Séréna, le calendrier du Caucase et la carte de l’état-
major russe.
GUIDE AU CAUCASE
59
Résidence du chef de district. Justice de paix. Trésor.
Télégraphe. Poste aux lettres et aux cheoaux. Auberges:
Novo-Sénaki, Ivérie, Blagorodné. Omnibus tous les matins de
Novo-Sénaki à Zougdidi : départ à 8 h., arrivée vers 2 h.;
retour de Zougdidi: départ à 2 h. après-midi; arrivée à Novo-
H. RoUet', ST.
60
GUIDE AU CAUCASE
Sénaki vers 7 h. du soir Environné de marais, Novo-Sénaki
a fort à souffrir en été des miasmes ; c’est un endroit fiévreux
et très exposé au vent d’E.
La route, après avoir longé quelque temps la voie
du chemin de fer, tourne à droite et passe entre des
bois, des haies et des allées de peupliers et de plantes
sauvages derrière lesquelles s’abritent les champs de
maïs et de nombreuses habitations. Près de Khopi,
sur la rive droite de la rivière de ce nom, s’élève un
célèbre monastère (XIVe s.), orné de sculptures, de
plaques en marbre, provenant vraisemblablement de
Pitzounda et apportées parle Daciian 1 Vamek. Dans
l’intérieur, décoré de peintures murales, on voit devant
Piconostase : des émaux cloisonnés, des reliquaires,
croix portatives, images à inscriptions curieuses pour
l’histoire de la Mingrélie, et une jolie croix ayant
appartenu à la reine Thamar.
Route 4. — De Khopi à Redout-Kaleh (30 v.),
à cheval , à travers les forêts et les marais.
Route 3 (suite). — De Khopi à Zougdidi (26 v.),
route postale. Khêta (5 v.), commune de 650 feux,
5 églises et 1 école; au bord de la route qui la traverse;
à gauche, les restes d’une vieille tour. Tzaïchi, com-
mune de 350 feux, ancien évêché, dans une situation
ravissante sur les rives de la Djoumi. L’ancienne ca-
thédrale dédiée à la Vierge (XIe s.), surmontée d’une
coupole, et flanquée d’un clocher, a été ruinée par un
tremblement de terre en 1617 ou 1618, et deux fois
relevée sur de moindres dimensions. C’était autrefois
la résidence d’un évêque titré métropolite. Ce n’est plus
qu’un « sabor )) où réside un décanos ayant sous sa
juridiction une vingtaine d’églises du district de Zoug-
didi. Dans le chœur, quelques images offertes par les
1. Les princes régnants de Mingrélie portaient le nom' de
Daciian, titre qui, d’après les annales de Géorgie, aurait une
origine arménienne et signifierait juge. Le nom de Dadian
paraît pour la première fois dans l’histoire lors de la prise
d’Ani par Bagrat IV, en 1015. Brosset croit que le nom de
Dadian a une origine topographique : le mot Dad désignant
une forteresse placée près de rlngour, non loin de Zougdidi.
Chardin assure que Dadian signifie grand justicier.
GUIDE AU CAUCASE
61
Dadians, une croix du roi David le Réparateur (XIe s.)
et quelques anciennes broderies.
Après avoir gravi une pente assez raide, la route
longe le vaste marais d’Anaria. Les eaux y séjournent
constamment ; c’est un foyer pestilentiel auquel Zoug-
didi doit en partie ses fièvres. Zougdidi dont le nom
dérive des deux mots « zourg » et « didi », c’est-à-
dire (( dos grand », sur un plateau peu accidenté, est
entre la Djoumi et la Tchauchia. Ancienne capitale de
la Mingrélie, c’est le centre commercial le plus impor-
tant du pays, 2.000 hab. Poste aux lettres et aux che-
vaux. Télégraphe en toute langue. Résidence du chef du
district. Justice de paix. Auberges de « l’Espérance »,
(( d’Italie ». Phaétons. Deux fois par semaine et surtout
à Pâques, la population des environs afflue au bazar où
l’on coudoie les plus beaux types de la Mingrélie. Les
plantes cultivées sont le maïs, le gomi (millet d’Italie),
la vigne, le tabac, le coton, le mûrier, etc. La séricicul-
ture y est en honneur. Pendant la guerre d’Orient, le
magnifique parc du prince de Mingrélie fut saccagé par
les Turcs ; depuis, l’absence d’entretien en a fait une
forêt vierge. Sauf le nouveau château du prince Nico-
las, son ancienne maison en briques, la justice de paix,
la prison et la villa du prince Achille Murat, la plu -
part des habitations sont en bois. A côté du château du
prince Nicolas est une petite église moderne. A l’entrée
du bazar, deux autres chapelles suffisent au culte. La
poste aux lettres et aux chevaux , le télégraphe russe
et le télégraphe indien, les écoles et les petites indus-
tries bordent la belle avenue des mimosas qui est le
lieu de promenade et la place du marché.
Route 5. — De Zougdidi à l’église de Kortskéri
(10 v.), à cheval . L’église possède des émaux cloison-
nés remarquables du XVIIe s.
Route 6. — De Zougdidi à l’église de Tsalendji-
kha (27 v.), à cheval. Il faut traverser sur une passe-
relle chancelante, en clayonnage, la Tskhénis-tskhali
dont les inondations sont fréquentes et le cours très
rapide. L’église située sur une colline très élevée et à
laquelle on parvient par un sentier escarpé, existe
depuis le milieu du XIVe s. Elle a été probablement
62
GUIDE AU CAUCASE
bâtie par Vamek Ier (1384-1396), et était autrefois une
grande résidence. En entrant dans l’enceinte murée, on
trouve d’abord un vieux clocher et les restes d’un
ancien palais envahi par la végétation. L’église est à
coupole, en forme de croix et enveloppée de petites
chapelles basses sans communication avec l’intérieur.
La façade O est occupée par un porche où sont les
tombes en marbre de plusieurs princes Dadians, sur-
montées de leurs portraits peints sur les murs. A l’in-
térieur, quelques peintures religieuses et devant l’ico-
nostase quelques images du XVI Ip s.
Route 7. — De Zougdidi à Soukhoum-Kaleh 1
(154 v. 1/4), à cheval (une nouvelle chaussée est en
construction) ; par Sabério (11 v. 1/2), Okoum (22 v.).
Source impériale (11 v.), Ilori (10 v.), Otchemchiri
(4 v.), Dagamik (8 v.), Kodori (19v. 3/4), Drandi
(8 v.), Kalokhuri (12 v.), Soukhoum-Kaleh (6 v.).
A 6 v. de Zougdidi se voient, à droite, les ruines
de la forteresse de Roukhi, théâtre de sanglants com-
bats, d’abord entre les Mingréliens et les Imères, sous
le roi Salomon, puis entre les Russes et les Turcs.
L’ingour qui sépare la Mingrélie et le Samourzakhan,
ancienne province de l’Abkhazie, est une rivière très
capricieuse, se divisant en une multitude de bras qu’on
franchit à gué ou en bac. Sur le bord qu'on atteint se
trouve une autre forteresse connue sous le nom d’Otzar-
tzé. On passe à gué le Khiri, l’Erthi-Tskhali et une
myriade de cours d’eau, mais au milieu d’une luxu-
riante végétation. Okoum, chef-lieu administratif du
district, est sur le bord de la rivière du meme nom,
dans un site pittoresque. Deux églises, une école,
bazar. D’Okoum par Eskhéti on peut aller visiter les
ruines de Bédia. Un sentier abrupt et difficile conduit
de la plaine au faîte du roc où se trouve l’ancienne
1. De Zouçjdldi à Soukhoum , on peut aussi aller par un
autre chemin, en 116. v. environ, à cheval. De Zougdidi , on
passe au pied de la forteresse Roukhi , on franchit ÏIngour et
une foule de cours d’eau. On laisse Okoum à, droite, et on at-
teint Ilori (39 v.). On traverse Otchemchiri , et en suivant le
bord de la mer jusqu’à Kodori (50 v.), on arrive en 27 v. à
Soukhoum-Kaleh .
GUIDE AU CAUCASE
63
église construite au Xe s. par Bagrat, qui en fît un
siège épiscopal. Elle était en pierres de taille, à coupole,
et de grandes dimensions. Les sculptures sont encore
en assez bon état. Une des chapelles latérales est pres-
que intacte. Seule la voûte qui est au-dessus de l’entrée
principale, en face de l’autel, est endommagée. Par la
brèche , se sont faufilés des jets de lierre vagabonds
et les branches d’un énorme figuier, qui, collés à
la pierre murale comme une tapisserie aux rugueux
ramages, sont le refuge de nombreux oiseaux, les seuls
chantres dont la voix résonne en ce temple désert.
Situé dans une région peu connue, loin des routes,
cet antique cloître a conservé des inscriptions et quel-
ques peintures murales, entre autres celle qui représente
la Samaritaine offrant de l’eau au Christ. Dans l'en-
ceinte où est l’église, on voit à droite, les décombres
d’un édifice qui a dû servir au métropolitain.
A la Source impériale, on tourne à gauche jusqu’à
Ilori. L’église plusieurs fois ruinée n’a rien de remar-
quable sous le rapport de l’architecture, mais est riche
en images dont les inscriptions sont d’un haut intérêt
pour l’histoire de la Géorgie et spécialement pour celle
des Dadians. On traverse Otchemchiri, Dagamik d’ou,
en 18 v., on peut aller visiter l’église de Mokwi (Xe s.),
construite par Léon III, roi d’Abkhazie.
La grandeur du vaisseau caché maintenant sous un
rideau de plantes grimpantes, son toit changé en un
vaste jardin aérien, sa coupole élégante, prolongée par
les hautes tiges des arbres qui ont été semés par les
vents, tout cela frappe d’admiration le visiteur. A l’in-
térieur, des piliers élancés, en pierre de taille, cinq
nefs, des débris de pavés en marbre blanc, des restes de
corniches élégamment sculptées témoignent d’une ma-
gnificence passée et d’un art arrivé à un certain degré
de perfection. Une galerie entoure la nef principale
jusqu’aux piliers de la coupole; les arceaux entre les
piliers sont la seule partie de l’édifice où l’on ait em-
ployé la brique ; malheureusement les porches sont
écroulés. L’église était autrefois couverte de peintures
dues à des artistes grecs du XIIe s. En 1863, des répa-
rations maladroites et des badigeonnages absurdes ont
64
GUIDE AU CAUCASE
revêtu tout le monument d’un lait de chaux. Jusqu’à
la Kodor qui roule des flots bruyants et rapides, et qui
est souvent fort dangereuse à franchir, ou chemine au
milieu de forêts et d’une végétation magnifique. — A
Drandi, il y a une ancienne église en briques, d’un
goût original, et dont la coupole écrasée a dix-huit fe-
nêtres. La route suit et côtoie presque le bord de la mer
jusqu’à Kalokhuri et Soukhoum, pendant 24 v. (Voir
ce nom à l’itinéraire A. Route 1. Suite.)
Route 8. — De Soukhoum-Kaleh à Pitzounda,
par mer ou à cheval (50 v. environ). (Voir itinéraire B.
Route 1. Suite.)
Route 9. — De Zougdidi à Anaklia. (29 v., en
équipages de poste , phaéton ou à cheval .) Près de
Zougdidi on passe la Djoumi et, en 10 v., on est à
Kakati. La nouvelle chaussée franchit encore la
Djoumi près de son confluent avec l’Ingour, dont on
suit le cours, au milieu de magnifiques forêts et de
marécages. Anaklia (l’Héraclée du royaume de Pont)
est un petit village de 30 feux seulement, mais impor-
tant comme lieu d’embarquement. C’est là qu’afflue
une partie du maïs du district de Zougdidi. On pêche
dans les eaux d’ Anaklia une grande quantité d’estur-
geons.
Route 10. — De Zougdidi à Djwari1. (29 v., en
équipages de poste, phaéton ou à cheval .) On passe la
Tchauchia, et laissant à gauche Nicosie et la forteresse
de Roukhi, ou suit une chaussée qui longe la rive
gauche de l’Ingour et passe par le village de Lia. Cette
route offre quelques jolis points de vue. La commune
de Djwari compte 720 feux, possède 7 églises, et aux
foires de novembre on y trouve à acheter de bonnes
bourkas que les paysans des environs fabriquent.
Route 11. — De Zougdidi à Nakalakévi. (45 v.,
à cheval .) On traverse la Djoumi, le village Cha-
kvindji, la Khopi, on passe près d’Ochkomouri et on
franchit la Tsiva et le Tékhour. (Voir de Novo-Sénaki
à Nakalakévi. Route 17.)
1. En été, on peut aller de Djwari en Souanétie et au Letch-
khoum par un sentier difficile, mais praticable pour les mulets.
GUIDE AU CAUCASE
65
Route 12. — Do Zougdidi à Martvili. (55 y., à
cheval.) Môme route que pour Nakalakévi, mais après
avoir franchi le Tékhour à la hauteur de Kourdzémi,
on va par Djolo: on passe la Dzanazgra, la Taléri,
l’Abacha et la Novo-Khalévi qui coule au pied de la
cathédrale de Martvili. (Voir : De Novo-Sénaki à Mar-
tvili. Route 14.)
Route 13. — De Novo-Sénaki à Nakalakévi1.
(18 v., en phaéton, équipages de poste ou à cheval ,)
On traverse Sénaki, autrefois résidence d’un catho-
licos , ancien chef- lieu du district et qui n’a plus au-
jourd’hui que de misérables boutiques. Il s’y tient
cependant trois grandes foires en mars et août. Une
église, une école, 145 feux. Les ruines fameuses et
imposantes de Nakalakévi sont sur la rive gauche du
Tékhour, à l’endroit où cette rivière entre dans la
plaine. Etagées en amphithéâtre, elles présentent trois
grandes enceintes de murailles et coupées par des tours
flanquées de distance en distance. Tout est couvert par
le lierre, des platanes, des noyers, de hautes herbes et
envahi par la végétation. Le sommet de la colline est
occupé par une vaste citadelle ayant 450 pas de long
au milieu de laquelle se voient les débris d’une église.
Plus bas, est une seconde enceinte plus large, fermée
par de hauts murs, et enfin au pied de la colline de
Déda Moukha s’étend tout un hectare de terre enfermé
dans une troisième enceinte fortifiée et où s’élèvent
une autre église, les ruines d’un palais et un beau
porche, œuvre des siècles ultérieurs. Cette petite église,
dite des 40 martyrs, passée à la chaux, recouverte en
bois et restaurée il y a peu de temps, est fort ancienne.
Bâtie moitié en pierres moitié en briques, le dôme bas,
écrasé, sans grâce, l’iconostase en briques, ce sont là
les signes d’une haute antiquité. Le chœur est simple,
l’abside de gauche a été ajoutée, et l’édifice est même
déformé par des appendices extérieurs et successifs. Le
clocher en grandes pierres de taille est d’une bonne et
solide construction et est plus moderne que 1 église
1. C’est l’excursion archéologique la plus intéressante que
l’on puisse faire en Mingrélie.
2e PARTIE
5
66
GUIDE AU CAUCASE
dont on a attribué la fondation à Justinien. Peu de
personnes doutent que NakaJakévine soitl’Archéopolis
des Lazes décrit par Procope. Que ce soit aussi 1 em-
placement d’Æa, c’est une question que Dubois de
Montpéreux a cru résoudre en s’appuyantsur quelques
lignes de Strabon, de Pline, d’Etienne de Byzance,
sur la topographie des lieux, mais que Uslar, un peu
trop sceptique peut-être pour tout ce qui a rapport aux
mythes du Caucase et à la géographie ancienne de la
Colchide, a essayé de réfuter. — Près de Nakalakévi
coulent des sources sulfureuses et ferrugineuses uti-
lisées par les malades indigènes.
Pvoute 14. — De N o vo-Sénaki à Martvili. (35 v.,
en phaéton , équipages de poste ou à checal.) La ca-
thédrale dite u des Martyrs » construite, d’après Va-
khoucht, par Georges II roi d’Abkhazie (921-956) et,
d’après Brosset, par Bagrat III (Xe s.), a dû être aussi
élégante qu’aucune des plus belles églises de Géorgie*
On le voit à certains restes de corniches finement cise-
lées, de fenêtres et de portes enjolivées avec art.
Comme presque toutes les églises géorgiennes, le mo-
nument est défiguré par des constructions annexes,
successives et postérieures. A l’extérieur, quelques
sculptures : le Christ, la main étendue dans l’attitude
de la bénédiction; sur une frise : des lions poursuivant
une biche, des griffons, etc.
A côté de l’église se trouvent la tour carrée dite
sréti, vide depuis la mort du dernier stylite qui l’ha-
bitait jusqu’en 1852, et une sorte de petite chapelle
d’une architecture charmante, mais dans un état de
délabrement complet. A l’intérieur de la cathédrale,
de belles images en argent doré et des reliquaires à
émaux cloisonnés magnifiques. Sur les murs les por-
traits en pied des Dadians de la seconde dynastie.
Au-dessous, les tombes de Béjan (1728), Léon (1846),
David (1853) et de la Dédopale (princesse) Catherine
(1882), en marbre blanc en forme de dais, et celles de
plusieurs évêques de Mingrélie.
Du haut du clocher à jour, fort élevé, qui se dresse
à l'entrée de l’enceinte de la cathédrale, on jouit d’une
vue aussi variée, aussi superbe qu’elle est immense.
GUIDE AU CAUCASE
67
Que sont, en effet, les édifices en comparaison de cette
position meme de Martvili à la cime d’un cône isolé,
de cinq cents pieds de haut, visible de partout comme
un phare et qui est un des sites les plus magnifiques
que l’on puisse visiter au Caucase! Au N., 1 œil
embrasse la vallée de l’Abacha et de PInchékia et
remonte jusqu’au sein des Alpes de Ghélembor. A
l’E., toute l’Iméréthie dans un pittoresque fouillis de
verdure, avec ses champs semés de maïs et de millet,
ses vignes et ses villages; vaste plaine qui se termine
avec l’horizon de la mer et présentant comme un large
portail entre les derniers rameaux de la chaîne de la
Souanétie et les monts de Gourie. Çà et là on suit les
sillons argentés et capricieux tracés par le Rion, la
Tskhénis-tskhali et le Tékhour. Dans un vaporeux
lointain les crêtes de Souram, Au S., les cimes grani-
tiques d’Akhaltzik, éblouissantes de blancheur, émer-
gent de leurs glaces éternelles. Tout autour de soi. de
belles forêts avec des arêtes capricieuses, du vert le
plus pur, tigrées de taches neigeuses, se profilent sur
le ciel. Comme les souvenirs s’encadrent merveilleu-
sement dans les lignes du paysage, dans l’opulence de
ce beau et paisible panorama!
Route 15. — De Martvili à Khoni (120 v., en
phaétony équipages de poste ou à cheval) 1 .
Route 16. — De Khoni à Samtrédi (18 v.) (Voir :
De Samtrédi à Khoni.)
Route 17. — De Samtrédi à Khoni (18 v., en
omnibus , équipages de poste , phaéton). De Samtrédi,
on longe le bazar et on tourne à gauche au milieu des
haies de peupliers et des pelouses de gazon qui s’ali-
gnent devant les odas (demeures des princes indigènes)
ou saklis (habitations des paysans). A Koulachi dont
quatre-vingts maisons appartiennent aux princes Miké-
ladzé, une centaine de demeures en bois sont remplies
de Juifs. Ghaniri est la résidence des nobles Eliava,
1. La Tstkhènis-tskhali étant souvent difficile à passer, il
vaut mieux faire le trajet à cheval. Du reste, des bacs trans-
bordent les voitures et les voyageurs quand les eaux sont
hautes.
63
GUIDE AU CAUCASE
autrefois aznaours 1 des princes Tsouloukidzé. On
atteint Quitiri (justice de paix des paysans). Un peu
plus loin, à droite, une église géorgienne, en briques,
occupe un triangle où bifurquent la route de Djikaïchi
et la route de Ghézathi sur la rive droite delà Tskhénis-
tskhali. Khoni (4,000 h.). Poste aux lettres et aux
chevaux . Justice de paix. Séminaire où étudient les
futurs maîtres d'écoles villageoises. Centre important
de commerce pour l’Iméréthie, la Mingrélie et la
Souanétie : Maïs, soies grèges, étoffes de laine, bes-
tiaux, etc., etc. L’église de Khoni, sans coupole, ayant
deux bas côtés communiquant par des arcades avec la
nef principale, date du XIe s. et est construite au milieu
d’une enceinte carrée dont la porte est surmontée d’un
clocher. Elle possède une image de saint Georges avec
une inscription curieuse relative au règne du fameux
Lévan Dadian (1636), la plus grande figure de la
Géorgie occidentale au XVIIe s., une croix du roi
Bagrat et l’étendard de guerre du roi Salomon Ier.
Route 18. — De Khoni à Koutaïs (27 v., en
omnibus , équipages de poste ou phaèton ) par Gou-
LESKAÏA.
ITINÉRAIRE I
DE BATOUM A SAMTREDI 2
Route 1 . — De Batoum à Tifiis par Samtrèdi
(602 v.), en chemin de fer . Trajet 14 à 17 h. 1/2; prix
des places: 18 r. 45; 13 r. 83; 7 r. 10. (Voir: De Ba-
toum à Samtrèdi).
Route 2. — De Batoum à Samtrèdi (97 v.), en
chemin de fer On suit d’abord la côte qui offre de
beaux coups d’œil. Avant d’arriver à la rivière Tsak-
wis-tskhali , et après l’ancien emplacement de la
batterie turque Bartzkhanatabia, on remarque sur une
montagne de forme conique les ruines d un ancien
1. Voir : la Géorgie et les Géorgiens,. (Ethnographie, pre-
mière partie de ce Guide).
2. D’après Dubois de Montpéreux, Bakradzé, le prince Tsé-
rételli, le colonel Kazbek, le calendrier du Caucase et la carte
de l'état-major russe.
GUIDE AU CAUCASE
69
château nommé Sari, qui appartenait aux begs Bejan-
ogli ou Bejani-chvvili. Plus loin, la route contourne
les hauteurs cle Markhindjaouri et pénètre dans l'im-
passe de Tchakwi. Les montagnes rocheuses percées
par le tunnel avaient servi aux Turcs à construire des
batteries qui défendaient les approches de Batoum.
Derrière les maisonnettes de Tchakwi se voient les
décombres du château de Kardjeti-tsikhé. De Tsiki-
dziri , la voie ferrée atteint Kobouleti (Tsourouk-Sou),
résidence du chef de district, et où est installé un
poste de quarantaine. C’est un petit centre commercial
de 80 boutiques, où se vendent des draps excellents,
des châles, des tapis de paille et de la coutellerie. Les
grandes maisons en pierres des begs, depuis le départ
de leurs propriétaires, sont à moitié écroulées. Le dis-
trict de Kobouléti est la partie de l’arrondissement de
Batoum la plus richement dotée par la nature et la
70
GUIDE AU CAUCASE
plus favorisée sous le rapport topographique. Toutes
les essences forestières y. sont presque à l’état vierge,
et la vigueur de la végétation est étonnante. Le maïs
donne une récolte de 70 pour cent. Le climat est mal-
heureusement humide et très fiévreux près des rivières,
et relativement assez salubre dans les parties élevées.
Après Natanébi et Soupça (49 v.), (buffet), sur la ri-
vière du même nom, on tourne à l’E. dans la grande
et fertile plaine du Rion et de ses affluents. Lan-
tchkouti, Nigoïti, Sadjavako sont des stations sans
importance (97 v.), Samtrédi (buffet), où aboutit la
ligne de Poti. (Voir ce nom route 17.)
Route 3. — De Natanébi à Ozourghet (17 v.),
chaussée . En omnibus : 90 k. ; en phaéton : 3 r.
(Voir ce nom à l’itinéraire de Samtrédi à Ozourghet,
route 17).
Route 4. — De Batoum à Artvine (70 v.), à
chevaL La route de Batoum à Artvine a été construite
à l’époque de la domination turque ; elle est fort belle
et possède, chose fort rare au Caucase, des ponts en
pierre. Elle suit, dans presque tout son parcours, la
rive droite du Tchorok. En quittant Batoum, on tra-
verse la vallée de Kakhabéri. puis on entre dans celle
du Tchorok. On passe à Match akhéli-spiri (c’est à-
dire bouche du Matchakhel) qui est l’entrée du défilé
qu’on va suivre. A droite et à gauche, les montagnes
sont abruptes et peu boisées. A Maradidi (18 v.), grand
village où était autrefois un katmakam turc, un pont est
jeté sur le Tchorok. A droite, quelques vignobles annon-
cent Pandoughéti, d’où part un chemin vers l’Adjarie,
par Khéda. Bordchka (32 v.), sur la rive gauche de
la rivière, est en grande partie occupé par des casernes
pouvant loger deux bataillons de miliciens gouriels.
On atteint Singoti (12 v ), et on entre par un beau pont
à Artvine (8 v ). Cette ancienne résidence d’un pacha,
chef-lieu de district, avec sa forteresse ruinée et ses
minarets, est bâtie en terrasses et s’étage sur la rive
gauche du Tchorok, non loin de magnifiques forets
d oliviers, de châtaigniers et de figuiers. Cette ville qui
a trois faubourgs : Kolorto, Kaïpert etKortzoul, compte
GUIDE AU CAUCASE
71
8.000 habitants en majorité arméniens catholiques.
Poste aux lettres. Télégraphe. Évêché, 2 églises catho-
liques et une grégorienne, 3 mosquées, etc. 250 bou-
tiques bordent les rues sales et étroites ; les maisons
sont en bois. La population est peu sédentaire. L'in-
dustrie principale d’Artvine est la distillation de l’eau-
de-vie extraite des fruits de mûriers ; on y fabrique
aussi des cotonnades bleues rayées de blanc.
Route 5. — D Artvine à Ardanoutch. (53 v., à
cheval.) D’Artvine, par la rive droite du Tchorok, on
atteint, après des rampes assez raides, Tholgomi ou
Thargama (8 v.). A ce nom, se rattache le mythe que
les Géorgiens et les Arméniens proviendraient de la
même souche. Selon les traditions locales, Thargamos
était fils de Tharchis, fils d’Avanan, fils de Japhet, fils
de Noé. Doliskhana (25 v.), sur l’Ardanoutchtchaï
était autrefois fortifiée et connue pour ses mines de
cuivre. Ce fut le théâtre d’un sanglant combat livré
par le général Komarofï aux Turcs en 1877. De Gor-
goghotane (8 v.), on arrive à Ardanoutch (12 v.).
Cette ville de 1.000 hab., arméniens et musulmans, est
bâtie en amphithéâtre et élève ses sveltes minarets au-
dessus de jardins et de haies de peupliers. Poste . Télé-
graphe ; une église catholique, une école.
Route 6. — D’Ardanoutch à Ardaghan. (67 v.,
à cheval.) Jusqu’à Akharchène (7 v.), le chemin est
assez monotone et n’est qu’une suite de montées et de
descentes. On parcourt pendant 5 v. une grande forêt,
et on entre à Khéba (9 v.) où se voit une mosquée
avec un joli minaret. On franchit le col élevé de Iala-
nouscham (8.442 p.), c’est-à-dire « sapin solitaire »,
passage fort difficile à cause des neiges subites dont la
montagne se couvre, puis on descend vers Kinzotamar
(15 v.). Près de Chadivane (15 v.), où il y aune église
russe, on franchit la Koura et on va en ligne droite
jusqu’à Ardaghan (21 v.), chef lieu de district; cette
ville, entourée autrefois de fortifications par les Turcs,
est reliée par un pont aux deux rives de la Koura qui
la traverse ; 1.270 hab. , en majorité musulmans.
Poste. Télégraphe. Auberge. Club militaire. Comme
72
GUIDE AU CAUCASE
garnison, une brigade d’artillerie, un régiment d’infan-
terie et un escadron de cavalerie. Pendant la dernière
guerre russo-turque, Ardaghan ne fut assiégé que pen-
dant trois jours et fut pris facilement par les Russes qui
se sont assuré ainsi la possession des passages les plus
importants qui conduisent vers les vallées du Tchorok
et de l’Araxe. Mais à TE.. Ardaghan n est pas encore
rattaché au reste de la Transcaucasie par des routes
faciles ; la région volcanique traversée par la Koura
oppose de grands obstacles au commerce.
Route 7. — D’ Ardaghan à Akhaltzik. (89 v.,
en équipages de poste.) On traverse les villages tatars
Gulaverdi (7 v.), Olchek (5 v.), Begrakathonne
(8 v.), et on atteint Zourzouna (12 v.), sur la rivière
Karatchaï, à 8 v. du lac Tchaldhir-Gheul ; puis on
monte jusqu’au poste militaire Akhrdachès (22 v.),
ancienne frontière russe, et, par une belle route, on
gagne Khazhak (8 v.), village arméno-catholique assez
riehe, et dont les femmes sont connues pour leur
beauté. Par une série de rampes, on arrive à Akphaltzik
(27 v ). (Voir ce nom aux itinéraires : De Samtrédi à
Tiflis.)
Route 8. — D’Ardaghan à Olti (95 v. 1/2), par
Férousk (20 v.), Kémistort (16 v. 1/2), Panasker
(11 v.). Kanoum-Khévi (12 v.), Panok (14 v. 1/2),
Olti (21 y. 1/2).
Route 9. — De Batoum à Koula (Haute-Adjarie),
80 v , à cheval ). Cette route traverse toute l’Adjarie
de l’O. à TE., et. après avoir franchi la chaîne d’Ar-
siani. près de Kvabis-Djwari, passe dans le défilé du
Kvablian Tchaï, affluent de la Koura, et se dirige vers
Akhaltzik ^gouvernement de Koutaïs). De Batoum, on
suit d’abord la vallée de Kakhabéri. Après la déca-
dence, au XVe s., de l’ordre politique en Géorgie, la
Gourie, l’Adjarie et le Djaneth (le Lazistan d’aujour-
d’hui) formèrent une principauté géorgienne indépen-
dante sous la dynastie des princes Gouriels. Parmi
eux, le gouriel Kakhabéri s’est distingué par sa lutte
héroïque contre l’Islam. Pendant son règne, il re-
poussa avec succès les Turcs et ne les laissa pas appro-
GUIDE AU CAUCASE
73
cher du Lazistan lorsqu’ils eurent occupé la province
de Trébizonde. Les monts et les vallées du district de
Batoum ont immortalisé le nom de Kakhabéri, ce
champion de la foi chrétienne et de l’indépendance.
Au village Simonetti, la route tourne à l’E., et, sui-
vant un des rameaux de la chaîne d'Adjarie, longe la
rive de l’Adjaris-tskhali. Par Dologani, Makhoun-
jeth, Assanaouri, on atteint Kéda, situé sur la saillie
triangulaire d’une montagne. Poste . Télégraphe .
C’était autrefois le domaine du métessarif Osman-
Pacha Tavdguiridzé. Les murs de son château, flan-
qué de tours, se voient encore au haut d’un rocher.
Kéda est le centre du commerce pour la population
environnante. Tous les vendredis s’y tient un marché
où viennent les habitants de la basse Adjarie pour
échanger leurs produits : draps, armes, canons de fu-
sils et même du beurre et des fruits. Kéda, qui se com-
pose de quatre quartiers : Kéda, Ortovi, Assanouri et
Goulébi et qui compte une soixantaine de boutiques en
bois, est la résidence du chef de l’arrondissement.
Jusqu’à Dondalo, il y a une vingtaine de verstes. Là,
au milieu d’une forêt de pins s’élève une tour carrée,
entourée des ruines d’une forteresse attribuée comme
toujours à la reine Thamar dont le nom fameux est
aussi populaire parmi la population musulmane de la
Géorgie turque qu’en Géorgie même. De tous les noms
des rois géorgiens, les Adjares n’ont retenu que celui
de cette reine. Par Chvakéli, on atteint Koula. C’était
la résidence du prince régnant de la Haute-Adjarie,
Chérif-beg Khimchiaschwili, général-major dans l’ar-
mée russe. C’est le centre administratif de l’arrondis-
sement. On y voit les ruines d’un temple chrétien.
Route 10. — De Koula à Akhaltzik (77 v.), à
cheval jusqu’à Bénari, par Danispariouli (19 v. ),
Goders (21 v.), Zarzma (5 v.), Bénari, station postale
(17 v.), Akhaltzik (15 v.).
Route 11. — De Koula à Bako (25 v.), à cheval ,
par Skalta. Le village Skalta, ancienne résidence
d’hiver du Chérif-beg, se trouve sur la rive droite de
la rivière Skaltis-tskhali, près de laquelle s’élève le
74
GUIDE AU CAUCASE
château fort Kirkhalis-tsikhé, où, selon les habitants,
fut décapité, en 1815, le pacha d’Akhaltzik. L’église de
Skalta, construite en porphyre gris, sans coupole, a la
forme d un parallélogramme. La longueur de l’édifice
est de 19 mètres sur 12 de large. Elle a un haut fron-
ton triangulaire, un parvis à i’O et une chapelle au
S. Son côté E. a la forme d’un demi-cercle octogone.
Les sculptures variées des chambranles des portes et
des fenêtres, les colon nettes et les arabesques sont
exécutées avec un savoir-faire étonnant. L intérieur de
l’église est couvert de peintures et d’inscriptions en
caractères géorgiens « khoutzouri » ou ecclésiastiques.
En suivant le défilé de la rivière Skaltis-tskhali par
le village Bako, on atteint la chaîne d’Arsiani par la
crête de laquelle passe, dans la direction du S. -O. une
route qui descend ensuite par le défilé de la rivière
Kiwirila, affluent de l’Imerkhévi. De Bako, une autre
route part au N.-E. sur Akhaltzik, par le passage de
la chaîne d’Arsiani en suivant le défilé de la Postkhovi-
tchaï. Bako est donc le point de jonction des routes qui
mènent de la haute Adjarie d’un côté à Akhaltzik, de
l’autre, dans le défilé de Chavcheti et à Ardanoutch.
Route 12. — De Bako à Akhaltzik (40 v.), à
cheval , par la vallée du Postkovi-tchaï.
Route 13. - De Bako à Satléli (40 v.), à cheval ,
par la crête du Ialanous-tcham, le défilé de la rivière
Kwirila et le village Mikéléti. Dans un vallon, entre
Mikéléti et Satléli, s’étale le grand village Tbéti,
entouré d’arbres fruitiers, de beaux champs, de fertiles
pâturages, et avec sa vieille cathédrale, célèbre dans
l’histoire de la Géorgie. C'était la résidence de 1 évêque
géorgien qui avait la direction spirituelle de la Gourie,
de la province d Akhaltzik, et de celle de Batoum d au-
jourd’hui. Cette cathédrale bâtie par le roi géorgien
Achot Couropalate en 918, joua, au commencement du
XI s. sous la prélature de l’évêque Saba, un rôle actif
dans l’unification du royaume de Géorgie sous le
sceptre de Bagrat IV. Elle est en forme de croix. Les
murs sont en calcaire rougeâtre. Une légende raconte
que les pierres qui ont servi à sa construction ont été
GUIDE AU CAUCASE
75
transportées de 20 v. par des ouvriers se faisant
la chaîne et se passant mutuellement les fardeaux. A
l’extérieur, comme ornements, de petits arcs surmon-
tent des colonnettes et des entrelacs soigneusement
traités. L’intérieur est de bonnes proportions. Le chœur,
demi-circulaire, est séparé du reste de l’église par un
grand arc ; les fûts des colonnes et les chapiteaux
reposent sur de fortes assises en granit. La partie cen-
trale du monument présente, aux quatre coins, quatre
demi-colonnes qui relient les parois et supportent la
coupole percée de longues fenêtres. Les bras de la croix
servaient de chapelles qui semblent avoir eu une assez
grande hauteur. Çà et là quelques restes de peintures
murales sont encore visibles. Cette petite église a dû
être un joli échantillon de l’art gréco géorgien. Vis-à-
vis deThébi, au nord, il y a une grande montagne sur
laquelle 1 évêque Saba avait construit un château ap-
pelé Svéti. Vakhoutch dit que là aussi s’élevait une
immense forteresse, Toukharissi, dont on reconnaît
encore les ruines. Au bas, s'étend le village de Tsiki-
dziri, c’est-à dire « le bas de la forteresse. »
Route 14. — De Satléli à Opiza (25 v.), à cheval.
Le village Satléli est au confluent de la Chavcheti-
tskhali et de la Satléli-tskhali qui prend sa source dans
les monts Arsiani, au contrefort Ianalous-tcham. Cette
rivière se jette dans l’Imerkhévi -tskhali dont la vallée
est si étroite que jusqu’à l’Ardanoutch-tskhali, son
affluent, le passage est presque impraticable. C’est près
de Porta, au confluent de Plmerkhévi et de la Sali-
tskbali que sont les ruines du monastère Opiza, cité
auxXe, XIe, XIIe etXIIT s., comme un foyer littéraire
scientifique qui rayonnait sur le reste de la Géorgie. Il
fut fondé au IXe s. par Gourghen, fils d’Achot Couro-
poiate, et doté par lui de terres, de trésors et d’objets
pour le culte. Jusqu'au XVIIIe s , la plupart des bâti-
ments étaient debout; des moines y habitaient, et le
service divin s’y célébrait encore. On raconte qu’au
XIIIe s., sous le règne du roi géorgien David Narin,
les Mongols, lors de leur invasion, voulurentv pénétrer
et s'emparer des richesses que l’église renfermait; mais
de la montagne Gazo s’éleva tout à coup un tel oura-
76
GUIDE AU CAUCASE
gan que les envahisseurs furent dispersés et prirent la
fuite. L’église, qui était dans une enceinte murée est en
forme de croix. L’intérieur mesure 15 mètres de large
sur 20 de long. Architecture et style sont moins remar-
quables qu’à Tbéti. Sur le côté S. extérieurement,
une grossière sculpture représente le Christ assis sur
un trône et bénissant un édifice qui lui est présenté par
un personnage habillé comme un roi. Le nom d’Achot
seul est encore lisible parmi les autres mots de l’ins-
cription qui l’accompagne.
Route 15. — De Satléli à Ardanoutch (30 v.,
ci chenal ). La route ne suit pas la vallée de l’Imerkhévi-
tskhali, maislacrêted’Ialanous-tcham. jusqu au village
Batssa à l'E. duquel des montagnes abruptes obligent
de tourner au N. en longeant la rive droite de l’Arda-
noutch-tchaï jusqu’à la chaussée d’Artvine. A cinq
verstes de Batssa est le village d’ANTcm, avec les
ruines de l’ancienne cathédrale dont la construction est
attribuée au catholicos Vavila, pendant le gouverne-
ment du mthavar Adarnas, de 614 à 639 C’était le
siège de la direction spirituelle des évêques géorgiens
de la contrée entre Karkhaii, Opiza, les régions du
Tchorok et la crête pontique L image célèbre de l’église
d’Antcha fut transportée à Tiflis, lors de l'invasion
musulmane et est aujourd’hui dans l’église d’An-
tchiskhati. (Voir ce nom à l’itinéraire K. Tiflis.)
Route 16. — D’ Ardanoutch à P. rtvine et
Batoum. (Voir : De Batoum à Artvine et d’Artvine à
Ardanoutch. Routes 4, 5 )
Route 17. — De Samtrédi à Ozourghet
(51 v., route postale)
Samtrédi. [Buffet), Station à l'embranchement du chemin de
fer Uoii-Batoum-Tiflis-Bakou. 43 ) feux. Télérjraphe. Ponte
aux lettres et aux chevaux. Phaetons. Omnibus chaque jour
l’été. Départ de Samtrédi à? h. du matin; arrivée à Ozourghet
à 2 h après midi; départ d’Ozourghet à 2 h. ; arrivée à Sam-
trédi à 7 h. du soir.
En une heure, on est à Orpiri, autrefois centre im-
portant de commerce lorsque les bateaux à vapeur de
Poti remontaient jusque-là et transportaient voyageurs
et marchandises; cette bourgade ne compte plus au-
GUIDE AU CAUCASE
77
jourd’hui que quelques feux. Les « scopsis )), secte
tristement fameuse par la mutilation déshonorante que
ses adeptes pratiquent, n’y sont plus qu’en fort petit
nombre Un bac remplace le grand pont de bois jeté
sur le Rion en 1878, écroulé deux ans après, et l’on
passe devant la station du chemin de fer Sadjavako.
Là commence une montée assez raide qui aboutit à
un plateau d’où Ton jouit d’une jolie vue : Au premier
plan, le Rion qui se déroule comme un immense
serpent argenté; à droite, Ulméréthie noyée dans la
verdure; en face, la Tskhénis-tskhali et l’Abacha; à
gauche, la pointe d’Ourtha, dernier rameau des collines
servant de ceinture au bassin de l’Ingour et aux
plaines de la Mingrélie; au dernier plan, les cimes
neigeuses de la Souanétie et les crêtes boisées du
Ratcha; enfin, derrière soi, les hauteurs d’Akhaltzik
<3t d’Adjarie. Un pont en pierre sur la Khévis-tskhali,
cours d’eau qui sépare les districts de Koutaïs et
d’Ozourghet, et dont on va suivre le défilé pendant
4 v., amène au relais Kiiévis-tskhali (13 v.). On
gravit la montagne de Sadjavako du haut de laquelle
on aperçoit l'église de Natis-Sémeli , la vallée de
la Khévis-tskhali qu’on laisse à gauche et plusieurs
sources minérales qui n’ont encore été ni analysées ni
exploitées, mais que les indigènes boivent et dans
lesquelles ils se baignent. A la foire annuelle de
Sadjavako, au mois de juin, il se fait un grand com-
merce de soie. La vigne y prospère et y grimpe autour
des mûriers, des ormeaux, et produisait un vin qui,
jadis, passait pour le meilleur crû de laGourie. Jusqu’à
Tchokotaouri (12 v.) la route, assez escarpée, franchit
la Soupça et débouche dans une plaine circulaire en-
caissée par des montagnes d’où sortent la Lapna,
l’Améglibis-khili et la Goubazaouli qui se réunit à la
Soupça près de la forteresse Béréjoouli. Des plantations
de tabac occupent les deux rives de la Soupça. Au
milieu de la plaine, se voit à gauche un monticule
surmonté d’une petite forteresse et couvert de vignes,
et sur lequel le prince André Eristolf a bâti une habi-
tation et créé un jardin anglais où il essaye avec succès
d’acclimater les arbres les plus rares et les fleurs des
78
GUIDE AU CAUCASE
régions tropicales. A 12 v. de Tchokotaouri , sur
la gauche, les ruines de Nagomari, ancienne rési-
dence des princes de Gourie, et où se tient au mois
daoût la foire la plusiréquentée du pays. A 3 v» du
relais de Nagomari (11 v. 1/2), où aboutissent une
route allant à Nigoïti (station du chemin de fer de
Batoum) et un sentier conduisant à l’église de Djoumati,
(Voir ce nom route 21), on gravit la montagne boisée
Bakwi, du haut de laquelle on plonge à gauche, dans
le défilé de la Bakwis-tskhali, et à droite, dans celui de
la Natanébi. De Nasakérali, point culminant de la
crête, on découvre la vallée de la Soupça, les collines
de Gourianta, de Mikaël-Gabriel, d’Ikobi, où I on a
récemment mis au jour des sources pétrolifères, et, par
un temps clair, la ligne azurée de la mer Noire qui se
détache à l’horizon. Après Bakwi, village riche, on
passe à gué la Natanébi, et, à travers des champs de
maïs, de tabac, et des bouquets d’arbres auxquels se
suspendent quelques ceps de vigne, on entre à Ozour-
ghet (13 v. 3/4). Cette petite ville, ancienne résidence
des princes de Gourie, est dans une plaine, sur la rive
droite de la Broudji, entre deux ruisseaux, le Skoutchaï
et le Bazéri-tskhali (20,000 hab ) Poste aux lettres
et aux chevaux . Télégraphe . Auberges . Résidence
du chef de district, justice de paix, casernes, écoles*
églises.
Route 18. — D’Ozourghet à l’église de Likaouri.
(5 v., en voiture ou à cheval .) Au S. d’Ozourghet,
abritée par des hêtres et des chênes qui s’échelonnent
sur les pentes d’une petite éminence, et au milieu
d’une enceinte ruinée, s’élève l’église de Likaouri.
Elle est en pierres de taille, sans coupole, précédée
d’un porche, et a conservé du côté de l’E. quelques
sculptures. A l’intérieur : les restes de mauvaises pein-
tures murales représentant les princes et les princesses
de la Gourie aux XVIIe et XVIIIe s. Plusieurs images
en argent doré méritent l’attention.
Route 19. — De Likaouri à l’église d’Adji. (7 v.,
à cheval .) Un étroit sentier pittoresque longea mi-côte
l’Alis-skhari, torrent profondément encaissé au-dessus
GUIDE AU CAUCASE
79
duquel une végétation exubérante étend des frondai-
sons qui s’enchevêtrent d’un bord à l’autre. L’église
d’Anji est toute petite, en pierre rougeâtre; à inscrip-
tions, mais sans grande valeur artistique.
Route 20. — D’Ozourghet au monastère de Ghé-
mokmèdi. (5 v., en voiture jusqu’à la Broudja.) Par
la chaussée de Samtrédi pendant 1 v., puis en tour-
nant à droite, on arrive à la Broudja, qui coule au
pied de la montagne sur laquelle s’élève le monastère.
Le site est ravissant. L’église en pierre, sans coupole,
défigurée par des constructions postérieures, forme
maintenant deux chapelles accolées l’une à l’autre.
L’iconostase est rempli de belles images en argent dé-
corées d’émaux cloisonnés1. Simple monastère aujour-
d’hui, Chémokmédi était au XVe s. une cathédrale où
sont enterrés les princes de Gourie.
Route 21 . — D’Ozourghet à l’église de Djoumati,
(15 v., à cheval.) Après avoir passé la Natanébi à gué,
et suivi pendant une heure, la chaussée qui relie
Ozourghet au chemin de fer de Batoum, on tourne à
droite; on traverse la ligne de collines qui servent de
bassin à la Soupça, on descend à Gourianta, et on
franchit, dans un bac fort étroit la rivière sur les bords
de laquelle les champs de maïs, les prairies et les bou-
quets d’arbres s’étendent sur une longueur de 3 v.
devant les ruines de la forteresse Baïleti, convertie
en habitation par le prince Joseph Gouriel. On
gravit lentement la montagne au haut de laquelle est
bâtie à 1,644 pieds l’église de Djoumati. Une muraille,
flanquée d’un clocher par lequel on pénètre dans l’en-
1. L'encadrement de l’image de la « Vierge de Chémok-
médi » est en argent doré, repoussé, et formé par des scènes
de la vie du Christ. Dans la seconde vignette du côté gauche,
en haut, on remarque une Vierge ayant la coiffure géorgienne :
thcicsakravi, espèce de couronne en étoffe de soie ou de ve-
lours qui se porte au Caucase. La peinture centrale montre la
Vierge sous î’aspect touchant d’une mère charmante qui semble
n’avoir d’autre soin que de faire des caresses à son enfant et
de répondre à son sourire, tandis qu’il lui enlace le cou de ses
deux petits bras, dans une attitude délicieuse. L’ovale de la
tête, la découpure des lèvres, l’expression du regard, la pureté
des traits de la Vierge sont empruntés au type géorgien.
80
GUIDE AU CAUCASE
ceinte, entoure l’église sans coupole, sans sculptures,
restaurée plusieurs fois, et qui renferme des images,
des émaux cloisonnés, des croix et des inscriptions
précieuses pour l’histoire de la Gourie.' De la plate-
forme de l’église on a une des vues les plus merveil-
leuses qu’il soit possible d’avoir au Caucase, et que ni
la plume ni le pinceau ne sauraient rendre. Elle mérite
à elle seule les fatigues de l’excursion. Le panorama
grandiose qui se déroule de tous côtés aux yeux
produit une des impressions les plus vives que la
Gourie puisse laisser aux rares voyageurs qui la vi-
sitent.
ITINÉRAIRE J
Route 1. — De Samtrédi à Tiflis (505 v.), en
chemin de fer .
Route 1 (Suite). — De Samtrédi ( Buffet ) à Rion
[Buffet) 53 v., en chemin de fer , par Kopitnari.
Route 2. — De Rion à Koutaïs ( Buffet ), embran-
chement de 8 v. en chemin de fer; prix: 50 kop.,
38 kop., 25 kop. Koutaïs (23.644 hab.).
Poste aux lettres et aux chevaux, Télégraphe . Hôtels de
France, de Colchide, Grand-Iiôtel, de Russie, d’Italie, du
Caucase. Résidence du Général Gouverneur. Jardin public.
GUIDE AU CAUCASE
81
Ferme de la ville. Bazar. Hôpital. Bains 12 églises orthodoxes,
2 catholiques, 2 arméniennes, 8 synagogues ; 14 établissements
d’instruction; une bibliothèque, 1 journal. Banques de crédit
mutuel; foncière de la noblesse. Théâtre. Club. Fabrique
d’eaux gazeuses. Four à chaux. Manufactures de tabac. Bri-
queterie. Etoffes de laine renommées. Sellerie. Soieries. Bi-
jouterie en guichir.1 Agences de la Compagnie d’assurances
russe, de la Nadejda, du Volga, Russie, Salamandre. Photo-
graphie Michailoff. Excursions : La ferme; la cathédrale;
la grotte de Jason; Ghélath ; Motzameth, etc.
Plun des ruines d’OUKHIMERION et d’une partie de ROUTAIS moderne.
D’après Dubois de Montpéreux.
1. Le guichir est une substance fossile, sorte de lignite, d’un
noir dense 11 est très dur, susceptible d’un beau poli et point
friable. On en fait des chapelets, des croix et des bijoux. En
arménien, le mot guichir signifie « nuit ». C’est un point de
comparaison galante ; en parlant d’une femme on dit ; « elle
a des cheveux de guichir. » L’expression guichris-tma em-
ployée dans ce sens se trouve dans le poème épique du XIIe s.
de Chota Rousthavéli : « l’homme à la peau de tigre, » et dans
plusieurs romans géorgiens. Le guichir se nomme en grec
gagates . en latin de même (Pline) ; en russe : gagate , et parait
être de la même substance que le jais. 11 se trouve en assez
grande quantité au voisinage de Tkwibouly, non loin de
Koutaïs.
2e PARTIE
6
82
GUIDE AU CAUCASE
Fondée par le roi Léon en 792, la ville de Koutaïs
actuelle* avec ses ruines, renferme deux localités bien
distinctes chez les anciens et surtout dans Procope :
Oukhimérion et Koutatissium. Oukhimérion était la
ville fortifiée qui est au N., sur la rive droite du Rion
(Phase) ; Koutatissium, comprenait la ville actuelle
qui est dans la plaine au S. , sur la rive gauche. Malgré
ses origines d’une antiquité fabuleuse, Koutaïs, de
toutes ses vieilles fortifications et de ses monuments,
n’a conservé qu’un seul édifice chrétien du Xe et du
XIe s. : la ruine de la belle cathédrale construite par
Plan de la cathédrale de Koutaïs. Convexités dont les raccords
' sont souvent si disgracieux ,
l’architecte a donné aux absides latérales la même pro-
fondeur qu’à l’abside centrale; il les anoyéestoutes trois
dans un mur plan ; et comme ce mur eût, sans utilité au-
cune, atteint une très grande épaisseur entre les absides,
il y a creusé des niches à section triangulaire, terminées
au sommet par des coquilles de Saint-Jacques. Ces
niches forment le centre d’une ornementation de co-
lonnettes et d’arceaux du meilleur goût, et où l’on ren-
contre le chapiteau arméno-géorgien. Ce chapiteau est
fort simple : les colonnes se terminent par un petit
tore au-dessus duquel se développe un renflement
ovoïde surmonté d’une abaque qui déborde et reproduit
exactement le tore inférieur. Les quatre gros murs de
la cathédrale se tiennent encore debout par fragments.
Plus de clocher, plus de porche. Seuls, quelques lourds
chapiteaux portant de curieuses représentations ani-
Bagrat, roi de Géorgie. Elle
mesure 37 m. de long sur 27
ni. 50 de large au transept; la
nef centrale a 20 m. de haut
sur 8 m. 60 de la large. Le
plan n’est pas en croix grecque,
car la nef a trois travées. On y
observe des traces nombreuses
d’influence byzantine, mais la
décoration extérieure est dans
le goût arméno-géorgien . Au
lieu de laisser se dessiner les
GUIDE AU CAUCASE
83
males, des colonnes brisées, des pierres sculptées, en-
sevelis à moitié dans l’enceinte, attestent la magnifi-
cence passée de l’édifice démoli et saccagé en 1692 par
les Turcs. Des rues larges, des places plantées d’arbres,
de nombreux jardins entourant les maisons donnent à
Koutaïs un aspect gai et riant, tandis que le mont
Khomli prête à l’ensemble du paysage un certain carac-
tère de grandeur. Appuyée aux premiers renflements
des avant-monts du Caucase, la ville est abritée des
vents du N., mais exposée en été à des chaleurs étouf-
fantes et surtout au terrible vent d’E.
Route 3. — De Koutaïs au monastère de Motza-
meth (5 v., en voiture ou à cheval ). Ce couvent est
consacré aux martyrs David et Constantin, de l’ Al-
goutch, morts pour la foi durant l’expédition de Mour-
van-Krou, vers l’an 730. Le chemin par lequel on y
arrive est taillé dans le rocher : le lit de la Tskhali-
Tsithéla qui coule au bas, au milieu de deux rocs per-
pendiculaires, offre quelques points de vue pittoresques.
Reliques de saints ; images, etc.
Route 4. — De Koutaïs au monastère de Ghélath
(10 v., en voiture ou à cheval ). En sortant par le
faubourg des Juifs, on suit la vallée du Rion encaissée
entre les montagnes sur les flancs desquelles on voit çà
et là des habitations et des ruines de forteresses. Puis
le chemin tourne à droite et s’éloigne graduellement de
la rivière. Par une rampe un peu longue, on atteint un
col d’où l’on aperçoit le couvent fièrement assis sur le
contrefort avancé de montagnes boisées. Après une
descente assez raide, on franchit à gué la Thaltitéli ou
Krasnaïa-ritchka (rivière rouge), et on gravit pénible-
ment la montée qui conduitau monastère. En pénétrant
dans lacour, on jouitd’un panorama splendide qu’offrent
les riantes vallées qui s’étendent à vospiedset lamasse
imposante du Khomli ou roche de Prométhée (Komli,
en géorgien, signifie flambeau). Ghélath, un des plus
célèbres monastères de la Transcausasie, fut fondé par
le roi David le Réparateur entre les années 1089 et 1125.
D’abord asile de moines, le roi Bagrat III au XVIe s.,
et le patriarche Malakiou l’ont érigé en évêché. Ce
monastère est consacré à la Nativité de la Vierge,
84
GUIDE AU CAUCASE
comme l’indique son nom. Ghélath ou Ghénath est la
forme altérée clu mot grec yevlOXiz (nativité). Larichesse
et la diversité des objets sacrés qu’il renferme font
supposer que Ghélath a été l’abri où ont été déposés
les trésors de plusieurs églises, entre autres de celle de
Pitzounda (Bidchwinta), lorsque les Turcs s’en empa-
rèrent. L’iconostase de l’église principale est moderne,
mais orné d’images magnifiques anciennes, à émaux
cloisonnés. A gauche, celle de Khakhoul 1 (XIIe s.; à
droite, celle dite « de la Prière»2. Dans la sacristie une
1. Cette image célèbre fut apportée de Khakhoul, d’une
église bâtie pour elle par le roi David le Réparateur, au XIIe s.
Les inscriptions prouvent qu’elle a été ornée et embellie pen-
dant plusieurs siècles. Parmi les pierreries qui ornent les
fonds et qui avaient des noms spéciaux, il y a seize sceaux
royaux différents, avec légendes arabes, coufiques et géor-
giennes. Des trente-deux anciens émaux cloisonnés qui gar-
nissent le panneau central et les vantaux (les 58 autres sont
plus modernes et ont remplacé ceux qui ont été perdus ou
volés), il y en a un remarquable. On y voit un Christ en croix
vêtu de la robe sans couture le (Voir la note 1. Itiné-
raire D, route 1. Mtzkhet.) Il y a une quinzaine d’années le
revêtement en or de la Vierge du cadre intérieur, qui avait des
miniatures historiques fort intéressantes et était constellé de
pierres précieuses, a été volé, et c’est à Moscou qu’on a fait
refaire le nouveau qui ne peut être comparé à l’ancien. Ce
frand triptyque, en argent doré repoussé et ciselé, mesurant
m. de large sur 1 m. 50 c. de haut, est, comme finesse de
dessin et de travail, un véritable chef-d’œuvre,
2. La figure de la Vierge est grave ; elle étend la main en
signe d’octroi d’une grâce ; l’Enfant-Jésus bénit ; sa pose est.de
même que celle de la mère, calme et digne. Elle a l’aspect
d’une divinité ; elle reçoit l’hommage du roi Bagrat agenouillé
et parait y répondre. La Vierge et l’Enfant-Jésus, d’une carna-
tion vigoureuse, de tons chauds, les yeux grands et noirs, un
peu ronds, à sourcils longs et droits, ont les traits bien accen-
tués du type juif. A droite, on lit : «Très sainte mère de Dieu,
intercède le Seigneur pour moi roi des rois, Bagrat, de beau-
coup le plus pécheur de tous les hommes, présentementet dans
l’éternité, devant ton fils. » La Vierge porte une robe foncée,
bordée d’or, un voile d’étoffe jaunâtre ; l’Enfant-Jésus, une
robe rouge et un vêtement vert à plis jaunes. Les deux têtes
sont entourées d’auréoles en émail cloisonné vert émeraude.
Bagrat. avec une couronne d’or et ornements noirs, a un
manteau bleu foncé doublé d’hermine, un vêtement rouge vif,
une ceinture jaune à lignes noires et des agrafes, d’or. Les
cheveux sont rougeâtres, la barbe noire, les lèvres et l’oreille
très colorées.
GUIDE AU CAUCASE
85
foule de croix, manuscrits, mitres, broderies, etc.
L’image deBidchwinta la croix de David le Réparateur,
la bague du roi Georges 1 sont des échantillons curieux
de l’art indigène. A gauche du chœur où est enchâssée
la belle mosaïque donnée par l’empereur Alexis Com-
mène au roi David le Réparateur, et représentant la
Vierge et les archanges Michel et Gabriel, on voit sur
le mûries portraits en pied de Roussoudane, Bagrat III,
Ghiorghi I, Hélène, Bagrat IV, Evdémon yCatholicos
d’Abkhazie), David le Réparateur. D’autres peintures
murales rappellent différents épisodes historiques ou
religieux et ont quelque intérêt parce qu’elles montrent
les anciens costumes royaux et ceux des évêques d’I-
méréthie.Le sépulcre du roi David se trouve dans une
chapelle fort délabrée attenant au couvent; sur la pierre
tombale est gravée l’inscription: « Autrefois j’ai offert
un festin à sept rois qui furent mes hôtes ! Telle était
ma puissance que j’ai chassé les Persans, les Turcs et
Arabes de mes frontières. J’ai mis les poissons d’une
mer dans l’autre (c’est-à-dire de la mer Noire dans
la mer Caspienne), et moi qui étais si fort, je suis
maintenant couché ici les bras croisés ! » Près de la
tombe est une porte en chêne bardée de plaques de fer ;
David, après avoir pris d’assaut Derbent peut-être ou
plutôt probablement Gandja (Elisabethpol), en aurait
emporté les portes et aurait ordonné, avant de mourir,
qu’on déposât près de sa sépulture ce glorieux trophée2.
Route 5. — De Koutaïsaux Vallées de la Tské-
nis-tskhali et del’Ingour3(à cheval). C’estde Koutaïs
que se visite, de préférence, au moisd’août laSouanétie,
c’est-à-dire les vallées hautes de la Tskhénis-tskhali et
1. Cette bague en or, datant du XI- s., porte une inscription
géorgienne, en émail noir, tracée autour de l’ovale où est gravé
saint Georges ; on lit: « Saint Georges ! moi, Georges, m’ap-
puyant sur ta force, je bats mes ennemis. »Or,ce roi Georges II,
est le père de David le Réparateur auquel on avait attribué
jusqu’à présent ce bijou. Brisée, cette bague de pouce (usitée
encore dans toute la Transcaucasie) est de grande dimension,
son cbaton s’ouvre et renfermait probablement des reliques.
2. D’après Orsolle.
3. D’après Bœdeker.
86
GUIDE AU CAUCASE
de ringour, jusqu’à l’enclroit où les deux rivières tour-
nent de l’O. au S. Celle de la Tskhénis-tskhali a envi-
ron 60 v. de long, mais il n’y en a qu’une petite partie
cultivée, et là où il n’y a pas de forêts ou de pâturages,
les versants des montagnes présentent des rochers à
nu. Il y a trois localités, dont les habitations sont très
dispersées; Lenttiéki, dans le bas ; Tcholouri ou
Tchokhir et Lachkéti, la dernière. Elle aboutit à la
chaîne centrale, où est, au N. -O. le Pazi-Mta, par où
l’on passe dans la
vallée du Tchérek.
La vallée haute de
l’Ingour , fermée
au N. par les prin-
ci pau x som mets de
la chaîne centrale,
comprend dans la
partie supérieure
quatre localités
dites la Souanétie
Libre : Ouchkoul
(2.165 m.), Kala, Adich (2.160 m.) et Moujal
(1.600 m.) et dans sa partie inférieure Latal (1.338 m.),
Betcho (1,280 m.), Pari (1.419 m.), et Lachras
(1.016 m.j, désignés ensemble sous le nom de Dadich-
kiliani, d’après une famille princière qui y demeure.
Les vallées de la Tskhénis-tskhali et de l’Ingour sont
séparées par une croupe de montagnes calcaires d’une
hauteur considérable, que traversent le col de Latpari
à l’E (v. ci-dessous) et les cols de Lazil et de Latal à
l’Ô. Une excursion de Koutaïs jusqu'au col de Lat-
pari demande trois jours (six jours aller et retour par
le même chemin), et cela donne une idée du temps que
prendrait un plus long tour de ce côté. On suit la nou-
velle route de Mamisson 1 dans la vallée du Rion,
jusqu’à Albani (20 v.), puison traverse à l’O. la chaîne
de hauteurs peu considérables qui la sépare de celle de
Tskhénis-tskhali. Ensuite on passe au N. par Mouri
ou Zakiiéri et par une magnifique forêt d’où l’on ar-
1. Voir itinéraire E., route 14. De Vladikawkaz à Koutaïs.
GUIDE AU CAUCASE
rive à Lenthéki et à Tcholouri. Le montée au col de
Latpari (2.827 m.) est assez raide. La vue de ce col
ou mieux d’un point env. 100 m. plus haut, embrasse
le côté S. de la
chaîne centrale
avec ses cimes gi-
gantesques et ses
glaciers. A l’E. ou
à droite, les parois
colossales et déchi-
queiées du Chkara
et du Djanga ; à
l’O., les hères py-
ramides de Ghez-
tola et du Tet-
nould (5.091 m.),
gravi en 1887 par
Freshfield. En re-
descendant du col
au N., on voit la
double cime de
rOuchba ( 4.759
m.), le Cervin
du Caucase. On
trouve un gîte au
bas du col , au
(( doukhan » (caba-
ret) de Kala. De
là. on peut aller à
l’O. par Moujal,
Meztia (1 402 m. )
et Betcho , sur
l’Ingour , jusqu’à
Zougdidi , rési-
dence des Dadians,
famille princière
de Mingrélie, d’où
une route mène à S amtrédi (42 v ), à 11-14 jours de mar-
che de Kala. A l’E. de Kala, on va par la région ou sont
les sources de la Tskhénis-tskhali dans la vallee supé-
rieure du Rion, nommée Ratcha. 11 y a par la trois
88
GUIDE AU CAUCASE
cols à traverser l’un après l’autre, les colsdeNAKZAGAR
(2.662 ni.), de Nochka (2.580 m.) et de Goribolo
(2.927 m.). Vue superbe sur la chaîne centrale, d’Ou-
chba à l’Adaï*Kokh. Il y a trois journées de marche
d’OucHKOUL (v ci-dessus > à Ghébi, dans la vallée su-
périeure du Rion. et il faut coucher deux fois en plein
air. Ensuite on gagne la route de Mamisson. De
Ghébi, on gravit en sept heures le Choda (3.628 m.),
d’où la vue est très étendue. On peut aussi retourner à
Koutaïs en quittant la vallée du Rion à l’embouchure
du Khotévi et descendant par Nikhortzminda (forêt
luxuriante), Tkwibouli et Ghélati : 3 à 4 jours à che-
val de Ghébi.
Route 6. — De Koutaïs à Mouri (Letchkhoum),
par Khoni et la vallée de la Tskhénis-tskali. De
Khoni, et par une longue plaine, on entre dans la
vallée de la Tskhénis-tskali, une des plus accidentées
et des plus belles du Caucase. Près de Bombouas-
khédi , à l’entrée de la gorge et à gauche, est le château
de Gordi appartenant au prince Nicolas de Mingrélie,
et qui mérite d’être visité1. On gagne Gvédi, village
groupé près d’une tour carrée. Quelques maisons des-
cendent jusqu’au torrent, la plupart dominent la route.
A une heure et demie de marche, on trouve la « source
de la reine ». Un peu plus loin, au tournant d’une côte
est le hameau de Lazgwéria. A 7 ou 8 v. de là, on
franchit la Tskhénis-tskhali sur un pont de pierre et
on aperçoit la citadelle et le village d’IssouDÉRi. On
atteint Okouréchi bâti sur un mont déboisé. L’église
en pierre est entourée d’une galerie, et possède quelques
images. On côtoie de loin, par une longue montée, la
rive gauche de la Tskhénis-tskhali et l’on arrive à
Aghvi. C’est l’entrée du Letchkhoum fermé au N. par
le Caucase souane, à l’E et à 10. par la Tskhénis-
tskhali, la Djanoura, au S. par les montagnes et les
rochers qui le séparent de l’Iméréthie. Recouvert d'une
excellente terre végétale qui produit du froment et un
1. L’église de Gordi possède une image de la Vierge de Lan-
kbéran apportée au Xe s., par Hélène, fille de l’empereur
d’Orient, mariée à Bagrat IV.
GUIDE AU CAUCASE
89
petit vin doré fort agréable, le Letchkhoum exposé de
toutes parts aux bienfaisants rayons du soleil, renferme
bon nombre de villages, une population paisible, et
jouit d’un climat renommé pour sa salubrité, mais sa
haute position y rend les hivers rigoureux. DcNakou-
raléchi par Naspir ’Oudiéri’ Mtzkhéta. Dekhwir,
on atteint Mouri. Tsaghéri est près delà. L’église,
sans coupole, est de grandes proportions; elle a une
jolie porte en if sculpté.
Route 7. — De Mouri1 à Lachkéti (à cheval ).
En sortant de Tsaghéri on s’élève péniblement sur
une haute montagne, puis on descend au Kourekqu’on
traverse. En cinq heures, on est àLENTHÉKi; c’est, une
citadelle construite sur un promontoire au bas duquel
se réunissent la Khélédoula et la Laskadoula; quelques
maisons du village voisin offrent un gîte suffisant aux
voyageurs. On est en Souanétie mingrélienne. En
quelques verstes on entre à Ghoudili, puis à Tchilouri.
Jusqu’à Loudji, la route passe et repasse la Tskhénis-
tskhali ; on ne voit, que des vallées charmantes, de
jolis villages aux maisons de pierre crénelées. Lachkéti
est le dernier endroit habité sur la Haute-Tskhénis-
tskhali2.
Route 8. — De Koutaïs à Laïlachi (Letchkhoum)
(60 v.), en phaéton jusqu'au pont d’Àlpani ; de là (à
cheval). De Koutaïs, on suit la rive droite et la vallée
du Rion ; on passe par les villages Opichkti etMERK-
wéna, D’Alpani on s’engage dans le défilé de Landja-
nouri; on tourne à droite et, par une montée de 3 v.,
on atteint Laïlachi.
Route 9. — De Koutaïs à Betcho (Souanétie)
(179 v. 1/2, à cheval ), par Namokhovani (21 v.),
1. De Mouri, on peut descendre à Laïlachi, et, par la vallée
du Rion, aller au Ratcha. à Koutaïs; ou bien on peut par
le N pénétrer en Souanétie
2. En une journée on peut entrer dans la vallée des princes
Dadichkiliani et de là aux sources de la Maka; ou bien
pénétrer dans la Souanétie libre, mais la route est meilleure
par Mouri et Lenthéki. Enfin, on peut se rendre au Ratcha
soit en gagnant les sources du Rion. soit en suivant la vallée
de la Djanoura et en tournant à l’E. de Saïrmo vers Oni.
90
GUIDE AU CAUCASE
Tviciii(21 y.), Alpano (8v.),Orbéli (10v.),Mouri (8v.),
Liskouri (24 y.), Loudji (19 y. 1/2), Davbéri «20 v.),
Ipar (17 v.), Gémoukh (7 v.), Mesti (7 v.), Latal
(9 y.), Retcho (8 v.).
Route 10, — De Koutaïs à Oni et Glola Ratclia),
(à cheval ), par Tkwibouly, Nicortsminda, Khotévi,
Outséra (haute vallée du Rion). Tkwibouly, qui est
relié à Koutaïs par une voie ferrée, est situé sur le
haut de la Dzévroula, au pied du mont Sagoré et est
connu par les riches mines de houille qu’on commence
à y exploiter. Après la rude montée de Nakérala, on
redescend à travers quelques taillis. Au bas, un beau
lac très poissonneux, nommé Kharis-tchwali (œil de
bœuf), étend ses eaux bleues. Le torrent Khaor, qui
se perd sous la terre pour en ressortir à quelque dis-
tance, arrose une plaine qui lors des grandes pluies
est inondée, et comme elle est accidentée de trous
profonds, le passage en devient souvent dangereux.
Bientôt l’église de Nicortsminda s’aperçoit au loin. A
gauche, dans un bois, on peut aller voir une glacière
naturelle, dont les abords sont assez difficiles. Un
grand rocher est percé d’une ouverture surbaissée par
laquelle on pénètre, sur des éboulis de pierres, au fond
d’une caverne de 2 pieds de haut. Des stalactites de
glace se forment sous une fente d’où l’eau suinte,, et,
dans le fond, est un réservoir dont la surface est
couverte d’une glace solide. L’église épiscopale de
Nicortsminda (XL s.), résidence de l’évêque du
Ratclia, est un très joli édifice, en forme de croix, à
haute coupole, orné de sculptures à la manière géor-
gienne. Beau parvis à l’O.; chapelles au N. et au S.;
peintures grecques; images, croix, etc. Par Khotévi
on va à Ambrolaour. On traverse le Rion à Kidio-
thavi où l’étroit passage est gardé par une forteresse, et
on atteint Sori. De là à Oni, il y a une quinzaine de
verstes. Toute cette vallée du Rion ressemble à celle de
la Souanétie mingrélienne. La route, longeant la rive
droite de la rivière, arrive à Oijtséra (10 v.). A côté,
des sources ferrugineuses carbonatées sortent de terre,
et, un peu plus haut dans le village, des eaux g azeuses
dégagent des exhalaisons très fortes. D 'Outséra on
GUIDE AU CAUCASE
91
continue sur Glola. De sa belle et forte citadelle, il
ne reste que des pans de mur. Elle s’élevait sur un
mamelon très raide et commandait le village placé
entre elle et la Bokona, torrent furieux qui ronge
incessamment les terres. C’est dans une de ses inon-
dations qu’il a balayé le village reconstruit depuis dans
un endroit moins exposé à ses ravages1. D'Outséra,
on peut remonter le Rion jusqu’à son confluent avec
la Glola, puis, tournant à gauche, on atteint par
Chiora le bourg de Ghébï dont les maisons en pierre,
crénelées, ont bonne apparence. Au delà de la dernière,
on domine le Rion, petit et étroit, qui prend sa source
à peu de distance et n’a plus sur ses rives d’autre village
que celui de Khidour. Jusqu’à Lachkéti, il y a une
journée de marche, et, par Tcholour, Lenthéki, on
peut déboucher dans la vallée de la Tskhénis-tskhali.
Route 11. — De Oni à Kwirila. station du chemin
de fer Poti-Batoum-Tiflis-Bakou (101 v. 1/2, à cheval).
On gravit pendant quatre heures la montagne qui
sépare le bassin du Rion de celui de la Kwirila nommée
par les Géorgiens Satzalici et Cetzébi. On traverse
Velthéthri, Kwachkeheth, Chkméri. On descend
pendant trois heures la vallée très pittoresque de la
Djourdchoula et la route tracée par le général Espéjo.
Un peu avant le couvent de Djoudch, le chemin tourne
à gauche pour aller dans le Karthli. L’église est à
coupole et sans ornements architectoniques, mais elle
possède le plus ancien évangile manuscrit géorgien,
daté, de l’année pascale 936 de Jésus-Christ (c’est-à-
dire 1032). On passe à Satchkéri, ou mieux, en suivant
la vallée de la Djourdchoula et celle de la Kwirila, on
gagne Mghvimévi, village à mi-côte. Dans le haut,
s’ouvre une grande caverne où ont été bâties deux
églises. Pour en affermir remplacement, on a fait une
construction en maçonnerie qui soutient le rocher et le
poids des édifices. Au fond de la caverne, une source
suinte à travers le rocher, et là où l’eau tombe il s’est
formé un cône de sédiment pierreux comme celui de la
source de Saint- Allyre prè£ de Clermont en Auvergne ;
1. D’après Brosset.
92
GUIDE AU CAUCASE
le surplus des eaux s’écoule dans un chéneau creusé
dans le roc. Une autre grotte aussi intéressante est
celle d’où sort la Tchiatoura. affluent de la Kwirila et
qui jaillit en cascade de la paroi du fond. La grande
église de Mghvimévi est très ornée extérieurement et
doit avoir plusieurs siècles de date. La porte est en
ceps de vigne très joliment ouvragés. De Mghvimévi,
en poursuivant vers LO. au milieu d’affleurements de
manganèse, on suit la rive de la Kwirila, et en prenant
à droite, il faut aller visiter l'église de Katsky, placée
au point le plus élevé du dernier promontoire des
hauteurs qui séparent la Katskoura de la Kwirila.
Très originale et comparée à une coquille d’huître à
cause de sa forme due à la fantaisie d’un architecte de
talent, l’église est en croix à l’intérieur, de hauteur
médiocre, ornée d’une coupole à 12 fenêtres décorées de
sculptures. Les constructions dont elle est entourée et
qui, du côté de l’O. lui donnent une forme circulaire,
ne s’élèvent que jusqu'à la naissance de la coupole.
Dans l’intérieur, le long de l’iconostase, il y a une
foule de richesses comme croix, images, évangiles, etc.
De l’esplanade du couvent, vers le N., on aperçoit le
cône de pierre nommé svèti (colonne) au sommet duquel
on ne sait quelle industrie a bâti la petite église de
Saint-Siméon. L’excursion est facile. Les princes Léo-
nitzé qui possèdent là des propriétés considérables,
offrent l’hospitalité la plus gracieuse aux voyageurs
qui passent sur leurs terres. Les grottes de stalactites de
Varkméla méritent aussi d’être vues. Jusqu’àKwirila,
il y a 28 verstes par Djokovéti et Délikaouri ; mais en
traversant la Kwirila près de Katsky, en remontant
par une pente très escarpée, et en descendant vers le
bassin de la Dziroula, on va à Oubé dont l’église en
pierre détaillé, sans coupole, mais voûtée à l’intérieur,
a quelques peintures et des images. Près de l’église est
une tour carrée pour un ermite (XIIe s.) dans le
genre de celle de Martvili. D’Oubé à Bélagori, à
travers champs, on rejoint la ligne du chemin de fer,
mais le passage à gué de la Tchkhéréméla est souvent
difficile \
1. D’après Brosset.
GUIDE AU CAUCASE
93
Route 12 De Routais à Tkwibouly (40 v., en
chemin de fer) par Ghélath, Cernévodi.
Route 13. — De Koutaïs à Abastouman (92 y,
environ, en voiture ou à cheval). Prix d’un phaéton :
30 à 40 r. On traverse la plaine d’Adjameth et la
Kwirila. Un peu au-dessous de Varsikhé, ancienne
résidence de Gamba, se voient les ruines du château
qu’Alexandre, roi d’Iméréthie, restaura ; elles couvrent
le sommet d’unecolline plate qui domine la rive gauche
de la Kwirila à peu de distance de son confluent avec
le Rion. On se dirige vers Bagdad ; en remontant la
rive droite de la Kani-tskhali on traverse des bois, des
fourrés, et le village de Doketti; on longe une église
ornée de sculptures et d’inscriptions géorgiennes. Delà
on entre dans une forêt de poiriers sauvages avec des
clairières semées d’habitations. On commence à monter
dans la gorge où les maisons de Bagdad sont semées
en amphithéâtre. Un fort carré et abandonné est une
construction des Turcs qui en furent délogés en 1770
par le général Totleben. Non loin, à droite, est l’église
de Persati, placée à 1500 p. au-dessus du niveau de la
mer. En suivant le cours de la Khani-tskhali encaissée
entre deux murailles de grès verdâtre, et par un chemin
taillé le plus souvent dans la paroi ou sur les assises
du rocher, on rencontre les villages d’AusMÉRETH, de
ZÉGouRietde Khané. Ce dernier, dont le nom géorgien
signifie « longtemps », est bâti à plusieurs étages dans
un élargissement de la vallée ; le Haut-Khané, à 700 p.
au-dessus de la rivière, est dominé par une large plate-
forme sur laquelle sont ramassées une trentaine de
maisons de bois entourées de vignes et groupées autour
de l’église rebâtie depuis 1832 avec les matériaux d’une
plus ancienne qui était défendue par une muraille.
De Khané on monte sur de grands massifs de rochers
d’où la vue plane sur de sombres gouffres au fond
desquels écume le torrent. On trouve encore sur la
hauteur quelques champs de maïs, puis, au bout de
quelques verstes, on quitte toute trace de culture pour
redescendre jusqu’à Abastouman par un chemin raide
et sauvage, mais au milieu d’une végétation superbe*.
1. D’après Dubois de Montpéreux.
94
GUIDE AU CAUCASE
Route 14.— De Koutaïs à Vladikawkaz (220 v. )
grande route, par la vallée du Rion, on monte à Oni ,
Glola , Gourchavi , On franchit le col de Mamisson
(2,800 m). Puis,
on descend à
Kzourtè , i?Ls,dans
la vallée de l’Ar-
done. On passe à
Aiaghir et par
Arkonskaïa on
arrive à Vladi-
kawkaz, ( Voir iti-
néraire E , route
14,)
Route 15. —
De Koutaïs à
Rion (8 v., en chemin de fer). Voir route 2.
Route 1 (suite), — De Rion à Kwirila (28 v., en
chemin de fer). Avant Adjaméthi, à gauche, sàiperçoit
la villa Tchognary, ensevelie sous la verdure et les
roses ; à droite s’étendent de vastes forêts giboyeuses.
Suiri est renommé pour ses vins. Kwirila [buffet).
Chef-lieu de district. 1,500 hab. Poste aux lettres .
Télégraphe, Iiôtel de France, Entourée de coteaux
fertiles, cette petite ville est une station très animée où
est concentré tout le commerce du manganèse dont les
gisements occupent, dans le district de Chorapan et
dans le bassin de la Kwirila, une superficie 126 v.
carrées.
Route 16. — De Kwirila à Satchkéri (54 v.,
à cheval) par Boslévi. Tchiatouri. De Kwirila il y
a trois chemins : ou bien l’on suit presque constamment
la rivière de ce nom en passant par Boslévi (c’est
par là que viennent les minerais entreposés à Tchia-
touri et provenant des communes de Zéda-Rgami,
Gvimévi et d’ARKvÉTi) ; ou à travers les montagnes on
gagne Katsky (c’est par là que viennent les minerais
de Rgami) ; ou enfin par Oulévi, en suivant le sommet
du plateau jusqu’à la rivière Dziroula, qu’on traverse
à gué, on atteint les gisements d’iTKvisst, Ciioukrouti
De Koutaïs à Vladikawkaz par le col de Mamisson.
GUIDE AU CAUCASE
95
et, Pérévissi ; (c’est, par cette voie qu’on transporte les
minerais de la rive gauche de la Kwirila). Un chemin
de fer, en construction, reliera Kwirila à Tchiatouri
dans quelques mois.
Route 17. — De Kwirila Oni (101 v. 1/2, à cheval)
par Boslévi (12 v.), Mordzoneti (14 v.), Keïamouri
(10 v 1 /2), Satchkéri (14 v. 1/2), Dgrutchi (13 v. 1/2),
Schkméri (19 v.), Oni (18 v.).
Route 1 (suite). — De Kwirila à Mikhaïloff (59 v.,
en chemin cle fer) par Dzérouli, Bélagori (buffet),
Marélisé, Béjétoubani, Varvarino (buffet), et
Mikhaïloff (buffet).
C’est à Béjétoubani que commencent les pentes de
Souram. La locomotive est dételée et remplacée par
deux machines Fairley. Le train remorqué par ces
engins puissants monte lentement vers le col. Au fond
de la vallée de la Tchkhéréméla dont les eaux coulent
pures, et sur lesquelles sont jetées quelques frêles
passerelles en clayonnage, mille ruisseaux se précipitent
en une série de cascades; des forêts et des bouquets
d’azalées, de rhododendrons, de clématites, d’églantiers,
couvrent en été les flancs des montagnes ; de vieilles
forteresses juchées dans des situations pittoresques
donnent à ce paysage le charme spécial et mélancolique
propre aux ruines. Après Varvarino la voie traverse
par un tunnel de 3 v. 1/2, ouvert en 1890, la croupe de
Souram et on atteint Mikhaïloff.
Route 18. — De Mikhaïloff à Souram (4 v. en
chemin de fer ou en voiture). Buffet. Poste aux lettres
et aux chevaux. Télégraphe en toute langue). Camp
d’été pour l’armée. Souram, le Sourion de Ptolémée,
le Surium de Pline, le Sourami de Vakhoucht, est une
petite bourgade de la Kartalinie, située à douze verstes
du col de Lhiki qui sépare la Géorgie de l’iméréthie.
C’était là que passait la route commerciale qui reliait
les colonies grecques du Pont-Euxin à l’Ivérie et à la
Perse. Les marchandises remontaient le Phase (Rion)
et la Kwirila jusqu’à Chorapan d’où on les chargeait
sur des chevaux ou des chameaux pour franchir les
montagnes meskiennes et atteindre les bords du Cyrus
96
GUIDE AU CAUCASE
(Koura) où recommençait la navigation. Souram est
baigné par le ruisseau du même nom qui se jette un peu
plus bas dans la Koura. Ses environs sont d’une fertilité
remarquable et produisent un des plus beaux froments
de la Géorgie, bien que la plaine de la Kartalinie ait
une élévation considérable et que Souram ne compte
pas moins de 2,113 pieds de hauteur au-dessus de la
mer Noire. Aujourd’hui ce bourg de 1,500 habitants ne
Le col de Souram et l’ancien tracé du chemin de fer.
D’après la carte d’Élisée Reclus.
renferme que la gare du chemin de fer, quelques bâti-
ments de l’Etat, des casernes, des hôpitaux et une cen-
taine de maisons géorgiennes. En revanche, le paysage
est caractérisé par l’imposante ruine qui domine le
village. Selon Vakhoucht, le château de Souram aurait
été fondé au IIe s. avant Jésus- Christ par le roi Phar-
nadjam,de la seconde dynastie géorgienne. Cet antique
manoir couronne un roc isolé qui surgit comme un îlot
entre les deux bras delà Souramka. Là vivait un seigneur
suzerain ( tkavad ), un de ces petits despotes que les rois
du Khartli avaient tant de peine à contenir. Sur la face
S.-E. du château on remarque une muraille crénélée qui
plonge sur l’abîme et semble n’être que la continuation
GUIDE AU CAUCASE
97
du rocher. La tradition prétend qu’un des seigneurs de
Souram se donna beaucoup de mal pour construire ce
mur qui devait compléter la défense de la forteresse. Il
avait beau choisir les meilleurs matériaux et surveiller
lui-même les travaux, rien n’y faisait, et, à peine à la
moitié de sa hauteur, l’ouvrage maudit s’écroulait. On
recommença plusieurs fois à bâtir, mais toujours en
vain; la muraille enchantée s’obstinait à tomber en
poussière. Alors l’architecte déclara qu’il n’y avait
qu’un moyen de rompre le charme, et que ce moyen,
qui lui avait été révélé par un songe, consistait à
enterrer vivant, sous les fondements... un fils unique !
Grand fut l’étonnement des villageois à la nouvelle de
ce nouveau procédé d’architecture, mais ils se tran-
quillisèrent bientôt, chargés qu’ils étaient tous d’une
nombreuse progéniture. Cependant on découvrit parmi
eux une pauvre veuve, laquelle n’avait qu’un fils qui la
soutenait parle travail de ses mains. Le malheureux
remplissait les conditions requises, et il fut désigné
pour être descendu dans la fosse. Après le sacrifice la
muraille s’acheva si heureusement qu’elle tient encore
aujourd’hui ; seulement elle ne sécha jamais entière-
ment, et l’humidité qui suinte à sa surface est attribuée
aux larmes versées par la mère infortunée. Une vieille
chanson, connue aux environs de Souram, exprime
les plaintes de la pauvre veuve qui parle à son fils
Zourab pendant qu’il est peu à peu muré. Elle lui
demande s’il l’entend, s’il est encore vivant, et, à la fin
des différents couplets, Zourab répond qu’il est déjà
enterré jusqu’à laceinture, puis qu’il en a jusqu'au cou,
et enfin ses adieux se résument dans ce cri déchirant :
(( Waimé déda gavtavdi ; )) maintenant, mère, c’est fini !
Telle est la légende singulière qui se rattache au château
de Souram devant lequel le voyageur passe avec indiffé-
rence. Aujourd’hui abandonnée aux oiseaux de nuit ce
n’est plus qu’une ruine comme il y en a tant au
Caucase.
Route 19. — De Mikhaïloff à Borjom, (27 v. 1/2,
en équipages cle poste , omnibus , ghacton) par Savans-
liskiiévi (14 v. 1/2) Borjom (13 v.). — Mikhaïloff
[ Buffet . Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe .
2e PARTIE 7
98
GUIDE AU CAUCASE
Grands ateliers du chemin de fer. Auberges.) Au bout
de 6 verstes, on entre dans le défilé de la Koura. Des
collines boisées, plantées de conifères et couvertes de
verdure et de champs de maïs escortent le voyageur
tout le long delà route qui est une des plus charmantes
du Caucase. Borjom, à 3,048 p. au-dessus du niveau
de la mer Noire, propriété de S. A. I. le grand-duc
Michel Nicolaïévitch.
Hôtels : << Cavaliersky dôme», « de Marseille », de « Berlin. »
Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe en toute
langue. Parcs du palais. Remert, Vorontzoff, des eaux miné-
rales. Etablissement de bains. Casino. Bibliothèque. Bazar.
Hôpital mililaire. Une église orthodoxe, une arménienne, une
école. Maisons meublées à louer depuis 400 r. Chambres
50 r. environ, pour la saison, c’est-à-dire depuis le 15 mai
jusqu’en octobre.
Saison thermale du 1er juin au 10 septembre. Source
(( Catherine», alcaline, carbonatée. Source « Eugénie »
ferrugineuse, alcaline, carbonatée. Source « Tsagver »
ferrugineuse, alcaline, calcaire. Outre le traitement
ordinaire avec l’eau des sources « Catherine » et
« Eugénie », les malades peuvent prendre des bains
avec application de l’électricité, et trouvent dans l’éta-
blissement de Borjom des appareils à air comprimé et
raréfié, des sels minéraux, etc.
Excursions. — Eglise de Daba ; monastère de Timothé-
Soubane ; église de Satghéri ; Likane ; Ziloné monastère ;
ruines des vieilles forteresses ; lac Tabitskour.
Route 20. — De Borjom à Akhaltzik, (46 v.
en équipages de poste ou phaéton) par Straçhnokopski
(14 v.), Atskour (12 v.), Akhaltzik (20 v.). C’est à
Atskour que finit le défilé delà Koura. La vieille et
pittoresque forteresse profile ses tours démantelées au-
dessus du village dont l’église ruinée était un joli
modèle d’architecture; Akhaltzik (18.269 hab.) Hôtel .
Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe. Orfè-
vrerie ; bijouterie en filigrane. Costumes de femmes fort
curieux. — L’époque précise de la fondation de cette ville
est inconnue. On la voit mentionnée pour la première
fois dans l’histoire sous le règne de la reine de Géorgie
Thamar, au XIIe s. Assiégée et prise par le général
Paskévitch, pendant la guerre de 1828-1829, elle fut
GUIDE AU CAUCASE
99
cédée définitivement à la Russie par le traité d’Andri-
nople ainsi que le pachalik auquel elle avait donné son
nom. La forteresse d’Akhaltzik domine toute la villeet
offre un des plus jolis points de vue de la route. Visiter
les nombreuses églises , le quartier juif. Excursion au
village de Ciorklis (3 verstes), à demi enfoui sous la
verdure.
Route 2 1 . — D’ Akhaltzik à Abastouman (24 v. , en
équipages de poste , omnibus , phaéton). Abastouman,
Hôtel du Centre . Poste
aux lettres et aux chevaux .
Télégraphe en toutes lan-
gues. Observatoire météo-
rologique que S. A. I. le
grand-duc Georges Alexan-
drovitch a fait construire.
La création d’Abastouman
comme station balnéaire est
due au docteur Remert.
(1870). Dans un défilé res-
serré, sur lesdeuxrives d’un
petit ruisseau , s’échelon-
nent une caserne, des églises
un bazar, les magnifiques
établissements de bains, les
hôpitaux, les nombreuses
quelques années, et le charmant palais de S. A. I. le
grand-duc Georges Alexandrovitch. Le climat très doux
d’Abastouman (qui est cependant à 4,170 p. au-dessus
du niveau de la mer Noire) et ses eaux thermales
attirent une foule de malades U La seule promenade
1. Les trois sources d’ Abastouman débitent 86,000 védros
(1 védro =r 12 litres) par jour ; leur température varie entre
37 et 33 degrés Réaumur. L’une des meilleures installations
de l’établissement thermal est celle des chambres réfrigérantes.
L’eau est amenée par des tuyaux hermétiquement fermés dans
quatre chambres cimentées. Dans chacune d’elles, le conduit
qui contient l’eau destinée aux bains est refroidi par de l’eau
de source, laquelle produit exactement un abaissement de
4 degrés. De sorte qu’en passant successivement par les
quatre chambres, l’eau chaude de 37 degrés est refroidie
jusqu’à 21 degrés. L’établissement, qui contient trente-deux
AKHALTZIK.— D’après Élisée Reclus.
villas construites depuis
100
GUIDE AU CAUCASE
assez rapprochée est un petit bois de sapins où Ton va
chercher de l’ombre; Tunique distraction est l’ascension
quotidienne à la (( Rotonde,» où joue la musique et où
Ton danse pendant la Isaison. Le voyage et la vie à
Abastouman coûtent cher ; les maisons se louent 5, 6,
700 roubles et plus; une chamble meublée : 100 rou-
bles, depuis le 15 juin jusqu’au 15 août.
Route 22. — D’ Abastouman à Koutaïs, (92 v.)
en voiture ou à cheval . Prix d’un phaéton 30 à 40 r.
On suit la vallée de l’Abastouman-tchaï au milieu de
montagnes couvertes de forêts Puis la route, bien
tracée, taillée à pic, s’élève rapidement. Les forêts
cessent, de superbes basaltes les remplacent, une flore
merveilleuse apparaît. On atteint le col de Zèkavi
(2,600 m.) d’où Ton embrasse une vue très étendue sur
toute la région qui domine la vallée du Rion et celle
de la Koura. De là on descend au milieu des rhodo-
dendrons et des lauriers jusqu’à Kerchbéti ; non loin
est la station thermale de Zèkari-A banqff. Puis on
s’arrête kBagdad où se termine la descente. On traverse
la forêt Ananoff, la voie ferrée à Rion et, en une heure,
on est à Koutaïs.
Route 23. — D’Aghaltzik au couvent de Saphar,
(7 v., à cheval ). On traverse les rivières de Borjom,
d’Oldam et de Ghrel. Le couvent est à une heure et
demie de distance de la ville. Le chemin d’abord assez
uni aboutit bientôt à une gorge au milieu de roches
volcaniques et serpente sur la gauche de la rivière
Ouravelka. Le monastère et ses douze églises sont dans
une enceintede murailles ruinées, où les anciens atabegs
avaient une citadelle et une résidence d’été, et les
moines de vastes habitations. Par la beauté de sa
baignoires, est installé avec confort, voire même avec luxe.
On y donne également des douches, des bains de vapeur, des
bains électriques, de l’eau pulvérisée pour inhalations, etc.
En 1860. on regardait ses eaux comme salino-sulfureuses et
alcalines ; en 1880 comme sulfureuses et alcalines ; depuis, on
leur refuse toute propriété minérale et on les classe aujourd’hui
parmi les eaux thermales convenant aux personnes affaiblies,
convalescentes. En tout cas, c’est une station climatérique où
Ton envoie les phtisiques. (D’après Mmc Chantre.)
GUIDE AU CAUCASE
101
position, par la conservation des édifices religieux et
en partie des peintures, et par tous les souvenirs qui
s’y rattachent, le couvent de Saphar (1309) est certai-
nement un des restes les plus importants üe l’antiquité
géorgienne. En entrant par la porte du mur d’enceinte,
on voit à gauche la petite église de Saint-Simeon, plus
loin la chapelle de Jean-Baptiste. Tout à côté est
l’église de Saint-Saba, la plus vaste et la plus élégante,
sinon la plus ancienne de celles qui se trouvent là.
Malheureusement les peintures ont été abîmées par
des éclaboussures de chaux. Puis viennent les églises
de Notre-Dame, de Sainte-Mariné avec de curieux
portraits, la chapelle de Saint-Georges, etc.
Route 24. — D’Akhaltzik à 1 église de Zarzma,
(30 v-, par Valé, Orali, Oudé, Délovani, Odiguéni ;
en voiture jusqu’à Bénara et de là par Choulavère et
Adighiouni, à cheval ). Ce grand et bel édifice, datant
de 1045, en pierres de taille, avait trois nefs et était
surmonté d’une riche coupole. Près du mur du N.,
il y avait une jolie chapelle ; au S.-E., se voit un clo-
cher peu élevé, d’une construction élégante. Dans l’in-
térieur de l’église, aujourd’hui en ruine, quelques
restes de peintures.
Route 25. — D’Akhaltzik à Vardzia (40 v., par
Akachène, Aspindza^ Khertvis ; en équipages de
poste ou en phaèton jusqu’à Khertvis, delà à cheval).
Akachène est un ancien village géorgien à 7 v. de
Gobiéti. On y voit une vieille église entourée de tom-
beaux couverts de croix ; quelques-uns en forme de
béliers. Jusqu’à Aspindza, le chemin suit la rive
gauche de la Koura. On gravit une crête de rochers
en laissant à gauche les bains d’Akmet Au confluent
de la Tapraviané et de la Koura s’élève le château de
Khertvis. Le paysage est superbe. Le petit bourg de
Khertvis est au pied de la forteresse qui remonte aux
temps de la nationalité karthlienne, et qui a été res-
taurée sous Thamar. Les grottes de Vardzia sont bien
loin d approcher de celles d’Ouplis-Tsikhé pour le tra-
vail ou pour l’exécution. Vardzia, dont le nom signifie
en géorgien et en arménien même « forteresse des
102
GUIDE AU CAUCASE
roses, » était, selon la tradition, le séjour affectionné
de la reine Thamar. Il se peut qu’elle l’ait agrandi,
mais Vardzia est certainement plus ancien que Thamar.
A travers des massifs volcaniques éboulés et en pas-
sant par plusieurs étages de cryptes, on atteint celui
où sont les hypogées et les édifices principaux, rangés
le long d’une saillie qui tient lieu de rue. Le plus con-
sidérable et celui qui frappe, au premier abord, est une
grande église célèbre, bâtie à moitié dans le roc et où
aurait été, dit-on, le tombeau de Thamar. Une porte
voisine, taillée dans le rocher, conduit à une douzaine
de grottes qui précèdent la demeure des rois ou des
reines qui visitaient Vardzia. Il y avait deux maisons,
une d’été et une d’hiver. Celle-ci consistait en un petit
portique qui précédait un salon de trente pieds de long
sur vingt de large, taillé en plein cintre. Tout autour
régnait un étroit divan à la géorgienne, comme on en
voit à Nakalakhévi dans l’ancien palais des rois lazes.
Une grande alcôve dans le fond et une petite de chaque
côté en faisaient tout l’ornement. Deux fenêtres l’éclai-
raient médiocrement. Au devant de l’une se trouvait le
foyer circulaire creusé dans l’aire où Ion entretenait le
brasier qui chauffait la chambre. La porte du fond du
salon donnait dans une garde-robe ; celle à droite
dans un cabinet d’où la reine pouvait entendre la
messe par une fenêtre qui s’ouvrait sur une chapelle.
La porte du salon se fermait solidement en dedans
avec des traverses de bois, comme cela se pratique en-
core pour quelques églises du Caucase. L’appartement
d’été était au-dessus de celui d’hiver; on y montait
par un escalier dont la première marche avait un mètre
de haut. Il était aussi en plein cintre, pourvu d’alcôves
et d’une chambre servant de réduit. La façade, entière-
ment ouverte, donnait sur une galerie ou balcon en
bois ; de là on planait sur toute la vallée de la Koura,
bordée de jardins et de vergers en terrasses jusqu’au
sommet des pentes des collines. De l’autre- côté de
l’église, les grottes qui criblent les parois du rocher
sont innombrables ; les unes servaient de boutiques, de
magasins, d’écuries, d’autres d’appartements fort
simples, presque tous semblables, et où la voûte en
GUIDE AU CAUCASE
103
plein cintre ou légèrement surbaissée est partout em-
ployée. Çà et là, d’anciens pressoirs sont faciles à re-
connaître. Le grand tronc d arbre creusé qui sert de
cuve (satznakhéli) pour mettre le raisin et l’écraser,
était remplacé par de longs bassins ménagés dans la
grotte, comme en Crimée, ce qui prouve l’analogie
dans les mœurs des anciens habitants de tout le pour-
tour de la mer Noire, Grecs ou Géorgiens. Sur les dé-
chirures d’un rocher, s’élevait la citadelle dont il ne
reste que peu de traces. Au XIVe s., Vardzia fut
saccagé par Tamerlan ; au XVIe par le schah Takmazb
qui vola toutes les richesses de l'église, entre autres
l’évangile que Jessé, roi de Kartalinie (1727) rendit au
monastère de Ghélath. Quoique Vardzia soit délaissé
aujourd’hui, c’est encore un lieu de pèlerinage le
15 août 1 .
Route 26. — De Vardzia à l’église de Cou-
mourdo (à cheval ). En partant de Vardzia pour aller à
Tsounda, on laisse à droite les grottes de Vanis-Kwabi,
au delà de la Koura. On passe par un affreux sentier
qui domine la citadelle de Tioumouk pittoresquement
et fortement assise. Non loin, vers le N., le joli lac
de Kartsakh ou Souloukgel, a lac des sangsues, »
situé sur le haut d’un cône que Dubois de Montpéreux
regarde avec raison comme le cratère d’un ancien vol-
can. Au sud de ce lac, les vastes ruines de l’ancien
Tsounda et une jolie église d'époque inconnue et bien
conservée. Il n’en est pas de même de celle de Cou-
mourdo, placée un peu plus au S., sur le plateau de
Djavaketh, auquel on parvient par une montée longue
et abrupte, sillonnée d’un nombre infini de ruisseaux.
Par ses formes et ses grandes proportions, par le plan
général, par la beauté et le choix des pierres employées,
par l’exécution artistique de la bâtisse et surtout par la
richesse des souvenirs antiques conservés sur ses murs,
l’église de Coumourdo est peut-être la plus belle de
la Géorgie. Construite en croix dont le bras occidental
a été détruit, elle avait 15 m. de haut, était ornée
d’une coupole qui n’existe plus, et précédée d’un
1. D’après Dubois de Montpéreux.
104
GUIDE AU CAUCASE
porche occupant toute sa largeur. Au S. : une petite
chapelle surmontée d’un beau clocher ruiné, à l'entrée
duquel étaient deux grandes croix en pierre dont le fût
seul resie sur pied. L'histoire du monument peut se
résumer ainsi : construit par l’évêque Ioané, sous le
roi Léon III d’Abkhazie, en 964 ; enrichi par différents
évêques ; le porche a été élevé 1,000 ans plus tard par
la reine Mariam, mère de Bagrat IV 1 .
Route 27. — D’Akhaltzik à Akhalkalaki (62 y.)
par Rousthavi (18 v.), Aspindza (12 v.), Ababek
(16 v.), Akhalkalaki (16 v.) ( Voir à V itinéraire A).
Route 28. — D’ Akhalkalaki à Alexandropol
(90 v.) par Bogdanofka (14 v.), Efrènofka (17 v.),
Khik-Tapa (21 v.), Djélab-Kisoul (20 v.), Alexan-
dropol (18 v.). ( Voir à U itinéraire N.)
Route 29. — D’Akhalkalaki à Ardaghan (89 v.)
par Soulda (18 v.), Karnavéli (21 v.), Zourzouna
(12 v.), Begra-Katonne (16 y.), Oltchek (8 v.).
Ardaghan (14 v.). ( Voir à l'itinéraire I.)
Route 30 — D’Akhaltzik à Kars, par Ardaghan
(157 v. 1/2), Souflis (5 v.), Valé(7 y. ), Digour(18 v.),
Tzourkab (10 v. ), Tzourmaxh (13 v.), Tajat Kéï(6 v.)r
Karkiadan (9 y.), Ardaghan (13 y.), Nabi-Ogli (26 v.),
Kirk-Kilissa (14 v.), Djelaous (15 v.), Mélik-Kéï
(9 v.), Kars (12 v. 1/2). ( Voir à /’ itinéraire N.)
Route 31 — D’Akhaltzik à Batoum (162 y.) par
un sentier de montagnes, par Bénari (15 v.), Zarzma
(17 v.), Goders (5 v.), Danvspariouli (21 v.), Koula
(19 y.), Dondolo (24 v. ), Ivéda (19 v.), Makiioundjéti
(10 y.), Adjaristskali (14 y.), Batoum (18 y.) ( Voir
d U itinéraire /.)
Route 1 (suite). — De Mikhaïloff à Gori (41 v.) en
chemin de fer , par Gomi et Karéli. Gori. ( Buffet )
4,800 hab. Hôtels. Poste aux lettres et aux chevaux .
Télégraphe. Ce chef-lieu de district et ce centre ethno-
logique de la Grousie, occupe à peu près exactement le
milieu d’un ancien bassin lacustre au confluent de la
1. D’après Brosset.
GUIDE AU CAUCASE
105
Koura, du Liakvi, et de la Medjouda. A la base d’une
butte isolée que couronne une ancienne et pittoresque
citadelle, cette ville, dont la date de la fondation est
inconnue, mais qui est mentionnée au VIIe s. par les
chroniqueurs, est admirablement située pour devenir
un jour le jardin de Tiflis grâce aux eaux courantes qui
pourraient servir à l’irrigation du sol. Mais les habitants
du pays ne savent pas tirer assez parti de leur terre
fertile et de leur bon climat ; toutefois ils expédient à
Tiflis beaucoup de vins qui servent au coupage des
crûs plus forts de la Kakhéthie ; leur froment est un
des meilleurs de la Transcaucasie.
Route 32. — De Gori à l’église de Sion, vallée
d’Aténi (8 v., en voiture ou mieux à cheval .) De la
station de Gori un petit chemin de fer, à voie étroite,
appartenant à MM. Zézéman et Kartveloff, va au fond
de la vallée d’Aténi et sert au transport des bois que ces
industriels exploitent. Après le village de Khidis-Th avi,
on entre dans le défilé de Djébiri. A droite les ruines
de Varvara ; à gauche la forteresse Rasdène, et sur le
mont Danakhwis, à une grande hauteur, une petite
église dédiée à Saint-Georges. Le ruisseau Tana arrose
la vallée où sont les habitations des princes Eristofï et
Orbéliani. De beaux vignobles à mi-côte produisent un
vin exquis. L’église de Sion est petite, mais admirable-
ment posée sur un roc à pic du côté de la Tana. Elle
est en pierres de couleurs différentes, et le toit est
envahi par la végétation. C’est une copie corrigée de
l’église de Sainte- Ri psi me à Vagarchabab ; elle a été
construite par un architecte arménien Théodoré. A
l’extérieur, quelques sculptures assez grossières et les
inscriptions attestant que l’édifice est antérieur au
IXe s., c’est-à-dire à Bagrat Ier. A l’intérieur des restes
de peintures très détériorées, mais très intéressantes:
la famille d’Achot, chef de la dynastie des Bagratides,
Bagrat II, son père Ghiorghi et sa femme (XIe s.)
Dans le chœur: la Vierge debout entre deux archanges
et les évangélistes. Çà et là, dans les fenêtres, quelques
jolis motifs d’entrelacs polychromes. L’iconostase est
orné de quatre petites colonnes en marbre blanc.
106
GUIDE AU CAUCASE
Route 33. — De Gori à l’église d’Ourbnissi (8 v.
en voiture ou à cheval ). L’église, sans coupole, n’a
rien de remarquable comme architecture. Elle est haute
et les murailles sont soutenues par des contreforts en
briques formant des arcs disgracieux. Le vaisseau a
été à moitié rebâti et ne conserve d’ancien que ses
curieuses inscriptions archaïques en caractères khout-
zouri (ecclésiastiques) indéchiffrables. D’après Brosset,
l’église est fort ancienne puisqu’elle fût saccagée vers
730 pendant l’invasion de Mourvan.
Route 34. — De Gori à l’église de Rouissi (10 v.
en voiture ou à cheval ). Autrefois refuge du roi David
le Réparateur, lors de l'occupation de Tiflis par les
musulmans, et résidence d’un évêque titré mrowel,
l’église du village a dû être fort jolie. Il reste quelques
gracieux détails de l’ancienne richesse architectonique
et quelques motifs de sculptures géorgiennes.
Route 35. — De Gori au monastère d’Okhone
(39 v. en voiture ou à cheval ). Ce monastère fut fondé
par Bagrat IV en l'honneur de l’image de la Vierge
donnée à son épouse Hélène par Romanos, empereur
de Byzance. L’image passa, avec Simon roi des Géor-
giens prisonnier, entre les mains des Iméréthiens,
et fut rendue au monastère par Shah-Navaz, roi de
Géorgie. Aujourd’hui elle est à Gori dans l’église de
N.-D. d’Okhone.
Route 36. — De Gori à Ouplis-Tsikhè (8 v.)
& excursion se fait en voiture assez difficilement ; il
vaut mieux louer des chevaux de selle à Gori . Prix :
de 1 r. 50 k. à 2 r., aller et retour.
Ce fut vers le VIIe s. avant J.-C. que les Cauca-
siens apprirent des Persans Part de construire des mu-
railles avec de la pierre et. de la chaux. Jusque-là ils
avaient vécu dans des grottes naturelles, comme on en
voit tant dans les vallées rocheuses de la Transcaucasie,
ou dans des huttes en terre, à moitié enfouies dans le
sol, semblables à celles que les paysans géorgiens et
arméniens habitent encore de nos jours. Les cryptes ne
sont point rares au Caucase. La facilité d'exploiter une
pierre assez tendre et friable, qui ne durcit qu’à la sur-
GUIDE AU CAUCASE
107
face, et la nécessité de se créer des refuges inacces-
sibles à l’ennemi, ont dû, depuis longtemps, attirer
l’attention des habitants non moins indolents qu’expo-
sés à de fréquentes attaques. C’est à Vardzia et à
Ouplis-Tsikhé que l’on peut voir encore aujourd'hui
les plus anciennes ruines de villes troglodytiques, inté-
ressantes au point de vue archéologique et artistique.
Cette dernière ville, à huit verstes de Gori et au bord
de la Koura, a été creusée dans un énorme rocher de
pierre calcaire mêlée de sable et d’argile. Après avoir
traversé un petit village arménien dont l’église est fort
ancienne, mais dont les inscriptions sont effacées, on y
arrive par un chemin assez escarpé du côté de l’E., là
où se dresse un pan de muraille ruinée. Outre une
foule d’établissements posés sur le roc nivelé, dont les
traces se voient au N.-O., on aperçoit au S.-E. une
quantité d'habitations particulières, plusieurs églises
et des grottes qui passent pour avoir été des palais
royaux : partout des escaliers, des canaux d’écoule-
ment, des rues très originales. Les églises étaient
voûtées hardiment, ornées de colonnettes et de ner-
vures qui paraissent avoir été aussi délicates que le
permettait le grain de la pierre. Les deux plus belles
habitations ou palais, l’un à l’E., l’autre au S., se
distinguent par la richesse de l’ornementation. Dans le
premier, il y a une belle antichambre dont le plafond
voûté était découpé en caissons octogones. Dans le
second, le plafond d’une salle immense, qui a douze
mètres de large sur neuf de profondeur, représentait
des lambris et des poutres comme dans un édifice en
bois ; elle était soutenue par deux fort piliers et abri-
tée du soleil par un vaste auvent en pierre. Un long
chemin couvert, taillé dans le roc, conduisait à la
Koura, qui s’en est éloignée maintenant d’une centaine
de mètres. Toutes les grottes étaient tournées au S.
pour jouir de la vue qui est magnifique, et de la fraî-
cheur de la rivière.
De toute antiquité, Ouplis-Tsikhé n’était pas simple-
ment un refuge, mais aussi un lieu de plaisance où
s’était attachée et où demeurait une population nom-
breuse, amie des arts et qui savait les apprécier. Le
108
GUIDE AU CAUCASE
travail fini et remarquable de la plupart des salles
n’est, pas d’un peuple en fuite qui cherche une retraite.
Ce n’est pas non plus à la nation géorgienne telle que
nous la connaissons actuellement qu’il faut attribuer
ces travaux d’architecture d’un style dont on ne trouve
nulle part de traces, ni dans les habitations modernes,
ni dans les ruines les plus anciennes d’églises et de
châteaux. Il faut remonter loin dans l’histoire pour
expliquer les différences de style appartenant à des
idées bien différentes, qu’on constate à Ouplis-Tsikhé.
On pourrait attribuer à l’influence persane le genre de
grottes prenant jour, à la mode arménienne, par une
large ouverture pratiquée dans le haut, et l’on peut re-
connaître dans les voûtes en plein cintre, les caissons,
les pilastres, etc., l’influence romaine. Depuis quand
Ouplis-Tsikhé est-il désert? Ce n’est que depuis tous
ces troubles, toutes ces guerres des Turcs et des Per-
sans qui ravagèrent si cruellement le Karthli, qu’il est
abandonné. La vallée de la Koura était couverte de
villages ; il y en a encore trois ou quatre, les seuls qui
ont échappé aux invasions des Lesghiens, les plus
barbares des brigands du Caucase. Combien de fois ce
même Ouplis-Tsikhé leur a servi de refuge ! Combien
de fois ces voûtes ont retenti du bruit de leurs com-
plots, des cris joyeux qui accueillaient le butin rap-
porté et des querelles que provoquaient les partages 1 !
Route 37. — De Gori à Tsinkvali (27 v., en
phaéton ou par V omnibus qui part tous les jours vers
2 heures de l’après-midi). On passe à Karaléty (an-
cien Nadcharmagnévi), où vécut quelque temps le roi
géorgien David le Réparateur, et à Tkniavi ; on fran-
chit à gué le petit Liakvi, et par Tirznissi on descend
à Tsinkvali, jolie petite ville placée dans une riante
situation (800 hab., juifs et arméniens). A 2 v.
de Tsinkvali est Tamarachène, propriété des princes
Matchabelly. On peut, en voiture , aller visiter les
églises de Nicosie, et, à cheval, celles de Thir et de
Saba-Tsmida, près de laquelle il y a une chapelle cu-
rieuse creusée à une grande hauteur dans le roc et
1. D’après Rrosset et Dubois de Montpéreux.
GUIDE AU CAUCASE
109
plusieurs glacières d’été naturelles. C’est parle chemin
qui mène à l’église de Thir qu’il est question de faire
passer un chemin de fer qui, de Gori et par le défilé de
Mamisson, ira à Vladikawkaz.
Route 38. De Gori à l’église d’Icortha. A 22 y.
de Gori, cette église bâtie en 1172 a une façade orien-
tale magnifiquement ciselée. Elle est décorée de deux
niches non plus simplement triangulaires comme à
Aténi, mais arrondies, festonnées sur les bords et enri-
chies dans le haut de trèfles à jour et à dentelures en
partie brisées aujourd’hui. La porte de PO. est décorée
d’un porche.
Route 39. — De Gori à l’église d’Ertha-Tsminda
{en voiture ou à cheval ). Ancien monastère presque en
ruine situé sur la rive droite de la Tésami ; construit,
croit Brosset, à l’époque de Bagrat IV et de David le
Réparateur. La coupole carrée par dehors quoique
ronde à l’intérieur est percée seulement de quatre
fenêtres sans ornements ; mais les façades de l’édifice
présentent, comme à Samthavis, de jolis motifs
d’architecture. Les peintures qui décoraient l’intérieur
sont presque effacées. On y conserve deux images
célèbres, l’une de 1311, l’autre de 1250.
Route 40. — D’Ertha-Tsminda à l’église de
Kavthis-Khèvi. Sur la rive droite de la Kavthoura,
à peu de distance à l’E. d’Ertha-Tsminda, et à 32 v.
de Gori, cette église est une des plus belles et des plus
riches en ornements extérieurs de toute la Géorgie. La
façade orientale et les fenêtres de la cou pôle dépassent en
ce genre tout ce que l’on voit à Samthavis, à Béthanie,
à Pithoreth, etc. Si le fondateur est inconnu, on sait
du moins que le portique occidental fut bâti entre 1658
et 1677. Au-dessus de la porte, on a cru reconnaître le
portrait de David le Réparateur.
Route 1 (suite). — De Gori à Mtzkhet ( buffet )
{51 v. en chemin de fer), par Grakali, Kaspi, Ksanka.
Route 41. — De Kaspi à l’église de Samthavis
(10 v.). Près du village de Dchala, s’élève le grand
monastère de Samthavis, construit en belles pierres de
110
GUIDE AU CAUCASE
taille et environné d’une enceinte. Sur le portique : un
clocher en briques, et dans l’enceinte : une petite cita-
delle. L’église rebâtie au milieu du XIe s., possède
quatre images à inscriptions intéressantes. C’est un des
beaux édifices religieux de la Géorgie.
Route 42. — De Ksanka à Moukhrane (6 v., en
voiture ou à cheval ). On passe au pied de la forteresse
Tsikidziri et on descend dans une vallée immense
entourée de montagnes et très fertile. Moukhrane
(800 feux) est noyé au milieu de vignobles et d’une
belle végétation. C’est à quelque distance du village
qu’est le château du prince Bagration-Moukhransky.
Les jardins, l’installation vinicole, les caves, la ton-
nellerie, etc., méritent d’être visités.
Route 43. — De Mtzkhet à Vladikawkaz, par la
route militaire de Géorgie (180 v.), en équipages de
poste). (Voir à U itinéraire D.)
Route 1 (suite). — De Mtzkhet à Tiflis (20 v.
en chemin de fer), par Avtchala.
Route 44. — De Mtzkhet à Tiflis, (20 v. 1/2, en
équipages de poste), par la route militaire de Géor-
gie. ( Voir à V itinéraire D.)
ITINÉRAIRE K
TIFLIS ET LES ENVIRONS
Tiflis (104 ,000 hab.) — Poste aux lettres et aux chevaux .
Télégraphe (en toute langue). Hôtels du Caucase, de Londres,
Siévernié Noméra (chambres meublées), Dvortsovaïa Nomera
(id. ) , qui ont des commissionnaires-interprètes à la gare. (Dans
les tavernes géorgiennes : Télipotchouri , en face de l’hôtel du
Caucase, Pouri-Gvino , Golovinsky prospect, et, en été, àVéra
et à la Mikhaïlovsky, on peut goûter la cuisine indigène.)
Clubs: «anglais», «kroujok » (concerts le jeudi et le dimanche en
été, bals en hiver. Il faut se faire présenter par un des
membres. 1 r. d’entrée). « Tifliski Sobranié », club arménien
(concert en été, bals en hiver; se faire présenter par un des
membres; 50 k. et 1 r. d’entrée selon les jours). « Artistique»
(théâtre d’amateurs : concerts, comédies, vaudevilles, opérettes)
ouvert seulement en hiver; (se faire présenter; 1 r. les jours
où il n’y pas de représentation; pour les jours de spectacle le
billet de place sert d’entrée). «Allemand », «du Commerce ».
GUIDE AU CAUCASE
111
Théâtre de la ville, théâtre de la banque foncière de la
noblesse. Guides -inter prêtes pour le Caucase, la Turquie, la
Perse et l’Asie centrale : Rostom, Gérôme Réalini, Jean
Bagramiantz. (Pour prix et conditions s'adresser par lettre
ou télégramme à l’hôtel du Caucase ou de Londres.) Voitures :
en ville 30 k. la course; 60 k. l’heure; 3 r. la journée; de la gare
et vioe-versà avec ou sans bagages, 80 k. Tramways. Bains d’eaux
thermales sulfureuses et gazeuzes à ^5° 9 ; 2'C 5 c. : Mirzoëff,
Héracie, Béboutolï Soumbatoff, Goguilo, 1 à 2 r. la chambre.
— Photographes : Ermakotî, Roïnofï, Engel. — Tabac :
Enfiadjiantz, Bozardjiantz, rue du Palais. — Librairie ci-
devant Bœrenstaam où se vendent les ouvrages français et les
cartes concernant le Caucase. — Consulat général de
Turquie, de Perse; consulat de France, d’Allemagne; vice-
consulat de Belgique, de Suisse. — Agences et Compagnies de
naeigation et de transports : Messageries maritimes françaises,
Paquet, Compagnie russe, Nadejda, Caucase et Mercure,
Lebède. Masis. Succursale de la banque de l’Etat, banque
de Commerce, du Crédit mutuel, Pridonofï, Zovianolî,
Foncière de la noblesse, de crédit de Tiflis. Journaux russes,
français, géorgiens, arméniens, tartare.
Résidence de l’administrateur général du Caucase, Etat-
major, corps d’armée, intendance, arsenal, conseil de guerre.
Archevêché orthodoxe, évêché arméno-grégorien, couvents et
nombreuses églises de divers cultes. Deux mosquées, etc. etc.
Cour d'appel. Administrations des mines, des voies et com-
munications, des domaines de la Couronne, médicale, des
finances du Transcaucase, de l’octroi, des douanes, du con-
trôle, des prisons. Gymnase militaire, instituts, écoles. Sociétés
savantes : de géographie, d’agriculture, de médecine, d’ar-
chéologie, etc. Sociétés de bienfaisance française, de Sainte-
Nino, de la Croix-Rouge, etc. Hôpitaux militaires, hospices.
Le musée où il y a de riches collections zoologiques, bota-
niques, archéologiques et ethnographiques, sous la direction du
Dr Racldé, est ouvert les dimanches, mardi et vendredi de
10 h. à 3 h., entrée £0 k.; catalogue en français 30 k. Le
musée d’artillerie (Golovinsky prospect) contient une série de
tableaux représentant les héros et les épisodes de la conquête
du Caucase. L’ancien Kroujok et sa salle des glaces, les
églises de Sion, d’Antchis-Khati, de Métekh, de Vank méritent
d’être visités. — Excursions au couvent de Saint-David, à
Mouchtaïd. au Jardin botanique d’où l’on jouit d’une vue
superbe. Magasins aux bazars arméniens et persans. Il s’y
vend surtout des marchandises de Perse, de Boukhara et de
l’Asie centrale, notamment des lapis, feutres, lainages,
soieries, broderies, draps, baclüiks (capuchons) en poil de
chameau, orfèvrerie, niellée, turquoises, armes, cuivres, sel-
lerie, instruments de musique indigènes. On y achète quel-
quefois à bon marché, si l’on sait marchander, mais il vaut
mieux avoir avec soi un interprète. En choisissant des objets,
ne jamais faire prix pour chacun d’eux, mais pour le tout, et
offrir d’abord environ le tiers de ce qu’on vous demande pour
finir par payer la moitié.
112
GUIDE AU CAUCASE
Tiflis, Tpilissi, c’est-à-dire « eaux chaudes » ou Tbi-
lisiskalaki, c’est-à-dire « ville chaude », dont on a fait le
nom Tiflis, était jadis un petit village connu par ses
sources minérales. En 469, le roi Vakhtang Gourgaslan
y fonda une ville et la partagea en trois quartiers :
Tiflis y partie avoisinant les sources ; Kala , la forteresse;
Isani [Y Avlabar actuel). Il commença aussi la cons-
truction de la cathédrale de Sion. Leroi Datcha entoura
la ville de murailles et de fortifications. C’était dans la
citadelle de Métekh, qui faisait partie de Kala, que
s’élevait le palais royal. Si l'on en croit l’écrivain
arménien Oukhtannès (VL s ), Tiflis était, à ces époques
lointaines, une cité remarquable par ses constructions
et ses maisons à toits plats étagées les unes sur les
autres. Les sources minérales et les bains appartenaient
aux musulmans. Successivement prise et saccagée au
XIe s., sous le règne de Roussoudane, par le sultan
du Khorassan Djel-el-Eddin ; au XVIIIe s. sous
Héraclé II par le schah Aga-Mahomet Khan, la ville
ne s’est peu à peu relevée de ses ruines que depuis l’oc-
cupation russe (1799) et grâce aux princes Vorontzofï,
Bariatinsky, etc. Située par 41° 43’ 37” latitude N. et
42° 27’ 31” de longitude E, sur les deux rives de la
Kourafen géorgien Mtkoari), dans une vallée resserrée
entre des montagnes arides1, mais admirables de
couleur et de relief, la capitale de la Transcaucasie est
une ville de contrastes. Dans la ville nouvelle on se
croirait presque à Saint-Pétersbourg ou à Moscou,
tandis que les vieux quartiers géorgiens et persans ont
conservé leur physionomie asiatique. La place d’Erivan
est une espèce de terrain neutre, mais déjà européanisé,
entre la ville orientale et la ville russe, le Tiflis du
passé et le Tiflis de l’avenir. C’est au delà de cette place
que s’étendent le quartier de Solokaki, et, en remontant
la Koura, la perspective Golovinsky qui mène au
nouveau pont de Véra. Dans la ville nouvelle, les rues
sont larges, assez bien pavées et les magasins pourraient
rivaliser avec ceux de la perspective Nevsky et de la
1. Température moyenne de l’année à Tiflis : 12° 6 ; celle
cle juin, juillet, août est de 24* 3, et celle de janvier de 1/2° c.
GUIDE AU CAUCASE
113
Balchoï-Sadovaïa. Les squares de la place d’Erivan et
du boulevard égayent ces quartiers. Presque en face
du jardin public qu’on vient de détruire à moitié pour
y élever un musée d’artillerie, est le palais de l’admi-
nistrateur général du Caucase. Cet édifice n’ofïre rien
de remarquable à l’extérieur, mais les appartements
sont décorés les uns dans le goût européen, d’autres
avec la recherche du style persan. Le Kroujok (club)
et le Sobranié , fréquenté par le commerce arménien,
sont en face de la rue Bariatinsky sur la Golovinsky
prospect. Ces deux cercles ont des jardins d’été; on y
danse deux fois par semaine. C’est aussi dans la ville
russe que sont les banques, l’hotel du Caucase, le
Caravanséraï Tamamchefï, de la banque Foncière de
la noblesse, l’état-major, la mairie, la préfecture, la
police, la poste aux lettres, la bibliothèque publique et
le musée. En face le nouveau théâtre, la petite église
de Saint-David, perchée sur le penchant de la montagne
Mtatsminda , c'est à-dire «montagne sainte», domine
à l’O. TifLis. C’est là, dit la légende, que vécut le saint,
l’un des Pères venus de Syrie au IVe s., pour prêcher
le christianisme en Géorgie. On y montre le tombeau
de Griboïedoff, le poète russe qui, ministre de Russie à
Téhéran, périt dans une émeute populaire, en 1829. A
quelques pas de l’hôtel de Londres, au delà du pont
Vorontzofï, s’élève la statue du prince. Ce pont réunit
la ville et la Colonie , faubourg originairement peuplé
de Wurtembergeois, chassés en 1818 de leurpays par
des persécutions religieuses; les maisons la plupart
précédées d’un petit jardin, habitées par les descendants
de ces émigrés, donnent à la Michaïlovsky un aspect de
petite ville allemande. Les jardins et cafés-concerts de
Pouchkine, Sans-souci, des Vases, etc., fréquentés les
soirs d’été par le monde où l’on s’amuse, s’étendent au
milieu de la Colonie . Comme au Sobranié , des
orchestres asiatiques y exécutentdes danses, des mélodies
et des chansons géorgiennes et persanes. Mouclitaïd , le
bois de Boulogne de TifLis, marque l’extrême limite de
la ville. Plus loin, sont les écuries du tramway, la
douane, la gare, etc.; à gauche le champ de courses et
une autre colonie allemande, Alexandersdorj \ Au pied
2e PARTIE
8
114
GUIDE AU CAUCASE
de l’arsenal, sur la rive gauche de la Koura, la vieille
ville géorgienne de YAvlabar , sa forteresse convertie
en prison, l’église de Metekh, etc., sont bien plus inté-
ressantes que toutes les réminiscences et les imitations
de l’Occident. L’église de Métekh, bâtie au Ve s. par
Vakhtang Gourgaslan, en même temps que Tiflis, a
beaucoup souffert. Au XVIIe s., elle servit d’arsenal et
fut démolie par la foudre au XVIIIe; rendue au culte,
elle devint l’église de la cour royale ; ruinée en 1795 par
les Persans, lors de la prise de Tiflis par A ga- Mohamed
Khan, elle a été réparée ces dernières années. On y
montre la tombe de la reine Chouchanik, martyrisée
le 17 octobre 544 par son époux musulman Vasken. En
693, les restes de la sainte déposés d’abord à Tsortag
près Akhtalontété transportés à Métekh. Sous la mon-
tagne de Métekh il y a une chapelle dédiée à Saint-Abo$
c’est en cet endroit, dit-on, qu’en 790, le saint fut brûlé
par les Persans.
Un pont jeté sur les rives de la Koura unit YAvlabar
aux quartiers arméniens et persans qui descendent de
la vieille citadelle persane de Nari-Kala jusqu’au bord
de la profonde tranchée où coule le fleuve. Là, les
maisons grisâtres à terrasses s’entassent les unes au-
dessus des autres dans un labyrinthe de ruelles escar-
pées qui s’entre-croisent de la façon la plus bizarre et
la plus capricieuse. C’est par là qu’on passe pour se
rendre aux bains alimentés par les sources sulfureuses.
C’est sur une place de ce quartier asiatique, le Maïdan ,
que s’étend et se développe l’enchevêtrement de ruelles
qui constitue le bazar arménien ; chacune de ces ruelles
est bordée de magasins juxtaposés qui servent tout à la
fois d’ateliers et de boutiques, car tous les objets s’y
fabriquent sous les yeux des chalands et des promeneurs.
Certaines industries sont localisées dans des allées
déterminées ; telles sont les allées des fourrures, des
poteries, celles beaucoup plus intéressantes des armes
et de l’argent, où sont installés les armuriers et les
orfèvres ; munis d’un outillage des plus primitifs, ces
artistes caucasiens exécutent sur argent et sur acier des
niellés d’un goût charmant et d’un joli dessin. C’est
surtout là et dans le bazardes soieries et des étoffes que
GUIDE AU CAUCASE
115
l’amateur de bibelots peut acheter les brocards de
Noukha et de Chémakha, incrustations d’or sur ivoire
de Kasi-Koumouk, kindjals (poignards) damasquinés,
116
GUIDE AU CAUCASE
fusils et pistolets cerclés d’argent niellé, cimeterres aux
reflets bleuâtres du Daghestan, tapis fabriqués par les
femmes kurdes de la province d’Erivan, sans parler
de tous les objets rares et précieux importés de la
Perse, de la Turquie, du Turkestan, de Boukhara et de
Hérat. Chacune de ces boutiques pourrait être le sujet
d’un tableau de genre. La foule qui s’y promène est
aussi bigarrée et bariolée que possible ; fonctionnaires
russes en uniforme, Tartars portant la bechmett et un
papak velu et conique, Arméniens coiffés d’une cas-
quette plate qui contraste étrangement avec leur jus-
taucorps asiatique à fausses manches pendantes, Wur-
tembergeois fidèles à l’ancien costume souabe, Albanais
en fustanelle, Grecs mendiants, Turcs enjuponnés,
Ossètes reconnaissables à leur calotte de feutre, Persans
vêtus du costume national et coiffés de longs bonnets
pointus en astrakhan, Lesghiens au profil aquilin,
Turkomans des steppes de Transcaspienne, Géorgiens
serrés dans la tcherkesse , tout ce monde se presse, se
bouscule dans les rues étroites et encombrées du bazar.
Parfois une longue file de chameaux chargés de mar-
chandises de la Perse, un arba plein de peaux de
bœufs gonflées de vin de Kakhéthie, des chevaux por-
tant des outres d’eau puisée à la Koura, essayent de se
frayer un passage à travers cette cohue 1 .
Le bazar tartar et persan se compose de corridors
voûtés, très larges et très élevés. Assis sur un tapis
au rebord de sa boutique, le marchand attend les
clients en fumant un kalyan le narghileh de la Perse,
ou en égrenant rapidement sur un chapelet d’ambre
jaune les cent noms d’Allah. La plupart de ces négo-
ciants vendent des soieries et des tapis 2.
Non loin du bazar, se trouvent un grand caravan-
1. Les Russes, les Géorgiens et les Arméniens forment la
majorité de la population de TifLis, ensuite il y a des repré-
sentants des diverses races du Caucase : des Allemands, des
Français, des Anglais, des Polonais, des Grecs, des Persans,
des Chaldéens, des Tartares.des Italiens, des Grecs, des Turcs,
des Suisses, etc., etc. D’après le professeur Brugsch, on
parle à Tiflis environ 70 langues.
2. D’après Orsolle.
GUIDE AU CAUCASE
117
séraï récemment construit et des édifices consacrés à
des cultes différents : une mosquée schiite avec un
minaret couvert de plaques de porcelaine bleu tur-
quoise, la cathédrale de Sion, l’église d’Antchis-Khati,
et, près de la Koura, la cathédrale arménienne de
Vank. La cathédrale de Sion (dédiée à l’Assomption
de la Vierge), commencée par le roi Vakhtang (469),
terminée seulement au VIIe s., fut successivement
démolie par les Turcs sous le règne de Roussoudane
au XIIIe s., rasée par Tamerlan au XIVe s., et sac-
cagée par les Persans en 1795. Le prince Gagarine a
essayé de reproduire aux voûtes les anciennes peintures
disparues. La relique la plus précieuse qu’on y vénère
est la croix de sainte Nino, l’apôtre du Caucase, avec
laquelle elle bénissait le peuple. Cette croix est faite
de deux ceps de vigne noués avec des cheveux de la
sainte. Sainte Nino, contemporaine de sainte Ripsime
et de sainte Gaïané dont on retrouve les souvenirs à
Edchmiadzine, avait fui de Rome lors des persécutions;
elle apporta d'Arménie le christianisme en Géorgie au
commencement du IV" s. Parmi les images précieuses
qui ornent l’iconostase, il faut citer celle de la Vierge,
et celle de Nino-Tsmida, fabriquée en 1677. Dans le
trésor ( qu'on ne montre aux visiteurs qu'avec une per-
mission du saint Synode ), on admire des mitres de
patriarches, des bonnets, crosses, croix, etc., des bro-
deries surchargées de perles fines, et des costumes
sacerdotaux magnifiques. Parmi les 60 manuscrits ou
édits anciens, on en cite un du Xe s. (Bible), un
du XIVe s., cinq du XVe s., sept des XVIe et XVIIe s.,
et d’autres du XVIIIe s. Les tombeaux les plus remar-
quables sont ceux de Vakhtang Gourgaslan, fondateur
de Sion ; du roi Adarnassé (619-639) qui termina la
construction de la cathédrale ; de Jean Mkar-gdzéli,
général de l’armée géorgienne sous Thamar, mort au
commencement du XIIIe s. ; de Paul Tsitsianoff, le
premier commandant en chef de l’armée russe en
Géorgie (1806).
L’église d’ Antcliis-Khati, consacrée à la nativité de
la Vierge, bâtie de 614 à 939, pendant le règne d’Adarnas
par Vavila, catholicos géorgien, fut plusieurs fois
118
GUiDE AU CAUCASE
ruinée. Au XVIIIe s., le catholicos Domenti l’a recons-
truite et y a placé la célèbre image miraculeuse
c VAntchi (petite bourgade du Klardjeti sur les bords du
Tchorok). D’après les inscriptions, le panneau en bois
de cette image du Sauveur fut apporté d’Edesse à Cons-
tantinople en 944, sous l’empereur Roman I, puis de
Constantinople à Antchi. La reine de Géorgie Thamar
(1212) et son ministre Bek, évêque d’Antchi, ont fait
faire le cadre d argent et les portes et les ont enrichis
de pierres précieuses: les derniers ornements datent
de 1823. Cachée en Kartalinie pendant les guerres de
Géorgie, elle fut enlevée et emportée en Turquie où
elle fut rachetée par un marchand Amrirdjan qui la
rapporta à TiULis En 1660, le catholicos Domenti en
fit l’acquisition pour 1,200 r. et la plaça dans l’église
de Zari appelée depuis lors : église d ’Antchis-Khati,
c’est-à-dire de « l’image d’Antchi ». La peinture repré-
sentant le Sauveur dans l’action de bénir, et tenant
dans la main gauche l’Evangile, est aujourd’hui com-
plètement effacée par le temps, mais ce magnifique
triptyque, qui mesure 1 mètre 50 de large sur 1 mètre
de haut, offre un adorable motif d’entrelac, et le revê-
tement métallique intérieur des portes est fort intéres-
sant comme spécimen de l’orfèvrerie religieuse indi-
gène. Voici quelles sont les scènes représentées : la
résurrection de Lazare, la mort de la Vierge, le repas
mystique, la fête des Rimeaux, l’attouchement de
Thomas, la descente du Saint Esprit.
La cathédrale arménienne de Vink, construite, dit
Chardin, au XVIe s., sur remplacement d’une église
élevée par un pacha converti, a été ornée d’une cou-
pole en 1750 et réparée en 1788.
Au-dessus des quartiers asiatiques, en face de l’église
de Métekh, se détachent les ruines pittoresques de la for-
teresse persane de Nan-Kal'i. Sur le versant de la
montagne qu’elles couronnent, un petit jardin bota-
nique déploie le réseau de ses sent ers sinueux et
ombragés, dont la fraîcheur de la verdure et les casca-
telles font un bizarre contraste avec le ravin tourmenté
où se précipitent les eaux des sources chaudes; le cime-
tière musulman étale de l’autre côté de cette ravine,
GUIDE AU CAUCASE
119
sur les flancs d’une colline aride, ses pierres sépulcrales
et ses furbehs grisâtres, petits bâtiments cubiques,
surmontés d’une coupole comme les marabouts algé-
riens. Des ruines de la forteresse, on embrasse d’un
coup d’œil la vallée de la Koura, Tiflis, ses jardins, ses
boulevards, ses ponts, ses églises, ses bazars, ses mos-
quées, panorama magnifique que rehausse la cime
majestueuse du Kazbek dont les neiges et les glaciers
resplendissent dans le lointain au-dessus des masses
sombres des montagnes à demi cachées dans un
brouillard bleuâtre 1 .
LES ENVIRONS DE TIFLIS
Route 1. De Tiflis à Codjor, ( route postale ,
18 v. 1/4) en omnibus , équipages de poste ou phaéton .
Pour les heures d’arrivée et de départ, consulter les
horaires de la Poste. — On escalade la montagne de
Sololaki , Je ravin de la Tabakhana et, par une série de
zigzags, on atteint Tabakméla (13 v. 1/4). En 5 v. on
est à Codjor. Hôtel . Poste aux lettres , aux chevaux.
Télégraphe . C’était autrefois une résidence des rois de
Géorgie. L’air y est pur et vif, aussi beaucoup d’habi-
tants de Tiflis y ont-ils construit un grand nombre de
villas. C’est à Codjor qu’en été sont transférées les chan-
celleries des principales administrations du Caucase.
Une grande tour appelée Kor-Oglou semble être l’an-
cienne forteresse géorgienne citée par Vakhoucht.
Route 2. De Codjor aux ruines de l’église de
Caben, (à pied ou à cheval). Dans la vallée de
l’Assoureth, au S. -O. de Codjor, se voient les ruines de
l’église de Caben. Ce monastère de femmes, fondé par
la reine Thamar à la fin du XIIe s., est aujourd’hui à
moitié détruit. En pierres calcaires blanches, sans
mélange de briques, comme cela se voit quelquefois en
Géorgie, l’église avait une nef principale et des bas
côtés sur l’un desquels on remarque encore une porte
de belles proportions et admirablement ciselée. La
coupole s’est écroulée et il ne reste que la base des
piliers qui la supportaient. L’abside repose sur un sou-
1. D’après Orsolle.
120
GUIDE AU CAUCASE
bassement très largement empâté et forme un pignon
unique à surface plane. Tous les ornements de cette
façade partent de la croix qui est sculptée au sommet
et se relient entre eux en suivant une ligne droite qui
partage l’abside en deux parties égales, comme les
deux volets d’une armoire fermée ou d’un tabernacle.
Est-ce une disposition symbolique ou une simple fan-
taisie de l’artiste ? Les deux niches triangulaires qui
sont à l’intersection des deux pans coupés formés par
les extrémités de l’abside et celles des bas côtés témoi-
gnent aussi de l’originalité de l’architecte. Les colon-
nettes, entrelacs, palmettes et toutes les sculptures de
ce monument sont finement enlevés et donnent un
intéressant spécimen des détails du style fleuri géorgien
au XIIe s.
Route 3. — De Codjor à leglise de Béthanie, on
peut aller en voiture jusqu’au Beilé Doukkan (cabaret
blanc) ; là on trouve un guide et des chevaux de selle.
Datant de la fin du XIIe s., Téglise de Béthanie,
enfouie sous une épaisse végétation, est dans un lieu
difficilement accessible. C’est le prince Gagarine et
M. Grimm qui ont eu l’honneur de découvrir, en 1851,
les fresques qui décorent l’édifice.
La peinture murale la plus précieuse représente cinq
portraits en pied, de près de 3 mètres de haut : La
reine Thamar, son père le roi Georges, son fils
Georges, surnommé Lacha c’est-à-dire (de beau», saint
Dimitri et saint Georges. Dans le pays où elle a glo-
rieusement régné, la plupart des édifices qu’avait
construits Thamar ont été anéantis, mais son souvenir
a survécu à toutes les guerres et à tous les désastres.
Le temps même lui a donné une plus vive auréole.
D’âge en âge, les peuplades de l’Asie occidentale
se sont raconté tous ses éclatants exploits, et sa
réelle histoire a été peu à peu transformée en une
légende embellie par de poétiques fictions. La reine
Thamar, c’est la Sémiramis du Caucase, c’est l’être
privilégié auquel on attribue tout ce qui s’est fait de
grand, de beau, d’utile pendant le cours de plusieurs
générations. Les soldats géorgiens donnaient à cette
noble femme le nom de roi comme les Hongrois à
GUIDE AU CAUCASE
121
Marie-Thérèse ; les prêtres ont proclamé ses vertus,
les poètes et surtout Rousthavéli, dans son poème
U Homme à la peau de tigre , ont chanté sa beauté. Les
peintures de Béthanie fort abîmées aujourd’hui et qui
vont disparaître avec l’écroulement de la coupole,
n’ont sans doute ni relief, ni correction de dessin, mais
elles ont de l’intérêt historique parce qu’elles repré-
sentent les héros dTine ère glorieuse et qu’elles ont été
peintes à une époque presque contemporaine où l’on ne
pouvait se tromper sur la ressemblance et les cos-
tumes.
Route 4. — De Godjor à Manglis. ( route postale ,
38 v. 3/4 par Priout). (Pour les heures d’arrivée et de
départ, consulter les horaires de la Poste et des omni-
bus). L’emplacement de Manglis se compose de deux
plateaux contigus coupés par des ravins où couleut
l’Algheth et son affluent sur lequel, en 1851, a été
construit un pont de pierre. Vakhoucht dit : <( Il y a
dans le mot Manglis , des sons grecs et inconnus au
géorgien, il y a deux mots : mangli c. à à. faux et man-
glissi c.-à-d. place pour le foin répondant assez à la
richesse du lieu, et qui permettent de supposer que
l’appellation dérive de là )) (3,000 habitants). Hôtel .
Poste aux lettres et aux checaux. Télégraphe . Ca-
sernes, etc.). De hautes montagnes boisées, sauf du
côté de l’E., de vertes prairies, des bouquets de sapins,
de bouleaux, s’étagent en amphithéâtre et abritent
l’église qui est un des anciens monuments de la Trans-
caucasie. Elle est au milieu d’une muraille flanquée
d’un porche et de quatre tours. Dans l’enceinte, quel -
ques tombes sculptées et des restes d'habitations.
C’est à propos du roi Mirian II (252 à 329 ap. J.-C.)
de sainte Nino et de la prédication du christianisme
en Géorgie qu’il est question pour la première fois de
Manglis dans les annales. Ce qu’on croit c’est que
l’église fut construite par ordre de l’empereur Cons-
tantin. Aux XIIe et XVIIe s., elle eut à souffrir lors
de la domination persane, et au XVIIIe s. fut dé-
vastée par les Lesghiens ; elle a été réparée en 1667,
et, en ces dernières années, par les Russes.
122
GUIDE AU CAUCASE
Route 5. — De Tiflis à Ekathèrinenfeld ( chaus-
sée, 60 v. 1/4) parTABAKMÉLA (13 v. 1/4), Barbalo
(11 y.), Kodi (6 v.), Kalaghir (15 v.), Ekathèrinen-
feld (15 v.).
Route 6. — De Tiflis à Tantzi ( route carj'os-
sable, 75 v.). Jusqu’à un doukan (cabaret) qui est
avant l’ancien relais de poste de Saganlouk, on suit
la chaussée, puis on tourne à droite. On aperçoit l’é-
glise de Khatistétéli et de Saint-Georges à la bourka
noire ; à gauche, un petit lac salé. Après Koumissi
village géorgien, et Koda où l’on fait halte, on gagne
Marabda ; on franchit à gué I’Algeth. A gauche,
l’ancienne redoute Kalaghir construite par les Russes;
à droite, quelques petites églises en ruine. On descend
par un pont de pierre au village tartare Araklo et,
laissant à gauche Chibilar où coulent des sources mi-
nérales, on atteint Ekathèrinenfeld, colonie alle-
mande ( Auberge où l'on peut coucher). De là à
Kwech, dont la forteresse domine le village, il y a
8 verstes. Enfin, par un sentier praticable aux voi-
tures, on arrive à Tantzi, propriété du prince Georges
Orbéliani.
Route 7. — De Tantzi à l’église de Pitoreth (6 v.
à cheval). Ce monastère, dédié à la Vierge et entouré
d’une enceinte flanquée d un porche, est sur la rive
gauche du Khram, à l’O. du pittoresque château
fort Khoulouti. A peine mentionnée par Vakhoucht.,
l’église à coupole, de grandes proportions, en pierres
de taille, est cependant un des jolis échantillons de
l’architecture arméno - géorgienne et est assez bien
conservée, quoique la végétation l’envahisse et que
l’état d’abandon dans lequel on la laisse ne fasse crain-
dre qu’elle n’ait le triste sort de l’église de Béthanie et
de tous les monuments historiques et religieux du
Caucase. Les portes, les fenêtres, les corniches sont
chargées de sculptures variées et élégantes. A l’inté-
rieur, quelques peintures fort abîmées, presque effacées,
des pierres tombales en marbre, mais dont les inscrip-
tions sont frustes, attestent la magnificence passée de
ce monument dont la construction est attribuée par
Brosset au roi Georges le Brillant (X1VÜ s.).
GUIDE AU CAUCASE
123
Route 8. — De Tiflis aux mines d’Akhtala (85 v.
environ, en phaèton ou à cheval ). De Tiflis par la
chaussée jusqu’à Saganlouk (12 v.) ; puis on tourne
à droite dans la plaine de Kodi nue, brûlée par le
soleil en été, balayée en hiver par les vents, et dont le
sol argileux sans calcaire et sans irrigation possible,
ne pourra jamais être fertilisé. On gagne Sarvane
(23 v. environ), août tatar formant une oasis sur la rive
droite de l’Algheth. Au bout de 10 v., on passe à gué
le Khram près d’EMiR ; on contourne une petite chaîne
de montagnes peu élevées et on entre dans la longue
plaine de Sadaklo (15 v. d’Emir) plantée de vignes,
où l’on peut boire un excellent vin ayant un bouquet
tout autre que celui des vins de la Kakhéthie et rappe-
lant un peu les petits crus du Médoc (300 habit.). Les
princes Ivan, Georges Mélikofï et M. Magalofï ont là
leurs propriétés. On suit la vallée de la Débéda-tchaï
dont le lit actuel rappelle d’une manière frappante les
cariions du Colorado. En effet, la différence de niveau
entre le premier lit naturel et celui que Faction des
eaux s’est creusé dans les roches basaltiques varie de
80 à 100 mètres. Peu à peu le paysage s’anime et
devient riant, les montagnes s’élèvent couvertes de
forêts qui s’étagent jusqu’à 2,500 m. d’altitude sur
les versants des rameaux du Petit-Caucase. On tra-
verse Aïroum, août tatar, à partir duquel une route
nouvellement faite conduit en 8 v. à Akhtala, hameau
situé dans une position très pittoresque sur des rocs
escarpés au bas desquels coule le Tchamlouk-tchaï.
La Société française, propriétaire des terrains, achève
ses installations ; l’exploitation des gisements et le trai-
tement des minerais de cuivre et de plomb argentifère
sont commencés.
Route 9. — D’Akhtala à Tchamlouk (6 v. envi-
ron, à cheval ; par un sentier très difficile). 11 y a là de
riches mines de cuivre exploitées jadis et qui vont
l’être de nouveau.
Route 10. — De Tchamlouk à Allah verdi (12 v.
environ à cheval ). Bâtie sur les flancs du Lalvare à
300 mètres d’altitude, l’usine importante où se traitent
les minerais de cuivre, appartient à des Grecs.
124
GUIDE AU CAUCASE
Route 11. — De Tiflis à l’église de Sanahine
(95 v ) par Saganlouk (chaussée, 9 v.). Kodi (id. 13 v.)
le pont d’ARAKLi sur le Khram (id. 15 v.). Ciioulaver
(route carrossable, 14 v.). Khoforné (id. 14 y.). Allah-
verdi (d cheval , 22 v.). Sanahine (id. S v.) ; ou mieux
par Sadaklo, Aïroum, Akhpat (route carrossable
85 v. ). Le monastère de Sanahine, lieu de sépulture
des rois arméniens Bagratides, fut fondé par des
moines émigrés de Grèce en 934. Les nombreuses ins-
criptions qu’on y trouve sur les murs, les croix, les
tombeaux, sont des matériaux utiles pour l’histoire de
l’Arménie depuis le Xe jusqu’au XIVe s.
Route 12. — De Sanahine au monastère d’ Akhpat
(4 v. à cheval ; sentier très difficile). A droite du défilé
de la Débéda, au pied du mont Kalery-Sar, sur une
petite clairière, est situé le monastère cl’ Akhpat. Vers
le N. -O. des murailles qui l’entourent, se trouve un
petit village arménien aux environs duquel, en 1871 et
1872, M. Eritsoff, et en 1888-1889, M de Morgan,
ont opéré des fouilles qui ont fait découvrir d’anciens
tombeaux où on a recueilli des poignards, piques, bra-
celets en bronze, fibules, ornements, poteries, etc...
qui prouvent que le village, les chapelles et probable-
ment le monastère lui-même sont bâtis sur l’emplace-
ment de nécropoles païennes. D’après une légende
populaire, pendant la propagation du christianisme en
Arménie au IVe s., les disciples de Grégoire l’Illu-
minateur, parcourant le pays et érigeant partout des
églises au lieu des temples païens, bâtirent les quatre
chapelles disposées en forme de croix qui sont aujour-
d'hui en ruines. Celle qui est au N. et bâtie la première
porte le nom d’Aratchadem, c’est-à-dire l’Antérieure; à
l’E. est placée celle de Saint- Minas, à l’O. celle de la
Résurrection et au S. la chapelle de Saint-Georges. Le
nom d’Akhpat n’est mentionné par les chroniqueurs
arméniens que dans la seconde moitié du Xe s.
L’église principale commencée par la reine Khosro-
varynouyk, épouse du roi Achot le Bon, vers 965, fut
achevée en 991.
Route 13. — D’Akhpat au monastère d’Akhtala
(8 v. à cheval ). Dans le défilé de la Débéda, au pied du
GUIDE AU CAUCASE
125
mont Lalvare, sur un rocher s’élève le monastère, au
milieu des murailles à demi écroulées d’une forteresse.
Il a été construit au commencement du XIIIe s.,
par un certain Jean Atabeg. Au premier abord, l’église
rappelle un peu la cathédrale de Mtzkhet, mais elle est
moins grande. La coupole encore intacte au XVIIIe s.,
s’est écroulée. Le toit était en dalles de pierre,
mais elles sont dispersées maintenant dans l’enceinte
du monastère, et le temple, par ordre du prince Voron-
tzoff, a été recouvert en tuiles vertes. A la place de
l’ancienne coupole on en a placé une en bois et en
zinc en forme d’hémisphère. Du côté O., devant la
porte principale, on a élevé sur colonnes un parvis en
guise de portique qui conduit à la chapelle où repo-
sent les cendres de Jean Atabeg. L’intérieur de
l’église est bien éclairé. On y voit l’image colossale de
la Vierge assise tenant l’enfant Jésus dans ses bras ;
les couleurs sont assez bien conservées, mais la face
et la poitrine de la Vierge sont très endommagées ;
puis la Nativité, l’Assomption, etc. A gauche : le ca-
veau de la famille des princes Mélikofï.
Route 14. — D’Akhtala à Tiflis (92 v.) par
Tchochkane (6 v.), Sadaklo, Choulavère (35 v. route
carrossable ), Kodi, Saganlouk (51 v. chaussée).
Route 15. — De Tiflis à Alexandrehütte (90 v.
environ, en phaéton ou à cheval). De Tiflis par la
chaussée jusqu’à Saganlouk (12 v.), puis on tourne
à droite dans la plaine de Kodi. On franchit l’Algheth
et le Khram et on gagne Ekathérinenfeld d’où, en
32 v., on arrive à Alexandrehütte. La verrerie du
baron Koutchenback (3,000 p. au-dessus du niveau de
la mer Noire), dans une gorge étroite au fond de
laquelle coule le Pénésaour-tchaï et entourée de belles
forêts, a été bâtie en 1882. On y fabrique dans des
fours à gaz, système Siémens, de la verrerie blanche,
demi-blanche, des bouteilles, etc. Production annuelle:
70,000 roubles.
Route 16. — D’ Alexandrehütte à Mamoutli (15 v.
route carrossable ). Installée en 1863, la fromagerie
du baron Koutchenback fabrique du beurre excellent,
126
GUIDE AU CAUCASE
du gruyère, du limbourg, et du tilzit fort appréciés.
La race du bétail est un croisement de taureaux suisses
et de vaches tartares et russes. Production annuelle:
1,500 pouds de fromages.
Route 17. — De Tiflis à Béléklutch [route pos-
tale, 53 v. 1/4) en équipages de poste : 5 roubles ; en
phaéton à 4 chevaux : 15 roubles environ. Trajet en
5 ou 10 heures selon le temps et la saison. Il n’y a pas
d'auberge à Béléklutch ; il Jaut emporter des vivres de
Tiflis et coucher à la station de poste. En sortant de
Tiflis par la route de Codjor, on gagne Tabakméla
(13 v. 1/4), puis on tourne à gauche et on longe les
montagnes pendant 6 verstes ; on entre dans la vallée
de Kodi au fond de laquelle s’aperçoit un petit lac
d’eau salée. Des vignobles encadrent Barbalo (11 v.),
village peuplé de Géorgiens et d’ Arméniens. On tra-
verse la colonie allemande Elisabethal et on arrive à
Saragachène (13 v. 1/2). On franchit à gué l’Algheth,
et, au milieu d’une contrée boisée, on monte jusqu’à
Béléklutch (15 v. 1/2), 440 feux ; population compo-
sée d’anciens soldats russes retraités ; casernes; comme
garnison : le 2e régiment de grenadiers. A 8 verstes de
Béléklutch, au bordduKhram : les ruines de la forte-
resse de Samschwildé. A 7 v. le Ziloné monastère
(c’est-à-dire vert), et à 30 v., un autre Ziloné monas-
tère, d’une belle construction, bien conservé et orné de
plaques de marbre et de jolies sculptures. Aux envi-
rons de Béléklutch le chasseur trouve l’ours, le cha-
mois, le cerf, le chevreuil, etc.
Route 18. — De Béléklutch à Khram ( route
vicinale , 34 v.) par Poste-Vedenski (22 v.), Khram
(12 v.).
Route 19. — De Tiflis à Tionéti (60 v. en phaé-
ton ; 50 v. à cheval) par Kidani, Mamkodi, Tskwari,
Tchamia, Sabadouri, Khevsour-Sopéli, Sakaraou-
lo. De Tiflis jusqu’à Kidani, la route, pendant 9
verstes, longe le chemin de fer ; on laisse à gauche
Avtchali, puis, tournant à droite, on passe à Mam-
kodi dont on aperçoit sur une élévation la petite église.
Après une rampe on descend à Tskwari-Tchamia. Du
GUIDE AU CAUCASE
127
haut des collines de Sabadouris-Khéli qui mènent au
poste de chapars Sabadouri, on jouit cl’une jolie vue
sur la plaine giboyeuse d’Ertsso connue des chasseurs,
et au milieu de laquelle sont éparpillés une vingtaine
de hameaux avec leurs prairies et leurs champs de
blé. La chaussée coupe cette vallée et finit à Khevsour-
Sopéli. On continue par un chemin qui traverse la
foret de Sakaraoulo, et, en quatre verstes on arrive
au village de ce nom près duquel est la résidence d’été
du prince Nicolas Tchavtchavadzé. De Sakaraoulo à
Tionéti il y a deux chemins : l’un de 8 v., pour cava-
liers et arbas , longe l'Iora, rivière capricieuse quon
traverse quatre fois, l’autre chaussée de 15 v., passe à
gauche de l’église de Sakaraoulo, et par une série de
lacets au milieu des bois, monte aux ruines cl’une
église, fléchit à gauche et redescend par la forêt de la
princesse Baratofï jusqu’à Tionéti.
Route 20. — DeTiflis à Tionéti (en phaéton) par
la route militaire de Géorgie , pendant 10 v. jusqu’au
pont du chemin de fer Mtzkhetski most. On passe
sous ce pont praticable aux voitures et on atteint Sa-
gouramo. De là on va à Akhatani, village à partir du-
quel on gravit un mauvais chemin escarpé ; puis on
redescend dans la vallée d’Ertsso où l’on rejoint la
route de Khevsouri-Sopéli à Sakaraoulo ( voir le
précédent itinéraire).
Route 21. — De Tiflis à Martkhopi (30 v., en
voiture ), par la chaussée de la Kakhéthie jusqu’à
Lilo, puis, en tournant à gauche jusqu’au village ; ou
bien par une autre route carrossable plus courte (12 v.)
en passant à gauche de l’arsenal de Tiflis, près d’un
lac salé et différents koutors. Martkhopi était très
peuplé jusqu’au XIIe s. L’église était jadis un lieu
de pèlerinage pour les rois géorgiens. Mais Schah-
Abbas emmena en captivité plusieurs milliers des ha-
bitants et les déporta en Perse, au Kborassan et à
Ispahanoù ils ont formé 6 villages de 3,140 feux. Le
monastère, résidence d’été des exarques de Géorgie,
fondé en 415 par Antoine, l’un des 13 Pères de Syrie,
est dédié à J.-C. On voit encore la tour svéti où vécut.
128
GUIDE AU CAUCASE
dit-on, le moine. La fête de Martkhopi se célèbre le
16 aoûu
Route 22. — De Tiflis àTsarski-Kolodtsi(130 v.
en équipages de poste ou à cheval ), par Orkhévi
(10 v.), Vasiani (14 y.), Asambouri (20 v.), Kakobéti
(21 v.), Katchréti (15 v.), Moghari (19 v.). Match-
khani (12 v.), Tsarski-Kolodtsi (14 y.). De Tiflis
par la place d’Avlabar, on prend la route de la Kakhé-
thie. Jusqu’à Orkhévi, on est dans la steppe. On monte
vers Vasiani où est la bifurcation du chemin menant
à Moukhravane et Gambor. On traverse Alexandre-
feldt, colonie allemande d’une certaine importance,
au bord de l’Iora, Sartatchall peuplé par des Géor-
giens, et on atteint Asambouri, village de Malakans
situé assez haut sur la montagne. De là on descend;
on franchit à gué l’Iora, et en 10 verstes on est à Kako-
béti. La route se dirige à droite, puis revient à gauche
jusqu’à Katchréti. Au bout de 6 verstes on quitte
le chemin qui va à Thélaff ; après 16 v. celui qui va à
Signak, et on continue par une route vicinale sur
Moghari, village de Malakans. Matchkhani n’est
qu’un relais de poste, mais aumi lieu d’un joli paysage ;
Tsarski-Kolodtsi (300 feux), où habitent des soldats
russes retraités, est un ourotchiché, camp de cavalerie.
Au commencement de la steppe de Chitaki quelques
pâturages s’étalent sur les versants des collines qui
limitent la vue à l’E. Au S. est la montagne de Saint-
Elie sur laquelle est une petite église géorgienne. Au
N. le mont des Deux-Frères . Enfin, à 6 v. et sur la
pente d’un coteau boisé, les ruines d’un château attri-
bué à la reine Thamar.
Route 23. — De Tiflis à Signak 1 (100 v. route
1 La Kakhéthie qui comprend les vallées de Flora et de
l’Alazan est desservie de Tiflis par plusieurs routes. — Route de
Thélajf (93 v.). D’abord un pays montueux uniforme. v.
Marienthal, colonie allemande dans un joli site. Puis une
belle contrée où l’on traverse, à 1,695 m. d’altitude, les mon-
tagnes qui séparent les vallées de l’Iora et de l’Alazan. Thé-
laff (795 m.) (voir ce nom). — A 7 v. à l’O. Tsinandal (voir
ce nom), domaine impérial qui produit l’un des meilleurs vins
de Kakhéthie. A 18 v. au N. -O. deThélafï. Allah verdi (voir ce
GUIDE AU CAUCASE
129
postale) par Orchévi, Vasiani, Marienfeld, Azam-
bouri, Mouganlo, Lakbi, Noukrian, Signak. La
colonie allemande de Marienfeld, fondée vers 1830
par les Wurtembergeois, contraste par sa jolie église,
ses maisons bien construites et proprement tenues,
avec les sales villages géorgiens qu’on a rencontrés
depuis Tiflis. Non loin est la station d’AzAMBOURi cor-
respondant au bourg du même nom, habité par la
secte russe des Malakans, sorte de protestants ortho-
doxes qui tirent leur origine des sectes luthériennes de
l’Allemagne et de la Pologne. Ils sont, pour ainsi dire,
les frères moraves russes avec cette différence toute-
fois qu’ils ne reconnaissent pas, comme le font ces
derniers, d’église, de prêtres ni de sacrements. On
franchit à gué l’Iora, et après Mouganlo , aoul
tartare, qui semble perdu au milieu de la steppe de
Karaïas, on change de chevaux à Lakbi et on atteint
Noukrian. L’aspect du terrain se modifie peu à peu ;
une rampe ardue conduit au sommet d’une montagne :
dé toutes parts les habitations se multiplient avec
leurs ceintures de petits vignobles ; on entre en Ka-
khéthie, le jardin de la Géorgie. Signak (10.069 habit.)
Poste. Télégraphe ), fondée par les Arméniens fuyant
les persécutions des Persans, se compose d’un semis
de bourgades disséminées sur une suite de collines
que la vaste plaine de l’Alazan sépare d’un grand relief
frontière. Le site que les émigrés jugèrent à l’abri des
incursions des montagnards Lesghiens et du Daghestan
cantonnés de l’autre côté de la chaîne caucasique est
couvert de forêts magnifiques. Le cours d’eau qui coule
nom) dont la cathédrale est un pèlerinage très fréquenté le
14[26 sept. Les tribus des Khewsours, des Touches et autres
s’y rendent alors des environs^t l’on y a occasion de faire
des études intéressantes. Une route mène plus loin au N. -O.
de Thélafï à Akhméti (env. 26 v.), Tionèti (50 v.) et Ananour
{voir ce nom). — Route de Signak: 104 y. de Tiflis par Ma-
rienthal où l’on prend à l’E. Il y en a aussi une de Thélafï
(62 v. lpZ) . La première passe dans la vallée de l’Alazan qui
a environ 100 v. de long et 8 à 30 de large. Il y a là 20.000 dé-
ciatines de vignes qui s’élèvent jusqu’à 900 m /d’altitude et qui
produisent environ 30.000 hectolitres de vin par an. Signak
(791 m.) {voir ce nom). — La route continue sur Zakatal et
Noukha (ooir ces noms). — D’après Bœdeker.
2e partie
9
130
GUIDE AU CAUCASE
au pied des hauteurs de Signak et que grossissent
nombre de petits ruisseaux venant des monts boisés
d’alentour, ne contribue cependant en rien à la fertilité
de ces campagnes ; ce n’est qu’un avide torrent de drai-
nage qui s’enfuit au plus vite. On a le projetd’en distraire
divers canaux d’irrigation, afin de remédier aux ter-
ribles sécheresses qui entraînent quelquefois ici la perte
entière des récoltes. De Signak à Thélaff, ancienne
capitale de la Kakhéthie, se déroule un chapelet de vil-
lages. L’Alazan, dont les eaux bourbeuses nourrissent
d’innombrables poissons, prend sa source au mont
Barbalo, et traversant le pays du N.-ô. au S.-E., va
se jeter au loin dans la Koura. Les vallées arrosées
par cette rivière et par son affluent Flora, forment la
Kakhéthie. La Géorgie n’a point de district plus fertile
et plus beau. D’un côté, le Caucase dresse ses arides
sommités frangées de blanc ; de l’autre, s’alignent des
hauteurs herbues et riantes. L’hiver une brume opaque
enveloppe souvent, plusieurs semaines durant, la val-
lée et sa bordure de collines ; mais que, tout à coup,
les rayons du soleil viennent à percer la tenture de
nuages, l’œil est ébloui par les splendeurs de ce pay-
sage lumineux et aux couleurs variées. Quant à la ville
elle-même, c’est une localité assez triste et dénuée de
ressources; les communications y sont difficiles ; le sol
inégal y est tout en montées et descentes et une course
à travers les rues a vite fait de mettre le piéton sur les
dents. Le gros de la population s’y compose d’Armé-
niens marchands qui vivent entre eux, et, dans l’éche-
veau des rues tortueuses qui forment le bazar, on ne
trouve uniquement que les objets de première néces-
sité. Sur les collines, s’échelonnent plusieurs jolies
maisons appartenant aux plus riches négociants, mais
la plupart des habitations sont superposées ; le toit de
l’une forme la base de l’autre. Outre quelques églises,
des écoles, un tribunal et une caserne, Signak pos-
sède un club, mais peu fréquenté. Un mur hérissé de
tours environne la ville sur un espace de deux verstes
et demie ; cette enceinte élevée par le roi de Géorgie
Héraclé II, pour mettre les habitants à l’abri des atta-
ques des Lesghiens, est percée d’un passage conduisant
GUIDE AU CAUCASE
131
à la nouvelle chaussée qui va à Thélaff et qui est le
boulevard des Signakiens. De ce rempart, la vue de la
vallée est splendide. Sur tout ce site, qui est à une alti-
tude de 260 à 3.000 pieds anglais au-dessus de la mer
Noire, le raisin prospère admirablement; près de
20.000 familles dans les deux districts de Signale et de
Thélaff s’adonnent à ce genre de culture U
Route 24. — De Signak à l’église de Ste-Nino (à
cheval). C’est à 4 v. de Signak qu’est la fameuse église
de Botbé ou de Ste-Nino, l’apôtre de la Géorgie. L’é-
glise, dont la fondation est attribuée au roi Miriam ier,
est en forme de croix, assez élevée de coupole et blan-
chie extérieurement à la chaux, sauf la façade de l’en-
trée principale et le frontispice placé au-dessus qui
sont en briques vernissées bleues, vertes, noires, d’un
joli effet. Sur l’un des côtés du mur on lit cette ins-
cription géorgienne : (( Moi, Georges, j’ai fait restaurer
cette église, après que Tamerlan eut ravagé la Géor-
gie. )) Le tombeau dit « de Ste-Nino )) est dans la cha-
pelle latérale qui est à droite de l’iconostase. Un
catafalque avec dôme à colonnes dorées surmonte une
bière en noyer. Sur le haut du couvercle se voit une
image peinte de l’apôtre ; sa tête est ceinte d’une au-
réole; dans ses mains elle tient, nouée avec ses
cheveux, la croix en cep de vigne, que d’après la
légende ou tradition, la Vierge lui remit lorsqu’elle
lui apparut à Jérusalem et lui enjoignit d’aller
prêcher le christianisme en Ivérie. Enfin, au pied
du catafalque est un candélabre en bronze où les
fidèles allument des cierges. Les ossements de la
sainte seraient, dit la légende, déposés dans le caveau
creusé au-dessous du monument funéraire. Dans
l’église : la tombe du général russe Gouliakoff (f 1804).
La sacristie possède quelques manuscrits anciens et
la croix de bronze du métropolitain Kiril, prince
Djordjadzé (f 1792 dans un combat contre les Les
ghiens). C’était l’usage que les dignitaires ecclésiasti-
ques ( Tchkonclideli) archevêques, précédassent les
troupes en temps de guerre ; seulement l’action une
1. D’après Caria Séréna.
132
GUIDE AU CAUCASE
fois engagée, ils se retiraient à Carrière-garde dont ils
prenaient le commandement. Aujourd’hui, un archi-
mandrite a remplacé à Ste-Nino le métropolitain. Le
couvent est inhabité ; il n’y a plus de moines ; toute-
fois la fête de la patronne de la Géorgie est toujours
tenue en honneur. La perspective qu’on découvre delà
est fort belle. Sur un haut plateau aux pentes ver-
doyantes, s’étagent les bourgs rustiques de Bodbé et
de Ivédéli ; plus loin bâillent des gorges de hauteurs
escarpées dont le plan supérieur est formé par les
monts Noukrian. En face du monastère, presque au
même niveau, se déroule la ville de Signak, dominée
par sa grande muraille ; plus bas enfin, la plaine de
l’Alazan achève l’aspect à la fois paisible et sauvage
de ce site. Non loin du cloître s’étend la forêt de chênes
Datsoultiké ou Dazémoulitké. Ses sombres feuillées
sont le rendez-vous des habitants: des localités voisines
qui viennent, dans les journées chaudes de la belle
saison y sacrifier au folâtre et joyeux Bacchus1.
Route 25. — De Signak à Thélaff (62 v. 1/2,
route postale ), par Bakourtsikhé (15 v. 1/2), Moukou-
sant (17 v.), Agouri (14 v.), Thèlaff (16 v.). La pre-
mière bourgade qu’on rencontre dans cette partie du
trajet est Kardanak. La station postale la plus proche
est Bakourtsikhé. Gourdjani, dont les vins sont
comptés parmi les meilleurs de la Kakhéthie, appar-
tient depuis le XIIe s. aux Andronic de Comnène.
Leur nom est aujourd’hui russifié en celui d’Androni-
kofï. Un des frères de l’empereur de Byzance ayant
commis un crime, se réfugia en Géorgie. La reine
Thamar l’accueillit, le nomma gouverneur du district
de Signak et lui fit don de quatorze villages. Gourdjani
occupe un site charmant à 10 v. de l’Alazan. Non loin
de là, dans un terrain volcanique, se trouve le lac
d’Akthala, dont les eaux gazeuses et bitumineuses gué-
rissent les rhumatismes et les maladies de peau. La
seconde station postale est Moukousani, voisine du
bourg riant d’AKHAKHÉNi ; puis vient Vélis-tsikhé,
une des plus riches bourgades du district de Signak et
1. D’après Caria Séréna.
GUIDE AU CAUCASE
133
dont les ceps ont le privilège de fournir annuellement
le premier vin de la saison. Ensuite, c’est Uriabou-
bani dont le nom veut dire village des Juifs. Des Juifs
l’ont fondé en effet, mais l’endroit paraissant propice
au négoce, les Arméniens en ont chassé jusqu’au der-
nier des fils d’Israël. Après Agouri, on atteint Tsinan-
dal, beau et riche bourg magnifiquement situé à 8 v.
de Thélaff. Le sol y appartient partie au Domaine de
la Couronne, partie à divers propriétaires, entre autres
à la princesse et au prince Tchavtchavadzé. Ce fut
cette princesse, petite-fille de Georges XIII, dernier
roi de Géorgie, que Schamyl enleva et qu’il retint
près d’un an captive, pour l’échanger ensuite contre
son fils Djanmal-Eddin, au service en Russie. L’eau
n’abonde pas à Tsinandal. Les habitants sont obligés
d’aller s’approvisionner à Kissisghévi, bourg séparé
du premier par un défilé pierreux où affluent les eaux
des montagnes voisines. Quand Schamyl avec ses Les-
ghiens attaqua Tsinandal, en juillet 1854, le château
des Tchavtchavadzé fut brûlé et la famille du prince
emmenée dans les montagnes. Depuis 1881 l’habitation
a été restaurée. Sur la rive gauche de l’Alazan, au
pied du mont Poghalistavi, se trouvent les villages de
Tchilda, riche en vin et en blé, et celui de Quaréli,
surnommés (( les deux yeux de la Kakhéthie1. Thélaff
(voir ci-dessous).
Route 26. — De Tiflis à Thélaff (en équipages ch poste ,
phaéton ou à cheval ), par Signak (162 v. 3/4) ; par Tcha-
laoubani ( route postale, L47 y. 1/4) ; par Gambor (99 y.) où
l7on arrive soit par Vasiani. soit par le Petit-Mouganlo et
Akhalsopéli ; de Tiflis à Vasiani (23 y.) avec la seule sta-
tion U’Orkhévi (10 y.) ; de Tiflis par Orchévi, Lilo, Akhal-
sopéli, Gambor (98 v.) ; cette dernière route est la plus courte.
Enfin, à cheval on peut passer par Akhalsopéli, l’Iora près
d’OüDJARNA non loin du mont Vérana, à droite de Gambor,
et franchir la crête de Saïmtvério ; c’est la voie la plus directe.
En quittant Tiflis, le paysage est d’abord monotone ;
ce ne sont que champs à demi brûlés où un chétif bé-
tail cherche vainement quelques brins d’herbe.
Naftlouk qui doit son nom aux sources de naphte
trouvées près de la Koura, étale à droite ses hôpitaux
1. D’après Caria Séréna.
134
GUIDE AU CAUCASE
et ses casernes. Un cimetière chrétien et les abattoirs
de Tiflis avoisinent le village. A Orkhévi on tourne à
gauche par une route vicinale où les vents d’O.
sont souvent très violents. La nature est pauvre. Près
d'un doukhan au-dessous de Lilo et dans une petite
vallée, un maigre jardin semble aussi triste que la
contrée environnante. Peu à peu, le chemin devient
accidenté; çà et là quelques champs, mais pas encore
d’arbres. Au loin seulement Norio, Martkhopi et la
crête boisée des montagnes qui du S. -O. au N.-E.
vont jusqu’à Flora. Ce n’est qu’à Akhalsopéli que se
voient les premiers jardins fruitiers. Nikolaïefka
(15 v.) est habitée par de vieux soldats russes retraités.
Au bout de deux verstes, on descend dans la petite
vallée de Tsalmiani égayée par de vertes prairies et la
fabrique de Bakmetiefï où on rectifie le sel de Glauber.
A gauche Moukhravani sert de cantonnement à une
batterie d’artillerie. Le climat de cette région est bon,
mais il n’y a pas de vignes ; les forêts sont basses et
peu fournies. On suit la chaussée jusqu’à Oudjarna,
sur Flora, village géorgien assez riche qui envoie ses
bois et ses produits à Tiflis. Une excellente terre arable
permet d’y cultiver les jardins et les vignes En sui-
vant la vallée, on gravit une éminence où s’aperçoit
une niche dans laquelle les passants déposent leurs
offrandes destinées à une église, qu’on a l’intention de
bâtir sur l’emplacement d’une forteresse voisine attri-
buée au roi Gourgaslan (Ve s.). Une foule de ruines
de chapelles qui longent la route attestent l’existence
passée des nombreux édifices que les musulmans ont
détruits. On descend vers Flora sur laquelle est jeté un
pont de fer, et on traverse la vallée de Paldo, plantée
de chênes. Près de la rivière Gambor, la route bifur-
que : un chemin vicinal va dans le district de Tioneti et
la vallée d’ERTSSO ; un autre ( chaussée ) va à Gambor
éloigné de 7 verstes. D’Oudjarna à Gambor (20 v.) ;
de Tiflis à Gambor (55 v.). Gambor est dans un fond
entouré de montagnes boisées. Deux batteries d’artil-
lerie y sont postées. Le village est habité par de vieux
soldats russes. Le climat y est sain, mais l’eau potable
manque. Si la vigne n’y réussit pas, en revanche les
GUIDE AU CAUCASE
135
pommiers et les poiriers sont magnifiques et on s’y
livre un peu à l’apiculture. Par une série de zigzags et
pendant 12 v. on gravit des rampes escarpées et on
atteint la crête. Ce passage est souvent difficile lorsque
le temps est mauvais. Après les tours de Roussian-
tsikhé et à droite, sur la haute montagne Verana
(c’est-à-dire place abandonnée), une forteresse profile
ses murailles écroulées ; au-dessous, de sombres ro-
chers servent de nids aux aigles. Par une autre suite
de lacets on descend de l’autre côté. A Tétri-Tsklébi
est une barrière de péage pour le droit de chaussée. On
franchit le Tourdo, torrent pierreux impraticable lors
des pluies, et dont on longe la rive. A droite sur une
montagne s’élève le joli couvent de Chouamtha (c’est-
à-dire montagne du milieu) où repose le poète géor-
gien Alexandre Tchavtchavadzé (f 1840). Dédié à la
Nativité de la Vierge, entouré de murailles et flanqué
d’un clocher, ce monastère a été construit au XVIe s.
par la reine Thinatine, épouse du roi de Kakhéthie
Léon II. De l’autre côté de Tourdo, s’aperçoit une
vieille église, et, dans la vallée, des excavations où se
réfugiaient les habitants pendant les invasions: En 8
verstes par Vardis-Oubani (c’est-à-dire quartier des
roses) et le faubourg Masandzara, on arrive à Thè-
laff (8.014 habitants Géorgiens et Arméniens). Chef-
lieu de district. Poste aux lettres et aux chevaux . Télé-
graphe. Hôtel; école géorgienne, club, etc. Bâtie en
amphithéâtre sur les monts Tsivi, entourée d’une
riche végétation et d’innombrables vignes, cette ville
jouit d’un excellent climat. Elle doit, dit-on, sa fon-
dation à Grigor Ier mthavar (chef) du pays, qui, s’étant
déclaré indépendant sous le titre de Korikoz (Koriko-
pos, 787-827), fut la souche d’une dynastie de quatorze
princes ou rois kakhéthiens qui se succédèrent jusqu’à
la réunion de la contrée à la monarchie par David le
Réparateur (1090-1130). Auparavant, la Kakhéthie
était gouvernée par des éristhavis (c’est-à-dire chefs
ou têtes du peuple) institués au IIIe s. avant J. - C.
par le roi de Géorgie Pharnavaz I. Détruite par les
Perses sous le règne de Schah-Abbas, Thélafï fut re-
construite et remplaça à titre de chef-lieu l’ancienne
136 GUIDE AU CAUCASE
capitale Grémi entièrement ruinée. Le roi Héraclé II
fut le dernier monarque géorgien qui y fit sa résidence.
La ville se compose de deux parties : le vieux Thélaff
où l’on voit les restes du château de Grigor avec son
enceinte crénelée à tourelles, puis des ruines de mos-
quées, etc., remontant au temps de l’invasion persane ;
et le nouveau Thélaff bâti par Héraclé sur l’emplace-
ment de l’épaisse forêt qui avait poussé sur les ruines
de la cité primi-
tive . La ville ,
quoique peu ani-
mée, offre un as-
pect assez riant.
Une place spa-
cieuse sert de pro-
menade. Un bou-
levard, garni de
jolies planta-
tions , longe le
mur de l’ex- pa-
lais , transformé
actuellement en
un gymnase de
jeunes filles.
Dans la chambre-
où mourut Héraclé, une plaque de marbre commémo-
rative porte la date du 11 janvier 1798 h
Route 27. — De Thélaff à l’église d’Alaverdi
(15 v. en voiture ou à cheval). On franchit les torrents
Thourdo, Khodachène ; on traverse les villages de
Vardis-Ouban, Bonispir, Djanaan, Khogoto et
Baïko. Une légende raconte que lors des invasions en
Kakhéthie, une bataille sanglante fut livrée entre les
Persans et les Géorgiens à l’endroit où est aujourd’hui
le monastère. Pendant le combat, un général musul-
man, qui avait trahi les siens, fit vœu, si le ciel était
favorable aux armes karthvéliennes, d’élever une
église. A la tête des troupes géorgiennes, ce général
chargea les musulmans, en poussant le cri : Allah!..
THÉLAFF. — D’après la carte d’Élisée Reclus.
1. D’après Caria Séréna.
GUIDE AU CAUCASE
137
Verdi !... La victoire resta aux Géorgiens* et l’édifice
chrétien fut bâti. L’enceinte du monastère attribué
à Kirik (IXe s.) est comme celle de Mtzkhet carrée,
avec des tours : à l’intérieur sont adossés à la muraille
le couvent et quelques maisons d’habitation. Parmi
les ruines qui se trouvent là, on voit celles d’une an-
cienne maison ou mosquée à fenêtres en ogive et
recouverte autrefois de briques émaillées en vert. Deux
portes donnent à l’O. et une petite à l’E. L’église de
St-Georges d’Alaverdi, haute et vaste, est en croix et
avait une coupole conique qui s’est écroulée plusieurs
fois et que l’on a refaite en bois. Les images qui y sont
conservées sont nombreuses; les inscriptions dont elles
sont chargées concernent l’histoire de la Kakhéthie.
Entre autres reliques, on montre à Alaverdi la tête et
la main droite de la reine Khétévane, femme du roi
David, qui, enlevée par Schah-Abbas lorsque celui-ci
envahit le pays, fut conduite en Perse, et, sur son
refus de se faire musulmane et d’épouser son ravisseur,
fut martyrisée et mise à mort (1624). C’est une des
grandes saintes du calendrier géorgien L
Route 28. — De Thélaff à Tionéti [route postale
jusqu’à Kvitéri), par Méri, Askouri, Kistaouri,
Akméti, Kvitéri, Zelnaouri.
Route 29. — De Thélaff àl’églisedeNékrési(30 v.
à cheval ). Construite entre Childi etKwARELiau VIe s.,
cette église est restée longtemps entre les mains des
Lesghiens. L’intérieur est décoré d’assez fines pein-
tures murales représentant entre autres le roi Tridat
avec les deux fils de Varaz-Bakar (393-404), et que le
prince Gagarine a copiées et dont il a donné la repro-
duction dans son magnifique album Le Caucase 1 2.
1. D’après Caria Séréna.
2. Brosset et le prince Gagarine prétendent que cette église
date du VIe s. Il est possible qu’il y ait eu là autrefois
une antique chapelle remontant à une époque aussi reculée,
mais les peintures en question, d’après les dessins byzantins
des vêtements des personnages, et l’église actuelle restaurée
sont du XIe s.
138
GUIDE AU CAUCASE
ITINÉRAIRE L
DE TIFLIS A ERIVAN ET A L’ARARAT , PAR AKSTAFA,
DELIJANE 1
Route 1. — De Tiflis à Akstafa (87 v., en ch . de
fer). Voir de Tiflis à Bakou, Itinéraire O, route 1.
Route 2. — D’A-
kstafa à Delijane (72
v. 3/4), route postale ,
par Ouzountala (22
y. 1/2), Caravanséraï
(17 v. 1/4), Tarsat-
chaï (18 v. 1/2), Deli-
jane (14 v. 1/2). La
station d’Akstafa est
à l’embranchement de
l’ancienne route de
Bakou et de celle de
Kars et d’Erivan. Les
habitants de ce bourg
sont tatars. La vallée
inférieure de la rivière
Akstafa n’a rien de
pittoresque, mais un
peu avant Ouzoun-
tala, le paysage de-
vient riant. Insensi-
blement les collines
s’élèvent ; les bois ,
qui d’abord paraissent
assez chétifs, font place
à de magnifiques fo-
rets. Les villages des
(( malakanes », sectai-
res hétérodoxes trans-
portés au Caucase pour
y renforcer l’élément russe et en assurer la colonisa-
tion, ont un air d’aisance qui contraste avec l’aspect
1. D’après Élisée Reclus, Orsolie, Mmü Chantre, le Calen-
drier du Caucase et les cartes de l’Etat-Major russe.
JJ.Rollet, Sc/.
GUIDE AU CAUCASE
139
malpropre des aouls tartares. De la station Caravan-
séraï à Tarsatchaï, la route longe l’Akstafa. A Red-
kine, on voit à gauche la nécropole antique où ont
été faites des fouilles archéologiques fort intéressantes,
et, après une rampe assez raide, on descend à Delijane
(Poste. Télégraphe . Auberges).
Le GOK-TCHAï. — D’après la carte d’Elisée Reclus.
Route 3. — De Delijane à Erivan (103 y.), en équi-
pages de poste , par Siméonovka (18 y. 3/4), Elénovka
(21 v. 1/2), Nigui-Akhti (16 v. 1/2), Sucha-Fontanka
(12 v.), Eïlar (19 y. 1/4), Erivan (15 v.). La route
escalade les montagnes de Shah-Dagh, couvertes d’é-
paisses forêts et le col d’Echak-Maïdan, à une hauteur
de 2,170 m., tout près du village de Siméonovka. Un
140
GUIDE AU CAUCASE
peu au delà de la station, on aperçoit tout à coup le
Gok-Tchaï 1 (lac bleu), encadré dans des montagnes de
porphyre à pic; tout autour, une terre arable noire, à
fond rougeâtre, forme des champs perdus dans une
steppe d’un vert sombre. A droite: l’Ala-gôz (4,095 ni.),
à gauche, l’Ak-Dagh élèvent leurs cimes bien au-dessus
du cirque de montagnes qui étreint le Gok-Tchaï.
L’Allah-ghôz (œil de Dieu) ou plutôt Alagôz, c’est-à-
dire le « mont bigarré », à moins qu’il ne faille y voir
Mont ALAGOZ. — D’après la carte d'Elisée Reclus.
1. Les Turcs l’appellent Koutche-Daria (la mer bleue) ; les
Persans, Deria-i-chirin (le lac doux) ; les Arméniens Kiéghar-
kounik (village royal), d’où les Géorgiens ont fait Ghela-
khoum. On le nomme aussi en arménien Dzow-Kieghamaï
(la mer de Kiégkam) du nom d’un roi d’Arménie. Le nom
persan lui a été donné par opposition probablement aux lacs
de Van et de Tébritz ou d’Ournia qui sont salés. Ce lac (le
Lychnites de Ptolémée) forme un ovale irrégulier de 65 v. de
longueur, divisé en deux parties inégales par un rapproche-
ment des rives. La partie méridionale a v. dans sa plus
grande largeur. C’est une nappe d’azur étendue dans une
coupe de porphyre. (Gilles, Lettres sur le Caucase).
GUIDE AU CAUCASE
141
une forme turque donnée au nom arménien Arakadz,
est un massif volcanique presque isolé beaucoup
moins haut que l’Ararat, quoique son cône obtus attei-
gne l’altitude de 4,190 m. ; mais par son étendue et la
puissance de ses contreforts, il dépasse son fier rival. Au
S. et à TE., ses cheires délavé descendent jusque dans
la vallée de l’Araxe ; à l’O. et au N., d’autres coulées,
datant également d’une ancienne période géologique
se sont épanchées dans la vallée de l’Arpatchaï vers
Alexandropol ; la masse des matières rejetées du sol
a des centaines de kilomètres de pourtour. La mon-
tagne mérite son nom de bigarrée par les couleurs
diverses de ses scories, de ses pierres ponces, de ses
obsidiennes, entre lesquelles brillent çà et là, la ver-
dure et les fleurs. Trois des anciens cratères sont
occupés parles eaux de petits lacs toujours assombris
par les parois environnantes ; mais l’Alagoz, comme
l’Ârarat, n’épanche dans la plaine qu’un petit nombre
de sources ; en temps ordinaire, les eaux se perdent
dans les scories et dans les cendres ; un lac qui se
trouve au S. de la montagne, l’Aïger-gôl, est alimenté
par ces eaux souterraines et donne lui-même naissance
aux sources de la belle rivière Karasou, affluent de
l’Araxe, baignant la base de l’ancienne citadelle d’Ar-
navir 1 . — La route serpente jusqu'au lac par une série
de zig-zags hardis, pratiqués dans le flanc de la mon-
tagne ; actuellement excellente, cette route était autre-
fois justement redoutée : passage du Gok-tchaï, dit un
dicton arménien, « passage de mort >). Sur une petite
île voisine du rivage, est le monastère de Sévang, un
des plus anciens de l'Arménie et qui mérite d’être
visité. Les bâtiments du couvent, un simple rez-de-
chaussée, forment un trapèze couvert de chaume,
pauvre et délabré. Sur le point culminant de l’île se
trouvent deux vieilles églises, souvent reconstruites ;
elles n’offrent aucun intérêt. Tout à côté, les ruines du
vieux couvent conservent encore quelques beaux cha-
piteaux en bois sculpté. Le monastère de Sévang fut
très célèbre aux IXe et Xe s., et ses supérieurs dispu-
1. D’après Élisée Reclus.
142
GUIDE AU CAUCASE
tèrent souvent le pas aux Patriarches d’Edchmiadzine.
Dans les premiers temps de la conquête arabe, Meri-
van, qui fut plus tard Khalife, fit de l’île de Sévang
son lieu de séjour, lorsqu’il administrait l’Arménie
comme (( Osdigan » (742). Au farouche conquérant
succédèrent les moines qui bâtirent leur couvent sur
les ruines de sa forteresse. — En abordant, on est bien
accueilli par un moine qui fait voir les cellules, les
chapelles, les tombeaux, etc. A la station Elénovka ,,
on peut goûter les excellentes truites pêchées dans le
lac.
Route 4. — D’Élénovka à Novo-Bayazid (30 v.),
par Gadji-Moukhan. ( Voir ces noms , itinéraire M,
routes 4 et 5.)
Route 3 (suite). — D’Élénovka jusqu’à Nigui-
Akhti, la route descend, et bientôt on aperçoit au loin
l’Ararat semblable à une pyramide de neige suspendue,
sans attache avec la terre, dans l’outremer du ciel.
D’Akhti, il y a une excursion à faire à la vallée des
fleurs, Daratchi-Tchak (7 v.), [mauvaise auberge). Les
fonctionnaires russes, aux chaleurs torrides des étés
d’Erivan, se sont cherché un sanitorium dans la mon-
tagne, et ils ont choisi la vallée du Saoutch-boulak,
affluent de la Zanga; ils lui ont donné le nom de Da-
ratchi-tchak, ou « vallée des fleurs. )) Les anciens rois
d’Arménie avaient, bien avant eux, pris leurs quartiers
d’été dans cette vallée; leur résidence située sur la rive
droite du Saoutch-boulak et appelée Ketcharousse
(en turc Sandjerlii) était bâtie sur le flanc de la mon-
tagne, dans un vallon boisé, à 2 v. environ au-dessus
de la rivière. Cette position était admirablement choi-
sie ; son altitude est de près de 2,000 ni., les eaux y
sont excellentes, et l’air y est très pur ; aussi Ketcha-
rousse eut-il ses temps de splendeur. Il n’en reste plus
aujourd’hui qu’un ensemble d’églises à demi ruinées,
mais qui peuvent compter parmi les bons modèles du
style arménien. Une colonie de ((malakanes)) vint se fixer
à Ketcharousse et le baptisa Constantiniskoï; enfin,
les fonctionnaires russes y établirent leurs campements
d’été et firent prévaloir la dénomination qu’ils avaient
donnée à toute la vallée, et Daratchi-Tchak est aujour-
GUIDE AU CAUCASE
143
d’hui le nom usité U Au-dessus du village se dresse
l’église la plus considérable fondée en 1033, sous le
règne de Goghik, par un certain Kirikor Magistros,
fils de Hasan. Elle se compose en réalité de deux
églises parfaitement distinctes ; la première basse,
sombre, repose sur quatre énormes piliers ; elle a quel-
que chose de barbare dans son architecture et ressemble
à nos plus vieilles cryptes romanes. La seconde est
beaucoup plus élevée de voûtes et ornée de colonnes
élégantes. La coupole a été détruite par un tremble-
ment de terre en 1827. A côté se trouvent trois ora-
toires et une petite église de fort joli style. Le cime-
tière contient des pierres tombales sculptées assez
curieuses. D’Akhti (vers Erivan), par Fontanka et
Eilar, le pays est peu intéressant, plateau raviné,
brûlé par un soleil impitoyable. L’Ararat grandit de
plus en plus, l’Alagôz a disparu. Enfin, après une der-
nière colline où se trouvent un hôpital et d’autres bâti-
ments militaires, on atteint le rebord du plateau; en
bas, dans la vallée, Erivan déploie les vignobles et les
jardins où ses maisons grisâtres semblent noyées. La
coupole d’une église russe, des dômes de mosquées se
détachent nettement au-dessus de cet ensemble de ver-
dure 2 . Erivan (14,555 habit.), Hôtel de Londres .
Poste aux lettres et aux chevaux . Télégraphe. Rési-
dence du Gouverneur. Le nom d’Erivan comme for-
teresse et comme gros bourg est mentionné par les
historiens dès les VIF et VIIIe s. En 1577 et 1582,
Erivan fut pris par les Turcs et repris par eux, à
grande peine sur les Persans. Schah-Abbas ne put s’en
rendre maître en 1605 qu’après un siège de six mois.
Retombée de nouveau entre les mains des Turcs en 1635,
cette ville fut plusieurs fois assiégée par les rois de
Géorgie, notamment en 1780 par Héraclé ; elle résista
en 1804, au prince Tzitzianofï, et depuis 1828, elle est
1. Le même endroit s’appelle donc Ketcharousse, Sandjerlii,
Constantin iskoï, Daratceiitchak. Cette polvnomie est fré-
quente en Orient. Suivant la race à laquelle appartient votre
guide, vous êtes amené à désigner sous un nom nouveau la
même localité déjà citée différemment par un autre voya-
geur.
2. D’après Orsolle.
144
GUIDE AU CAUCASE
restée au pouvoir de la Russie. Excepté dans le nou-
veau quartier russe, où quelques larges voies ont été
percées, la ville a conservé la physionomie persane.
Toutes les rues se ressemblent, enfermées qu’elles sont
entre de longs murs en pisé gris dérobant la vue des
maisons et des jardins. Le maïdan , place voisine du
bazar, est un des endroits les plus animés. Une mos-
quée avec son minaret recouvert de briques émaillées
de diverses couleurs, est un bel échantillon de l’archi-
tecture persane. Une autre mosquée, qui est dans l’en-
ceinte de la vieille citadelle, au bord de la Zanga, est
presque en ruines, mais va être réparée. On peut juger
de la magnificence passée des Khans d’Erivan, rési-
dence favorite de Houssein, par la salle des glaces du
-palais des Sardars. D’une des grandes fenêtres, on
jouit d’un splendide panorama et d’une vue superbe
de l’Ararat. Dans le jardin qui est de l'autre côté de la
Zanga, près du pont, est un petit kiosque octogone dé-
coré de peintures persanes 1 . Le détestable climat, ses
rudes alternatives de froidures et de chaleurs, la pous-
sière, les fièvres, auraient bientôt dépeuplé la ville, si
elle n’occupait une position d’importance capitale aux
confins de la Perse et de la Turquie, et si les jardins et
les mines de sel gemme des environs ne lui fournis-
saient les éléments d’un commerce considérable.
1. D'après Orsolle.
GUIDE AU CAUCASE
145
Route 5. — D’Erivan à l’Ararat (à cheval , 50 v.
env.). Le premier village qu’on rencontre, Kaïlassar,
est habité par des Aïssores ou Chaldéens orthodoxes,
venus des régions d’Ourmiah et de Salmas en Perse.
Ils se disent descendants de Neinrod et d’Assur ; leur
langue est apparentée à celle des Hébreux. A Kamar-
lou on tourne à droite pour traverser l’Araxe et on
gagne le poste
militaire d’A-
RALIKLI OCCUpé
parun régiment
de Cosaques ; le
village est aune
verste de là , à
832 m. d’alti-
tude. On quitte
la plaine et on
se dirige vers
Sardar - Bou-
lakh (2.425 m.
d’altitude) ; une
abon dante
source y jaillit.
En contournant
assez difficile-
ment le Grand-
Ararat à travers
des tufs volca-
niques, on des-
cend à Argouri
d’où l’on va visiter la source de Saint-Jacob (2.250 m.)
et le ravin où s’élevait un monastère. Au N. -O., à cinq
heures de marche du village, s’étend le lac Kip-Gol
(3.300 m.) situé dans un ancien cratère. D’Argouri
on peut aller à Khorgane, village kurde ; de là, en
G heures, on atteint Igdir d’où partent une route vers
Erivan et une autre vers Koulpa \
L’ascension de l’Ararat se fait le mieux d’Aralikh, soit à l’O.
par la hauteur de Gœ luk et le Kip-Gôl (3,415 m.) au pied du
1. D'après Mme Chantre.
2(“ PARTIE
10
146
GUIDE AU CAUCASE
glacier Nord, soit plutôt du col de Sardar-Boulakh (2.791 m.).
L’époque la plus favorable pour tenter l’ascension est fin août
ou septembre.
Le massif de l’Ararat, « centre historique du plateau
d’Arménie », s’élève sur le prolongement oriental de
la chaîne volcanique entre PAraxe et l’Euphrate ; mais,
de sa masse conique, blanche de neige et rayée de
scories, il domine de si haut les autres montagnes
qu’elles semblent lui faire cortège comme à un maître,
et que les collines et les plateaux accidentés s’étendent
en plaines à sa base. Le nom même d’Ararat, proba-
blement d’origine araméenne est synonyme de «hauteur
par excellence » et la dénomination arménienne de
Masis, qui est la vraie, puisque le mont s’élève sur le
sol d’Arménie, présentait également le sens de « Grand»
ou de « Sublime ». Les Turcs donnent à l’Ararat le nom
d’Agri-dagh, ou « mont escarpé », Arghi-dagh, « mont
de TArche, » tandis que les Persans rappellent Koh-i-
Nouh ou la « montagne de Noé ». Il était naturel que
cette montagne superbe, isolée dans sa gloire, plus
fière que les Olympes des Hellènes, fût considérée par
les habitants de la vallée de l’Euphrate, comme un
sommet divin, et qu’on en fît dans les mythes orien-
taux la cime sacrée d’où les hommes et les animaux
descendirent pour peupler le monde. Les Arméniens
montrent encore de loin l’endroit où s'arrêta l’Arche de
Noé, après avoir flotté à quarante coudées au-dessus
du sommet des plus hautes montagnes. Des génies
armés d’une épée flamboyante veillent sur le navire
sacré, vert comme le gazon des pentes. Vu de Nakitche-
van, le Masis apparaît comme une seule niasse conique
se dressant au N. -O.; mais de Bayazid, au S., et d’Eri-
van, au N., on voit que le massif se compose de deux
montagnes distinctes alignées suivant la direction du
Caucase. Le Grand-Ararat 1 (5,160 m.) élève sa double
pointe au N. -O.; le Petit-Ararat (3.960 m.) 2 arrondit sa
cime au S.-E., séparé du géant voisin par une dé-
1. La position géographique du Grand-Ararat est comme
suit : latitude N. 39° 42'24”, longitude E. de Paris 41° 57’30”.
2. Grand-Ararat (5.156 m.), Petit-Ararat (3.916 m.). D’après
Bœdeker.
GUIDE AU CAUCASE
147
pression profonde. L'ensemble des deux cimes avec
leurs contreforts occupe, entre les deux plaines de
Bayazid et d’Erivan, une superficie d’environ 960 kil.
carrés. Les pentes en sont presque partout assez
douces, comme celles de l’Etna, mais çà et là,
des coulées de lave, et plus haut les neiges, presque
toujours ramollies en été par la chaleur, rendent l’as-
cension très pénible aux voyageurs. Les Arméniens
racontent même les prodiges qui avaient souvent arrêté
des pâtres impies essayant de gravir la montagne, « la
mère du monde », et les tentatives infructueuses de
Tournefort et de Morier leur donnaient gain de cause.
Lorsque le docteur Parrot, professeur de physique à
Dorpat, eut définitivement escaladé le sommet du
Masis, le 27 sept. 1829, ils nièrent unanimement que
Pexploit eût été accompli, et réussirent pendant long-
temps à jeter un certain doute sur les affirmations de
ce savant, que, depuis, d’autres gravisseurs ont imité
avec succès 1 . En août 1850, Khodzko, accompagné
de 60 soldats, passa cinq jours entiers sur la cime pour
y poursuivre ses travaux de triangulation du Cau-
case. De là, il visait au S.-E. le Savelan, a 340 kil.
de distance ; au N. -O., l’Elbrouz, à 440 kil. et corres-
pondait, au moyen de signaux héliotropiques avec
d’autres astronomes établis sur l’Akh-dagh, au milieu
du plateau de Gok-tchaï. A la hauteur de 3.475 m.,
les pentes de la montagne sont encore entièrement
revêtues de végétation, mais à 3,750 m., les graminées
s'arrêtent ; de 3,960 m., et jusqu’à la limite des neiges
persistantes, supérieures à 4,300 m., on ne rencontre
plus que les variétés de la flore des hautes Alpes d’Eu-
rope. Les espèces du Ilaut-Ararat sont toutes identi-
ques ou congénères à celles des sommets alpins ; mais
elles sont moins nombreuses. Ainsi pour 49 variétés
que l’on trouve sur le Faulkhorn,on n’en rencontre que
31 dans la zone correspondante de l’Ararat, ce qui doit
être attribué sans doute à la plus grande sécheresse de
1. Les principales ascensions de l’Ararat ont été faites par
Tournefort, Morier, Parrot (1829), Abich (1845). Khodzko
(1850), Baker et Fresbfield (1868), Radde (1871), Bryce (1876),
Markoff (1888).
148
GUIDE AU CAUCASE
l’air sur la montagne de l’Arménie. Quant à la faune de
cette montagne d'où les mythes orientaux ont fait des-
cendre tous les animaux, elle est relativement très pau-
vre; le loup, la hyène, peut-être la panthère parcourent
les fourrés de la base, dans le voisinage de l’Araxe ;
Mont ARARAT. — D’après la carte d’Elisée Reclus.
mais sur les pentes même du Masis, on ne rencontre
que le bouquetin (touri), une fouine et une espèce de
lièvre : on n’y voit pas même de chauves-souris. Quoi-
que sous une latitude de trois degrés seulement plus
méridionale que celle des Pyrénées, l’Ararat est beau-
coup plus tôt débarrassé des neiges dans la partie infé-
rieure de sespentes,et c’est à 4,220 m., d’après Wagner
à 4,370 m., d’après Parrot, soit à 1 kil. 1/2 au-dessus de
la ligne correspondante des Pyrénées, que se trouve la li-
mite inférieure des neiges persistantes. C’est à son isole-
mentqui l’expose h toute la force des rayons solaires ré-
GUIDE AU CAUCASE
149
fléchis par le plateau inférieur et à l’action évaporatrice
des vents, que le haut volcan de l’Arménie doit de
montrer ainsi ses escarpements de lave noire jusqu’à
moins de mille mètres du sommet ; toutefois, la neige
descend beaucoup plus bas dans les ravins d’érosion
qui échancrent les flancs de la montagne; d’en bas,
on dirait une sorte de collerette à pointes régulières.
Dans mainte gorge, ces nevés prennent une texture
cristalline et se changent en véritables glaciers les seuls
de l’Arménie qui descendent jusqu’au-dessous de 3,000
m. d’altitude ; le principal, au N. -O. de la montagne,
est celui de Saint-Jacques. A une époque géologique
antérieure, les glaciers de l’Ararat s’étendaient beau-
coup plus bas : on le reconnaît aux stries glaciaires et
aux surfaces polies'des roches trachitiques. En certains
endroits, les parois moutonnées ont été si bien rabo-
tées par le passage continu des glaces, qu’elles en ont
pris le brillant du métal et répercutent en rayons
éblouissants la lumière du soleil. C’est un fait très cu-
rieux que le Masis, malgré la grande quantité des
neiges qui pèsent sur sa pyramide terminale et qui en
comblent les cratères, soit presque complètement sans
eau. Le naturaliste Wagner n’a pu trouver que deux
fontaines à la base de la puissante montagne, et les
ruisseaux qui s’en écoulent ne sont que de petits filets
d’eau grésillant parmi les pierres. Tandis que les mon-
tagnes voisines, également d’origine éruptive, versent
les eaux à torrents et en remplissent des lacs vastes et
profonds, les pentes de l’Ararat restent arides et brû-
lées. Pendant la saison des sécheresses, elles sont
même inhabitables à cause du manque d’ombrage et
d’humidité ; les pâtres n’y mènent point leurs trou-
peaux ; on n’y voit que rarement un animal sauvage ;
les oiseaux même évitent cette montagne aux roches
noires, à la végétation flétrie. La solitude y est abso-
lue, comme au milieu des déserts de sable. Il faut
donc que les eaux de neige ou de pluie disparaissent
dans les fissures du sol, sous les cendres et les laves,
soit pour s’amasser en lacs dans l’intérieur de la terre,
soit plutôt pour s’épancher en un réseau de fleuves ca-
chés. Ces eaux souterraines, que des foyers de lave et
150
GUIDE AU CAUCASE
la haute température naturelle du sol profond trans-
forment en vapeurs, expliquent peut-être l’éruption
terrible qui se produisit en 1840. Alors, un ancien cra-
tère situé au-dessous du couvent de Saint-Jacques se
rouvrit soudain ; une vapeur épaisse s’éleva vers le
ciel, bien au-dessus du sommet de l’Ararat, et répandit
dans l’air une odeur de soufre. La montagne se mit à
mugir sourdement et à lancer de la fissure d’énormes
quantités de pierres et de rochers, dont quelques-uns
pesant jusqu’à cinq tonnes ; le sol se crevassa pour
laisser échapper des jets de vapeur, et du lit de l’Araxe,
on vit des sources d’eau thermale jaillir à gros bouil-
lons. Le couvent de Saint-Jacques disparut sous les
débris, ainsi que le riche et populeux village d’Argouri,
que les Arméniens disaient être le plus ancien de la
terre. En effet, le nom d’Argouri signifie « plant de
vigne » et d’après la légende, c’est là que Noé planta
le premier sarment en descendant de l’Arche. Les
deux mille victimes d’Argouri ne furent pas les seules :
à Erivan, Nakitchevan, Bayazid, d’autres milliers
d’hommes furent écrasés par l’effet du tremblement de
terre, quoique par bonheur, la population presque tout
entière jouît dans ce moment, en dehors des maisons,
de l’air frais du soir. Quatre jours après l’éruption et
le tremblement du sol, un nouveau désastre vint dé-
truire presque toutes les cultures d’Argouri ; les eaux
et les boues accumulées dans le cratère, et provenant
en partie de neiges fondues rompirent leurs parois et
se déversèrent sur les pentes en longues coulées de vase
qui changèrent la plaine en un vaste marais. L’éruption
d’Argouri est la première dont il soit question dans
l’histoire de la montagne, mais l’Ararat a été plusieurs
fois le centre de terribles secousses \
ITINÉRAIRE M
ERIVAN ET LA VALLEE DE L’ARAXE
Route 1. — D’Erivan à Edchmiadzine (18 v.1/2,
en équipages de poste ou en phaéton). D’Erivan, on
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
151
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descend jusqu’au pont de la Zanga; on traverse les
jardins et les faubourgs de la ville et l’on s’engage dans
une vaste plaine
dominée par l’A-
rarat. A l’O., les
montagnes de
Kars s’estom-
pent vaguement ;
à l’E., deux égli-
ses consacrées à
sainte Gaïane et
à sainte Ripsime
annoncent l'ap-
proche du mo-
nastère. Celle de
Sainte-Ripsime,
qui est la plus an-
cienne de l’Ar-
ménie et le proto-
type de l’architec-
ture arménienne,
a été bâtie en 618.
Celle de Sainte-
Gaïane a été cons-
truite, d’après
Brosset, en 630.
— La Rome ac-
tuelle des Armé-
niens , Edch-
miadzine, n’est
point une grande
cité. Dans le voi-
sinage se grou-
pent les maisons
de la petite ville
deVagarchabad1;
mais Edchmiad-
1. On fait remonter sa fondation au roi Erovan 1er (VIe s.
avant notre ère). Un arsacide, le roi Tigrane II, y établit, un
siècle env. av. J.-C. , une colonie de Juifs provenant de la pre-
mière captivité, et cette ville devint très commerçante. Elle
fut la résidence des rois d’Arménie jusqu’en 344 et des pa-
triarches jusqu’en 452.
H. Ro Ue t, So.
152
GUIDE AU CAUCASE
zinemêmen’estqu’unvastecouventaux murailles.de pisé
et flanquées de tours, dominées par une église à clocher
pyramidal et à clochetons latéraux. Ce que le monas-
tère a de vraiment beau, ce sont ses eaux limpides, ses
fleurs, son bosquet de peupliers et d’arbres à fruits.
Vingt fois saccagé par les Turcs et les Persans, le
sanctuaire d’Edchmiadzine est toujours resté l’objet de
la vénération des Arméniens et la métropole de leur
culte. C’est là que réside le Catholicos . L’intérieur est
divisé en plusieurs cours ; dans la seconde s’élève
l’église de la Vierge, rebâtie au XVIIe s. sur rempla-
cement d’une autre qui datait du VIe s. Ce temple
porte en arménien le nom de Chogakate , c’est-à-dire
(( aurore lumineuse )). C’est là, d’après la légende, que
le (( Fils unique » apparut dans un rayon de soleil à
Grégoire l’Illuminateur et que d’un coup de foudre
il fît rentrer sous terre les divinités du paganisme.
Car Edchmiadzine est sur l’emplacement de l’une des
puissantes cités de l’antique Arménie. Là s’élevait
Ardimet-Kaghakh, la «ville d’Artémis » ou d’Anachit,
la « Vénus arménienne », et de toutes parts y accou-
raient des fidèles pour adorer la déesse. C’est aussi
près de là, au pied de la forteresse d’Armavir 1 que
l’on allait consulter les chênes sacrés, où les prêtres
païens, comme ceux de Dodone, entendaient dans le
feuillage à la fois le murmure des vents et celui des
destins. Les divinités du temple ont changé, mais
depuis au moins vingt-cinq siècles ce lieu de la plaine
est resté saint. Sur le grand portique se dresse un clo-
cher élégant en porphyre rougeâtre, à trois étages dont
le dernier est à jour. Il est couvert de haut en bas de
sculptures assez finement enlevées et surmonté d’un
dôme à douze pans avec un toit conique. Ce clocher
élevé en 1103 (1654), sous Schah-Abbas II, parle
catholicos Philippos, aux frais d’Anton Tchélébi, achevé
1. C’est sur la rive gauche de l’Araxe, près de Chagriar.
qu’on aperçoit le Top'aclébi, colline de lave rougeâtre isolée
au milieu de la plaine, et couronnée de quelques débris de la
célèbre forteresse d’Armavir. Quant à la ville elle-même, il
n’en reste pas de traces. Et cependant, fondée, disent les his-
toriens. 2.000 ans av. J.-C. elle fut pendant 13 siècles la rési-
dence des rois d’Arménie.
GUIDE AU CAUCASE
153
en 1106 (1657) par le catholicos Jacob, fut décoréen
1113(1664). Dans l’intérieur de l’église, l’autel ou ta-
bernacle en forme d’un octogone soutenu par quatre
statues, les deux sièges du patriarche méritent l’at-
tention.
Visiter le -séminaire, les jardins, le trésor de la sacristie,
l'imprimerie et la bibliothèque fort riche en manuscrits enlu-
minés. — Quoique l'hospitalité soit de rigueur et gratuite à
Edchmiadzine, il est d’usage de donner une offrande pour l’é-
glise au moine qui reçoit les voyageurs.
Route 2. — D’Erivan à Igdir ( 5Q y., route pos-
tale), par Edchmiadzine (18 y. 1/2), Markara (18 y.
1/2), Igdir (19 y.).
Route 3. — D’Erivan à Koulpa (75 v. env. ). La
montagne de Koulpa, une des plus énormes masses
de sel gemme
du monde, s’é-
lève au pied du
Takhaltou,
dans une dé-
pression de 2 v.
Le village de
Koulpa , l’an-
cien Goghp, s’é-
tage sur les ar-
giles feuilletées
dans lesquelles le Vartémar-tchaï a creusé son lit. Ac-
tuellement le village se développesur la rive opposée, à
cause des éboulements de la montagne. Le dépôt du
sel se continue à l’E.; il compte trois bancs; l’inférieur,
d’une épaisseur de 7 à 8 m., est le seul exploité. Le
troisième est séparé des deux autres par d’épaisses
couches de marnes verdâtres assez compactes. L’en-
semble du dépôt est recouvert de gypse. Les marnes,
attaquées par les eaux se sont éboulées et ont entraîné
une partie de la colline salifère. En outre, les travaux
qui depuis les temps préhistoriques ont été pratiqués
dans ces mines ont affaibli le corps de la montagne, et
lors du tremblement de terre de 1819 les sommets
gypseux ont été déchirés, et les fentes qui se sont pro-
duites ont isolé des massifs entiers qui, en s’effon-
154
GUIDE AU CAUCASE
drant, ont détruit une partie du village. La richesse
de ces mines est fantastique. Depuis qu’elles sont louées
par l’Etat on les exploite méthodiquement ; jusqu’alors
elles avaient été gaspillées. Les travaux d’extraction
se font sur une longueur de 100 m. environ, et les ga-
leries largement ouvertes et suffisamment éclairées et
aérées s’avancent vers le N. jusqu’à 40 m. de profon-
deur. Sur plusieurs points les eaux de pluie et de neige
ont envahi quelques-unes des galeries, s’y sont accu-
mulées et, saturées de sel, ont formé de larges plaques
dont la surface est couverte de cristaux, tandis que de
la voûte pendent des stalactites. Le travail d’exploita-
tion se fait aussi primitivement que possible. Le sel
est extrait par blocs pesant de 1 à 2 pouds. Ils sont
détachés à l’aide d’un marteau effilé que les ouvriers ma-
nient avec habileté. Cet outillage n’est guère supérieur
à celui qu’employaient les hommes de l’âge de pierre
auxquels on attribue les instruments de ce genre, dont
l’antiquité est contestée, trouvés dans les bancs de
Koulpa. et qui figurent dans les vitrines du musée de
Tiflis. Du haut de la montagne de Koulpa on jouit d’une
vue sur la masse bizarre et tourmentée du Takhaltou.
Excursions : à Evovantacliad au confluent de
l’Araxe et de l’Arpa-tchaï. Cette antique forteresse et
la ville d ’Erovaiitaglievd furent élevées à la fin du Ier s.
de l’ère chrétienne par Erovan IL Plus tard cette ville
et le pays environnant furent donnés par Thridat au
prince arsacide Archavir. Sous le règne de Sapor,
Erovantagherd, qui était située sur la rive opposée de
l’Araxe et reliée par un pont à la forteresse, fut prise
et saccagée par les Persans et ses habitants emmenés
en captivité.
Au S. de Sourmalou se voient sur une fissure d’un
plateau rocheux formé d’une coulée de lave et coupé
par l’Araxe les ruines de la forteresse de Kara-Kala
(( noire forteresse », que Dubois de Montpéreux croit
être l’ancienne Tigranorcertes. Peu de vieux châteaux
peuvent se comparer à ces tours pittoresques se dres-
sant au-dessus de précipices au fond desquels mugis-
sent les eaux L
1. D’après Mme Chantre.
GUIDE AU CAUCASE
155
Route 4. — D’Erivan à Novo-Baïazid (60 y.
env., à cheval ), par Karni, Kégart, Gôl-Kend.
On gravit le coteau qui domine la ville à l’E. On
passe devant les villages Nork, Tehervez, Karpitcha-
lou et on arrive à Bach-Karni, le village moderne
(15 v.). La fondation de Karni remonte à deux mille
ans av. J.-C. Appelée d’abord Khégam du nom de son
fondateur, elle prit ensuite celui de son petit-fils Karni.
Plus tard cette ville fut embellie par Tiridate. On voit
encore quelques pans de murs de la forteresse au bord
du Karni-tchaï. Le fameux temple bâti par Tiridate,
et dont Dubois de Montpéreux a publié le plan, les
dessins des chapiteaux et des portiques, n’ofïre plus
qu’un amas de matériaux gisant sur le sol. En face
des ruines, de l’autre côté du torrent, on voit une vaste
grotte 1 .
Au milieu de la plaine, où les eaux du Karni-tchaï
viennent se ramifier en canaux d’irrigation avant de
se mêler à l’Araxe, s’élevait Artaxates, qu’Artaxias,
le général d’Antiochus, avait bâti sur les plans d’Hanni-
bal et qui fut la capitale de T Arménie jusqu’au jour
où le Romain Corbulon la détruisit, sous le règne de
Néron. Néronia lui succéda, ainsi nommée par son
fondateur Tiridate en l’honneur de César, mais elle ne
redevint capitale qu’à la fin du Ier s., pour être
ensuite détrônée au profit de Vagarchabad. Lors-
qu’elle fut renversée en 370, par l’armée de Sapor II,
elle aurait compté dans ses murs 200.000 habit, armé-
niens et juifs qui furent tous livrés au glaive ou em-
menés en captivité. Le village d’Ardachar, que l’on
voit de nos jours, n’est que l’ancienne citadelle d’Ar-
taxates. L’Araxe qui coulait autrefois au pied des mu-
railles de la ville, s’est déplacé et coule maintenant à
10 kil. au S., près des premiers renflements du piédes-
tal qui porte l’Ararat 2 . De Kami à Kégart, le chemin
est mauvais ; il passe dans des laves et sur des pentes
escarpées. La vallée se resserre à mesure qu’on appro-
che des sources du Karni-tchaï, et le paysage devient
sauvage. Des deux côtés, tufs volcaniques, coulées de
1. D’après Mme Chantre. — 2. D’après Élisée Reclus.
156
GUIDE AU CAUCASE
lave déchiquetées, criblées de cavernes ; un chaos de
roches de toutes nuances. Au fond de la vallée appa-
raît tout à coup le fameux monastère de Kégart appelé
aussi Aïrivank, c’est-à-dire (( de la Caverne », parce
que la moitié de ses constructions sont creusées dans
le roc même. On en attribue la fondation à Grégoire l’Il-
luminateur. C’est en tout cas, un des plus anciens
monastères de l’Arménie. Ravagé par les Musulmans,
endommagé en 1840 par un tremblement de. terre,
c’est un lieu de pèlerinage fréquenté en mai et juillet.
L’église principale (XIIe s.) est d’une architecture
très simple, en lave grise. La coupole à caissons est
d’un joli travail. Une série de salles monolithes atte-
nantes et de petites chapelles complètent l’édifice.
De Kégart, par le plateau de Kend-Boulak, et des
pentes raides, on contourne l’Akh-Dagh (3,760 m.) et
ses gros blocs d’obsidienne ; on se dirige vers Gol-
Kend, qui est non loin du lac Goktchaï. De là on passe
une petite rivière et on suit presque la côte maréca-
geuse, où sont perdus quelques hameaux de pêcheurs.
Toute cette région parsemée de ruines faisait jadis
partie de la province arménienne le Siounikh, et a dû
être populeuse : c’est maintenant un désert1. La ville
de Novo-Ba'ïazid (Poste, Télégraphe ) s’élève dans
une position ravissante (2,050 m. d’alt.) au bord du
Kavar-tchaï. Le climat y est sain quoique l’hiver y
soit très rigoureux. Elle a été fondée par les Armé-
1. D’après Mme Chantre.
GUIDE AU CAUCASE
157
niens-Turcs de Bayazid. Bien bâtie en pierres, dotée
d’un pont pittoresque, elle a une église russe, deux
arméniennes et des écoles. Dans le vieux cimetière,
des stèles dans le genre de celles de Djoulfa.
Route 5. — De NovoBaïazid à Elénovka, De-
lijane, Akstafa ( route postale ). Voir itinéraire L ,
route 4.
Route 6. — D’Erivan à Aralik (38 v., route vici-
nale), par Agamzali (13 v.), Kamarliou (15 v.),
Aralik (10 v.).
Route 7. — D’Erivan à Nakitchèvan (150 v. 1/4,
route postale ), par Agamzali (13 v.), Kamarliou
(15 v.), Davalou (18 v. 3/4), Sadarak (18 v. 3/4),
Baknouraskine (22 v. 1/4), Tala-Ark (10 v.), Ki-
vrag (19 v.), Buk-Duzi (12 v. 1/4), Nakitchèvan
(21 v.), (6.500 habit.). Poste aux lettres et aux che-
vaux. Télégraphe . D’immenses ruines argileuses se
présentent à l’entrée de Nakitchèvan, puis les ruines
mongoles du XIIIe s., et l’on entre ensuite dans cette
grande cité de terre qui, d’après son nom de (( pre-
mière demeure » et la légende arménienne, eut Noé
pour fondateur. On y montre même une chapelle sou-
terraine où serait le tombeau du patriarche. Située à
150 v. au S.-E. d’Erivan et à 8 v. de l’Araxe, à 934 m.
d’alt., elle est arrosée par un canal dérivé du Na-
kitchevan-tchaï et s’étend sur le versant du Karatchoug,
l’un des derniers contreforts du Karabagh. Citée par
Ptolémée sous le nom de Maxouana, elle a été sou-
vent bâtie et rebâtie. Comprise dans l’ancienne pro-
vince arménienne de Vasbouragan , ruinée au IV0 s.
par les Persans, puis par Ghenghis-Khan au XI IIe s.,
elle passa aux Turcs jusqu’en 1828, époque à laquelle
la Perse la céda à la Russie par le traité deTourkman-
tcliaï. Le manque d’eau, les fièvres, la poussière et les
moustiques en rendent le séjour peu agréable. Il y a
cependant beaucoup de jardins fruitiers et la vigne 3^
prospère. Industrie : tapis, feutres, cljijines. — On peut
aller voir la tour des Khans et la mosquée ruinée L
1. D’après Mme Chantre.
158
GUIDE AU CAUCASE
Route 8. — De Nakitchévan àDjoulfa (39 v. 1/2)
par Alindjitchaï (24 y. 1/2), Djoulfa (15 y.). Poste
aux lettres et aux chevaux . Télégraphe . Djoulfa,
poste de frontière, sur la rive de l’Araxe, en face d’un
ancien caravanséraï persan, remonte aux temps fabuleux
de l’Arménie ; elle est mentionnée parmi les cités que
Tigrane Ier assigna pour patrimoine à la famille d’As-
tyage. Devenue populeuse, prospère et commerçante,
grâce à sa position près d’un gué de l’Araxe, elle fut
détruite au XVIIe s. par Schah-Abbas, et ses 40,000
hab. emmenés à Ispahan en captivité. Le sol aujour-
d’hui est couvert de décombres sur une étendue de
plusieurs ver s tes. Le vaste cimetière avec ses tombes
en forme de béliers et ses stèles de grès rouge finement
sculptées et ornées d’arabesques, de croix, de person-
nages et d’oiseaux, est l’endroit le plus curieux à visiter
dans cette région du Caucase. Le village actuel de
Djoulfa est bâti au pied d’un immense escarpement de
grès rouge, couronné des ruines d’une forteresse, et est
situé au confluent de l’Araxe et de l’Alindja-tchaï. Près
de là s’élève le mont Tarou-dagh dont les pierres meu-
lières sont exploitées 1 .
Route 9. — De Djoulfa à Ordoubad et Akoulis
(20 v.), Ordoubad (8.000 habit.). Poste aux lettres et
aux chevaux . Télégraphe , est situé sur l’Araxe, près de
l’endroit où le fleuve, s’engageant dans le défilé de
Migri, atteint le point le plus méridional de sa courbe
au S. des montagnes de Karabagh. C’est la ville la
plus agréable de l’Arménie; soixante-dix sources y
jaillissent, et mêlant leurs eaux pures à celles des ca-
naux d’irrigation, entretiennent une riche verdure dans
les jardins environnants. Dans aucune autre partie du
bassin de l’Araxe, les arbres ne sont plus hauts et plus
touffus. Occupée depuis le XIIe s. par les Tatars de l’A-
derbeïdjan, cette ville adossée à une haute muraille de
schiste noir, construite à la mode persane, présente un
aspect des plus riants. — Une église russe, une armé-
nienne, 17 mosquées dont la principale est celle du
1. D’après Mme Chantre.
GUIDE AU CAUCASE
159
Djuma-Mesçhed ; une école russe, une tartare, un hôpi-
tal militaire. Magnaneries; une filature de soie.
Akoulis, dont le nom signifie <( lieu plein de jar-
dins », est parsemé de jolies villas entourées de grena-
diers et de rosiers. Ville importante au dernier siècle,
elle fut dévastée par Nadir-Schah qui en fit démolir
méthodiquement les maisons jusqu’au moment où les
habitants consentirent à payer la rançon demandée.
Cette résidence d’été de négociants arméniens n’appar-
tient à la Russie que depuis une soixantaine d’années
et faisait partie du Zokhastan , division historique de
l’Arménie. Le nom de « Zokhs )) désignait, dit-on, au-
trefois les conteurs ou poètes populaires arméniens ;
de nos jours on le dit devenu synonyme d’ (( avares ».
Akoulis se divise en plusieurs quartiers dépendant
d’une douzaine d’églises. A 1 v. 1/2, le monastère de
Saint-Thomas1.
Route 10. — D’Ordoubad à Girousi, Choucha.
Evlake (voir itinéraire O, routes 7, 6 , 4 ).
Route 11. — D’Erivan à Alexandropol (110 v.
env., à cheval ), par Edchmiadzine, Sardar-Abad, Ta-
line, Mastara, Boghaz - Kessan, Alexandropol.
D’Edchmiadzine, en 23 verstes, on est à Sardar-Abad :
C’est là que Iloussein avait élevé une forteresse, bou-
levard avancé d’Erivan, sur la route de la frontière
turque. Ce n’est plus aujourd’hui qu’une ruine désolée
mais d’où l’on a une vue magnifique. On est à 25 v. de
l’Ala-gôz et à 50 v. de l’Ararat. Jusqu’à Taline (26 v.)
la contrée est pierreuse et presque déserte. Aux deux
tiers du chemin, on se trouve devant un demi-cercle
de collines qui portent le nom tatar de Kara-bouroun
(nez noir). Ces collines recouvertes d’une sombre ver-
dure, affectent vaguement la forme d’un nez recourbé.
Cette disposition de la nature y a donné naissance à
un écho curieux qui jouit dans le pays d’une certaine
célébrité : pour le faire parler, il faut tirer un coup de
pistolet auquel il répond par une série de sourds gron-
dements. On aperçoit la forteresse de Taline perchée
1. D’après Élisée Reclus et Mme Chantre.
160
GUIDE AU CAUCASE
comme un nid d’aigle sur la crête d’une montagne qui
va se réunir aux contreforts de l’Ala-gôz. La montée
est pénible et demande plus de trois heures. De Taline
à Mastara, il y a 13 verstes. On traverse le même
désert pierreux qui longe à l’O. la base de l’Ala-gôz.
De ce côté, le mont se présente superbe. Son sommet
dont il semble privé du côté du S., s’offre comme un
cône à moitié détruit et déchiré par quelque violente
commotion. Ce volcan éteint a déversé à l’O. ses
fleuves de lave changée aujourd’hui en une pierre dure
qu’on retrouve au milieu des matériaux de la forteresse
d’Alexandropol. Mastara est un petit village arménien
possédant une église dédiée à saint Jean. A cette hau-
teur, il y a peu de végétation ; à peine quelques champs
d’orge et des bouquets d’arbres. De là à Boghaz-
Kessan (15 v.) et jusqu’à Alsxandropol (33 v.), voir
ce nom à V itinéraire N , route 2 , on traverse les vil-
lages tatars et arméniens Saribakhi, Sourgounli,
Imirkhanli, Djalovkan, Karaklis. A une verste
d’Alexandropol, l’horizon s’ouvre : une chaîne de belles
montagnes, aux teintes violettes, encadre le fond de
l’amphithéâtre où est la ville et marque le lit de l’Ar-
pa-tchaï qui coule à leur base ; la ville s’offre à droite ;
à gauche, sur un plateau détaché, se profilent les lignes
de la forteresse qui est à 5,000 pieds anglais au-dessus
de la mer Noire.
ITINÉRAIRE N
DE TIFLIS A ALEXANDROPOL ET KARS
Route 1. — De Tiflis à Alexandropol et Kars,
par Akstafa (en chemin cle fer . Voir itinéraire K,
route 1), Delijane [route postale ), Alexandropol
(id.), Kars (id.).
Route 2. — De Delijane à Alexandropol (100 v.
route postale ), par Gamzatchiman (18 v.), Karakliss
(19 v.1/4),Amamli (21 v.), Akhboulak (20 v.) Alexan-
dropol (22 v.). Delijane n'est pas seulement un vil-
lage dans une situation ravissante, c’est aussi le point
de jonction des routes d’Erivan et d’Alexandropol. Les
Russes y entretiennent une garnison ; les casernes sont
disséminées le long de la rivière et le village de Staré-
GUIDE AU CAUCASE
161
Delijane ( Auberges . Poste aux lettres et aux chevaux .
Télégraphe). La route d’Alexandropol est aussi jolie
que celle d’Akstafa. On s'arrête à la source minérale
Lagret, voisine d'un col au delà duquel le paysage
change d’aspect. La forêt s’éclaircit ; les montagnes se
dressent, montrant leurs rocs nus et colorés de tons vio-
lets. On passe le grand village malakane de Nikitina,
puis le hameau de Gamzatchiman avec ses maisons
en pisé. Karakliss est un lieu de pèlerinage pour les
Arméniens. Jusqu’à Amamli, les forêts font place en
partie à des amas de rochers ; et après une gorge étroi-
tement resserrée, entre des montagnes arides, mais
admirables de profil et de couleur, on atteint le der-
nier relais d’AivHBOULAK. La route arrive par une série
de lacets à une grande plaine entourée de montagnes
au-dessus desquelles l’Alagôz élève majestueusement
2e PARTIE il
162
GUJDE AU CAUCASE
ses cimes couvertes de neiges éternelles. Située non
loin de l’Arpatchaï et de l’Alagoz, sur un plateau de
145 m. d’élévation, mais fertilisée par des irrigations,
Alexandropol (autrefois Gourmi) est une ville pres-
que tout arménienne, car, la garnison russe déduite,
ses 21.000 habit, sont pres-
que tous arméniens. La po-
sition de la ville 1 expose
tour à tour à des chaleurs
brûlantes et à des froids ri-
goureux. Jusqu’à la prise de
Kars, Alexandropol, était la
place de guerre la plus im-
portante sur l’extrême fron-
tière ; au lendemain du traité
d’Andrinople les Russes
avaient commencé à y éle-
ver une forteresse, espèce de
cité militaire où habitent
encore les officiers, le Gou-
verneur , et qui possède
même une église. Aujour-
d’hui , la position stratégique de Kars a relégué
Alexandropol au second rang ; mais , cette ville
n’en est pas moins restée une des plus peuplées et
des plus importantes de la Transcaucasie. L’aspect
n’en est pas des plus riants ; les rues sont larges,
mais bordées de maisons à un étage, d’un ton gris,
uniforme et fatigant. Malgré un mouvement commer-
cial assez considérable, le bazar n’est composé que
de chétives maisons en bois et en pierres grossièrement
assemblées. Deux places sablonneuses sont plantées
d’arbres rabougris. En revanche, les églises sont nom-
breuses ; d’abord, une cathédrale, reproduction exacte
de celle d’Ani ; puis, une église récente à laquelle sont
annexées deux écoles moyennes de filles et de garçons.
Les Arméniens grecs ont une église particulière, moins
belle, il est vrai, que celle des Arméniens romains.
D’ailleurs, qu’ils soient grégoriens, grecs, latins, les
Arméniens et leurs prêtres vivent en bonne intelli-
gence et travaillent d’un commun accord au dévelop-
ALEXANDROPOL.
D'après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
163
pement intellectuel de leur nationalité. Le grand cime-
tière rempli de tombes d’officiers russes tués dans les
batailles livrées aux Turcs, et au milieu duquel est
une chapelle, se voitsur une colline voisine delà ville: il
commande tout l’horizon de la plaine déserte et mono-
tone dominée par les cinq pointes de TAlagoz L
Route 3. — De Karakliss aux mines de Cicima-
dan (15 v., route carrossable ). On suit la vallée pitto-
resque de Pambak, au milieu de magnifiques forêts de
chênes et de sapins. Les mines de Cicimadan se trou-
vent sur la rive droite de la rivière Pambak, dans la
petite vallée au fond de laquelle court le ruisseau Cici-
Sou. La vieille forteresse de Cici-Kala, au sommet
d’un des pics les plus élevés, offre des ruines remar-
quables, mais d’un accès difficile. Un peu plus bas que
Cicimadan, le confluent du Pambak et de la Kamenka
forme la Débéda-tchaï qui coule entre des rives pro-
fondes et escarpées au pied d’Ouzoular, de Sanahine
et d’Akhpat.
Route 4. — D’Alexandropol aux ruines d’Ani
(35 v., enphaéton. Prix aller et retour de 12 à 15 rou-
bles. Le trajet peut se faire en 2 heures 1/2 et on peut,
le soir, aller coucher à Kars ou revenir à Alexandro-
pol). — L’histoire d’A ni remonte à l’origine du royaume
d’Arménie. Longtemps, ce fut une simple forteresse
élevée, on ne sait par qui, à la pointe S. dTm plateau
triangulaire compris entre l’Arpatchaï (nommé alors
Akhouriane) et un ravin escarpé le Dzaghkotsatzor, où
se forme, à la fonte des neiges un torrent appelé
Aladja. En 763, le prince bagratide Achot-Msaker
fonda, au pied de cette citadelle, une ville qui ne tarda
pas à devenir florissante. Achot III Voghormatz y fixa sa
résidence en 961, et construisit le mur intérieur qu’il
fortifia de grosses tours. Ani se couvrit de magnifiques
palais et d’autres édifices grandioses, d’églises splen-
dides, d’hospices et autres établissements pieux et
utiles. Sembat II, fils d’ Achot III, succéda à son père
mort en 977. Une muraille défendait Ani du seul côté
accessible, au N.-E. ; Sembat II la rendit plus forte ;
1. D’après Orsolle.
164
GUIDE AU CAUCASE
« il enferma la ville d’une muraille continue de
l’Akhouriane à Dzaghkotsatzor (vallée des jardins) ».
— ((En 989, l’architecte Terdate posa les fondements
de la cathédrale; Sembat mourut la même année avant
l’achèvement du monument qui fut seulement terminé
en 1010, sous lerègne de Ghaghik Ier Schaan-Schah.
Catamitre, son épouse, pourvut la cathédrale d’orne-
ments, de vases d’argent et d’or, de riches étoffes
semées de broderies de pourpre. » Puis Ghaghik cons-
truisit l’église de Grégoire rilluminateur. A sa mort,
en 1020, une guerre civile éclata entre ses deux fils
Hohannès et Achot. Les Géorgiens prirent parti pour
ce dernier, entrèrent à Ani par surprise, et pénétrè-
rent dans la cathédrale où ils retirèrent les clous des
crucifix en criant insolemment qu’ils en feraient des
fers pour leurs chevaux, caries croix géorgiennes sont
sans clous. Hohannès finit cependant par triompher,
mais (( la plante vénéneuse de la discorde avait pris
racine en Arménie et allait empoisonner le pays ».
Hohannès mourut sans enfant, en 1039 ; il s’ensuivit
des troubles dont l’empereur Michel voulut profiter
pour annexer l’Arménie, mais les légions romaines
furent repoussées par le général Vahram le Palavide
qui intronisa Ghoghik II, en 1042. Le roi eut fort à
faire avec un puissant seigneur nommé Sargiss Azat,
qui, à la mort de Hohannès, avait pillé le trésor royal
et s’était emparé de la citadelle. Le traître livra la ville
à Constantin Monomaque en 1046. Le ciel manifesta
son mécontentement de cet acte déloyal par un affreux
tremblement de terre qui fit tomber les majestueux pa-
lais et les églises splendides. (( Les abîmes béants
engloutirent beaucoup d’hommes dont les cris lamen-
tables retentissaient dans le fond, tandis que d’autres
chancelaient. » Ghaghik II, le dernier des Bagratides,
relégués en Asie-Mineure, mourut assassiné par ordre
de l’empereur. Les Grecs ne conservèrent pas longtemps
l’Arménie : « En 1084, Alp-Arslan, roi de Perse, prit
Ani d’assaut, mit la ville à feu et à sang, la saccagea
de fond en comble et en massacra les habitants. Dans
sa douleur, le ciel se voila tout à coup ; au milieu d’af-
freux éclats de tonnerre, il versa des torrents de pluie
GUIDE AU CAUCASE
165
qui inondèrent la ville et entraînèrent les cadavres dans
le fleuve. » La domination persane dura soixante ans ;
en 1124, David, roi de Géorgie, s’empara d’Ani ; le
prince persan Phatloum la reprit en 1126. L’an 1131,
la ville eut à souffrir d’un tremblement de terre qui
renversa la grande et magnifique église d’Aménapher-
kitch; la malheureuse cité n’était plus qu’une proie
mutilée que se disputaient les Géorgiens et les Persans.
Ghiorghi III l’enleva à ces derniers en 1161 ; Eldigouz
la reprit en 1165 ; les Géorgiens y entrèrent de nouveau
en 1174. Les Tatars vinrent ensuite ; en 1237, les
hordes de Tchamar-Khan pillèrent la ville ; (( ils rava-
gèrent les maisons, les boutiques, les églises, et désolè-
rent et polluèrent Ani au point de le rendre mécon-
naissable )). Ani se releva cependant; mais en 1319,
un affreux tremblement de terre lui porta le dernier
coup ; déjà beaucoup d’habitants avaient émigré à Tré-
bizonde, en Pologne , à Astrakhan en Crimée ; ceux
qui restaient abandonnèrent à leur tour les ruines de
la ville royale ; les uns se rendirent en Perse et en
Russie, d’autres se réfugièrent dans les possessions
asiatiques des Grecs ; la plupart toutefois se fixèrent
en Pologne et en Hongrie. Comme les Juifs, les Ar-
méniens, dispersés sur la surface de la terre, n’avaient
plus de patrie !
— On suit d’abord la rive gauche de l’Arpatchaï, peu-
plée de villages arméniens, tandis que ceux de l’autre
rive sont presque exclusivement habités par les Turcs.
Après avoir traversé la rivière Kasanga, Bayandour
et Kalali, on fait halte au village chrétien deTavkhan-
Kiliniak. Ensuite, on s’enfonce dans la steppe, car il
n’y a aucune route tracée. On passe à gué l’Arpatchaï
et le Kara-tchaï et on atteint un village turc nommé
Agh-Uzum. Puis, c’est le Mavryak-tchaï, qu’il faut
encore passer à gué ; un château fort, presque intact
situé sur le sommet d’une colline, des ruines de plus
en plus nombreuses annoncent l’approche de l’antique
capitale. On gravit assez péniblement le flanc rabo-
teux d’une colline et, arrivé au sommet, on se trouve
subitement en présence d’un panorama d’une lugubre
et r indicible majesté. Devant soi s’étend une grande
166
GUIDE AU CAUCASE
ville déserte avec ses murs, ses églises, ses palais et
ses tours; au loin, la cime majestueuse de l’Ararat
brille de tout l’éclat de ses neiges éternelles. On passe
sous la porte d’enceinte et on met pied à terre devant
la porte d’un prêtre, chef spirituel d’une petite com-
munauté arménienne établie là. Les maisons particu-
lières, probablement construites en briques crues ont
presque entièrement disparu ; une grande partie de la
population devait d’ailleurs habiter sous terre, à en
juger d’après les nombreuses cavernes creusées dans
le tuf volcanique de la vallée de l’Aladja, et même
dans les pentes descendant vers l’Arpatchaï. La ville,
protégée à l’O. et au S. par des ravins escarpés et par
un mur simple, était défendue au N.-E. par deux
murailles flanquées de grosses tours, séparées par un
étroit couloir. Les portes sont ornées de pierres de
différentes couleurs formant des croix ou disposées en
damiers ; sur l’une d’elles, un bas-relief représente un
lion, emblème de la Perse ; une inscription koufique
atteste que la tour voisine a été élevée par Manout-
char, fils de Chaour, émir d’Ani, en 1072. Trois ou
quatre ponts traversent l’Arpatchaï ; l’un d’eux au S.,
formé d’une seule arche ogivale, était d’une architec-
ture hardie. Le palais royal occupait le sommet N. du
triangle ; les portes et les murs sont ornés d’arabes-
ques, de mosaïques, de niches, etc. L’édifice a dû
être grandiose : certaines salles intérieures ont en-
core beaucoup d’inscriptions et de beaux restes de
leur ornementation, entre autres des croix délica-
tement ciselées et une aigle à deux têtes éployée.
Tout près du palais, une église a été taillée dans le
roc. En suivant le ravin de l’Aladja, bordé par une
muraille, on arrive à une église en rotonde, et surmon-
tée d’une coupole dodécagonale, chaque face portant
une fausse arcade qui encadre une fenêtre. L’intérieur
conserve la trace d’une peinture murale représentant
la Cène. Ce petit temple est l’église de Sourb-Grigor,
mentionnée dans la chronique. Après plusieurs cha-
pelles ruinées, on est devant une autre église semblable
à Sourb-Grigor, mais dont la coupole est octogonale ;
un bas-relief représente une Vierge à la chaise . La
GUIDE AU CAUCASE
167
citadelle est située à la pointe S. d’Ani, près de l’en-
droit où se réunissent les tranchées de l’Aladja et de
l’Arpatchaï ; elle occupe une éminence dominant la
ville. Les fondations et les murs en étaient gigantes-
ques. La grande salle est bien conservée : les arcades,
les portes et des niches sont en plein cintre ; les socles
des colonnes sphériques ; deux de ces colonnes sont
torses, d’autres se terminent par des rosaces ou des
têtes de diables enjolivées, à longues oreilles. Dans la
petite chambre contiguë à cette salle, sur un bas-relief
en marbre rouge : deux cavaliers transperçant des
dragons de leurs lances. Tout près de la citadelle, res-
tent deux églises ; l’une est fort endommagée; l’autre,
petite, a l’aspect d’une croix grecque formée par quatre
dômes et recouverte, au centre, d’une coupole conique.
Les entrelacs sculptés autour des fenêtres et des portes
sont d’un joli travail ; sur un chapiteau de l’intérieur,
on voit un aigle enlevant un mouton. Non loin de là,
la mosquée, flanquée d’un minaret octogonal, con-
struite en 1072 par l’émir Manoutchar 1. De la mos-
quée, on gagne la cathédrale. Ses dimensions sont
modestes ; 30 mètres de long sur 20 de large. Le plan
est un rectangle, mais il est beaucoup plus simple
qu’à Sainte- Ripsime près d’Edchmiadzine : une cou-
pole centrale portant sur des piliers ; deux transepts à
une travée, un chœur à une travée et une abside. Ces
quatre parties forment la croix; mais deux absides
latérales, et des espèces de bas-côtés viennent complé-
ter le rectangle. Les piliers du croisement sont com-
posés de faisceaux et de colonnettes. Ils portent des
arcs en ogive sur lesquels, en forme de pendantifs,
vient s’appuyer le tambour de la coupole beaucoup
plus élevée qu’à Sainte-Ripsime. La coupole est au-
jourd’hui détruite. Les formerets des bas-côtés sont
aussi en ogive ; l’abside est encore accusée par deux
cintres. A l’extérieur, l’ensemble est combiné de la
façon la plus heureuse et la plus simple. La coupole
se détache nettement et fièrement sur son assise carrée.
La nef se termine en pignon sur la façade, et les bas-
1. D’après Orsolle.
168
GUIDE AU CAUCASE
côtés par des rampants. La façade du transept offre
aussi un pignon, et, chose curieuse, deux niches trian-
gulaires, bien qu’il n’y ait pas ici de vide produit par
les absides. Enfin, tout l’extérieur de l’édifice est revêtu
de colonnettes portant de fausses arcatures en plein
cintre. D’après une inscription, la cathédrale cl’Ani
aurait été bâtie en 1010. On y rencontre encore les
dates de 1049 et 1059. Cependant, par ses traits géné-
raux, elle se rapproche d’une église italienne du XIIIe
et même du XIVe s. M. Fergusson 1 se demande si
les formes que l’on trouve à„Ani ne sont pas origi-
naires de l’Arménie. Mais il faut plutôt accorder la
prééminence aux traits de l’architecture et croire
qu’une inscription ancienne a été rapportée sur un
édifice nouveau. L’exemple d’Ani ne serait pas seul.
Les inscriptions arméniennes ont une grande valeur
décorative ; on gardait soigneusement les blocs qui les
portaient pour les encastrer sur les églises réédifiées.
C’est ce qui complique parfois d’une façon étrange la
chronologie des monuments du Caucase2. Plus bas
que la cathédrale, au bord de la rivière, est le couvent
de Sourb-Grigor dont les habitations sont encore
reconnaissables ; le corps de l’église est formé de quatre
hémicycles faisant à l’intérieur une croix grecque ; du
centre s’élève un dôme recouvert par une coupole coni-
que. Tout près des bains on visite (( l’Eglise des Grecs ))
bâtie en 1215. Le porche est orné de mosaïques ; à l’in-
térieur : des fresques représentant des saints, des épi-
sodes du Nouveau Testament, la Vierge et les douze
Apôtres, etc. Remontant vers le N., on rencontre près
de la grande muraille une troisième église en rotonde
nommée Sourb-Arakhial (le saint Apôtre). De là, on
passe à l’église de la Vierge, puis à celle de Sourb-
Pherkitch (Saint-Sauveur) élevée par un simple parti-
culier, Abelkarib. Enfin, un grand minaret octogone
avait victorieusement résisté aux tremblements de terre
jusqu’en 1880 ; cette année-là il fut renversé par une
1. History of Architecture. Londres. Murray, 1874; tome II,
page 470.
2. Voir U Art religieux au Caucase , par J. Mourier, 1vol.
in-18, raisin, Paris, Leroux, édit., 1887.
GUIDE AU CAUCASE
169
terrible secousse et gît à terre, en plusieurs tronçons \
Au S.'E. d’Ani, et déjà dans la vaste plaine qui
sépare les deux colosses cle l’Alagôz et de l’Ararat, un
autre amas de décombres, Talich, paraît avoir été aussi
la capitale d’un royaume d’Arménie. Un petit village
moderne s’est niché entre ses hautes murailles, ses
tours, les débris de ses palais. La région du bas Arpa-
tchaï est le pays des ruines. A l’O. de cette rivière se
voient encore les restes de Pakaran ou de « l’assem-
blée des dieux 1 2 ».
Route 5. — D’Alexandropol à Zarouchad (54 v.,
route postale , jusqu’à Parghet), par Argino (19 v. 1/4),
Parghet (21 v. 3/4) et à cheval jusqu^à Zarouchad.
Route 6. — D’Alexandropol à Akhalkalaki
(90 v. env., à cheval). A 16 v. d’Alexandropol, on ren-
contre un village arménien portant le nom tartare de
Djel-ap-Ketchout et situé au haut d’une rampe, à une
grande élévation. On découvre encore delà l’Alagôz.
En remontant la rive gauche de l’Arpa-tchaï, on fait
34 v. jusqu’à Troïtskaïa en gravissant une contrée
montagneuse et en passant près de la source de l’Arpa-
tchaï qui sort d’un petit lac nommé Arpa-Ghôl (6,670
pieds). Troïtskaïa est à égale distance d’Alexanclropol
et d’ Akhalkalaki. Dans les vallées sont échelonnés des
villages peuplés par des cloukhabores, sectaires russes
qui y forment une population d’environ 2,000 âmes qui
vivent en faisant le camionnage. Ces villages se nom-
ment : Ephrémovka, Gorélaïa, Orlovka, Spaskaïa,
Bogdanovka. Rodionovka est rélégué dans une plus
haute région sur le bord du lac Toporovan. Toute
cette contrée est remplie de lacs ; de ce dernier, le plus
élevée sort le Toporovane-tchaï qui s’épanouit plus
bas dans le lac Touman-ghôl (7,620 p.) d’où il ressort
pour descendre à Akhalkalaki. Sur la gauche de la
route, il y a encore le lac Koutchali. La pêche des
truites est la ressource principale de Rodionovka et des
villages arméniens Poka, Ganza ou Kanza et Sagamo.
Les vallées que l’on va suivre furent autrefois la route
1. D'après Orsolle.
2. D’après Elisée Reclus.
170
GUIDE AU CAUCASE
que prit sainte Nino quand, au commencement du
IVe siècle, elle passa d’Arménie en Géorgie
pour y aller prêcher le christianisme. Une légende
géorgienne raconte que Nino, fuyant les persé-
cutions de Rome et d’Arménie, arriva en ces lieux
inconnus. Un berger lui dit que l’eau du lac Topo-
rovan allait rejoindre le Cyrus (Koura). La sainte
femme longea le cours de l’eau jusqu’à Khertviss, puis
arriva à Mtzkhet où elle prêcha Té vangile. Akhalka-
laki (5,510 pieds au-dessus de la mer Noire), seconde
ville de l’an-
cien pachalik
d’Akhaltzik, a
une population
mixte , d’en-
viron 4,200
âmes, compo-
sée d’ Armé-
niens, de Per-
sans et de Ta-
tars. C’est une
ville déchue
qui avait de
l’importance
autrefois (Hô-
tel. Poste aux
lettres et aux
chevaux . Télé-
graphe ) . La
forteresse est en dehors 'd’une enceinte ouverte au-
jourd’hui, mais offrant encore des restes de murailles
sur un plateau au confluent du Toporovan-tchaï et
de la Ghendara, petite rivière qui descend des envi-
rons du lac Khoutchali. Ce plateau qui ajoutait
aux défenses de la forteresse forme une espèce de
presqu’île. La prise d’Akhalkalaki (juillet 1828)
fut un brillant coup de main du général Paskévitch.
La région d’Akhalkalaki est une partie du Haut-
Karthli de la géographie de Vakhoucht. Une chaîne
de montagnes le borde à l’E. (les monts Kodiani )
se terminant au S. par le mont Aboul (9,170 p.).
AKHALKAEAKI el la REGION DES LACS.
D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
171
Cette chaîne s’étend du lac Toporovan (Pharavani de
Vakhôucht) jusque vers le lac Tabiskour (Tbis-Kouri)
sur une distance d’environ 30 v. Cette région de lacs
est la source d’une infinité de cours d’eau qui coulent
vers les affluents de la Koura (le Mtkvari de Va-
khoucht). Le Cyrus (Koura) avait donc perdu son nom
au moyen âge.
Route 7. — D’Akhalkalaki à Akhaltzik (60 v.
env., à cheval). Entre l’Akhaltzikhé, partie du Haut-
Karthli et l’Iméréthie , il y a une belle chaîne de
hautes montagnes qui court de l’O. à l’E. A LO. elle
forme la chaîne proprement dite d’Akhaltzik et se pro-
longe jusque vers la Gourie, à son extrémité occiden-
tale. Le rameau de Trialeth qui s’étend au S. du
Karthli moyen ou Chida-Karthli est le prolongement,
à l’E. de cette première chaîne ouverte par les eaux
de la Koura qui y ont opéré une rupture à Atskhour
(l’Askouri de Vakhôucht). En commençant par l’Occi-
dent, on distingue les monts Phersati, Ghado, Ma-
khwilo, Likh. A l’O. de ce dernier, est le col qui mène
de la vallée de Souram ou de la Koura dans l’Iméré-
thie. Le plateau d’Akhalkalaki est peu boisé. Après
25 v., on arrive à sa descente; on a, à gauche, une
admirable vue sur la vallée de la Koura qui serpente
au milieu de montagnes aux tons violets, à travers des
prairies d’un vert d’émeraude. Jusqu’à Khertviss
(30 v.) on va en zigzag, à travers des forêts touffues
où se confondent les nuances brillantes de la végéta-
tion la plus riche. La route est cachée ; on ne l’aper-
çoit plus quand on se retourne pour voir la région
haute d’où l’on vient. Partout des arbres ; çà et là,
des roches entourées de plantes vigoureuses qui les
embrassent en s’y tordant; puis le chemin qui s’enfonce
plus bas dans d’autres forêts : puis enfin, dans le fond,
la belle vallée disparaissant parfois pour reparaître
plus loin. Après être arrivé en vue de Khertviss, an-
cienne forteresse construite par les atabegs géorgiens
entre deux monts sévères, l’un nu, Lautre boisé, qui
s’élèvent pareils à des tables auxquelles leur sommet
plat les fait ressembler, on suit la descente de Tama-
laasky. On quitte les forêts, et au milieu d’un bassin
172
GUIDE AU CAUCASE
de montagnes dont le sol a un aspect jaunâtre, on
aperçoit les ruines pittoresques d’une vieille forteresse
située près de Tabouretch-tchaï et on entre à Aspindza.
De là, par Orpola, on peut gagner Atskhour, Borjom,
Mikhaïloff ou, par Rousthavi (12 v.), arriver à
Akhaltzik (18 v.). Voir ce nom itinéraire /, route 20 .
Route 8. — D’Alexandropol à Kars (84 v. 1/4,
route postale ), par Arguino (19 v. 1/4), Parghet
(21 v. 3/4),, Zaïm (17 v.), Mélik-koï (13 v. 1/4), Kars
(13 v.). On traverse d’abord deux villages tatars Kàra-
klis et Tichnis. Près delà station d’ARGuiNO, premier
relais, quelques colonnes en maçonnerie, des arceaux
écroulés témoignent de l’existence passée d’un grand
édifice, église ou caravanséraï. Par un défilé où coule
mélancoliquement le Kars-tchaï, et une série de col-
lines, on atteint la station de Parghet. A 12 v., à
gauche, le plateau de Kizil-Tapa fut le théâtre de
combats sanglants entre les Russes et les Turcs. Après
Zaïm, la route traverse un affluent du Kars-tchaï sur
un pont turc à colonnes bizarres, puis, c’est le grand
village malakane de Mélik-Koï. La vallée maussade
du Kars-tchaï se resserre au point de ne plus fournir
à la route qu’un couloir étroit longé par les eaux de la
rivière ; les ruines d’une vieille forteresse arménienne
annoncent Kars. On passe au pied de deux escaliers
gigantesques qui relient la citadelle aux hauteurs voi-
sines et aux forts delà nouvelle enceinte, et, après avoir
franchi un dernier pont, on met pied à terre devant la
gostinitza America , l’unique hôtel de Kars (7,000
hab.). Poste aux lettres et aux chevaux . Résidence du
Gouverneur. Bâtie sur le versant des montagnes entre
lesquelles coule le Kars-tchaï, Kars est une ville où
seuls de grands souvenirs historiques peuvent attirer les
voyageurs. Ses maisons construites en briques de lave
se confondent, dans leurs teintes grises, avec les pentes
qu’elles escaladent superposées les unes aux autres;
çà et là le minaret d’une mosquée s’élève au-dessus de
cet ensemble monotone. La forteresse du sultan Mou-
rad III, noire construction qui domine toute la ville du
haut de son rocher escarpé, ne contribue pas à égayer
le paysage. Nulle part, on n’aperçoit un arbre, une
GUIDE AU CAUCASE
173
tache de verdure, hormis dans un îlot formé dans les
deux bras de la rivière où les Russes ont installé leur
club et une salle de danse; là, on a réussi à grand’peine
à faire pousser un misérable gazon coupé par une allée
appelée le boulevard. Un bouquet d’arbres, à une cer-
taine distance de la ville, est le but habituel des pro-
menades des habitants. Le bazar se compose d’échoppes
en pisé et en bois ; peu ou point de circulation ; la ma-
jorité de la population turque a émigré après l’an-
nexion , abandonnant ses maisons délabrées telles
aujourd’hui qu’au lendemain du siège. Le seul endroit
un peu animé est le pont situé au pied de la citadelle ;
là défilent des Cosaques, des Kurdes, des colons
grecs et russes et des Lazes. Point de monuments, à
moins qu’on ne considère comme tels une mosquée
assez grande, l’Avleb-Djâmi, la porte en ruine, de
vieilles murailles persanes et une église arménienne
déjà ancienne. Près de la ville et même dans son en-
ceinte, une foule de cimetières turcs, des dalles innom-
brables plantées droites; çà et là, la masse grisâtre
d’un turbeh , lieu de repos d’un pacha : tous ces cime-
tières donnent à cette triste ville un air de nécropole.
D’ailleurs, l’histoire de Kars se résume dans la liste
des sièges qu’elle a subis. Capitale d’un royaume
arménien pendant le IXe et le Xe s., sa position cen-
trale entre les hauts bassins de la Koura, du Tchorok,
de l’Araxe et de l’Euphrate, la désignait d’avance à
tous les conquérants. Aussi, fut-elle saccagée par Ta-
merlan et Mourad III, prise, perdue et reprise par les
Persans et les Turcs; les Russes s’en emparèrent en
1828 et en 1855, mais ils durent la restituer à la Tur-
quie.; en 1877, ils se rendirent encore une fois maîtres
de cette ville, malgré sa citadelle et les onze forts qui
la défendent. Entre les mains des Russes, Kars, clef
de PAsie-Mineure, est devenue une forteresse impre-
nable destinée sans doute à jouer un rôle important
dans les guerres futures qui décideront des destinées
de l’Asie L
Route 9. — De Kars à Kaghisman (71 v., route
1. D’après Orsolle.
174
GUIDE AU CAUCASE
vicinale ), par Tchermiali (20 v.)_, IIaut-Kémerli
(20 v.), Bas-Kémerli (16 y. 3/4), Kaghisman (15 y.).
(5,000 habit.). Poste. Télégraphe). Cette ville prin-
cipale de la vallée supérieure de l’Araxe, conquise
par les Russes, dans la dernière guerre turque, est
entourée de jardins et de vignes donnant d’assez bons
fruits.
Route 10. — De Kars à Sarakamisch (52 v. 3/4,
route vicinale ), par Bégli-Akhmeth (21 v. 1/4), Ka-
ragamza (14 v. 1/4), Sarakamisch (17 v. 1/4). [Poste
aux lettres. Télégraphe.)
Route 1 1 . — De Kars à Olti (102 v. , route vici-
nale), par Soglouti (17 v.), Salnidja (15 v.). Arsenen
(27 v.), Oeniak (14 v.); poste militaire (3 v.), Olti
(26 v.). {Poste aux lettres. Télégraphe.)
ITINÉRAIRE O1
Route 1 . — De Tiflis à Bakou, par Akstafa, Eli-
SABETHPOL , OUDJARI , KlOURDAMIR , AdJI- KABOUL
(515 v., en chemin de fer. — Trajet en 17 heures. —
Prix des places : 29 r.; 22 r.; 11 r.).
Route 1 (suite). — De Tiflis ( buffet ) à Karaïas
(buffet) — (36 v., en chemin de fer), par Ag-Taglia.
En quittant Tiflis, la voie ferrée suit la vallée de la
Koura qu’on traverse après Ag-Taglia pour entrer dans
une steppe qu’arrose le canal Mariensky. Creusé en
1867, ce canal, qui a coûté 370,000 roubles, longe pen-
dant 4 v. la rivière, puis tourne à gauche, et va se per-
dre au bout de 18 v. près d’un petit lac, au pied des
montagnes. Il se divise en 17 canaux secondaires ser-
vant à l’irrigation d’un grand triangle de terrain qui,
vers les bords de la Koura, est boisé et très giboyeux.
C’est là que sont les chasses de S. A. I. le Grand-Duc
Michel Nicolaïevitch. A droite, à Kartapa, quelques
maisons, et un peu plus loin , quelques rares ha-
meaux.
1. D’après Brosset, Dubois de Montpéreux, Elisée Reclus,
Orsolle, le Calendrier dû Caucase , Mme Chantre et la Carte
de l’Etat-Major russe.
GUIDE AU CAUCASE
175
Route I (suite). — De Karaïas à Akstafa ( buffet )
— (51 v. en chemin de fer), par Sogoute-Boulak,
Poïli.
Route 1 (suite). — D’Akstafa à Elisabethpol
(buffet) — (88 y., en chemin de fer), parTAOuzE, Dzé-
game. Chamkhor. Jadis capitale clu Khanat de même
nom, désignée maintenant par les Russes, sous le nom
d’Elisabethpol (18,500 habit.. Poste aux lettres et aux
chevaux. Télégraphe. Résidence du Gouverneur. Une
auberge ), 1 ancienne ville de Gandja existait dès le
XIe s., mais à la distance de quelques kilomètres; on
en voit encore les ruines. C’est non loin de là, au
S.-E., dans les campagnes qu’arrose le Terter avant
de s’unir à la Koura que se trouvait l’ancienne capitale
du royaume d’Agvanie ou Albanie, Partar, dont l’em-
placement est indiqué maintenant par le village de
Barda ou Berdaïa ; cette ville fut détruite dans la
moitié du Xe s. par des aventuriers russiques sau-
vages et bizarres qui vinrent du N. par la Caspienne,
disent les auteurs arabes. Le pays fut certainement
plus peuplé jadis, à en juger par tous les vestiges
d’habitations ; une route fréquentée remontant à l’O.
la vallée du Terter vers le plateau de Gok-tchaï ratta-
chait par un collier de villes et de villages la Basse-
Koura au bassin du Haut-Araxe. Elisabethpol con-
struite, à la fin du XVIe s., sur l’emplacement actuel,
était autrefois considérable. A part les quartiers nouvel-
lement bâtis par les Russes sur la rive droite de la Gand j a,
et quelques rues arméniennes, la ville a conservé
sa vieille physionomie persane. Les rues sont larges,
bordées d’arbres et de ruisseaux ; la plupart des mai-
sons en pisé, presque toutes sans fenêtres, se cachent
dans des jardins plantés de mûriers, de grenadiers, de
pêchers et de noyers escaladés par des vignes gigantes-
ques retombant en cascades de pampres et de grappes
rougeâtres. De loin, la ville a l’air d’un grand parc
d’où émergent çà et là les minarets des mosquées ; au-
trefois les vieilles murailles persanes complétaient le
tableau ; on les a démolies. Le bazar se compose d’un
corridor de 400 m. couvert de coupoles en briques ver-
nissées. Tout près du bazar, une mosquée, construite
176
GUIDE AU CAUCASE
par Schah-Abbas en 1620, passe pour un bon spéci-
men du style persan de l’époque ; le porche est flanqué
de deux minarets. La mosquée est ronde; les fenêtres
garnies de vitres de toutes les couleurs ressemblent
aux vitraux de nos églises ; la porte est toute bariolée
de rouge et de vert. Dans la cour quatre platanes gigan-
tesques. Cette mosquée occupe l’un des côtés du maï-
dan , immense place carrée plantée aussi de platanes,
où est installé un
bazar en plein
vent. Les étroites
boutiques des or-
fèvres et des armu-
riers se succèdent
sur le côté gauche
en partant de la
mosquée. Les au-
tres industries se
sont emparées du
côté droit et de
celui qui fait face
au temple. Quoi-
que ombragée par
de beaux arbres ,
Elisabethpol est
très insalubre, et
les employés émi-
grent tous en été vers les montagnes boisées du S.,
à Hélénendorf, Hadji-Kend et sur les bords du pitto-
resque (( lac bleu » (Gok-gôl). En outre, la ville se
distingue tristement par une espèce de lèpre connue
sous la dénomination locale de « godovik » ou de
« lèpre d’un an » , parce qu’elle dure environ une
année sans céder à aucun remède. On croit que cette
affection de la peau, laissant après elle des cicatrices,
a quelque analogie avec le« bouton d’Alep )). Peut-être
faudrait-il attribuer cette maladie spéciale aux vingt-
deux cimetières qui avoisinent la ville, confinant aux
jardins, et mêlant leurs détritus aux eaux d’irrigation
dérivées de la Gandja. Se ramifiant en des centaines
de jardins, ces eaux n’atteignent pas toujours la Koura.
ELISABETHPOL. — D’après Élisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
177
Les Tartares d’Elisabethpol, presque tous agriculteurs
ou jardiniers, les colons souabes de Hélénendorf,
venus en 1816, elles « Lutteurs par l’Esprit)), qui peu-
plent plusieurs villages des environs, ont donné une
grande réputation aux fruits et aux légumes de la con-
trée. Ils obtiennent les meilleures cerises de la Trans-
caucasie. Dans leurs champs, ils s’occupent surtout de
la production du tabac et du coton : ils plantent des
mûriers, élèvent le ver à soie, construisent des char-
rettes sur le modèle des véhicules importés de Souabe
et possèdent quelques filatures et fabriques d’étoffes.
Les Arméniens, à peine inférieurs aux Tartars dans la
population de la cité , servent d’intermédiaires au
commerce 1 .
Route 2. — D’Elisabethpol à Adjikent (18 v.)
Service postal en été seulement . Poste aux lettres . Télé-
graphe (cle juin à septembre).
Route 3. — De Dzégame à Kèdabek (50 v., route
vicinale ). Le bassin du Chamkhor, dont les eaux arro-
sent le village de ce nom, est un des plus importants de
la Caucasie pour la richesse minière. C’est là, dans un
cirque de montagnes porphyriques, que se trouvent les
usines pour le traitement du minerai de cuivre retiré
des gisements du voisinage. — L’entreprise industrielle
connue au Caucase sous le nom de Kédabek et qui
depuis 1864 appartient par droit de concession à
MM. Werner et Karl Siemens, occupe un vaste do-
maine dont les principales localités sont : Kédabek ,
Kalakent , annexe qui lui est réunie par un chemin de
fer, et Dachgessan. Kédabek est situé à 60 v. S. -O.
d’Elisabethpol, à 50 v. S. du chemin de fer transcau-
casien et à 4,500 pieds au-dessus du niveau de la mer.
Les terrains miniers ont une étendue de 3 v. carrées ;
ceux des usines 50 déciatines et les forêts 16,753. Les
mines fournissent chaque année plus de un million
200 mille ponds de minerai, extrait à la poudre et don-
nant de 7 à 10,12,20,25 0/0 de cuivre. Après différents
grillages et passages au four, le minerai donne 20 à
30 0/0 de cuivre, puis fournit un cuivre noir et riche
1. D’après Elisée Reclus et Orsoile.
2 e PARTIE
12
178
GUIDE AU CAUCASE
à 92 0/0. — Analyse du cuivre de Kédabek : cuivre
99,573 0/0 ; argent 0,080; plomb 0,027 ; arsenic 0,038;
antimoine 0,060; nickel, cobalt 0,031 ; fer 0,009 ; oxy-
gène 0,059. — De 1871 à 1888, Fusine a produit
697,754 pouds de cuivre, c’est-à-dire une moyenne
annuelle de 38,763 pouds ; 31 pouds ont été obtenus
par des procédés électriques. La voie ferrée de mon-
tagne, de 31 kilomètres de longueur, avec ses 168 ou-
vrages d’art en courbes, véritables tours de force de
hardiesse, et qui met Fusine à proximité de ses centres
d’alimentation, de combustible, pierres calcaires, mine-
rais, etc., constitue le point principal et la plus belle
conception des installations mécaniques de Kédabek,
qui tient sans contredit comme importance, organisa-
tion, capital social engagé, la première place parmi les
industries minières du Caucase.
Pour visiter Kédabek, il faut écrire d’avance à M. Bol ton,
directeur de l’usine, qui ne refuse jamais cette autorisation.
Route 1 (suite). — DElisabethpol à Evlak
(63 v., en chemin de fer), par Dale-Mamethi (16 v.),
Guérane (23 v.), Evlak (24 v. Poste. Télégraphe).
Route 4. — D'Evlak à Choucha (105 v. route
postale ), par Karamanly (21 v. 3/4), Terter (15 v.),
Kabadinskaïa (18 v.1/4), Schah-Boulakh (11 v.1/2),
Khodjali (19 v. 3/4), Choucha (19 v.). En s’éloignant
d’Evlak, on parcourt des plaines immenses ensemen-
cées de blé, d’orge, de riz, de millet, et arrosées par des
canaux qni amènent les eaux du Terter, grande rivière
qu’on passe à gué et qui, en mai, lors des pluies, est
très dangereuse. Près de Schah-Boulakh et de la mon-
tagne au haut de laquelle se voient quelques ruines de
forteresse, on montre la fontaine en pierre construite
par Schah-Abbas. A gauche, les vignes, les jardins
fruitiers et les mûriers des aouls tatars Ardham, Kho-
derli. Aux environs de Khodjali, le paysage change :
On s’engage dans une gorge où Ibrahim-Khan avait
fait élever sur la rivière de Kharkhar une grande mu-
raille et des forts destinés à défendre le passage de la
plaine d’Askhéran et la ville de Choucha. C’est là que
Fena-Khan s’est battu en 1827 contre les Russes. A
GUIDE AU CAUCASE
179
droite, la montagne de Marave; à gauche celle de
Katukh et le pic Ternavaz qui a donné son nom au vil-
lage arménien voisin. On franchit le torrent de Kat-
chine et on gravit des pentes assez rapides devant les
caravanséraï Souleïman-Khan, Djaparouli, les mou-
lins d’Atabégofï, et, de la hauteur qu’on atteint, on voit
le village Khankhendi qui autrefois avait une garnison
de 4,000 Russes. Choucha est assise à 1,050 m. d’alt.
sur une terrasse de mélaphyre dominant une vallée, et
est abritée par des montagnes au pied desquelles cou-
lent deux petits ruisseaux. Les côtés vulnérables de la
ville sont protégés par des murailles percées de trois
portes; l’une vers Elisabethpol, l’autre vers Chémakha,
la troisième vers Keuriss et Nakitchévan. A la fin du
XVIe s. elle devint capitale du Khanat de Karabagh,
fut assiégée par les Persans et les Turcs. Les Russes
l’occupèrent dès 1805 et définitivement en 1823. Le
quartier musulman, dit (( gourlar )), est tout à fait sé-
paré du quartier arménien. Toutes les habitations en
pierre blanche, à balcons découpés et à fenêtres ornées
de grilles en fer forgé, sont bien bâties et d’une bonne
architecture. Le climat y est rude; l’hiver dure 6 mois;
la neige atteint 1 m.; les rues très en pente sont mal
pavées. L'eau potable, assez rare,, est fournie par trois
fontaines et des puits 1 .
(25,000 habit, musulmans et chrétiens. Hôtels « Américain »,
de « Russie ». Poste aux lettres et aux chenaux. Téléçjraphe.
Club. Une église russe. Cinq églises arméniennes. Dix-huit
mosquées, Gymnase rèal ; une école du Gouvernement; une
arménienne. Fabrique de tapis de haute laine; deux filatures;
un moulinage. Orfèvrerie, émaillerie, bijouterie en argent
niellé et en filigrane d’or. Chaudronneries ; teintureries. Les
soies, laines, cotons, céréales, farines, huiles de colza, de sé-
same, sont l’objet d’importantes transactions commerciales.)
L’ancien et le nouveau palais des « Khans )) sont
peu curieux à visiter. Les Musulmans de Choucha
sont connus dans toute la Transcaucasie pour leur
fanatisme. Les fêtes en l’honneur d’Hussein et d’ Ali y
sont célébrées avec une grande solennité. A3 v. de la
ville, les filatures de Karintka, de Chouchakind ; à
1. D’après Mme Chantre.
180
GUIDE AU CAUCASE
8 v., celles de Tchanakchi et de Taglar. Au N. de la
ville, le haras de Djanatag, créé pour la conservation
de la race chevaline de Karabagh, un peu déchue
depuis le siècle dernier, n’existe plus. Quant aux
mines de cuivre des montagnes avoisinantes, elles ne
donnent qu’un faible produit.
Route 5. — De Choucha à Djébraïl (85 v. 1/4,
route vicinale ), par Tchinakchi (13 v. 1/4), Akeder-
manski (17 v.), Karaboulak (14 v.), Vank (22 V.),
Djébraïl (19 v.).
Route 6. — De Choucha à Girousi (88 v. 1/4),
par Lissagorsk (17 v. 3/4), Abdoulah (20 v.), Zo-
vonk (14 v.), Digh (17 v.), Girousi (19 v. 1/2). Par
le col où passe la route d’Érivan, on débouche dans la
vallée de Zarasli. Lissagorsk, dans un joli vallon
arrosé par le Toursou et dominé par une montagne
dénudée, le mont Chauve (en turc Lissagorsk), est la
station d’été de quelques habitants de Choucha qui
viennent y camper sous la tente. En 20 v. , on est à
Abdoulah; l’Akarlou-tchaï se franchit à gué; 14 v.
plus loin Zovonk. On monte à Digh, cité dans l’histoire
à la fin du Xe s. Sernbat, premier roi du Siounikh, le
donna à sa femme qui l’offrit en 998 au monastère de
Tathève. Cette reine fit embellir le bourg et y éleva
l’église de Sourb-Kévork (Saint-Georges), dont les
pierres tombales à sculptures allégoriques sont assez
curieuses. Après le vallon de Karachène et la vallée de
l’Ak-sou, on gravit le col de Kardak, puis commence
la descente sur Girousi, le Koriss des Arméniens,
qui doit son nom de (( village des piliers » aux innom-
brables aiguilles trachitiques dont il est entouré.
L’ancien bourg est accroché à la montagne. Au fond
de la vallée coule le Girousi-tchaï, et, sur la rive oppo-
sée, le bourg moderne chef-lieu administratif du dis-
trict de Zanguézour étale ses maisons blanches L
Route 7. — De Girousi à Ordoubad (120 v., à
cheval), par Ouroute, Tathève, Adjizour. Astat-
1. D’après Mme Chantre.
GUIDE AU CAUCASE
181
zour, Migri. On gravit à pic la montagne située der-
rière le quartier neuf de Girousi jusqu’à un vaste pla-
teau volcanique où en été les bergers tates plantent
leurs kibitkas. On descend dans la magnifique vallée
du Bazartchaï. Au delà d’Ouroute et dans le voisinage :
Aroudi où s’élevait jadis une
église d’architecture quelque
peu romane; Kara-Kilissa qui
doit son nom à une église dont
les ruines sont noircies par le
temps (XIe s.). D’Ouroute on
franchit un pont et on s’engage
dans un sentier taillé dans le
roc. Par Lisine et un chemin
assez raide à travers la forêt,
on gagne Tathève. Ce grand
monastère, fondé par Ter-Ohannès au IXe s., saccagé
par les Musulmans, ressemble à une forteresse. Dans
la sacristie , quelques beaux vêtements ecclésias-
tiques, des pièces d’orfèvrerie religieuse. Dans la
cour: une colonne branlante surmontée d’une croix
ajourée. Aux environs de Tathève : le pont du Diable,
quelques sources thermales et l’église de Medz-
Anapat. Par le col de Maldak on passe à Tchanakchi
(fonderie de cuivre) dans la vallée d’Adjizour, à Ba-
chkend (mines de cuivre), à Adjizour, Kavart, Katar
(mine et fonderie de cuivre) où au XVIe s. s’élevait
la forteresse d’Alitzori. Par une belle forêt on atteint
Chikhaouz, les cols de Ghermazial et de Ghimran d’où
l'on domine la vallée de l’Araxe. On descend à Astat-
zour, en amphithéâtre sur une pente verdoyante, quoi-
que au milieu de montagnes arides. Au bord de l’A-
raxe : le poste d’Aldara occupé par des douaniers co-
saques. Migri (900 hab.) jadis gros bourg, est couronné
d’une forteresse ruinée. Après une plaine ensemencée
de riz et de coton on s’engage dans le sentier accidenté
qui court en corniche le long de l’Araxe. Le magnifi-
que défilé que l’on suit offre des tableaux d’une beauté
étrangement sauvage et émouvante. Puis par une val-
lée gardée par le poste de Karchinari, et qui s’élargit
peu à peu, on trébuche dans une région pierreuse ;
182
GUIDE AU CAUCASE
enfin apparaît comme une oasis de verdure Ordoubad
avec ses sources et ses platanes ombreux \
Route 1 [suite). — D’Evlak à Liaki (23 v., en
chemin de fer).
Route 8, — De Liaki à Agdache (13 v. ). Vu l’ab-
sence de chaussée, le trajet lors de pluies est souvent
difficile. — Située dans une région marécageuse et où
régnent les fièvres, manquant d’eau potable, cette rési-
dence du chef du district d’Arecht(Gt d’Elisab.ethpol),
est cependant en été le centre d’un grand commerce
de soies et de cocons.
Route 1 (suite). — De Liaki à Oudjari (buffet)
(19 v., en chemin de fer).
Route 9. — D’Oudjari à Geurktchaï (14 v., en
équipages de poste). Le trajet se fait à travers une con-
trée peu cultivée, fiévreuse et exposée en été à des
chaleurs torrides. Geurktchaï (2,000 habit.), ville
nouvelle, résidence du chef du district (Gouv* de
Bakou), a un bazar où le jeudi se font d’importants achats
de cocons.
Route 1 (suite). — D’Oudjari à Miousiouli
(24 v. 1/2, en chemin de fer).
Route 1 (suite). — De Miousiouli à Kiourda-
mir (19 v., en chemin de fer . (Poste. Télégraphe).
Route 10. — De Kiourdamir à Ghémakha
(70 v. 3/4, route postale), par Djaïri (19 v. ), Akh-
gsou (15 v. 1/4), Schahradil (18 v. 1/4), Ghémakha
(18 v. 1/4). De Kiourdamir, village tatar de 1,900
feux, environné de vignobles et de mûriers et où le
dimanche se tient un marché de vins et de cocons, on
parcourt une plaine ensemencée de millet, de riz, d'orge
et arrosée par des puits artificiels qui donnent l’eau de
la rivière Ghirdman. Djaïri n’est qu’un relais. Akh-
gsou au bas d’une colline giboyeuse , d’où sort la
rivière du même nom, est planté de vignes, grenadiers,
etc. Jusqua Schahradil, où coule une source d’eau
potable excellente, on gravit une suite de hauteurs
1. D’après Mme Chantre.
GUIDE AU CAUCASE
183
assez escarpées. A 3 v. de là, le village arménien Sa-
rian a un couvent dont l’évêque est fort hospitalier
pour les voyageurs. On laisse à gauche Madrassa dont
les vins rouges renommés s’expédient en Russie, et on
descend à Chémakha ( Poste aux lettres et aux che-
vaux. Télégraphe . 25,000 habit.). Cette ville (en persan
Chamakhi), chef-lieu de district, est à 110 kil. O. de
Bakou et à quelque distance de la rive droite du Pir-
sagat, rivière qui se perd dans les lagunes au S.-E.
avant d’arriver à la mer Caspienne. La fondation de
cette ville doit être fort ancienne, car on la trouve déjà
mentionnée dans Ptolémée sous le nom de Samekia.
Cependant elle ne doit avoir pris rang de capitale que
sous la domination des Khans tatars, car elle n’est pas
citée par les historiens arméniens ; elle devint alors le
chef-lieu du Chirvan. Nadir-Schali la détruisit de fond
en comble en 1734 et ordonna qu’une nouvelle ville fût
rebâtie à une petite journée de là vers le S. -O., sur les
bords de l’Aksou, affluent gauche de la Koura. Cette
seconde ville reçut le nom de Senghi-Chamakhi
(Chamakhi la-Neuve), aujourd’hui Novaïa-Chémakha.
Mais l’ancienne fut bientôt après relevée de ses ruines
par un chef tatar ; et depuis lors la population et la
prépondérance ont, alternativement et à plusieurs re-
prises, passé de l’une des deux villes rivales à l’autre.
L’ancienne Chémakha rétablie par les Russes a été
renversée plusieurs fois par des tremblements de terre
et toujours rebâtie sur le même emplacement. En 1870,
il y eut 1,900 victimes. En janvier 1873, une commo-
tion violente a englouti une partie de cette malheu-
reuse ville que l’administration russe a dès lors
abandonnée pour se transporter à Bakou. La douceur
du climat et la fertilité de la contrée expliquent l’atta-
chement des Musulmans pour cette localité où les
révolutions souterraines sont souvent si terribles. Les
recherches d’Abich ont établi que la direction des va-
gues terrestres se propage dans cette région du N. -O.
au S.-E. sur le prolongement même de l’axe du Cau-
case, et la ville se trouve peu éloignée du centre des
secousses. Il arrive parfois que des explosions de
naphte brûlant font jaillir en l’air des masses d'argile
184
GUIDE AU CAUCASE
et de flammes. Les débris d’une de ces explosions, que
le botaniste Koch vit dans la plaine au S. de Chéma-
kha, recouvraient un espace d’un kilomètre de pour-
tour, et des eaux saumâtres, ayant un léger goût de
naphte, remplissaient les crevasses du sol. Sans
compter les trois églises arméniennes, une dizaine de
mosquées, il y a à Chémakha de grandes fabriques de
tapis, de soieries tissées avec les cocons de Noukha et
de Choueha. On y importe aussi une certaine quan-
tité de cotonnades et de lainages de Moscou. Les gre-
nades sans pépins, que l’on récolte dans les jardins
d’alentour, sont renommées1.
Route 1 [suite), — De Kiourdamir à Adji-Ka-
boul [buffet), 70 v. 1/2, en chemin de fer, par Saguire
(23 v.), Kara-Sou (23 v. 1/2), Adji-Kaboul (24 v.)
Poste aux lettres et aux chevaux . Télégraphe ).
Route 11. — D’Adji-
Kaboul à Salyan et à Len-
koran (175 v. 1/2), route
postale ) , par Zoubovskaïa
(14 v.), Karatchalinskaïa
(15 v. 1/2), Salyan (20 v.
1/2), Tarakenskaïa (18 v.),
Andréefskaïa (25 v. 1/2),
Ghegh-tapa (23 v.), Kiril-
Agatk (22 v.),' Koumbakins-
kaïa ( 17 v.) , Lenkoran
(20 v.) . La route longe un
lac et s’enfonce dans la steppe.
A droite, la Koura, aux nom-
breux lacets, roule ses eaux rapides et jaunâtres
au-dessus desquelles émergent comme des habita-
tions lacustres les cabanes des pêcheurs. En face de
Salyan un bac relie les deux rives du fleuve. Ce chef-
lieu de district (10,000 habit.) Poste aux lettres et aux
chevaux. Télégraphe ), dont la population esttate, et
dont beaucoup de boutiques sont faites en nattes de
roseaux et de joncs, a un climat très fiévreux dû à
1. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
185
l’humidité du sol et à l’excessive température de l’été.
Officiellement simple village, ce n’est pas moins une
véritable ville, la seule de la Transcaucasie côtière au
S. de Bakou ; elle a la grande importance que lui don-
nent ses pêcheries et la fécondité de ses jardins. La
Koura, depuis Djevat (confluent de l’Araxe) est navi-
gable jusqu’à la mer. Tout le long de ses rives poisson-
neuses sont installées de nombreuses pêcheries qui
fonctionnent successivement de mars à mai, depuis
l’embouchure du fleuve, à mesure que les poissons re-
montent le courant. Il n’y a pas
de cours d’eau dans le monde
où la pêche soit si étonnam-
ment fructueuse (12 à 15,000
poissons par jour, esturgeons,
silures, etc.). C’est pendant ce
trimestre que se recueillent les
œufs (caviar, en russe ikra ),
l’un des plus grands rapports
des exploitations. Quant aux
poissons qu’on a ainsi vidés, ils
sont coupés, salés et expédiés
principalement à Astrakhan. Au
delà de Salyan on peut citer
comme stations de pêche im-
portantes : Norachaine , Bank
et Bojie-Promicel 1 .
Lenkoran (5,000 habitants).
[Poste aux lettres et aux chevaux. Télégraphe) n’est
qu’un bourg maritime dont le nom d’origine tartare a
le sens de (( lieu d’ancrage ». Cependant les bâtiments
y sont très exposés aux vents et à la vague, et doivent
s’arrêter à plus de 3 kil. de la côte. Le séjour de Len-
koran est redouté à cause des marigots qui bordent le
rivage et auxquels on donne le nom de Mourd-ab ou
(( d’eau morte ». Une atmosphère de fièvre règne sur
la contrée. Les chasseurs prennent au filet dans ces
marécages des multitudes de canards et d’autres oi-
seaux aquatiques. La culture du riz de l’Inde, intro-
1. D’après Mme Chantre.
LENKORAN.
D’après Elisée Reclus.
186
GUIDE AU CAUCASE
duite dans ces terres humides a fait immigrer avec elle
toute une flore indoue des plus intéressantes pour le
botaniste 1 .
Route 12. — De Lenkoran à Astara (36 v., route
vicinale), par Chak-Agache (15 v.), Astara (21 v..
Télégraphe). Au S. de Lenkoran, le petit port cl’As-
tara, situé sur une langue de sable, à l’embouchure
de la rivière de son nom, n’a guère plus d’avantages
que Lenkoran pour le climat et pour la facilité des
abords ; mais c’est là que se trouve la douane de
sortie de l’Empire russe : le territoire persan com-
mence de l’autre côté de la rivière. Astara importe
surtout des fruits secs, des noix de galle, du coton
brut, denrées en échange desquelles la Perse reçoit
des cotonnades, des objets en fer, en cuivre et des
samovars. Le commerce annuel d’ Astara est de près
d’un million de roubles 2.
Route 1 {suite). — D’Adji-Kaboul à Bakou
(117 v. 3/4, en chemin de fer), par Navagui (17 v.),
Aliate (24 v.), Sangatchali (21 v. 1/2), Pouta (24 v.
1/4), Baladjari (18 v.). D’Adji-Kaboul, la voie
tourne au N. On contourne les contreforts méridio-
naux du Caucase en longeant la mer Caspienne ; le
pays est comme un vrai désert, où se dressent des mon-
tagnes isolées. Après Pouta connu par ses volcans de
boue et Baladjari, on arrive en 13 v. à Bakou.
(64,000 habit. Douane. Poste. Télégraphe. Tramways. Hotels'.
« Grand Hôtel », « d’Europe », « de France », « Impérial »,
« d’Italie ». Cafés-restaurants : « Château des fleurs », « Ivé-
rie ». — Résidence du Général Gouverneur. Jardin public.
Square. Théâtre. Club. Parc et casernes d’ Artillerie. Tribu-
nal maritime et civil. Comité de statistique. Société technique.
Succursale de la Banque de Commerce de Tiflis; Banque de
Crédit mutuel ; Bourse des marchands. Hospices et Hôpitaux.
Lazaret militaire. Etablissements d’instruction. 4 journaux ;
2 bibliothèques ; 7 typographies. Bains. Bains de mer. Princi-
pales usines de pétrole : « Nobel frères et C° », « Société
commerciale et industrielle de naphte Caspienne et de la mer
Noire », « Schibaëff », « Caspienne », « Taguieff », « Œl-
rick ». « Bouifroy », « Tchiknavérofï », « Djakéli ». Usines
mécaniques : « Caucase et Mercure », « List », « Lentz »,
« Martirosofï », « du port de Bakou », etc. Compagnies de na-
vigation : Caucase et Mercure », « Lebède », « Droujina »,
1-2. D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
187
« Ma sis ». Compagnies d’assurances : « Yakor », « Salaman-
dre ». « Volga », « Moscovite », « Russia ». — Vice-consulats
de PYance, d’Italie.)
La fondation de Bakou, chef-lieu du gouvernement
du meme nom (en russe : Bakinskaï Goubernaïa) re-
monte au VIe s. de notre ère. Après avoir été occupée
par les Arabes et possédée par la dynastie locale des
Chirvanides, Bakou passa au pouvoir des Persans.
Disputée tour à tour par les Turcs et les Russes, elle
tomba définitivement au pouvoir de la Russie en 1806.
Cette ville doit son importance à son grand mouve-
ment industriel et commercial ; reliée à Tiflis, Poti,
Batoum par un chemin de fer, elle est le grand entre-
pôt des provinces caucasiennes avec Astrakhan, la
Transcaspienne et la Perse. Le mouvement du port se
développe d’année en année. Importation : coton, blé,
riz, buis, fruits, soies; exportation : surtout le pétrole.
Bakou s’étage sur les flancs arides d’un hémicycle
de collines de sable descendant en pente douce vers
une baie protégée par la péninsule d’Apchéron et le
cap Chikofï. Vue de la mer la ville paraît ce qu’elle
était sous ses anciens Khans ; ce sont les mêmes mai-
sons grises, cubiques, à toits plats, dominées par de
sveltes minarets, des coupoles de mosquées et, un peu
plus bas, par la masse noire du Balci-Hisscir et la Tour
de la jeune fille . Le quai et les quartiers voisins ont
bien été transformés, mais de loin cette note peu ac-
centuée se perd noyée dans l’ensemble absolument
asiatique de la ville. Rien n’empêcherait le voyageur
de se croire en Perse à l’époque de Schah-Abbas si les
steamers glissant sur les eaux de la rade et l’épais
nuage de fumée planant perpétuellement sur les dis-
tilleries de naphte de la ville noire ne lui rappelaient
le XIXe s. Parcourt-on la ville, l’illusion n’est plus
possible. Le quai est bordé de maisons, qui rappellent
les constructions européennes, et les quartiers voisins
ressemblent à ceux du nouveau Tiflis. Peu à peu la
ville gagne du terrain; chaque année elle empiète sur
les vieilles rues persanes et tartares; déjà ' elle arrive
aux pieds des collines; elle finira sans doute parles
escalader, et alors c’en sera fait d’une ville typique
18S
GUIDE AU CAUCASE
entre toutes en Orient. Au reste Bakou est cosmopo-
lite; l’exploitation des sources de naphte y attire une
population hybride, âpre au gain, amalgamée de toutes
les races de PEurope ; on y entend parler français,
italien, grec, allemand, suédois, arménien, géorgien
autant que persan et russe. Le monde aristocratique,
les officiers et les fonctionnaires se retrouvent dans un
club devant lequel on a réussi, à force de soins, à faire
pousser quelques arbres, les seuls qu’on trouve à six
lieues à la ronde : ce petit jardin s’appelle le parc Mi-
chaïlovsky. Constamment rafraîchi par la brise de
mer, le quai est d’ailleurs le seul endroit où l’on puisse
se promener sans être incommodé par les émanations
qui s’exhalent des résidus de pétrole dont les rues sont
arrosées. Il pleut rarement à Bakou : le vent et la
poussière y sont terribles ; mais lorsqu’un orage sur-
vient, il change les rues de la ville basse en autant de
torrents. L’ocleur du pétrole dont tout est imprégné
n’est pas le seul ennui ; l’eau n’est pas potable ; on
boit généralement du soda-water ou de la bière. Puis
l’absence absolue de toute végétation donne aux envi-
rons de la ville et aux collines auxquelles elle s’adosse
un aspect analogue à celui d’un désert. Cette désola-
tion universelle paraît pittoresque aux touristes de
passage, mais finit par rendre le séjour de Bakou in-
supportable aux Russes qui y sont retenus par leurs
fonctions administratives ou militaires. Quoi qu’il en
soit, ces inconvénients n’empêchent en rien l’essor de
la ville ; par la sûreté de sa rade, sa situation voisine
delà Perse et du Turkestan, le railway qui l’unit à
Tiflis, à Batoum et à la mer Noire, Bakou semble ap-
pelé à un grand avenir. Une flottille de guerre mouille
dans l’anse du cap Baïl-Bourni, couvert de dépôts,
de casernes, d’arsenaux appartenant à l’Amirauté;
cette petite cité militaire possède même son église.
Tout au fond de la baie, en face de la pointe extrême
du cap Baïlofï, un nuage permanent de fumée épaisse
indique remplacement de Tchorné govod (la ville
noire) 1 où sont concentrées les raffineries de pétrole.
1. A 2 v. 1/2 de Bakou, en voiture. Prix aller et retour :
1 1/2 à 2 roubles. — Visiter les grandes usines Nobel.
GUIDE AU CAUCASE
189
Toute une armée d’ouvriers indigènes y travaille à
transformer le naphte brut en kérasine, en benzine, en
gazoline, etc., par une série d’ébullitions et de mani-
pulations très curieuses à examiner. Les résidus de
pétrole pulvérisés par un jet de vapeur sont les seuls
combustibles employés dans ces usines. Ce n’est ce-
pendant pas à Tchorné-gorod , mais sur le plateau de
Balakhaneh que se trouvent les sources ; de longs
(( pipe-lines » amènent le précieux liquide aux distil-
leries de la ville noire et à celles de Sourakhaneh. Un
190
GUIDE AU CAUCASE
chemin de fer relie Bakou à Sabountchi (12 y. au N.)
et à Sourakhaneh (15 y. à PE.). Ce plateau de Bala-
khaneh foré d’innombrables puits , tous couverts de
toits noirs, en bois, très élevés, en forme de pyramides
tronquées, a l’aspect fantastique d’une immense nécro-
pole. C’est à la pression intérieure du gaz qu’est due
l’ascension du naphte, qui pénètre les couches de
sable et de cailloux reposant au-dessous des assises
tertiaires superficielles ; en s’élevant des profondeurs, le
pétrole entraîne avec lui de grandes quantités de sable
qui s’accumulent autour de l’orifice et finissent par
former des monticules coniques souvent assez hauts.
Il ne semble pas que les 637 puits de naphte forés, dont
306 en exploitation dans le voisinage de Bakou, jus-
qu’à la profondeur de 80 à 300 m., soient près de
tarir; il fournissent plus des cinq sixièmes du pétrole
recueilli dans la Caucasie1. L’industrie du naphte a
subi maintes vicissitudes. Jusqu’au 1er janvier 1873,
elle était affermée en monopole par le Gouvernement ;
sous ce régime, l’activité était nulle, l’extraction et la
fabrication se faisant avec un outillage insuffisant et
d’après des méthodes primitives ; de plus, les débou-
chés n’existaient pas. L’abolition du monopole vint
heureusement mettre un terme à cette situation préju-
diciable. Les machines à vapeur firent leur apparition
sur le plateau de Balakhaneh ; les forages furent pous-
sés avec vigueur ; des raffineries munies de tout l’outil-
lage compliqué de la science moderne furent établies
par MM. Mirzoeff, Nobel, Kokoreff, Djakéli, etc., etc.
A une extraction insuffisante, succéda un excès de pro-
duction qui provoqua une crise. Le prix du pétrole
tomba de quarante-cinq kopeks à trente et même à deux
kopeks le poud. Le pétrole américain revenant, en
Russie même, à meilleur marché que le pétrole de
Bakou, le stock d’huiles minérales s’accrut dans de
telles proportions que les détenteurs furent contraints
de s’en débarrasser à vil prix. Le poud de photogène
qui valait de 3 r. à 3 r. 60 en 1868, tomba à 1 r. 75 en
1874. Les conséquences de cette crise furent désas-
1. D’après Orsolle.
GUIDE AU CAUCASE
191
treuses ; de nombreuses usines durent suspendre leurs
travaux. Cette fâcheuse situation a cessé, grâce à l’ou-
verture du chemin de fer, grâce surtout à l’arrivée de
MM. Rothschild au Caucase et aux capitaux énormes
que ces banquiers ont avancés aux fabricants gênés.
L’industrie du pétrole est maintenant prospère1. Les
sources de naphte de Bibi-eï-Bat (autrefois Naphta-
loun) sont situées au S. et à 4 v. de Bakou, sur la route
du village et du monastère de Chikhovo et ont une
superficie de 100 déciatines carrées. Les couches sont
basses et il faut descendre jusqu’à 130 à 150 sagènes
de profondeur pour rencontrer l’huile, mais comme
qualité le naphte de Bibi-eï-Bat est supérieur à celui
de Balakhaneh ; il est beaucoup plus léger. — Exploita-
tions : Taghieff, Sarkissofï, Djakeli, Zoubalofï, Richard,
Nobel, Rothschild.
Le vieux Bakou, c’est-à-dire la ville asiatique, était
entouré de murailles démolies en grande partie aujour-
d’hui. S’il faut en juger d’après ce qui en reste et cer-
taines portes surmontées des armes persanes, les
fortifications devaient avoir un aspect original, la
Tour de lajeune fille faisait partie de cette enceinte ;
elle a la forme d’un ovale très allongé se terminant en
mur plein; actuellement elle sert de phare. Quand et
par qui a-t-elle été construite? On n’en sait rien : peut-
être cette tour colossale était-elle un guettoir destiné à
surveiller l’approche des pirates Turkomans. Quoi
qu’il en soit, la légende inventée tout d’une pièce par
Alexandre Dumas a fait son chemin, on la conte à
Bakou comme de l’histoire authentique. Non loin de
cette tour fameuse, sur un maïdan où l’on voit encore
quelques tombes tartares, est le cénothaphe du général
Tzitzianofï, le conquérant du Chirvan, assassiné par le
dernier Khan, dans une entrevue sollicitée par celui-
ci pour régler les conditions de la reddition de la ville.
Un poignard et un pistolet sculptés sur le frontispice du
monument rappellent cette trahison. Les bazars sont
voisins de Bcda-Hissar : le bazar arménien se com-
1. Voir au chapitre : Industrie (pétrole), première partie de
ce Guide, page 85.
192
GUIDE AU CAUCASE
pose de larges rues bordées de grandes boutiques assez
animées, mais sans caractère. Celui des Persans est
une longue, étroite et tortueuse ruelle, recouverte non
d’une voûte, mais d’une toiture en planches et où l’on
ne rencontre que des Asiatiques ; c’est une mine iné-
puisable pour des peintres de genre ; il occupe rempla-
cement d’un ancien caravanséraï, dont on voit encore
çà et là de jolis chapiteaux. Le Bala-Hissar, ancienne
demeure des Khans, tout à la fois palais et citadelle,
fut construit par Schah-Abbas, sur les ruines d’une
forteresse élevée en 1420 par Hali-ben-Ibrahim, souve-
rain du Chirvan. Tout l’édifice est en pierre de taille ;
le palais est une œuvre persane d’un assez bon style;
la grande porte en ogive, toute fouillée d’arabesques,
de fleurs, de feuillages, est fort belle. Les salles inté-
rieures occupées par un dépôt de munitions d’artillerie
n’ont plus rien de curieux. Il n’en est pas de même de
la salle du Divan , petit édifice en rotonde entouré
d’arcades d’une certaine élégance. Au centre s’ouvre
un puits recouvert d’une dalle ; c’est là, dit-on, que les
condamnés étaient exécutés ; les cadavres étaient en-
suite jetés dans une oubliette qui communiquait avec
la mer. L’enceinte du Bala-Hissai n renferme encore
deux mosquées. L’une est en ruine; le portail de la
seconde est une vraie dentelle de pierre ; le dôme,
malheureusement un peu détérioré, conserve encore
des azulejos en losanges qui devaient en rehausser
l’aspect1.
Les environs de Bakou offrent l’occasion de plusieurs
excursions : la Mosquée de Fathma , la Porte aux
loups et le Temple du feu éternel . La Mosquée de Fa-
thma avec son élégant minaret, joli spécimen de l’ar-
chitecture persane, est sur le cap Chikoff. A 6 v. de
Bakou, se dresse un rocher percé d’une grande ouver-
ture donnant sur une vallée encaissée, nue, aride,
calcinée, c’est la Porte-aux Loups. En s’embarquant un
soir dans une chaloupe et en se dirigeant vers une des
nombreuses anses de l’Apchéron, on peut se donner le
plaisir d’allumer la mer qui est couverte en mille en-
1. D'après Orsolle.
GUIDE AU CAUCASE
193
droits d’une légère couche de naphte. Le célèbre Temple
du Feu éternel , l’Atesch-Gah, s’élève près du bourg de
Sourakhaneh à 17 v. N.-E. de Bakou. La route détes-
table qui y mène escalade des collines et descend dans
des creux pleins de boue huileuse qui expliquent suffi-
samment le diamètre étonnant des roues des arbas
BAKOU & SES ENVIRONS _ Echelle de 4oo ooo ( omoi pour i.6001^)
chargées de barils de naphte qu’on croise à tout mo-
ment ; puis elle laisse à gauche un marais salant et
traverse un village tatar dont les maisons étalent fière-
ment sur leurs façades les armes persanes peintes en
couleurs ultravoyantes. Partout des trous creusés dans
le sol donnent issue aux gaz et fournissent un combus-
tible économique à de nombreux fours à chaux ins-
tallés par les indigènes. Tout ce plateau bombé de
S ourakaneh forme un vaste réservoir, une sorte d’im-
mense cloche où se concentre le gaz émanant de la
mer de pétrole souterraine qui s’étend, sous l’isthme
caucasien, de la presqu’île de Taman, Novo-Rossiisk,
Natanébi (en Gourie), c’est-à-dire depuis tout le ver-
sant occidental jusqu’à la Caspienne et se prolonge
sous les steppes du Turkestan. Ce gaz s’échappe par
2e PARTIE 13
194
GUIDE AU CAUCASE
mille fissures ; à certaines places il suffit de creuser un
trou peu profond et d’en approcher une allumette pour
enflammer immédiatement un petit jet de feu j c’est
une expérience que les gamins tatars répètent coup
sur coup à la plus grande satisfaction des voyageurs et
pour quelques kopeks- Le Temple du Feu éternel s’a-
perçoit de loin et d’une façon peu poétique, englobé
qu’il est dans la cour d’une raffinerie de naphte appar-
tenant aux frères Kokorefï. Ces Messieurs se sont si
bien substitués à Zoroastre que leurs employés inter-
disent l’accès du temple aux personnes qui ont oublié
de se munir, à Bakou, d’un laisser-passer délivré dans
les bureaux de la Société. Au milieu de la vaste cour
de l’usine, une immense gerbe de feu s’épanchant per-
pétuellement d’une colonne de bronze, indique aussi
que Zoroastre faisant bon ménage avec dame Indus-
trie pardonne à ses spoliateurs. Le temple badigeonné
tout entier au lait de chaux est entouré d’un double
mur recouvert d’une terrasse et orné de créneaux dans le
style indien. Tout le mur extérieur, tous ces créneaux
sont perforés de conduits donnant passage aux gaz du
sol ; le couloir formé par le mur double est divisé en
cellules habitées autrefois par les Guèbres. Une de ces
cellules est divisée en chapelle ; un mur bas sépare de
l’autel l’endroit qui était réservé aux croyants si toute-
fois l’on peut appeler « autel » les trois marches en
maçonnerie accolées au mur du fond. La cour est
carrée; dans le coin E. s’élève la maison du grand-
prêtre, espèce de tour carrée à un étage flanquée de
petites cheminées par lesquelles s’échappait le gaz
inflammable. Aux murs de la cour s’adossent des
chambres grossièrement bâties où logeaient les pèle-
rins; il y en a une trentaine. Au-dessus des portes, des
pierres portent des inscriptions en lettres persanes et
en caractères dévanagaris . Au milieu de la cour se
dresse le sanctuaire à dôme soutenu par quatre co-
lonnes ; les chapiteaux donnaient issue aux gaz ame-
nés par des conduits dissimulés dans la maçonnerie.
Dans le dôme à TE., est encastrée une salle couverte
de sculptures frustes. Planté sur le fronton, un trident
en fer poignarde l’air de ses trois pointes. Cet édifice
GUIDE AU CAUCASE
195
recouvre une cuvette creusée dans une petite terrasse
carrée accessible des quatre côtés par un escalier de
quatre marches. C’est sur cette cuvette, réceptacle, elle
aussi, des gaz souterrains, que les Guèbres brûlaient
les cadavres de leurs coreligionnaires. Le dernier
grand-prêtre fut assassiné en 1864 ; quelques années
plus tard, les Parsis de Bombay en envoyèrent un
autre, mais les pèlerins de l’Inde et de la Perse ou-
bliaient peu à peu leur antique sanctuaire. En 1880,
le prêtre fatigué sans doute de sa solitude partit pour
recruter des moines parmi les Parsis ; on ne l’a plus
revu. Maintenant, les feux éternels sont éteints; les
prêtres vêtus de blanc ne consacrent plus le nom divin
au milieu d’une enceinte de flammes, et le temple
abandonné aux infidèles semble pleurer sous son blanc
linceul de chaux son peuple dispersé et sa foi oubliée Ç
ITINÉRAIRE P
DE BAKOU A VLADIKAWKAZ
Route 1. — De Bakou à Vladikawkaz ( route
postale ), par Kouba, Derbent, Témir-Khan-Choura,
Groznaïa, Vladikawkaz. ( Voir itinéraire F.)
Route 2. — De Bakou ( par mer) jusqu’à Derbent
ou Pétrovsk. ( Voir itinéraire F), et, de l’un de ces
ports ( route postale ), par Témir-Khan-Choura.,.
Groznaïa, Vladikawkaz.
(Consulter la carte de Y Itinéraire F , paye 41, et, pour le
service des bateaux à vapeur de la mer Caspienne, les tableaux
des Compagnies de navigation.)
Après avoir contourné la presqu’île d’Apchéron, on
longe la côte du Daghestan. Des rangées de collines
parallèles, nues, calcinées, puis des montagnes déchi-
quetées s’élèvent par étages au-dessous de hauts?
sommets resplendissant de tout l’éclat de leurs neiges.
Tout ce littoral est peu habité; très rarement on dis-
tingue de petits aoûts tatars. Mais le contraste entre
les pics qui se détachent sur le ciel, et la mer qui
1. D'après Orsolle.
196
GUIDE AU CAUCASE
s’étend à l’infini, donne au paysage un certain caractère
de grandeur et de majesté. L’étroit passage que laisse
au N. de la mer le promontoire avancé de la chaîne
du Tabasséran est gardé par la ville de Derbent ou
Derbend. (15,000 hab. Auberges .Poste. Télégraphe.)
Bâtie à la fin du Ve
ou au commence-
ment du VIe s., par
un roi persan de
la dynastie des
Sassanides ; Mas-
soudi l’attribue à
Chosroës Amour-
chirvan. Cette
vieille forteresse ,
unique en son
genre, estenfermée
entre deux longues
murailles paral-
lèles qui descen-
dent de la mon-
tagne à la mer ,
flanquées de tours
et bordées de pierres tumulaires à inscriptions. Les
maisons et le bazar, dans ce long parallélogramme
incliné, ne forment en réalité qu’une seule avenue de
constructions kle 3 kilomètres cle longueur. Ainsi que
le dit son nom, Derbent n’est qu’une grande porte
fortifiée, une « porte de fer » comme disent les Arabes
et les Turcs par leurs appellations de Bab-el-Khadid et
de Demir-Khapssi : on l’appelait aussi Bab-el-Abouab
ou (( Porte des Portes )). Tous les voyageurs du moyen
âge disent que la muraille s’avançait au loin dans la
mer; maintenant on ne voit plus aucune trace de ce
rempart marin, ce que Ton explique par un soulè-
vement local. Entre la ville et la rive actuelle s’étend
une large zone de terrain qui fut probablement im-
mergée. A l’O. de Narin-Kaleh, citadelle qui, du haut
d’un promontoire, domine la cité, la muraille égale-
ment consolidée de distance en distance par de larges
tours suit la crête des monts, descend dans les ravins
DERBENT. — D’après Elisée Reclus.
GUIDE AU CAUCASE
197
et remonte sur les pentes pour aller s’enraciner à
quelque pic lointain. Si l’on en croyait les indigènes,
cette muraille, qui d’ailleurs n’a plus aucune impor-
tance stratégique, aurait autrefois hérissé de ses tours
la chaîne du Caucase de l’une à l’autre mer; du moins,
ce rempart protégeait-il toutes les plaines situées à la
base du Caucase oriental, car on a pu en reconnaître
les vestiges jusqu’à 30 kilomètres de Derbent. Deux
fois conquise par les Russes, la fameuse « porte » de
l’Asie leur appartient définitivement depuis le traité
de 1813; mais la ville, poste avancé des musulmans
chiites contre les sunnites du N., est encore d’aspect tout
asiatique. D’ailleurs, il est peu de cités russes qui soient
plus industrieuses que cette ville persane, déchue
pourtant, s’il est vrai qu’elle eût 26,000 habitants
en 1825, deux plus fois que de nos jours. L’eau du
Roubas, amenée par un aqueduc de plus de 17 kilo-
mètres de longueur, arrose environ 1,500 jardins où
l’on cultive les arbres fruitiers de toute espèce, la
vigne, le safran, le coton, le tabac, la garance. Autre-
fois cette dernière denrée avait une grande importance
commerciale, et Derbent en exporta en 1861 pour une
valeur de plus de 4 millions. Comme Pétrovsk, Derbent
exploite des puits de naphte et des carrières de schistes
bitumeux. Son port, conquis sur la mer par des jetées,
gèle quelquefois en hiver1.
Route 3. — De Derbent à Noukha [route cavalière ,
par Akhti au pied du Ghakh-Dagh (4,253 m.) et du
Bazardiouzi (4,480 m.), le plus haut sommet du Cau-
case au S.-E., puis en traversant la chaîne centrale au
col de Salaval (2,936 m.). Noukha. (Voir ce nom
itinéraire D, route 2.)
Route 2 (suite). — De Pétrovsk àTémir-Khan-
Choura (route postale 43 v.), par Alti-Boïounn
(22 v. 1/4). Pétrovsk (3,626 hab. Hôtel « Germania ».
Poste . Télégraphe , etc.), malgré le splendide paysage
qui l’encadre, a une apparence des plus maussades.
Eparpillés sur le rivage et les collines voisines, les
1. D’après Élisée Reclus.
193
GUIDE AU CAUCASE
magasins, les entrepôts, les maisons basses à toits
rouges qui constituent la cité commerciale du Caucase
septentrional, semblent ne former qu’un grand village.
Un phare, une lourde église en pierre, un fortin à tours
basses sont les édifices les plus saillants qu’on aperçoive
du fort. Cette ville avait cependant une grande valeur
stratégique durant les guerres contre les montagnards ;
c’était le point de ravitaillement des corps d’armée
russes. Il est probable que le railway entre Vladi-
kawkaz et Pétrovsk donnera à ce port, à rade relative-
ment sûre, une grande importance. La route conduisant
â Choura gravit d’abord une montagne d’où l’on jouit
d’un beau panorama. On passe des gorges pittoresques,
une source sulfureuse, un août habité par des tatars
koumouks, et on dételle à la station d’ÂLTi-BoïouNN.
De là on descend jusqu’à Kalemberg qu’on laisse à
droite, on longe Kanir-Koumouk et sa forteresse bâtie
sur un roc. Des jardins, des kiosques annoncent
Choura (4,000 hab. Hôtels Chapirkoff, d’Europe.
Résidence du général gouverneur. Poste aux lettres et
aux chevaux . Télégraphe). Située sur le Choura-Ogen,
dans une plaine ceinte de tous côtés de montagnes, la
capitale du Daghestan n’offre de remarquable que sa
population aussi mélangée qu’originale. Outre les
Tatars-Koumouks, on y coudoie des Tchétchènes, des
Lesghiens, des Avars, des Ossètes, des Persans, etc.
Un parc planté de peupliers, une église massive,
beaucoup de casernes, une statue élevée au général
Argoutinsky et le rnaïdan ou bazar sont les seules
curiosités de cette ville toute militaire. Au maïdan on
peut acheter d’excellentes lames, des armes richement
travaillées et des incrustations d’or sur acier et ivoire1.
Route 4. — De Témir-Khan- Choura à Gounib
(121 v. 3/4), route postale , par Djengoutaï (18 v. 3/4) ;
Kiziliar (12 v.) ; Ourma (17 v.) ; Lévachi (14 v. 3/4) ;
Khadjal-Makhi (18 v. 1/2) ; Saltinka (25 v.) ; Gounib
(15 v. 3/4). Il faut solliciter du gouverneur de Choura
un laisser-passer pour visiter Gounib. — Le Kara-Ogen,
qui mugit dans une profonde tranchée, marque la fin
1. D’après Elisée Reclus et Orsolle.
GUIDE AtJ CAUCASE
199
de la plaine qui s’est déroulée depuis Choura; on le
passe à gué. Par Mousselin et un plateau désolé on
atteint Bouglein. Le minaret d’une mosquée signale de
loin Djengoutaï. Après Kiziliar et Ourma on entre
dans un défilé triste et lugubre. Lévachi, station mili-
taire avec un fortin occupé par une garnison de
50 hommes, est la résidence du commandant du district.
Insensiblement la vallée s’élargit et aboutit à Khadjal-
Maki. On traverse le Kasi-Koumouk et près de
Koulpi on pénètre
dans une étroite
fissure aboutissant
à d’autres sites
aussi pittoresques
que ceux que l’on
vient de quitter.
Devant soi se dres-
sent le Gounib, et
un peu plus loin
le Tlilimène, mon-
tagne couronnée
par cinq assises superposées en retrait les unes sur les
autres. On franchit le Saltinsky-most, pont fortifié et
en fer jeté sur le Kara-Koïssou. C’est là qu’est l’em-
branchement du chemin de Kounzak. Cette partie du
parcours a grand caractère. La station de Saltinka
est la dernière. Bientôt on aperçoit la forteresse de
Gounib et la maison du commandant. Un petit fort
armé de canons défend le pont qui donne accès au
chemin en zigzag que l’on va prendre. La formalité
de l’exhibition du laisser-passer remplie, on atteint en
une demi-heure la petite ville militaire où le major
offre toujours l’hospitalité aux voyageurs. Gounib
Poste . Télégraphe ), à l’abri des vents du N. et des
fortes chaleurs, possède des eaux fraîches et des fruits
excellents. C’est là, qu’après tant de combats contre les
Russes, Schamyl, successivement délogé de toutes ses
positions, se réfugia au commencement de l’année 1859 ;
il n’était plus accompagné que d’une poignée d’hommes,
quatre cents environ, les plus braves et les plus intré-
pides de ses Murides. La terrasse supérieure du Gounib,
200
GUIDE AU CAUCASE
presque inaccessible du côté du Kara-Koïssou, se
relève peu à peu vers l’O. et forme ainsi un second
plateau confinant à des escarpements à pic. Du haut
de cette inexpugnable acropole, Schamyl se sentant
invincible, soutenait les efforts de toute une armée
commandée par le prince Bariatinsky. Un assaut avait
échoué; l’Iman, abondamment approvisionné, n’était
pas prenable par la famine; l’hiver allait forcer les
Russes à lever le blocus, et cet échec eût été le signal
d’une nouvelle insurrection, quand un audacieux coup
de main sauva la situation. Dans la nuit du 6 sep-
tembre 1859, des grenadiers du régiment d’Apchéron
et des tirailleurs du Daghestan escaladèrent, par un
miracle d’adresse et de courage, les pentes abruptes de
l’O. ; au point du jour le drapeau russe flottait sur le
plateau supérieur du Gounib. A cette vue inespérée,
la colonne du général Bariatinsky traversa le Koïssou
et escalada le flanc de la montagne. On tira à peine
quelques coups de fusil : Schamyl, perdu, se rendit à
discrétion au vainqueur. Victorieux, l’Empereur fut
clément; l’Iman fut interné à Kalouga; plus tard, il
obtint l’autorisation de se retirer à la Mecque, où il
mourut aveugle (1797-1871). Des fils de l’Iman, l’un
Djemal-Eddin fait prisonnier à Akoulgo, élevé en
Russie, et devenu aide de camp de l’Empereur, était
mort de chagrin et de langueur, quelque temps après
avoir été ?rendu à son père en échange des princesses
Tchavtchavadzé ; deuxautres^reconnus gentilshommes,
servent dans l’armée russe. — Il faut plusieurs heures
pour parcourir à cheval et avec un guide la montagne
de Gounib. La citadelle occupe le plateau inférieur;
sur la place, on montre les canons de Schamyl, entassés
pêle-mêle au pied du mur de l’église. Le chemin car-
rossable qui mène au plateau supérieur, par des zigzags
fort raides, porte en grande partie sur des viaducs :
dans un petit bois de bouleaux une pierre commé-
morative protégée par un kiosque hexagonal, indique
l’endroit où le général Bariatinsky reçut la soumission
de l’Iman; sur cette pierre on lit l’inscription laconique:
(( Prince Bariatinsky, 1859. )) L’aoulàu prophète n’est
pas loin : les maisons construites avec les pierres de
GUIDE AU CAUCASE
201
la montagne sont toutes en ruine; celle de Schamyl est
facilement reconnaissable à une chambre élevée, espèce
de cellule où l’Iman se retirait pour méditer. La prison
est un souterrain étroit, sans air et sans lumière, où
étaient enfermés les prisonniers russes et les rebelles;
la glacière, une fissure rocheuse où l’eau d’infiltration
se convertit en glace, même pendant les plus fortes
chaleurs de l’été. Un tunnel creusé en 1871 pour per-
mettre à l’Empereur de monter directement de la vallée
de Kara-Dagh au Gounib, est actuellement obstrué.
Une route carrossable aboutit à l’endroit même où eut
lieu l’escalade héroïque des Russes; si le fait n’était
pas certain, indiscutable, on aurait peine à croire que
des êtres humains aient jamais pu gravir ces pentes à
pic sur un abîme dont la profondeur donne le vertige.
A partir de ce point, il n’y a plus de chemin ; par des
pentes glissantes on atteint l’extrême rebord du plateau
supérieur d’où se déploie l’un des plus splendides
panoramas qu’on puisse contempler : la chaîne N.-E.
du Daghestan, le Krebet dressant fièrement ses pointes
couronnées de glaciers, le mont Tlilimène, avec son
étrange sommet semblable à un coffre colossal; en
bas, presque perpendiculairement, au fond d’un pré-
cipice, traversé par le Zala-Datli, les aouls avars,
pareils à des taupinières éparpillées le long d’un mince
filet d’eau; un peu plus au N., l’étroite crevasse
sombre menant au Kara-Dagh. On reprend le chemin
de la citadelle par des raccourcis1.
Route 2 (suite). — De Témir-Khan-Choura à
Vladikawkaz (250 v., route postale). La route de
Témir-Khan-Choura à Vladikawkaz, au lieu de se
diriger vers le N. par la vallée de Choura-Ozen, fléchit
un peu à l’E., traverse les derniers contreforts du
Daghestan parallèlement à la rivière Soulak , et dé-
bouche dans la plaine de la Petite-Tchetchénie, non
loin de Tchir-Yourt. Ce trajet de 40 verstes ne
comprend que deux relais, Tichikli et Goumali. Des
casernes, une église, un fortin sur les collines du
Soulak composent, avec quelques rues boueuses, la
1. D’après Orsolle.
202
GUIDE AU CAUCASE
petite ville de Tchir-Yourt dont l’importance est pure-
ment militaire. Le Soulak passé, on roule dans la
steppe qui, en été, est une mer de verdure et de fleurs.
A gauche, les montagnes boisées de la Grande-Tchet-
chénie, et çà et là des « kourganns », tumulus d’une
race oubliée. Quelques cosaques gardent la stanitza
isolée de Tchapchak. La route arrive au gué de l’Ak-
Dasch après lequel commencent les forêts. Des postes
de miliciens sont installés à la lisière des bois. En
quittant la stanitza de Khassav-Yourt, on franchit à
gué le Yarak-Sou, le Yaman-Sou et on relaye à
Gerzel-Aoul, sur la rive gauche de l’Ak-Sou.
Oumakhan-Yourt, au confluent de la Plaïa-Réka et
de l’Argoun, se reconnaît de loin pour un village russe
aux coupoles vertes de son église; c’est une stanitza
des cosaques de la (( Ligne du Térek ». Par Oustar-
Gord et le territoire des Ingouches , on arrive à
Groznaïa ou Grosny. Cette petite ville de 3,000 habi-
tants ( Auberges . Poste . Télégraphe , etc.), fondée au
temps d’Ermolofï, est divisée en deux parties par la
Soundja, affluent du Térek. Aux environs, jaillissent
les eaux minérales de Goriatchewodsk, ou Staro-
Yourtowsk (87-91°). Après Alkhanyourt, la route
suit la rive gauche cle la Soundja; un poste de cosaques
avec sa sentinelle se promenant sur la plate-forme de la
vyskha , annonce la stanitza de Samachkinskaïa. On
passe Pliéva et on arrive à Nazrane. La station et
quelques maisons russes sont groupées sur une colline
au pied et sous la protection d’un petit fort. A Bozor-
kina on passe la Kambilefka et bientôt on aperçoit les
églises, les arbres et les maisons de Vladikawkaz 1 .
( Voir ce nom itinéraire G, page 47.)
1. D’après Orsolle.
FIN DE LA SECONDE PARTIE
Chalon-sur-Saône. — Imprimerie de L. Marceau.
- 1 -
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présentent une économie de 25 à 60 '%.
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tituant une économie d’environ 25 °/„ sur les prix
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mes fixes et à prix très réduits, permettant de par-
courir, avec la plus grande économie de temps,
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sent de la faveur du public.
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parcours en chemin de fer, voitures, bateaux, séjour
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escompte d’effets de commerce, achat et vente de
valeurs publiques et de lettres de change, etc., etc.
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du Crédit Lyonnais, de MM. Verne et C°, du Comp-
toir national d’Escompte, de la Société générale et
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actuel de 99 roubles, rapportent 6 % d’intérêt et
sont amortissables en 27 ans 1/2 et 43 ans 1/2.
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Banque sont attribués au développement de l’ins-
truction publique au Caucase et à des établisse-
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nuels, sont remboursées, et les coupons de la
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pire et les principales places de l’étranger.
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haute récompense: les Aigles impériales; à l’Ex-
position universelle de Paris 1890 : les palmes
d’ofiicier du Mérite agricole, la grande médaille
d’or et deux médailles d’argent
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médaille d’or à l’Exposition agricole et industrielle
du Caucase, à Tiftis, en 1889
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et l’industrie. Exportation des produits naturels du
Caucase : riz, huiles diverses, laines, cotons, etc.
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rement avantageuses et avec participation des
assurés aux bénéfices de la Compagnie. Assurances
contre les accidents, individuelles et collectives
pour les employés et ouvriers de fabriques, avec
réduction des primes au moyen des dividendes.
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et immeubles. Assurances des transports terrestres,
maritimes et fluviaux. Les assurances sont reçues,
et les renseignements sont fournis dans l’adminis-
tration, à Saint-Pétersbourg, 37, Grande-Morskaïa ;
dans l’agence, à Tiflis, chez M. Goldlust et Cie ; à
Batoum, chez M. Malichkévitch ; à Bakou, chez
MM. Goldlust et G10, et dans toutes les agences de la
Compagnie. Les billets d’assurances des voyageurs
contre les accidents possibles pendant le voyage en
chemin de fer et bateaux à vapeur sont délivrés aux
stations de chemin de fer, aux embarcadères et
dans les hôtels de premier ordre des villes de
l’Empire.
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accidents de tout genre ; collectives pour ouvriers
et employés de fabriques. Assurances des chevaux
de selle et de trait, d’équipages et de voitures.
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Compagnie et aux agents résidant dans les villes
principales de l’Empire
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fluviaux. Transports pour l’intérieur de la Russie
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Pétersbourg, Moïka, 66 ; à Mourom, Comptoir Koule-
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